• Aucun résultat trouvé

Partie II : La zoologie arabe médiévale

3. Kitāb al-Ḥayawān de Ğāḥiẓ

3.1. Un livre, plusieurs avis

Kitāb al-Ḥayawān est l’œuvre sur laquelle nous nous penchons dans ce travail de recherche

afin d’étudier les travaux consacrés par Ğāḥiẓ aux petits animaux en général et aux insectes en particulier. Il s’agit d’un ouvrage volumineux de sept tomes343, s’intéressant aux animaux, l’homme y compris. C’est un recueil qui rassemble tout ce qu’on peut raconter sur eux : poésie, proverbes, observation, fables, psychologie, légendes, anecdotes et même des études linguistiques.

De l’admiration à la banalisation, cette œuvre à fait l’objet de plusieurs avis d’auteurs médiévaux et contemporains. Ibn H allikān344 écrit345 que Kitāb al-Ḥayawān est la meilleure des œuvres de Ğāḥiẓ et la plus agréable à lire, al-Yāfiʿī346 ajoute qu’en plus d’être le meilleur de ses livres, il est son plus grand ouvrage et qu’il y a rassemblé tout ce qu’il y a d’étrange347. Ibn Kaṯīr348 qualifie Kitāb al-Ḥayawān d’œuvre grandiose349 . D’un autre côté, dans Kašf al-

ẓunūn, Ḥāǧǧī H alīfa rapporte un avis négatif sur l’ouvrage, celui d'al-Ṣafdī350 dit-il :

« Quand on lit le Kitāb al-Ḥayawān et la plupart de ses ouvrages, on constate qu'il fait des digressions, s'écarte de son sujet pour en aborder un autre et commet des erreurs car il ne connaît guère les sciences qu'un adīb n'est pas tenu de posséder» 351

342 https://www.britannica.com/topic/encyclopaedia/History-of-encyclopaedias#ref32037 343 A peu près 400 pages par tome.

344 Auteur et juriste (1211-1282).

345 IBN H ALLIKĀN,Wafīāt al-ʾaʿyān waʾanbāʾ abnāʾ al-zamān, éd. Ihsan Abbes, Beirut : Dar Sādir, 1972, vol.

3, p.140.

346 Savant, Ṣūfī né au Yemen (1298-1367).

347 AL-YĀFIʿĪ, Mirʾāt al-ǧnān waʿibrat al-yaqẓān, vol.2, Ḥaīdar Abād : Dār al-maʿārif al-ʿuṯmānīa, 1919, p.162. 348 Théologien et juriste syrien (1301-1373).

349 IBN KAṮĪR, Al Bidāya wa al-Nihāya, vol.11, éd. Ali Šīrī, Beirut: Dar iḥīāʾal-turāṯ al-ʿarbī, 1988, p.19. 350 Nous n’avons pas pu l’identifier pour le moment.

48

Ḥāǧǧī H alīfa répond qu’il est d’accord pour l’ignorance en ce qui concerne « les choses de la nature » mais pas pour le reste352.

Nous voyons donc que selon le degré de compréhension, l’appréciation de l’œuvre varie. En effet, pour comprendre l’intérêt du livre une bonne connaissance et un intérêt à la zoologie sont nécessaires.

Álvarez353 pense que ce n'est pas un livre de zoologie conventionnelle ou un type de bestiaire médiéval, mais qu’il s’agit d’une énorme collection de connaissances sur des animaux très différents, parfois sous la forme d’allusions fugaces, et dans d'autres cas traitées dans les moindres détails. Cela dit-il ne devrait pas obscurcir le fait que le travail contient des informations scientifiques d’une grande valeur.

De Somogyi (1950), et nous nous demandons s’il a lu le livre, écrit que le travail de Ğāḥiẓ n'est pas descriptif mais traite des significations des noms d'animaux354. Pour Ducène, le Livre

des animaux, tout en se revendiquant d’Aristote accumule surtout sur le mode du

divertissement intellectuel, une série de remarques, d’observations, de citations sur les animaux mais avec comme perspective de montrer la justesse de la création et du dessein de Dieu355.

Taton356 également ne voit que le côté merveilleux du Kitāb al-Ḥayawān et écrit :

« L’étude des règnes végétal et animal, malgré l’exemple d’Aristote, ne se constitua jamais, chez les Arabes, en une botanique ou une zoologie indépendantes. Les ouvrages qui traitent de ces questions ne sont souvent que des recueils de merveilles de la nature, où la légende et le fantastique se mêlent inextricablement. Tel est le cas du célèbre « livre des animaux » de Jāḥiz ».

Ce discours correspond à une époque où ces textes n’étaient pas étudiés.

352 ḤĀǦǦĪ H ALĪFA, date non spécifiée, vol.1, p.695.

353 Fernando ÁLVAREZ, « El Libro de los Animales” de al-Jahiz, un esbozo evolucionista del siglo IX»,

eVOLUCIÓN, 2007, vol.2, n°1, p.25-29.

354 DE SOMOGYI, 1950, p.35. 355 DUCÈNE, 2016, p.133.

356 René TATON, La science antique et médiévale: des origines à 1450, Paris : Presses Universitaires de France,

49

Charles Pellat357 écrit que Kitāb al-Ḥayawān est une anthologie centrée sur un certain nombre d'animaux, mais qui couvre une gamme de sujets si vaste qu'elle en fait une véritable encyclopédie. Le but de l’auteur selon lui, est de prouver que les premiers Arabes en savaient autant sur la zoologie que les Grecs, et surtout Aristote, souvent cité et critiqué; mais l'idée principale qui émerge du travail est que tout dans la nature a un sens et une utilisation, et que tout prouve l'existence et la sagesse de Dieu. Pellat écrit également que dans Kitāb al-

Ḥayawān, les citations de la poésie archaïque et les histoires comiques côtoient des passages

de philosophie, de métaphysique, de sociologie et d'anthropologie, fournissant un matériel inestimable pour la recherche moderne. Il ajoute que le livre comporte des observations sur la psychologie animale, l'évolution des espèces et l'influence du climat sur les animaux et l'homme mais pose la question de savoir combien de ces idées sont celles de Ğāḥiẓ, étant donné qu’il emprunte à ses contemporains. Enfin l’auteur cite que Ğāḥiẓ, en bon rationaliste, effectue des expériences mais qu’il n'interprète pas toujours les résultats correctement. Pellat ne dit pas de quelles expériences il s’agit ni pourquoi Ğāḥiẓ fait des erreurs d’interprétation.

En résumé nous constatons qu’il faut se méfier de toute la littérature secondaire sur ce livre. Beaucoup d’auteurs ont parlé de ce livre sans avoir étudié la partie zoologique. Les études récentes358 depuis une quinzaine d’année ont permis un autre regard sur ce livre volumineux.