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La littérature et l’édition

Dans le document L'art vivant et ses institutions (Page 82-84)

Fuss traduit La cloche de Schiller, œuvre si emblématique qu’elle figure dans la plupart des anthologies d’alors. Il est en relation avec les principaux agents de la vie littéraire liégeoise, tel Ulysse Capitaine, secrétaire du comité de littérature de la Société d’Émulation, à qui il soumet des textes comme Le jeune homme près du ruisseau, traduction du Der Knabe am Bache de Schiller (13).

Parmi les écrivains romantiques autochtones en contact avec le philologue rhénan (14), se distingue Charles de Chênedollé

fils, né à Hambourg, d’une mère liégeoise et d’un poète français ami de Chateaubriand. Il est nommé professeur au Collège de Liège en 1817 et forme toute une génération d’auteurs liégeois, qu’il incitera à fonder la Revue belge (1835- 1843). Avec Fuss, il est à l’origine de la création d’une faculté libre de Philosophie à l’Université de Liège (15), où il est chargé

du cours d’histoire générale.

Natifs de Maestricht, ex-bonne ville de la Principauté de Liège, Théodore Weustenraad et André Van Hasselt adoptent la nationalité belge après 1830. Formés au droit à l’Université de

Liège, ils comptent parmi les ténors de la littérature romanti- que en Belgique. Fondateur de la Revue belge, imprimée à Liège – une des trois principales revues littéraires de la jeune Belgique, avec La Revue de Liège (1844-1847) et la Revue de Belgique (1846-1849) –, Weustenraad se pose en champion du jeune Royaume, en allant jusqu’à adopter des positions anti-françaises. Van Hasselt rédige, de son côté, d’étonnantes études rythmiques, visant à convertir les cadences poétiques françaises aux tempi germaniques. Il adapte aussi en vers français des pièces de théâtre et des mélodies allemandes ; sa traduction du Freischütz de Weber connaît à Liège sa première représentation.

Outre Étienne Henaux, dont l’album Le mal du pays célèbre non seulement Grétry, les bords de la Meuse ou les ruines de Franchimont, mais aussi Berlin et la vallée du Rhin, mention- nons enfin un candidat malheureux, contre Sainte-Beuve, à la chaire de littérature française de l’Université, Édouard Wacken, par ailleurs animateur de la Revue de Belgique. Son recueil Fleurs d’Allemagne et Poésies diverses comporte trente adaptations de romantiques allemands parmi lesquels Chamisso, Goethe, Heine, et surtout Schiller.

L’actuel doyen de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, Jean-Pierre Bertrand, porte sur ces littérateurs un jugement mitigé, mais révélateur. « Mal dégagé du modèle français et, davantage encore, de l’exemple alle- mand qu’il voudrait appliquer à la Belgique naissante, le romantisme que représentent les Liégeois ne parvient pas à donner naissance à une littérature nationale. Il jette néan- moins les bases de l’autonomisation de la littérature qui s’affirmera seulement à la fin du siècle, en se délestant notamment de l’influence française » (16).

De plus en plus préoccupés de ce qui ferait la spécificité de l’écriture wallonne, non seulement par rapport à la France mais aussi par rapport à la Flandre francophone, les plus importants littérateurs liégeois de la fin du siècle demeurent attachés à la culture allemande, qu’ils contribuent à diffuser vers la France.

En 1886, Albert Mockel fonde la revue La Wallonie, sur les cendres encore chaudes d’une première publication, L’Élan littéraire, organe dont il avait doté un cercle estudiantin de l’Université (17). Tout en assumant pleinement son ancrage

régional, ce périodique ouvre, jusqu’en 1892, ses pages « à tout ce qui compte dans le symbolisme en France et en Belgique » au point d’être aujourd’hui encensé comme « l’un des plus lumineux foyers du symbolisme dans les lettres de France » (18). Surnommé « der deutsche Mock’l » (19) par Ste-

fan Georges et reconnu « proche d’un certain pangerma- nisme » (20), le poète y exerce avant tout une activité de

critique (notamment sous le pseudonyme « Ludwig Hemma ») accordant la priorité à l’actualité littéraire mais sans dédaigner le débat musical, où il milite en faveur de Richard Wagner, puis de César Franck.

Floréal assure la relève, sur un mode mineur. Cette revue est lancée en janvier 1892 par Charles Delchevalerie et Paul Gérardy (21), lequel la finance de ses propres deniers. Publiée

chez le même éditeur liégeois, Vaillant-Carmanne, qui im- prime par ailleurs Stefan George (22) à compte d’auteur, elle

Le hasard vaut à Gérardy de s’imposer comme le médiateur par excellence entre la francité et la germanité au tournant du siècle. Né – en 1870 ! – à Maldingen (aujourd’hui Maldange), dans une frange frontalière qui relevait de la Prusse jusqu’à son rattachement au Royaume, après le traité de Versailles, il troque le patois allemand de sa prime jeunesse contre la langue française, à la faveur d’un parcours scolaire qui culmine à l’Université de Liège. L’année de création de Floréal est aussi marquée par l’envoi de ses premiers textes en allemand aux Blätter für die Kunst. Il y publiera pendant plus de dix ans, au point d’avoir longtemps été mieux traité dans l’histoire littéraire allemande que dans celle des lettres belges. Sur les 160 poèmes qu’il a produits, 51 ont paru en allemand, dont 16, à peine, auront donné lieu à une version française. Il traduit, commente et diffuse non seulement George mais encore Novalis. L’essai qu’il voue À la gloire de Böcklin est considéré comme le plus important de ses travaux théoriques. L’allusion à Vaillant-Carmanne conduit à alléguer, comme atout à part entière, la vigueur de l’imprimerie liégeoise, « dopée », au XVIIIe siècle, par l’édition, il est vrai « pirate »,

des philosophes français. Ce dynamisme s’exerce ensuite au profit du romantisme et de l’historicisme. La crème du roman- tisme international se retrouve éditée à Liège, Schiller se

voyant octroyer une place de choix dès 1829, avec la parution, chez Sartorius, de l’Histoire du soulèvement des Pays-Bas sous Philippe II, roi d’Espagne, traduit de l’allemand de F. Schiller, par M. de Chateaugiron, membre du Conseil général du département de la Seine (23).

C’est également à l’auteur des Brigands, mais aussi à Goethe, que l’imprimeur Dessain rend hommage en patronnant l’An- thologie poétique allemande dans la littérature des deux derniers siècles, composée par P. Janssen, professeur au Collège de Liège (24).

C’est, au surplus, un professeur de l’Université, Alphonse Le Roy, qui traduit les Contes villageois de la forêt noire de Berthold Auerbach, pour Desoer, l’éditeur liégeois par excel- lence des romantiques, en 1853 (25). Celui-ci propose aussi, et

entre autres, Don Carlos, tragédie en cinq actes et en vers, imitée de Schiller par le Français Amédée de la Rousselière (26).

L’édition liégeoise se forge également une solide réputation dans le domaine de l’histoire de l’art et de l’archéologie. Ici encore le patrimoine allemand est à l’honneur (27). Avanzo sort

de presse l’ouvrage De l’art en Allemagne en 1843. Il devance d’un an Collardin et son Album d’Aix-la-Chapelle ou guide moniteur des bords du Rhin. En 1851, alors que Noblet entame sa série de publications de traités de l’Anglais August Welby Pugin, par ailleurs abondamment traduit par Alphonse Le Roy, professeur d’archéologie et d’esthétique à l’Université de Liège (28), un autre imprimeur, resté anonyme, commercia-

lise une traduction des Principes gothiques exposés d’après des documents authentiques du Moyen Âge, à l’usage des artistes et des ouvriers de l’Allemand Friedrich Hoffstadt. Des coéditions voient aussi le jour, comme celle des Détails gothiques de Vincent Statz, publiés simultanément à Leipzig et à Liège, par Claesen, en 1867.

Parallèlement, se développe une abondante littérature relative aux « vieux souvenirs de la patrie » mosane (29). Mathieu

Polain inaugure la série avec ses Esquisses ou récits histori- ques sur l’ancien pays de Liège, réunis en volume en 1837 et plusieurs fois réédités, non sans être « considérablement » augmentés. Son maître ouvrage, quoique inachevé, est l’His- toire du pays de Liège, dont les deux premiers volumes sont livrés en 1844 et 1847. En 1854, Ferdinand Henaux remet le couvert, sous le même intitulé, mais avec l’ambition nouvelle de rendre compte de la « constitution politique » du pays, « de sa condition civile, de ses mœurs, en un mot, de ses lois sociales » plutôt que « des faits et gestes de ses souve- rains » (30).

Le patrimoine architectural inspire une semblable sollici- tude (31). Si Polain montre à nouveau l’exemple, en confiant à

un éditeur bruxellois, dès 1842, son Liège pittoresque ou description historique de cette ville et de ses principaux monuments, l’architecte Jean-Charles Delsaux se montre le plus persévérant. L’étude que l’honorable « membre corres- pondant de l’Institut royal des Architectes britanniques » con- sacre à l’église Saint-Jacques à Liège, en 1845, sera égale- ment diffusée en anglais, comme l’atteste l’exemplaire que nous avons pu consulter à la bibliothèque du Victoria & Albert Museum. Suivront L’architecture et les monuments du Moyen Âge à Liège, en 1847, et Les monuments de Liège recons- truits, agrandis ou restaurés, dont la première édition remonte à 1858. La notice insérée dans l’album dédié à la collégiale

Blätter für die Kunst, Berlin, janvier 1896, Liège, Bibliothèque Chiroux-Croisiers, Fonds Ulysse Capitaine.

Saint-Jacques, de même que celle portant sur Notre-Dame de Huy, pour l’ouvrage que lui consacre, en 1854, l’architecte Émile Vierset-Godin, est de la plume d’Édouard Lavalleye, créateur d’un éphémère cours d’histoire du Pays de Liège et du Duché de Limbourg à l’Université, en 1835 (32). Mention-

nons, par ailleurs, que Delsaux proposa Zwirner, architecte de la cathédrale de Cologne, pour superviser la restauration de Saint-Paul. C’est finalement le Français, mais d’origine alle- mande, Chrétien Gau, bâtisseur de Sainte-Clothilde, qui fut sélectionné (33).

Dans le document L'art vivant et ses institutions (Page 82-84)