• Aucun résultat trouvé

Los Angeles, archétype de la destruction des espaces publics

Aujourd‘hui, la quantité et la qualité des espaces publics continuent d‘être reliées avec la santé des finances publiques, souvent au détriment des quartiers moins nantis qui souffrent d‘une carence d‘espaces publics (Byrne, 2007). La ville de Détroit par exemple, possède plus de 300 parcs, dont 40% sont en mauvaises conditions. La Ville possède plus de parcs qu‘elle ne peut se le permettre et l‘entretien est dispendieux : seulement 18 parcs ont été rénovés en 2006, et

78 11 en 2007. C‘est pourquoi les autorités municipales envisagaient récemment la vente de 90 parcs municipaux, leur cogestion quartier-municipalité ou des partenariats privé-public. Les 8,1 millions de dollars récoltés pour la vente des 124 acres de parcs, et les 5 millions espérés annuellement en taxes foncières, serviraient entre autres à l‘entretien des parcs restants, particulièrement dans les quartiers denses (Saulny, 2007).

Les pratiques urbanistiques développées dans les années 1950 continuent d‘être en vigueur, mais elles prennent place dans une nouvelle ville. Une ville où, grâce à l'avènement de l'électronique (carte de crédit, Internet, etc.), l'espace et le temps sont obsolètes, une ville sans lieu qui lui soit attaché, une ville agéographique, particulièrement avancée aux États-Unis (Sorkin, 1992: xi). C‘est que s‘est opéré le passage d‘une ère de décentralisation à une ère de déspatialisation (Herzog, 2006: 5).La multipolarité, soit le comportement de ceux pour qui le fait d‘habiter dans une ville ne constitue pas la référence unique, devient plus courante. Cette attitude « […] aboutit souvent à une distanciation ou à une indifférence à l'égard de la vie locale, quelle qu'elle soit » (Bozon, 1982: 74). Une telle dissociation au territoire est le signe d‘une fragmentation sociale, la preuve que la ville n‘est plus le refuge identitaire de ses habitants. Cela n‘est pas sans rappeler les débats sur la spatialisation des liens sociaux (Wellman et Leighton, 1981).

C‘est dans ces circonstances qu‘un coup fatal est porté aux espaces publics. De nouvelles tendances en matière d‘aménagement et de gestion des espaces publics prennent place et plusieurs notent que ces changements ont un impact direct sur les interactions qui pourraient y prendre place. En effet, le design d‘un parc peut contribuer à réduire la mixité et à décourager les rencontres spontanées. D‘après Lofland (1998: 181-187), cela se fait de trois façons. Premièrement, le cadre bâti peut affecter la façon dont se déroulent les interactions. L'environnement bâti ne détermine pas exactement comment les gens vont interagir entre eux, mais il amplifie ou limite le champ des possibilités interactionnelles. Par exemple, il ne peut y avoir d‘échanges prolongés seulement si des gens sont présents assez longtemps. Deuxièmement, le cadre bâti des espaces publics peut influencer qui entre en contact avec qui. Des sections réservées à quelques groupes ou des aménagements inconfortables pour certains organisent les gens dans l‘espace et découragent les rencontres indésirées. Finalement, l‘environnement physique peut favoriser ou non le contenu des interactions. Plus l‘espace est dense et petit, plus il y aura d‘échanges.

Sur ce thème, Los Angeles sert d‘archétype pour comprendre comment la ville a sonné le glas de ces espaces communs. En effet, à Los Angeles plus qu‘ailleurs, plusieurs constatent et

79 dénoncent la mort d‘un grand nombre d‘espaces publics. Ce constat est surtout le fait des membres de l‘École de Los Angeles, notamment Davis et Flusty, qui voient en cela la preuve de la fragmentation extrême de la métropole californienne, où l‘on peut « chercher deux heures sans voir un sourire »(Banham, 2001 [1971]: 219). Leurs observations mènent à la description détaillée du processus de mise à mort des espaces publics.

Dans un premier temps, on sécurise et on homogénéise les espaces publics déjà existants ou on les abandonne, ce qui entraîne leur décadence. Ces lieux sécurisés, homogénéisés, abandonnés sont des espaces dits morts (Flusty, 1994; Low et Smith, 2006: 2; Mitchell, 2003b: 139; Sennett, 1976 [1974]: 3, 12-13). Flusty parle d‘espaces interdictoires, et il constate la prolifération de ces espaces qui interceptent, refoulent ou filtrent les utilisateurs. C‘est que les concepteurs mettent en avant un ensemble de stratégies : on aménage des espaces publics cachés (stealthy), inateignables (slippery), inaccessibles (crusty), inconfortables (prickly) et surveillés (jittery) (Flusty, 1994). Parallèlement, les espaces publics sont construits de façon à être isolés de leur environnement, ce que favorisait l‘aménagement urbain après la deuxième Guerre mondiale (Davis, 1999; Flusty, 1994; Mitchell, 2003b; Sennett, 1976 [1974]).

Dès ses débuts, la ville de Los Angeles a été avare d‘espaces publics ouverts, et au fil des ans, la plupart des espaces publics, déjà peu nombreux, ont été abandonnés, ou vendus à des intérêts privés (Davis, 1996; Montgomery, 2006: 433). Depuis la création du petit village au bord de la rivière, on compte de nombreux exemples de privatisation de l‘espace au nom du développement immobilier (Davis, 1999). En 1930, un rapport d‘Olmsted Brothers and Bertholomew & Associates, rédigé à la demande d‘un comité de citoyens réunis par la Chambre de commerce de Los Angeles, faisait état des espaces ouverts, parcs et plages de la métropole, des conséquences du statu quo et des changements nécessaires à l‘amélioration de la ville. Selon le rapport, il y avait à Los Angeles moins d'espaces publics récréatifs que dans la ville américaine moyenne (Davis, 1999: 62). Los Angeles, toujours à la dernière mode du développement urbain, abandonnait grassement ses parcs existants, au profit des rues et les boulevards, les nouveaux lieux communs priorisés (Hise et Gish, 2007). Pour des raisons politiques et économiques, les recommandations du rapport n‘ont pas été suivies (Hise et Deverell, 2000); seules quelques suggestions d'experts, appuyées par les comités locaux de loisirs et d'embellissement de la ville, voient le jour, et de timides législations (dont une en 1961) qui visent le respect et/ou la création d'espaces verts sont adoptées. Dans les années 1940, la mauvaise gestion des espaces publics et l'empiètement du privé dans l'aménagement urbain sont à la base d‘une série d'épidémies qui a affecté les habitants des rives polluées et des

80 premières attaques de smog (Davis, 1999: 72). Cette situation s‘est fortement exacerbée lors de la restructuration des années 1980, qui a mené à une réduction des dépenses publiques dans l‘aménagement de nouveaux espaces publics et l‘entretien de ceux déjà existants (Davis, 1996).

En effet, la restructuration des années 1980 couplée aux politiques de rénovations urbaines des années 1950 à 1990 a mis un terme à la vie publique dans les rues et dans les parcs du centre- ville. Dès les premiers plans de réaménagement du centre, la Ville de Los Angeles a laissé le soin aux promoteurs privés d‘inclure des espaces publics dans leurs développements, en échange de quelques avantages sur la construction, notamment au niveau de la densité des édifices. Des espaces vides, aseptisés et surcontrôlés sont apparus au pied de tours à logements ou à bureaux, plus souvent comme mesure indicative d‘une qualité de vie pour les occupants que comme réels espaces de rassemblement (Flusty 2000 : 151).

Presque tous les édifices privés se sont adjoints un espace « public », lui donnent le nom des corporations qui l‘abrite, en contrôle l‘accès, les activités et les occupants. Ce type d‘espaces se compte en plus grand nombre que les parcs publics (Cosulich-Schwartz, 2009: 57). Des espaces trop petits, difficiles d‘accès, inconfortables, surveillés et cachés, comme le Angels Knoll et le Biddy Mason Pocket Park, situés sur les terrains privés appartenant aux propriétaires des tours adjacentes construites dans les années 1990, sont entretenus par les fonds publics (Flusty, 1994 : 20-21). 7 + Fig de la Ernst & Young Plaza (anciennement Citicorp Plaza), Bank Of America Plaza (autrefois la Pacific Securities Plaza), CitiGroup Center Plaza, ManuLife Plaza, Union Bank Plaza, ne sont que quelques exemples de ces espaces vides, inconfortables, sans services et surveillés créés dans le cadre cette politique.

Un de ces espaces publics à l‘étude ici, le California Plaza (voir Figure 9), construit dans les années 1980 selon ces principes, est une ville à même la ville, un morceau fragmenté qui n‘est pas intégré à son environnement, qui flotte au-dessus de la rue, inaccessible et ininvitant.

Figure 9 : Le Jardin suspendu de la California Plaza, 2009

81 Les raisons de cet isolement sont d‘abord les tendances architecturales modernes favorables aux mégablocs, à la séparation des piétons et des automobiles, et aux plazas corporatives (Loukaitou-Sideris et Banerjee, 1998: 222). Ensuite, l‘intérêt bien connu de Los Angeles pour les collaborations avec l‘industrie privée se fait au détriment d‘un aménagement cohérent de l‘espace urbain.

La nature épisodique du développement, combinée avec le manque de vision d‘ensemble de la part du secteur public pour le centre-ville, empêchent ces stimulateurs de changement d‘être intégrés dans le tissu urbain. Il reste quelques fragments incohérents, et ensemble ils composent un collage d‘espaces dans le centre-ville. (Ma traduction de Loukaitou-Sideris et Banerjee,1998: 281)

Finalement, la Plaza elle-même et son principal espace public, le Watercourt, supposé rassembler et réunir, contribuent de leur propre isolement parce qu‘ils sont complètement séparés de la rue, de la vue, du trottoir et de la culture populaire.

Par conséquent, aujourd‘hui, les exemples d‘espaces ainsi privatisés, étouffés ou abandonnés sont nombreux. Echo Park, un magnifique espace vert au pied d‘un quartier victorien, n‘a rien de son ancienne prestance; par manque de financement, le parc est négligé, les pédalos permettant d‘explorer les nénuphars qui faisaient la renommée de l‘Echo Park Lake sont entreposés jusqu‘à nouvel ordre (Fleischer, 2008). Griffith Park, le plus grand parc urbain des États-Unis avec ses 4282 acres(City of Los Angeles et Department of Recreation and Parks, 2010b), est surtout utilisé par les résidents qui habitent dans les quartiers aisés adjacents. C‘est peut-être à cause de son apparence de région sauvage (Fleischer, 2008), son accès difficile ou son manque d‘ouverture pour les activités autres que la randonnée (Byrne 2007). Elysian Park, le deuxième plus grand parc de la métropole, est isolé et sous-utilisé (Fleischer, 2008), malgré le fait qu‘il n‘y ait aucune surveillance (donc aucun employé d‘accueil), et qu‘il ne soit pas fermé (City of Los Angeles et Department of Recreation and Parks, 2010a). Les plages, qui ont déjà fait la renommée de Los Angeles (en bien ou en mal) (Davis, 1999: 86), sont un tel enchevêtrement de rives privées et publiques (Davis, 1992 [1990]: 227) qu‘il existe des groupes de vulgarisation des règlements d‘accès (laurbanrangers.org). La Third Street Promenade subit depuis les années 1960 plusieurs étapes de revalorisation qui attirent avec succès les consommateurs chics. Du coup, les Latinos et pauvres sont refoulés à l'extérieur ou aux limites. Et ce n‘est que faute de savoir comment faire que les jeunes qui y traînent, mais ne dépensent pas, ne soient pas encore repoussés (Cruz, 2001: 105-107).

82 Un exemple des plus probants est peut-être le MacArthur Park, à l‘ouest du centre-ville. Ce parc, cité plus haut comme exemple des pratiques réformistes (le Westlake Park dont il a été question précédemment), a été créé dans les années 1880 aux confins d‘un quartier cossu, Westlake. Lorsque les habitants ont quitté le quartier pour les banlieues, les compagnies et les services les ont suivis, abandonnant les gratte-ciels aux fantômes et aux plus démunis (ce que Davis nomme une « high rise ghost town ») (Davis, 1999: 376). Le quartier et le parc, autrefois florissants, se sont vus appropriés par les exclus du centre-ville, ces refoulés de Pershing Square pendant le réaménagement de ce dernier (et qui sera détaillé au chapitre 5), et les Latinos expropriés suite à sa reconfiguration touristique. Après les révoltes de 1992, les gangs de rue ont pris le contrôle des zones que l‘armée avait occupées dans le but de contenir les émeutiers. MacArthur Park devint une des nombreuses «free-fire zones», où les vendeurs de drogues et les gangs de rues se battaient pour le contrôle du territoire (Davis, 1999: 377; Freeman, 2007; Hennessy-Fiske, 2008). Les résidents étaient laissés à eux-mêmes, avec comme seule ressource la sécurité privée, sous la forme de milices privées appliquant « leurs » lois, l‘apparition de barres de sécurité en fer forgé autour des résidences privées, des commerces et des édifices publics (qui se pourvoient aussi de détecteurs de métal) (Davis, 1999: 366-367, 380-381). Ce mélange de mesures « sécuritaires » prises par les résidents et les gangs de rue a encouragé la création par le L.A.P.D. d‘un espace de contrôle social particulier autour du parc (une pratique courante à Los Angeles), où, explique Davis, quatre mesures de répression étaient employées : le rabattement (des graffitis, de la prostitution), le renforcement (de la présence policière armée), le confinement (des sans-abris et des immigrants illégaux) et l‘exclusion formelle (des gangs) (Davis, 1999: 383). Ces mesures ont dû coexister avec l‘ouverture du secteur aux vendeurs de rue, suivant un règlement adopté en 1994, mais qui n‘a été appliqué qu‘après cinq ans de négociations entre les vendeurs de rue, les commerces, la Ville, l‘University of Southern California (dont le campus n‘est pas très loin) et les communautés religieuses (Ha, 1999). La May Day Mêlée, dont il a été question en introduction, illustre comment le parc rassemble aujourd‘hui les luttes populaires, malgré l‘acharnement des services de sécurité. Il semble que MacArthur Park offre un espace de contestation jamais vu depuis la Plaza Olvera dans les années 1920 (discuté au chapitre 5). Le déficit de Los Angeles en termes d‘espaces publics en inquiète plus d‘un aujourd‘hui. Le conseiller Kevin de Leon rapportait récemment les chiffres suivants : seulement 33 % des Angélinos vivent à l‘intérieur d‘un rayon d‘un quart de mile d‘un parc, alors que c‘est le cas pour 97 % des Bostonais et 91 % des New Yorkais. La moyenne nationale est de six à dix acres de parc pour 1 000 résidents. À Los Angeles, c‘est 3,4 acres. «Il s‘agit d‘un problème fondamental

83 d‘accès et d‘équité. [...] C‘est un problème de droits civils. Quand un enfant ne peut courir librement et jouer de façon sécuritaire dans un parc, cela en dit long sur nos valeurs fondamentales » (Watanabe, 2008). La Community Redevelopment Agency [C.R.A.] commande études sur études afin d‘évaluer d‘abord les besoins de la ville pour ce type d‘espaces et ensuite pour confirmer la faisabilité de certains de ses projets (dont le plus récent parMia Lehrer + Associates, 2010a). Il est question notamment de renaturaliser les rives de la rivière, de réaménager le Los Angeles State Historic Park, connu sous le nom de Cornfield, de transformer une partie de Grand Avenue en parc linéaire (DiMassa, 2010). Puisque la plupart de ces projets répondent aux besoins d‘espaces publics non-corporatifs, où se déroulent des activités qui ne sont pas organisées et contrôlées par des compagnies ou l‘industrie du spectacle, ils sont en général perçus positivement (Castells, Soja et Estolano, 2009). L‘administration Villaraigosa est ouverte à ce genre de projets (Fleischer, 2008), qui permettraient à la ville de se positionner vis-à-vis les plus grandes villes du monde reconnues pour leurs parcs et autres mesures vertes, comme Séoul (et la rivière Cheonggyecheon) et New York (avec le High Line Park). Encore faut-il que les partenaires, les institutions privées et le système judiciaire entérinent le dessein de la Ville, et que l‘argent soit au rendez-vous. Lorsque c‘est le cas, on voit se conclure d‘heureux événements, comme la nomination de parc historique pour Griffith Park en janvier dernier (Heller, 2009). Cette nouvelle est passée plutôt inaperçue dans le flot de critiques sur la gestion des espaces publics angélinos, mais cette mesure est néanmoins la démonstration d‘un intérêt civique et d‘un désir de protection des espaces publics et des lieux historiques de la métropole.De façon générale, sous prétexte d‘insécurité, l‘espace public se voit réduit comme peau de chagrin, souvent dans les quartiers centraux (Davis, 1992 [1990]: 227, 228; Low et Smith, 2006: 15). L‘espace public engendre la peur, une peur qui vient de l'impression que cet environnement est un espace incontrôlable, un espace où la civilisation est exceptionnellement fragile, où règne l'anarchie (Mitchell, 2003b: 13). Car l'occupation de l'espace est un ingrédient essentiel de la contestation, une chose que les autorités savent trop bien. Comme nous l‘avons vu, elles s‘emploient d‘ailleurs depuis longtemps à limiter les manifestations, déloger les itinérants, cacher les indésirables (Lefebvre, 2000 [1974]: 430; Mitchell, 2003b: 150). La nouvelle combinaison privé-public-sécurité-aménagement urbain facilitera cet exercice qui consiste à faire disparaître ces utilisations non grata de l‘espace. Ailleurs dans la ville, l‘espace public n‘est plus public ou communautaire, il est collectif, semi- privé ou réservé à une élite triée sur le tas (Bénit et al., 2005: 24; Cupers, 2005: 736).

Dans ce contexte, l‘essor des espaces festifs s‘est avéré une solution très avantageuse à Los Angeles. C‘est la deuxième partie du processus de mise à mort des espaces publics. On crée

84 des espaces publics artificiels homogènes et contrôlés, où la consommation, cachée derrière des apparences de fête et d‘amusement, est l‘objectif primordial (Sorkin, 1992: xiv).

Comme l'a noté Charles Moore dans un célèbre article de la revue d'architecture de l'université de Yale, Perspecta, en 1965, Los Angeles est une des rares villes où l'espace public ainsi que son animation ne sont pas offerts gratuitement: « You have to pay for the public life ». (Ghorra-Gobin, 2002b: 74-75)

Toujours dans l‘esprit néolibéral, de nouveaux espaces qui visent une consommation maximisée sous des airs de festivités ont été créés : marchés et festivals de centre-ville, quartiers historiques gentrifiés et certains centres commerciaux. Au nom du confort, de la sécurité et du profit des uns au détriment des autres, ces espaces ont été aseptisés et remplacés par un spectacle très commodifié prévu pour la consommation de biens ou la consommation de la ville. Les aménageurs de tels espaces considèrent que la planification contrôlée de la diversité est plus rentable que la promotion de différences sociales sans contraintes. Dans ces environnements, les interactions sont soigneusement planifiées, même les interactions les plus imprévues (Mitchell, 2003b: 139). L'espace de pratique sociale ainsi créé sépare et divise les groupes sociaux, selon des critères de confort et d'ordre (Mitchell, 2003b: 140). Les designers d'espaces publics acceptent les signes et les images de contacts comme étant plus naturels et désirables que les contacts eux-mêmes. Les espaces publics tels que les salles de spectacle, les théâtres et autres lieux de consommation créent des images qui définissent le public et ses exclus, dont les itinérants et les activistes politiques. L'illusion d'un public homogène est créée en filtrant les éléments indésirables, et l'exposition à une foule de travailleurs blancs de classe moyenne réduit l'exposition aux vraies caractéristiques de la rue (avec ses sans-abris et sa pauvreté) au minimum (Mitchell, 2003b: 141). La ville devient un parc thématique, ou tout est créé pour la gratification, comme une joyeuse vision régulée du plaisir (Sorkin, 1992: xv).

À Los Angeles, Davis explique comment le travail de Haagen est exemplaire à cet égard. Très actif dans les années 1980, Haagen est le promoteur immobilier du Panopticon Mall, un centre commercial à haute sécurité situé dans un quartier relativement pauvre. Cela constitue un bon exemple de la collaboration privée-publique qui contribue à la perte de liberté que les usagers et voisins doivent subir au nom de la sécurité. Haagen a donné naissance dans cet esprit au Martin Luther King Jr. Center dans Watts, à la Crenshaw Plaza dans Baldwin Hills et un autre centre commercial dans Willowbrook, au sud de Watts (Davis, 1992 [1990]: 244).

85 Et ce ne sont pas les seuls espaces du genre à Los Angeles. Selon Davis, il y a dans la métropole californienne un univers parallèle qui est le fait à la fois du cyberespace urbain (désavantageant, toujours, certains quartiers) et de l'hyperréalité liée à l'industrie touristique (parcs thématiques, etc.) (Davis, 1999: 393). Les parcs à thèmes répondent, entre autres, au besoin grandissant d'espaces publics pédestres, de foules, de vie de rue et de spectacles, besoin ressenti surtout par la classe moyenne coincée entre la privatisation des expériences, la vie dans les ghettos et les banlieues fermées. Les mégacorporations du divertissement (comme MCA et Disney) — qui ne cessent de produire des films dans lesquels les villes sont noires et dangereuses — capitalisent sur cette demande pour des sensations urbaines en recréant des minis espaces urbains esthétiques à l'intérieur de leur espace sécurisé (Davis, 1999: 393). La pratique est aujourd‘hui tellement répandue, que l‘on qualifie les espaces qui l‘ont inspirée à de pâles copies des versions commerciales. Un récent numéro d‘American Way, le magazine de la compagnie aérienne American Airlines, résumait Zurich en ces termes : « Vivre Zurich et ses alentours, c‘est comme visiter un parc thématique – à la différence près que ce parc ne ferme jamais » (Ma traduction de Wessling, 2010). C‘est la Disneyfication, que Zukin décrit comme la