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Sous Léopold II Du « néogothique réactionnaire » au « matérialisme

Dans le document L'art vivant et ses institutions (Page 92-97)

régionaliste »

Des goûts, revenons aux couleurs pour introduire une période où le « grand écart » est de moins en moins de saison. En 1876, Émile Delpérée, pourtant émule de Chauvin et auteur, au palais provincial, de peintures murales associant Charle- magne à quelques-uns des sempiternels grands hommes liégeois des XVIe et XVIIe siècles, termine un morceau de

bravoure particulièrement détonnant (145). Sanctionnant la fer-

meté avec laquelle Piercot, revenu aux affaires, a fait respec- ter, un an plus tôt, en pleine « guerre scolaire », l’Interdiction des processions jubilaires que tentait de braver Mgr de Mont-

pellier, ce tableau est à notre connaissance le seul en Belgique à procéder d’une commande officielle ouvertement marquée du sceau de « l’irréligion » (146). Il est en outre en tous

Émile DELPÉRÉE, Interdiction des processions jubilaires, 1876, huile sur toile, 192 x 265 cm, Liège, Musée de l’Art wallon. © IRPA-KIK Bruxelles, A117861.

Peu de temps après, un des maîtres – et le beau-père – de Delpérée, Charles Soubre brise à deux reprises le tabou qui, à Liège, interdisait tacitement, depuis près de cinquante ans, la mise en images de la Révolution belge, avec Le départ des volontaires liégeois pour Bruxelles (1878) et L’arrivée de Charles Rogier et des volontaires liégeois à Bruxelles (1880). Les atermoiements relevés dans la longue marche du palais provincial et de la statue équestre de Charlemagne ont considérablement retardé ce sursaut. Il est déjà trop tard, en fait, puisque l’heure du parti catholique est proche et que le glas commence à sonner pour Frère-Orban.

Le temps presse particulièrement pour les architectes. Abs- traction faite de la synagogue de Liège, où, en 1899, Joseph Rémont, fils du grand architecte communal Julien-Étienne Rémont, concilie – quelle candeur ! – des « références byzan- tines, islamiques et romanes » en 1899 (147), les ultimes

réalisations « médiévalisantes » d’obédience libérale sont ar- rachées in extremis au gouvernement Frère-Orban par son familier Louis Trasenster, recteur de l’Université de Liège (148).

Au début des années 1870, Louis Trasenster est mandaté par Léopold II, en vue d’effectuer un voyage de prospection à travers l’Europe. L’objectif est de « trouver parmi les scientifi-

ques étrangers les plus réputés, ceux qui accepteraient d’enseigner leur spécialité à l’Université de Liège, cette der- nière manquant cruellement de professeurs ». Non content de ramener de nouvelles recrues, il rédige, dès 1873, une brochure anonyme où il soutient que « c’est principalement l’enseignement des universités qui a transformé et sauvé l’Allemagne ; c’est lui qui a fourni cette forte génération de savants, d’écrivains, de professeurs, d’hommes d’État, de jurisconsultes, d’administrateurs et même de généraux, qui a donné à cette nation l’éclat dont elle rayonne aujourd’hui » (149). C’est dès lors vers l’exemple de « Berlin,

Heidelberg et Bonn » et plus généralement vers l’Allemagne du Kulturkampf, qui séduit Frère-Orban pour de toutes autres raisons, qu’il faut se tourner : « Toutes les grandes universités allemandes consacrent des sommes considérables à des laboratoires de chimie, de physique, de physiologie, d’anato- mie, aux bibliothèques, aux collections de tous genres. On érige, pour les écoles polytechniques, des palais splendides avec toutes les installations nécessaires. En Belgique, il n’est pas d’établissement qui, comparé à ceux d’Allemagne, ne soit, sous ce rapport, dans un état d’infériorité déplorable » (150).

Une loi spéciale, qui avantage aussi l’Université de Gand amorce, en 1879, le financement de huit nouveaux Instituts

(Botanique, Pharmacie, Anatomie, Physiologie, Astrophysi- que, Électrotechnique, Hygiène, Zoologie) et d’une école normale des Humanités, à répartir aux quatre coins de la ville. Architecturalement et fonctionnellement, ils rendent explicite- ment hommage aux « palais de la science de Bonn, de Berlin ou de Strasbourg » (151).

La plupart des nouvelles installations appartiennent au néoclassicisme. Seuls les instituts d’Astrophysique (1880- 1882) et d’Anatomie (1883-1886) adoptent un profil médiéval. Les choix esthétiques sont entièrement le fait du corps académique, comme le souligne Lambert Noppius (152),

chargé de l’ensemble du projet (153). Dans le cas de l’institut

d’Anatomie, ce sont les professeurs Auguste Swaen et Félix Putzeys qui chaperonnent l’architecte provincial (154). La simili-

tude avec l’institut de Physiologie de Breslau (l’actuel Wroclaw) serait frappante (155). Le mentor de l’institut d’Astro-

physique, François Folie est, quant à lui, présenté comme collaborateur à Bonn, correspondant et traducteur du grand physicien Rudolf Julius Emmanuel Clausius (156). Minorisé et

mis sur le même pied que l’Antiquité classique, le Moyen Âge

Charles SOUBRE, Le départ des volontaires liégeois pour Bruxelles sous la conduite de Charles Rogier (4 septembre 1830), 1878, huile sur toile, 220 x 285 cm, Liège, Musée de l’Art wallon, inv. AW 1479.

est ici intégré à un concept architectural aussi désacralisé et « dénationalisé » qu’encyclopédique. Les instituts concernés se réclament moins de lui que de prototypes contemporains, construits à l’étranger.

En terre consacrée (157), les derniers spécialistes en odeur de

sainteté auprès des autorités liégeoises, Évariste Halkin, son fils Eugène et Joseph Rémont, auteur de l’ogivale Sainte- Walburge (1877-1879), se sont alors déjà effacés, où s’ils s’activent encore, comme Rémont à Sainte-Marguerite, la dernière église néoclassique liégeoise du siècle, c’est seule- ment pour parachever des chantiers pour la plupart entamés avant 1870.

La déferlante bethunienne peut prendre son élan, avant de se transformer en une lame de fond qui finira par emporter la digue défendant l’accès à l’architecture civile. Sous la houlette de Bethune lui-même et du Gantois Auguste Van Assche, elle propulse deux générations d’architectes, de peintres et d’arti- sans au-devant de la scène artistique liégeoise. La première intervention de Bethune en « cité ardente » concerne Saint-

Pholien, où il s’introduit en 1863, sans doute à l’instigation de Jules Helbig. C’est un pétard « mouillé » car il faut attendre 11 ans pour voir resurgir le maître courtraisien, désormais actif de manière quasi ininterrompue, à Saint-Paul, toujours avec Helbig, à Saint-Jacques et à Saint-Christophe. Dès 1876, Van Assche, le plus présent, est réclamé à Saint-Martin avant de prendre en main, jusqu’en 1904, les campagnes de restaura- tion de Saint-Denis, Saint-Christophe, Saint-Servais, Saint- Gilles, Saint-Paul et Saint-Jacques. Assisté, entre autres, par le peintre Édouard Van Marcke, Helbig se signale à Saint- Denis (1852), à Sainte-Croix (1862-1863), où la Commission des Monuments le met « en garde contre les tentations de l’archaïsme » (158) et à Saint-Jacques (1860-1864) avant d’être

adoubé au sein de la Gilde de Saint-Thomas et de Saint-Luc. On le retrouve ensuite à Saint-Christophe, Saint-Pholien, Saint-Paul et Saint-François-de-Sales, notamment. À la « croi- sade » bethunienne se joignent en outre les orfèvres Jean- Joseph Dehin, suivi par ses fils, également actifs en tant qu’ébénistes, et surtout Joseph Wilmotte, qui figure aussi parmi les membres de la Gilde.

Joseph WILMOTTE et fils (atelier), d’après un projet du baron Jean Baptiste BETHUNE, Châsse de saint Lambert, 1890-1896, cuivre laminé et fondu, ciselé, gravé et doré ; argent repoussé et ciselé, émaux, nielles, filigranes, vernis bruns et cabochons, âme de chêne, 93 x 200 x 60 cm, Liège, cathédrale Saint-Paul.

Bien que compagnon de la première heure, Joseph Osterrath est l’aîné d’une seconde vague de créateurs, formés soit directement auprès de Bethune ou de Helbig, soit dans les écoles Saint-Luc, en vue d’assurer la relève. Ses vitraux s’imposent dans la plupart des lieux de culte liégeois depuis la fondation de son atelier en 1872 jusqu’à sa mort. Ses descen- dants perpétueront son art avec autant de succès.

Abstraction faite de l’église Saint-François-de-Sales, cons- truite par Joris Helleputte en 1892-1894, les projecteurs se braquent désormais sur des architectes autochtones : Ed- mond Jamar, nouveau chef de file, qui s’illustre à partir de 1890 dans la reconstruction de Saint-Pholien, Clément Léo- nard, successeur de Van Assche à Saint-Jacques, concepteur de l’église Saint-Louis et collaborateur de Helleputte à Saint- François-de-Sales, ainsi que Fernand Lohest, surtout actif au XXe siècle, en tant que restaurateur. Mentionnons enfin l’en-

core obscur Hubert Froment, auteur de Saint-Lambert des oblats.

Les autorités communales ne peuvent que ronger leur frein, face aux injonctions des Cabinets homogènes catholico- flamands et aux pressions de la Commission des Monuments. Celle-ci est à présent chapeautée par le chevalier Lagasse de Locht, qui succède à Wellens en 1897. Sa nomination s’ajoute à la désignation de plusieurs « aficionados » de Bethune, tels Joris Helleputte, Jules Helbig et Auguste Van Assche, mem- bres, respectivement, à partir de 1885, 1889 et 1895, avant d’accéder à la vice-présidence, le premier en 1895, le second deux ans plus tard. Nous laisserons à Anna Bergmans (159) le

soin de démontrer qu’il y a là volonté explicite de noyauter « un rouage gouvernemental » dont il faut s’assurer le con- trôle. Député depuis 1889, Helleputte deviendra en outre ministre des Chemins de fer, des Postes et Télégraphes, de l’Agriculture, puis des Travaux publics, de 1907 à 1918. Des voix s’élèvent, ponctuellement, contre le nouvel ordre des choses. Observons cependant que les attaques que la presse libérale liégeoise oppose à la volonté du ministre Jules Vandenpeereboom, surnommé pour l’occasion « l’homme gothique », d’imposer un profil néo-médiéval à la gare de Liège-Palais et à la grand-poste épargnent l’heureux bénéfi- ciaire des commandes de l’État, Edmond Jamar. L’architecte Art nouveau Paul Jaspar se mêle à la polémique en dénon- çant « l’abus du vieux-neuf ». La grand-poste s’inscrit dans un programme de constructions obsédé par le médiévalisme. Son instigateur est Alphonse Van Houcke, ingénieur archi- tecte issu de l’École Saint-Luc et de l’École spéciale du Génie civil attachée à l’Université de Gand. Recommandé par Helleputte, Van Houcke intègre d’abord l’administration des Chemins de fer, avant d’assurer, pendant une dizaine d’an- nées, la direction du service des Bâtiments des Postes et Télégraphes. Soit il met lui-même la main à la pâte (entre autres, à Huy, à Verviers et à Spa), soit il confie les chantiers à des « amis choisis » (160).

En peinture, Adolphe Tassin s’impose comme le fils spirituel de Helbig, qui l’a initié et employé. Plusieurs chantiers d’en- vergure lui sont confiés au tournant du siècle : Saint- Louis (1896-1897), Saint-Paul (1899-1902) et Saint-Martin (1902-1907) (161).

On aurait tort cependant de réduire le mouvement à l’expres- sion d’une pensée unique à dominance ultraconservatrice. Des lignes de fracture se dessinent au fur et à mesure de son

évolution. Les tours de force technologiques que constituent les charpentes en métal de Saint-François-de-Sales (162) et,

dans une certaine mesure (163), de l’hôtel des Postes contri-

buent à l’affirmation de la modernité « rationaliste » liégeoise. Dans ses bâtiments civils, Jamar rompt en outre avec la prédilection « universaliste » pour le gothique primitif, profes- sée par Bethune et ses principaux disciples, pour renvoyer expressément, comme l’avait fait Delsaux, au palais des Princes-évêques, ce qui peut expliquer l’indulgence de la critique anti-catholique. Il persévèrera en outre dans la voie du style « Renaissance mosane », dont la réhabilitation coïncide avec le début de ses activités.

Le doute a saisi les Liégeois, qui désespèrent de renouer avec le rôle majeur joué dans la constitution d’un État qui leur apparaissait à ce point « comme un prolongement, dans le temps et dans l’espace, de l’ancienne principauté » qu’ils se forcèrent longtemps à lui sacrifier toute réelle ambition d’affir- mation identitaire. Une sourde nostalgie traverse néanmoins une partie de la production culturelle. Les philologues et les historiens la font remonter au poème Li Côparèye, considéré à la fois comme la première pièce de vers connue qui célèbre en wallon des sentiments profonds et la première manifestation du romantisme au pays de Liège, où il devancerait les lettres françaises (164). Écrit par Charles-Nicolas Simonon en 1822, il

pleure, à travers la disparition du bourdon de la cathédrale Saint-Lambert, « tous les souvenirs pieux du passé ». Sa parution tardive en 1839 suit de trois ans l’acquisition par la Ville du premier tableau « folkloriste » liégeois, Botteresses liégeoises agaçant un vieux braconnier, peint par Vieillevoye en 1835 et ensuite lithographié à l’initiative de la Société pour l’Encouragement des Beaux-Arts (165).

Nous ne suivrons pas ici le développement continu, mais dans un premier temps marginal, d’une veine d’inspiration appelée à revitaliser la recherche de l’unité perdue (166). D’abord

culturel, le mouvement se politise sous la pression des Liégeois, qui, significativement, s’en emparent de façon quasi- ment hégémonique. Si sa première expression d’envergure s’incarne lors du premier congrès « national » wallon de 1905 (167), initialement programmé pour 1903, les contours –

et de nouveaux contresens, nous y reviendrons – se sont esquissés dès la fin du XIXe siècle. Pour l’heure, constatons

que les trois quarts des participants sont originaires de la province de Liège. Tous les auteurs de communications, sauf deux, sont nés ou actifs à Liège-ville. Le transfert des ambitions « principautaires » du nationalisme belge vers le protonationalisme wallon est dès lors consommé, comme le sanctionne l’écrivain Charles Delchevalerie : « Ce que nous devons cultiver tout d’abord, c’est la religion de la Petite Patrie » (168). Cette suffisance, que perpétuera la création par

les municipalistes liégeois du Musée de la Vie wallonne et du Musée de l’Art wallon, explique sans doute en partie la vigueur des sous-localismes dont souffrent aujourd’hui la Région wallonne et la Communauté française « Wallonie-Bruxel- les » (169).

Deux sections, l’une politique, l’autre culturelle, travaillent en parallèle, puis s’affrontent en séance plénière, notamment à propos de la défense du monopole du français comme langue nationale officielle, les « cultureux » obtenant en fin de compte que cette revendication soit mise au rancart, en l’assimilant à la volonté des autorités allemandes d’imposer leur langue aux habitants de Malmedy.

La langue, un des principaux ferments, avec la religion, l’histoire, le terroir, le peuple et l’esprit qui anime celui-ci, pétris dans les œuvres fondatrices du régionalisme liégeois, pose, on le voit, problème, si l’on cherche à en faire une composante de l’unité nouvelle. En outre, le wallon est de moins en moins pratiqué et se segmente en dialectes sous-régionaux. « L’anti- que croyance » est aussi mise hors-jeu puisque les congres- sistes, presque tous libéraux, sont devenus « étrangers à la vieille foi de la Wallonie » (170). Le peuple attendra l’ascension,

essentiellement wallonne, du parti ouvrier belge, d’autant que le généticien Julien Fraipont récuse la notion de « race », pour les Wallons comme pour les Flamands : « Nous sommes », s’exclame-t-il, « des métissés à tous les degrés » (171). L’his-

toire que présentent les experts se résume à celle de la principauté, ce qui s’avère inacceptable pour le reste de la Wallonie. Albert Mockel cherche à définir la mentalité wallonne comme une synthèse de rationalité latine et d’une « part de rêve » empruntée à la Germanie, mais force est de reconnaî- tre que le Hainaut est « indemne » de cette dernière influence. À ce stade, on comprend pourquoi un participant prétend de l’identité wallonne qu’elle est « par définition inanalysa- ble » (172). Mais il reste le terroir, auxquels les trois plasticiens

contributeurs, tous amis et disciples du symboliste Mockel, accordent une attention quasiment univoque. D’après Paul Jaspar (173), le plus radical car il ne fait mention d’aucun de ses

prédécesseurs, l’architecture wallonne est exclusivement ca- ractérisée par l’emploi, le plus souvent conjoint, de matériaux indigènes : la brique, le bois et la pierre. Idem pour la sculpture selon Joseph Rulot, à l’exclusion, évidemment, de la bri- que (174). Comment réagira le peintre de service ? Signalons

d’abord qu’Auguste Donnay (175), dont les wallingants les plus

acharnés, qui par mauvaise foi, qui par obscurantisme, font le premier défenseur d’un art spécifiquement wallon, ruine toute velléité d’unitarisme stylistique : « Des écoles ? Une école ? Tenez-vous tant que cela à faire partie d’une école ? […] Notre éducation nous a fait estimer ce phénomène : des gens qui se plient à la même discipline, d’une façon candide et moutonnière. Ne serait-il pas meilleur et plus hautain d’admi- rer des artistes vivants sur un même territoire, mais libérés les uns des autres ? » (176). N’évoquant que quelques maîtres du

passé, il fait néanmoins du paysage pur le principe absolu de la peinture wallonne, qui déterminerait deux traits seconds : le primat du dessin et celui de l’intellect : les Wallons, sous l’impulsion de Patenier et de Blès, « ont inventé le paysage en art » (177), en se penchant, bien entendu, sur la nature origi-

nelle : « Un pays bleu où s’aperçoit apaisée la manifestation des forces du commencement – où apparaît visible la struc- ture de la Terre – où la stratification des roches perpendiculai- res, horizontales ou tourmentées raconte les merveilles de la transformation lente. La créature humaine est perdue dans ces paysages, elle n’y est point nécessaire ; complément infime aux lignes sinueuses des sommets, elle disparaît dans la vallée » (178). Bref, un pays à ce point « à l’inverse des terres

des Flandres » qu’il produirait « uniquement des jongleurs de lignes » (179). Encore convient-il d’assumer la diversité du ter-

roir : « Les aspects de la terre wallonne, si rapidement diffé- rents et changeant vite selon la lumière, ne sont point pour la tranquillité et la régularité d’une seule idée » (180). Dès lors,

« l’artiste wallon doit penser » (181).

Matière, nature vierge : la messe est dite, au chevet d’un historicisme à l’agonie. Contrairement à un Rulot obsédé, de 1895 jusqu’à sa mort, par son projet, non réalisé, de Monu-

ment à l’âme wallonne et au poète Nicolas Defrêcheux (182),

Donnay délaisse la figure pour se consacrer presque exclusi- vement à la méditation paysagère, à laquelle il convertira en outre plusieurs générations d’artistes du cru. Curieusement, pourtant, c’est un luministe flamand, Évariste Carpentier que revint la primeur de « restauration » du paysagisme lié- geois (183). Observons que sa nomination comme professeur

de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, en 1897, suite au décès de Delpérée, met définitivement fin au règne des peintres d’histoire. Elle ne fut pas acquise sans mal. La raison d’une opposition qui divisa le Conseil communal est clairement régionaliste. Elle est énoncée par le conseiller Célestin Demblon, qui au nom d’un groupe socialiste fort peu enclin à l’internationalisme, recommande « le choix d’un can- didat wallon ». Le compte rendu que le secrétaire communal livre de son intervention mérite d’être cité car il anticipe de huit ans les positions de Donnay : « La question des langues est complètement étrangère au vœu qu’il exprime avec ses amis. Il pense que l’enseignement donné par un Wallon » – les rivaux les plus sérieux de Carpentier sont en fait liégeois – « sera plus profitable aux élèves […]. Selon lui, la vision pittoresque propre à la race wallonne diffère de beaucoup de celle des peintres flamands » (184).

Quant à Paul Jaspar, qui, à l’instar de l’architecte communal Joseph Lousberg, s’est beaucoup intéressé à « l’architecture mosane » de la Renaissance, laquelle, justement, se singula- rise surtout par sa maçonnerie mixte (briques et pierres de taille), passe « du vieux au neuf » (185) pour s’imposer comme

la figure de proue de l’Art nouveau liégeois et, à l’échelle belge, en tant que pionnier de l’utilisation artistique du béton armé (186).

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