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Bertholet Flémal et ses élèves dans le contexte de la peinture liégeoise

Dans le document L'art vivant et ses institutions (Page 117-119)

du XVII

e

siècle

par Pierre-Yves KAIRIS

Au XVIIe siècle, pratiquement toute la « Belgique » fait du

Rubens. Le foyer liégeois se distingue quelque peu à cet égard, mais, si la peinture locale est marquée au coin de l’Italie et de la France, elle ne rejette nullement Anvers, comme on a parfois essayé de le faire croire. En témoignent notamment les multiples copies de Rubens et Van Dyck qui peuplent les églises de la région. Finalement, la force et la spécificité des peintres liégeois, c’est d’avoir assimilé ces différents courants et même, parfois, de les avoir transcendés. Après un travail initiateur consacré à Gérard Douffet, le fondateur de ce qui apparaît bien comme une école spécifi- que, l’auteur a étudié l’ensemble des peintres liégeois du XVIIe

siècle en mettant en évidence la figure centrale de cette école : Bertholet Flémal, le principal élève de Douffet. C’est lui qui, suivi par ses disciples Jean-Gilles Del Cour, Jean- Guillaume Carlier, Gérard de Lairesse et Englebert Fisen, a façonné ce profil spécifique au foyer pictural liégeois. Dans la thèse, chacun de ces cinq artistes a bénéficié d’une monogra- phie comprenant une étude biographique, une analyse du style, un catalogue critique et raisonné des tableaux conser- vés ou disparus. La monographie sur Flémal constitue de loin la plus importante, avec 55 tableaux conservés inscrits au catalogue.

Cette thèse a en outre répertorié un maximum de peintres repérés au pays de Liège durant le XVIIe siècle, soit plus de

320 noms. Ce répertoire de plus de 450 pages comprend des peintres étrangers implantés ou de passage, des peintres du pays de Liège expatriés et surtout des peintres locaux actifs à Liège et dans la région. Ne l’oublions pas, la plupart des peintres liégeois recensés étaient en réalité de modestes artisans qui s’appliquaient pour l’essentiel à dorer et à polychromer des autels, des cadres, des statues ou à peindre des décors de circonstance comme des obits ou des blasons. Les artistes peintres d’envergure faisaient figure d’exception dans le paysage local.

Les rares peintres étrangers qui se sont définitivement instal- lés à Liège sont des Namurois, peut-être des peintres classicisants qui voulaient échapper au courant rubénien qui paraît avoir dominé la production namuroise. Les peintres étrangers de passage étaient essentiellement des paysagistes flamands et hollandais attirés par Spa (comme Brueghel de Velours) ou par la vallée de la Meuse (comme Gilles Neyts). Les peintres liégeois expatriés sont peu connus. Si l’on excepte les peintres de la tribu Lairesse qui ont suivi Gérard en Hollande, c’est en Italie (et non en France) que l’on retrouvera les meilleurs peintres d’origine liégeoise qui ont quitté leur pays. À l’image de Gilles Hallet à Rome ou de Niccolò de Simone à Naples, ils se sont fondus dans les courants à la mode.

En terre principautaire, c’est essentiellement la ville de Liège qui a dominé le panorama pictural. C’est là qu’étaient installés les peintres principaux. Quelques centres secondaires ont compté des peintres intéressants, comme Verviers, Huy,

Maestricht, Saint-Trond et la région de Spa-Stavelot. Mais c’est Dinant qui paraît émerger derrière Liège avec des peintres comme Nicolaï, Evrard, Goblet et les Stilman. La thèse comprend en outre un volume consacré à l’approche socio-économique de la peinture liégeoise du XVIIe siècle. On

y trouve des chapitres consacrés à l’organisation corporative, aux contrats de travail, au négoce, aux prix pratiqués, au niveau de vie et aux réseaux sociaux des peintres, à la diversité et l’organisation de leurs travaux, à la répartition géographique des peintres au sein de la Cité de Liège et enfin à la clientèle. L’auteur insiste sur les nombreuses variations dans la durée et les modalités de l’apprentissage. Il rappelle que les peintres appartenaient au métier des orfèvres mais que les informations réglementaires les concernant font large- ment défaut, ce qui n’est pas le cas pour les orfèvres stricto sensu. Lorsqu’on reporte sur une carte de Liège les domiciles connus des peintres du XVIIe siècle, on constate qu’il n’y a pas

d’implantation privilégiée dans l’un ou l’autre quartier, mais on notera l’absence de peintre recensé dans le quartier populaire d’Outre-Meuse. Concernant le commerce des œuvres, on remarque que les peintres produisaient beaucoup sur com- mande mais pas exclusivement ; malheureusement, les con- trats conservés sont très rares. Les peintres étaient souvent inscrits au métier des merciers, ce qui leur permettait sans doute d’exercer une activité assez large de marchand de tableaux. Les marchands étrangers n’étaient eux autorisés à vendre à Liège que durant les foires, mais de nombreux litiges sont apparus suite à leur non-respect de la législation. Quant aux tableaux produits à Liège, il s’agissait pour l’essentiel de peintures religieuses, de portraits, plus rarement de peintures mythologiques ou allégoriques. Les paysages conservés sont rarissimes, mais ils paraissent avoir été nombreux jadis. En revanche, les natures mortes et les scènes de genre semblent rarement le fait des peintres locaux ; les Liégeois pouvaient s’en procurer auprès des marchands anversois lors des franches foires.

Le travail se conclut sur une approche évolutive des grands moments de la peinture liégeoise du XVIIe siècle ainsi que sur

les caractéristiques qui permettent de définir les contours d’une véritable « école ».

C’est Gérard Douffet qui, en véritable fondateur de l’école liégeoise dans les années 1620, a orienté les choix esthéti- ques de celle-ci vers l’Italie ; ce que ses suiveurs ne remettront pas fondamentalement en cause. À la fin des années 1640, le courant caravagesque liégeois, représenté par Douffet et Walschartz, s’est essoufflé. Deux jeunes peintres importent alors de Rome, passage quasi obligé, des modes nouvelles mais partiellement contradictoires. Avec Walthère Damery, c’est l’exubérance baroque de l’entourage de Pierre de Cor- tone qui paraît s’imposer. Mais Liège s’attachera bien davan- tage à l’art poussinesque, bien opposé, que le fameux Bertholet Flémal introduit à Liège vers 1650. La décennie suivante marque l’apogée de la peinture liégeoise : outre lesdits Damery et Flémal, le curieux Jean-Guillaume Carlier et le jeune prodige Gérard de Lairesse dominent le paysage local. À partir des années 1680, c’est Englebert Fisen, le dernier grand peintre liégeois du siècle, qui occupe désormais le devant de la scène. Il s’en tient d’abord aux beaux principes de l’art flémallien avant de sombrer dans un art un peu froid et stéréotypé, mais qui prolonge tard dans le XVIIIe siècle ces

traits qui permettent de circonscrire les peintres liégeois en une école indépendante.

De Douffet à Fisen s’est instaurée une relative continuité, conférant à ce qui était au départ un modeste foyer provincial ce visage typique, et souvent de grande qualité, qui se dévoile peu à peu. L’art de ces peintres se caractérise avant tout par un éclectisme que l’on a trop systématiquement confondu avec un manque de personnalité. S’ils assimilent les expérien- ces italienne, française et flamande, les peintres liégeois les accordent aux traditions locales de classicisme héritées de Lambert Lombard. De sorte qu’aucun tableau du pourtant si poussinesque Bertholet Flémal, par exemple, ne pourrait être réduit à une œuvre française de l’entourage de Poussin. Et l’on décèlera toujours dans les tableaux liégeois, à la suite de Douffet, cette rudesse des types physiques – d’aucuns ont même parlé de « types wallons » – autant que les contrastes accentués entre les parties sombres et lumineuses, l’exacer- bation des gestes et des drapés dans des mises en scène très théâtrales ou encore la difficulté permanente à distribuer les figures dans l’espace et à gérer les effets de profondeur.

VIII. Présentation de mémoires de fin de D.E.A. (Diplôme d’études

approfondies) en histoire de l’art, archéologie et musicologie

(année académique 2005-2006)

Les comptes rendus sont rédigés par les auteurs de mémoi- res.

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