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Partie III : Ḥašarāt et hamaǧ dans Kitāb al-Ḥayawān de Ğāḥiẓ

2. La classification des animaux

Le fait de classifier les animaux serait une opération naturelle, spontanée et inévitable à cause de leur présence continue dans l’environnement de l’homme. Néanmoins cette classification dépend de l’usage qu’on fait de l’animal :

« La présence des animaux dans l’environnement de l’homme et leur exploitation technique et symbolique imposent à ce dernier de recourir à des formes multiples de catégorisation et de discrimination qui s’opèrent spontanément et nécessairement à travers les différentes pratiques qui impliquent l’animal »401.

La classification des animaux a concerné sans aucun doute toutes les communautés humaines anciennes ayant vécu avec les animaux. Néanmoins et en ce qui concerne l’occident402 , certains auteurs403font remonter les premiers essais de classification de la littérature biologique au Corpus hippocratique404 et Peri diaitès405, cette œuvre qui bien que portant le nom d’Hippocrate406, ne peut pas être le résultat du travail d'un seul homme ni même d'une

399 RICHARDS, 2016, p.19. 400 Ibid., p. 28-29.

401 Arnaud ZUCKER, Les classes zoologiques en Grèce ancienne : D’Homère (VIIIe av. J.-C.) à Élien (IIIe ap.

J.-C.), Nouvelle édition [en ligne]. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 2005 (généré le 30

mars 2018). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pup/586>. ISBN : 9782821827646.

402 Sans rentrer dans de longues explications nous acceptons cette délimitation géographique pour désigner

l’Europe actuelle.

403 HendriK C.D DE WITT, Histoire du développement de la biologie, vol.3, Lausannes : Presses Polytechniques

et Universitaires Romandes, 1994, p. 4.

404 Le corpus hippocratique est un ensemble d’une soixantaine de traités de médecine. 405 Du régime.

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seule école médicale407. Cette classification est assez simple puisque les médecins de Cos408 avaient divisé les mammifères en sauvages et domestiques, les animaux sauvages en grands et petits, les oiseaux en terrestres et aquatiques, les poissons essentiellement selon leur lieu de vie (ceux qui vivent dans les eaux littorales, ceux qui vivent dans la boue,…) et enfin les invertébrés (les anémones de mer, les mollusques et les crustacés). Tous cela dans un ensemble de cinquante animaux dont vingt sont des poissons. Dans le Peri diaitès, il est question d’animaux à un sabot ou à deux sabots dans chaque patte, d’oiseaux à chaire sèche ou molle, d’animaux grands ou petits mangeurs de viande, d’animaux mangeurs d’herbe sèche ou d’herbe verte…

Au IVe siècle av. J.-C Aristote409 écrivit son livre l’Histoire des animaux. C’est une œuvre qui décrit et inventorie différents types d’animaux et qui s’intéresse à leur morphologie, et anatomie mais aussi à leurs activités et leur psychologie. La classification des animaux par Aristote a été abordée par plusieurs auteurs. Certains d’entre eux la trouvent claire et précise ou essayent de l’apparenter à une classification plus moderne qui divise les animaux en vertébrés et invertébrés410. En revanche, d’autres, trouvent qu’elle n’est pas définitive411 voire qu’il s’agit d’une classification mal délimitée, incomplète et flottante412.

Aristote distingue explicitement, les animaux sanguins et les animaux dépourvus de sang. Les premiers sont divisés en trois grands genres : Les oiseaux, les poissons et les cétacés. Les seconds comprennent quatre grands genres : Les animaux à revêtement écailleux (coquillages), les animaux à coque souple, les animaux mous et les animaux à entailles (insectes)413.

Aristote est conscient du fait que ses grands genres laissent de côté un certain nombre d’animaux :

407 Jacques JOUANNA, Hippocrate, Paris : Fayard, 1992. 408 Ou Kos, île grecque.

409 Aristote le grand philosophe grec est né à Stagire en Macédonie en 384 av. J.-C, et mort à Chalcis, en Eubée,

en 322 av. J.-C.

410 Louis BOURGEY, Observation et expérience chez Aristote, Paris : Vrin, 1955. Ou encore, Richard

BODEUS, Aristote, une philosophie en quête de savoir, Paris : Vrin, 2002.

411 André BONNARD, Civilisation grecque : D’Euripide à Alexandre, Bruxelles : Edition complexe, 1991. 412 Maurice MANQUAT, Aristote Naturaliste, Paris : Librairie Philosophique J. Vrin, 1932. p.105.

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« Les animaux restants ne forment pas de grands genres, car une forme n’enveloppe pas de nombreuses espèces, mais l’une est simple et ne se différencie pas, comme l’homme, les autres possèdent des différences, mais les espèces sont dépourvues de noms » 414

Zucker415 écrit que le langage courant serait peut être un obstacle au projet de classification aristotélicien : « Le langage courant conditionne le classement et compromet la constitution

d’une taxinomie »416. En effet Aristote dans l’Histoire des animaux ne cite dit-il, que des classes connues en son temps et déclare l’existence de classes anonymes qu’il ne cherche pas à nommer.

Malgré la tentative de classification que propose Aristote, il semble indiquer, néanmoins qu’elle n’est pas la seule possible c’est ainsi qu’il dit :

« Les différences des animaux tiennent aux genres de vies, aux actions, aux caractères et aux parties » 417

Il fait même d’autres essais de classification dans son Histoire des Animaux, comme lorsqu’il dit :

« Les animaux se divisent aussi selon les lieux, car les uns vont sur la terre, les autres sont aquatiques » 418

Aristote n’impose donc pas une classification unique des animaux. Sa classification est de nature composite. Elle ne relève pas d’un critère unique mais de plusieurs critères croisés qui constituent des systèmes homogènes419.

414 HA, Livre 1, p.77.

415 Arnaud ZUCKER, Aristote et les classifications zoologiques, Louvain-La-Neuve : Éditions Peeters, 2005. 416 Ibid., p. 141.

417 HA, Livre 1, p.62. 418 HA, Livre VIII, p.414. 419 Ibid., Livre III, p.166-167.

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Certains savants arabes médiévaux, ayant écrit au sujet des animaux se sont intéressés également à la description des diverses classifications qui existaient chez divers peuples et chez divers savants. Parmi les premiers auteurs de cette époque, nous pouvons citer Ğāḥiẓ avec son livre Kitāb al-Ḥayawān. Les études scientifiques sur cette œuvre volumineuse ont commencé il y a une quinzaine d’années et elle continue à susciter de l’intérêt420. Dans cette œuvre Ğāḥiẓ relate une vision sur le monde anima et une classification, qui résulte de l’ensemble des données existantes à son époque.

Ğāḥiẓ écrit que tout ce qui existe dans ce bas monde421 peut être divisé en deux catégories422 : ceux qui sont capables de croître423 et ceux qui sont incapables de croître424. Ceux qui sont capables de croître sont à leur tour divisés en deux classes : Les animaux et les végétaux. Les animaux étant de quatre types : ceux qui marchent, ceux qui volent, ceux qui nagent et ceux qui rampent. Ğāḥiẓ adopte ici une classification qui existait bien avant lui et que nous retrouvons entre autres, dans la Bible et dans le Coran. Nous reviendrons par la suite, sur cette classification avec plus de détails.

Beaucoup d’auteurs après Ğāḥiẓ se sont référés à sa classification des animaux, citons par exemple al-Qazwīnī dans son ʿAǧā'ib al-maḫlūqāt wa ġarā’ib al-mawǧūdāt et al-Damīrī dans

Ḥayāt al-ḥayawān al-kobrā, Néanmoins, un auteur pourtant cité dans certaines œuvres

médiévales dont notamment Mabāhij al-fikar wa manāhiǧ al-‘ibar d’al-Waṭawāt425, a tenté une autre classification différente de celle de Ğāḥiẓ. Il s’agit d’Ibn Abī al-Aš’aṯ 426 dans son œuvre Kitāb al-Ḥayawān427 qui classe les animaux suivant la théorie des quatre humeurs. Al-

Marwazī428 dans son livre Ṭabāʾiʿ al-Ḥayawān429 (la nature des animaux) a également décrit

420 AARAAB ET PROVENÇAL, 2000; AARAB, 2001 ; AARAB ET AL., 2001 ; AARAB ET AL., 2003 ; EL

MOUHAGER ET AL., 2009 ; BEN SAAD ET KATOUZIAN-SAFADI, 2011 ; AARAB ET PROVENÇAL, 2013 ; LAMOUCHI CHEBBI ET KATOUZIAN-SAFADI, 2013 ; AARAB, 2017.

421 kāināt.

422 KH, vol.1, p.26. 423 nāmī.

424ġayr nāmī.

425 Muḥammad Ibn Ibrāhīm Ibn Yaḥyā al-Waṭwāṭ (1235-1318) : Libraire, copiste et compilateur Egyptien. 426 Aḥmad Ibn Muḥammad Ibn Abī al-Ašʿaṯ, médecin persan qui a vécu à Mosul (d. 975).

427IBN ABĪ AL-ASH‘ATH, Al-Ḥayawān, éd. Al-Ḥarbi, Baghdād: Markaz al-Buḥūth wa-al-Dirāsāt al-Islāmīyah,

2008.

428Šaraf al-Zamān Ṭāhir al-Marwazī (1056Ŕ1124) médecin persan. 429ٕاٞ٤ؾُا غئبجٛ

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une classification des animaux selon leurs lieux naturels430. Il ne s’agit pas de comparer les classifications mais nous pensons que toute tentative de classification datant de cette époque est digne d’intérêt et mérite d’être étudiée.