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Se loger, être logé Quelle place pour les étrangers de passage ?

DEUXIÈME PARTIE

I. Se loger, être logé Quelle place pour les étrangers de passage ?

Si la première préoccupation des migrants qui arrivent à Agadez est celle de la poursuite de leur voyage, la seconde est celle de leur logement. Où vivre dans cette ville en attendant de la quitter ?

156 Voir notamment (Bocquier, Traoré, 2000; Boubakri, Mazzella, 2005; Coquery-Vidrovitch, Goerg, Mande,

Rajaonah, 2003b; Gervais-Lambony, 2003a; Gregory, 1989; Pérouse De Montclos, 1998; Pliez, 2000a; Shack, Skinner, 1979).

157 L’attention sera ici portée exclusivement sur les migrants étrangers et non sur les migrants nigériens, pour

deux raisons principales. Tout d’abord, le séjour à Agadez des Nigériens qui se rendent en Afrique du Nord se déroule généralement comme s’ils étaient en simple visite dans cette ville (lorsqu’ils n’en sont pas originaires). Non seulement ils connaissent les us et coutumes du pays et parlent les langues nationales, mais en outre ils sont la plupart du temps hébergés par des amis ou de la famille, ce qui les maintient à l’écart des migrants étrangers. Ils ne sont donc pas socialement identifiés comme étant des migrants jusqu’au moment de leur départ. En conséquence de quoi, et c’est là le second point, il n’est pas aisé de les différencier du reste de la population de la ville ni de les localiser avant qu’ils ne prennent place à bord des véhicules qui effectuent les traversées sahariennes. De même, nous focaliserons notre attention sur les migrants en partance pour l’Afrique du Nord, et non sur ceux qui en reviennent, ces derniers n’y séjournant pas, préférant et ayant les moyens de poursuivre leur route vers le sud le plus promptement possible.

181 Les migrants ne disposent pas de moyens suffisants pour se loger dans les hôtels de la ville158. Trop nombreux pour pouvoir tous séjourner dans les lieux de transport, ils sont hébergés dans des structures créées spécialement à cet effet, ou chez des individus plus ou moins directement liés aux réseaux de transport. Comme le transport, l’hébergement fait en effet partie de l’activité des réseaux migratoires et de « l’encadrement » des migrants qu’ils mettent en place. Activité rémunératrice en elle-même (sauf exception), l’hébergement permet également de garder les migrants ou de les insérer au sein de réseaux, le logeur devenant l’un des intermédiaires privilégiés de ceux qu’il loge. Quelles sont alors les relations entre les activités d’hébergement et celles de transport ? Pour le comprendre, il faut s’intéresser à la manière dont les migrants sont orientés vers les différents types de logements qui leurs sont destinés, aux individus qui gèrent ces logements et à leurs relations avec ceux qui organisent les activités de transport. Parallèlement à cela, le logement doit également être envisagé comme un lieu de sociabilité, un lieu de rencontre et d’échange, où circulent des informations contribuant à la redéfinition des projets des migrants, que ces informations proviennent d’autres migrants ou de leur logeur.

Il existe trois principales formes d’hébergement des migrants à Agadez. Une partie des migrants est hébergée directement dans les lieux de transport. D’autres sont hébergés chez des membres des agences de courtage avec lesquelles ils voyagent, dans des concessions privées en dehors des lieux de transport. Enfin, la plupart d’entre eux se retrouvent dans des structures spécialisées dans l’accueil et l’hébergement des migrants en transit159.

158 Les hôtels d’Agadez ne proposent pas de chambre en dessous de 6 000 FCFA par personne et par nuit, ce qui,

à de très rares exceptions près, est très largement au dessus des moyens dont disposent les migrants pour se loger.

159 Au début des années 2000, la section locale de la Croix Rouge a organisé l’accueil de migrants démunis dans

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Carte 11. Les principaux lieux d’hébergement des migrants à Agadez

1. Les « cases de passage » dans les lieux de transport

Dans les garages privés comme au sein de la gare routière, des « cases de passage » appartenant aux directeurs des agences de courtage et aux transporteurs servent à l’accueil des voyageurs en transit. Ces petites pièces de quelques mètres carrés leur permettent de proposer un hébergement gratuit aux migrants qui paient en totalité leur transport dès leur arrivée, et qui n’y restent donc que peu de temps. Plus rarement, elles peuvent être louées jusqu’à 1 000 FCFA la journée à des groupes de migrants, quel que soit leur nombre.

183 Ces « cases » sont caractérisées par la rotation très régulière de leurs occupants et par leur localisation qui favorise le confinement des migrants. Hébergés au sein de lieux de transport, trouvant parfois sur place de quoi se nourrir, rien ne les encourage à en sortir et ils y restent parfois toute la durée de leur séjour.

2. L’intérêt partagé de l’accueil « chez l’habitant »

Depuis quelques années, l’hébergement temporaire de migrants est devenu une source de revenu pour quelques Agadéziens ayant à faire de près ou de loin aux migrants, principalement dans le secteur du transport (membres des agences de courtage, coxeurs, etc.). Selon les opportunités des rencontres et les affinités, ces individus qui habitent Agadez proposent à certains migrants de les loger à moindre coût chez eux le temps de leur transit. Les migrants sont logés en groupes plus restreints que dans les cases de passage des lieux de transport. Rarement plus de deux ou trois par concession où une petite pièce leur est mise à disposition, leur relation à leur logeur et éventuellement à sa famille peut être assez importante, notamment lorsque les repas sont pris en commun. Lorsque des relations de sympathie s’installent, les logeurs peuvent devenir les informateurs privilégiés des migrants en leur indiquant les meilleurs itinéraires à suivre, des personnes sûres avec qui voyager, ou les tarifs minimums des transports.

Une forme particulière de cet accueil est pratiquée par certains directeurs d’agence de courtage qui hébergent eux-mêmes leurs clients. Plusieurs ont acheté des parcelles aux périphéries de la ville (notamment dans le quartier Dagmanet III, vers la sortie sud de la ville), sur lesquelles ils ont fait construire de simples pièces en banco dans des cours entourées de petits murs d’enceinte. Ces concessions qu’ils n’habitent pas sont laissées à la disposition des migrants qui se sont engagés à voyager avec leur agence, et qui ont souvent déjà payé une partie de leur transport.

À l’origine, l’accueil « chez l’habitant » s’est développé à partir d’une pratique toujours en vigueur, qui consiste pour des hommes seuls à proposer à des femmes migrantes de les loger « gratuitement » chez eux, en échange de nuits communes. Cette forme de prostitution repose sur l’initiative des hommes autochtones et non sur celle des femmes migrantes qui, de ce fait, demandent parfois à ce qu’un ou deux de leurs compagnons de voyage soient également hébergés gratuitement dans la même concession. Si la plupart des femmes refusent

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ce genre de proposition, le fait que cela leur soit proposé relativement couramment montre que dans les représentations des acteurs autochtones du système migratoire, les migrantes sont fréquemment considérées comme des prostituées potentielles, ou tout au moins des filles de petite vertu. Il s’agit là d’une caractéristique des migrations féminines à travers le Sahara dont l’importance dans la relation des migrantes subsahariennes aux sociétés qu’elles traversent et l’influence sur les modalités de leur mobilité semblent s’accroître au fur et à mesure de leur progression vers le nord du continent160.

3. Foyers et « ghettos », hauts lieux de la migration transsaharienne

Le type de logement le plus caractéristique et le plus utilisé par les migrants est celui de la maison faisant office de dortoir collectif, appelée foyer par certains migrants francophones (Maliens, Sénégalais et Burkinabés) ou plus fréquemment ghetto par les Nigériens et les migrants des autres nationalités161. Ces maisons d’accueil des migrants se retrouvent tout au long des routes migratoires transsahariennes. Elles correspondent à un « besoin » temporaire d’individus en transit et sont en cela à différencier de celles qui se situent dans les pays de destination où l’installation est plus durable (Bredeloup, 2003; Bredeloup, Zongo, 2005). Sans qu’il n’y ait de réelle exclusivité, elles regroupent généralement les migrants par nationalité d’origine, du simple fait des réflexes ou envies « communautaristes » des migrants à l’étranger. Être hébergé avec des concitoyens, de culture et de langue communes, rassure et simplifie les échanges. L’existence de ce type de structure d’hébergement ne renvoie donc pas nécessairement à celle de filières migratoires organisées.

160 Voir l’article de Lillian S. Robinson intitulé « "Sex and the City" : la prostitution à l’ère des migrations

mondiales » qui aborde la question du genre dans les migrations et plus spécifiquement le fait qu’à travers le monde, il n’est pas rare que l’on « soupçonne n’importe quelle jeune femme, seule à la frontière, de vouloir travailler comme prostituée dans ce pays » (2002 : 58). Voir également l’ouvrage de Damien Baldin « Approche historique du corps des femmes au XIXe siècle » (2005, éditions du Sandre), et le débat au sein des études féministes sur l’expression « trafic de femmes » et les différents sens idéologiques qu’elle peut recouvrir (Toupin, 2002).

161 Ce terme de ghetto désigne couramment au Niger les concessions qui accueillent les migrants étrangers

regroupés par nationalité. Cette utilisation du terme, qui conserve son sens accepté par extension en français pour désigner un lieu où une minorité se retrouve regroupée et isolée du reste de la population, peut provenir des pays côtiers du Golfe de Guinée – d’où sont originaires de nombreux migrants – où le terme de ghetto est « attribué aux lieux de rassemblement des jeunes en rupture dans les villes ; ils peuvent se trouver n’importe où, dans un immeuble désaffecté, un cinéma populaire, un carrefour, au bout d’un marché, sous un pont, même dans des quartiers reconnus comme “chic“. » (Latour, 2003 : 171). Voir également (Latour, 2001).

185 Le premier ghetto d’Agadez fût créé vers 1990 par le chef de ligne Agadez-Assamakka de la gare routière. Situé dans le quartier Dagmanet I, ce ghetto est spécialisé depuis sa création dans l’accueil des migrants nigérians. Du fait de la réussite de cette initiative, plus d’une dizaine d’autres ghettos se sont créés (carte 11), certains tenus par d'anciens migrants (cas du ghetto sénégalais), d'autres par des Nigériens liés aux réseaux de transport transsaharien (cas des ghettos malien et camerounais)162. Il s’agit généralement de « concessions » au sein desquelles plusieurs pièces contiguës sont construites, dont les entrées séparées donnent toutes sur la cour centrale (figure 7). Il n’est pas rare de trouver jusqu’à une quinzaine de migrants dans une pièce de 20 mètres carrés dont le sol en terre n’est recouvert que de nattes.

Figure 7. Schéma d’un ghetto à Agadez

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Il n’y a pas de ghetto ghanéen à Agadez. Selon différents membres de réseaux migratoires, cela s’explique par le fait que les Ghanéens arrivent systématiquement dans cette ville avec suffisamment d’argent pour financer la suite de leur voyage, et n’y séjournent donc que très peu de temps.

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L’hôtel Sahara, situé près du marché « tôle », constitue un cas assez particulier de transformation progressive d’un lieu en ghetto. Ce vieil hôtel de type colonial, vaste et délabré, ne voyait plus passer dans ses couloirs que bien peu de touristes ou autres voyageurs. En décidant au cours des années 1990 de ne plus limiter le nombre d’individus par chambre, les nouveaux gérants du lieu ont rendu possible l’accueil à très bas prix des migrants en transit. Les gérants étant originaires du Nigeria, leur hôtel, agrandi récemment par le rachat de concessions adjacentes, est peu à peu devenu un nouveau ghetto nigérian dont le bar et les proches abords sont occupés en permanence par de nombreux migrants de cette nationalité.

En arrivant à Agadez, certains migrants sont guidés vers ces lieux d’hébergement du fait des relations entre les gérants des ghettos et les acteurs du transport, tandis que d’autres se renseignent d’eux même sur la présence de compatriotes avec lesquels ils souhaitent être logés, comme ce migrant sénégalais qui relate son arrivée à Agadez et au « foyer sénégalais », situé à l’ouest de la grande mosquée de la ville :

« Le jour là je connais pas les Sénégalais qui sont à Agadez. Quand j'ai demandé il m'a dit oui y'a des Sénégalais. On a trouvé plus de quinze Sénégalais dans un foyer, près de l'autogare. Le gérant du foyer c'est un Sénégalais, il s'appelle Sow, il a des femmes, deux, et des filles. Pour rentrer dans le foyer, Sow il a dit que c'est 1000 francs 1000 francs, chacun, pour rentrer. Après il a dit il faut payer encore 1000 francs pour acheter du riz. Le Sow c'est un parent mais il n'est pas bon. C'est lui le chef. Il veut manger notre argent, c'est un menteur. Il y a des gens qui m'ont fait comme ça [signe d'arrêt de la main] pour que je ne donne pas. Moi je savais pas mais j'ai pas donné, je connaissais pas la ville, lui il a fait vingt ans là-bas. » (Migrant sénégalais, Niamey, le 17 décembre 2003).

Le coût de l’hébergement varie d’un ghetto à l’autre, selon que le gérant demande à être payé à la journée ou à la semaine, selon qu’il demande une somme par personne ou par pièce mise à disposition. Les tarifs varient aussi selon les négociations individuelles et les périodes, mais on peut estimer que ce type d’hébergement collectif revient en moyenne à quelques centaines de francs CFA par jour et par personne (tableau 5). Or les principaux ghettos peuvent héberger de quelques dizaines à une centaine de personnes simultanément, d’où les importants profits de leurs propriétaires.

187 Tableau 5. Coût moyen de l’hébergement des migrants à Agadez, selon le type de

structure (en FCFA par personnes et par jour)

Tarifs moyens « case de passage » des lieux de transport Gratuit* à 300 FCFA « chez l’habitant » Gratuit* à 300 FCFA

foyer et « ghettos » 100 à 500 FCFA

* La « gratuité » est accordée en échange d’un engagement à voyager avec le propriétaire du logement ou de « faveurs » qui s’apparentent à de la prostitution.

Source : enquêtes (2003-2005).