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3.1.1. Ornements : appogiatures et mordants

L’intégration des accents expressifs, et non pas linguistiques, dans la musique traditionnelle bosnienne permet à l’interprète d’embellir la mélodie en accentuant des éléments spécifiques du contenu poético-littéraire. Tel qu’expliqué par Faubert et Chenart, « l’accent d’insistance (ou affectif) peut traduire un état, une intention » (Faubert et Chenart 2001, 202). Le tout se fait d’une manière nuancée dans le but de préserver « la dignité » et « l’équilibre » du discours musical. Ainsi, ils demeurent exposés principalement de deux manières, par l’inclusion des appogiatures et l’inclusion des mordants. Ceci est observable, entre autres, dans les deux chansons prises en exemple « Ah što ćemo ljubav kriti » [Pourquoi cacher notre amour]71, interprétée par Nada Mamula, ainsi que « Kraj potoka bistre vode » [Près du ruisseau de l’eau claire]72, interprétée par d’Izeta (Beba) Selimović. Les partitions musicales respectives se trouvent aux Exemples 3.1.1.e. et 3.1.1.f.

Dans « Ah što ćemo ljubav kriti »73, les mordants apparaissent dès la première mesure, « što » (00:21) et « će- » (00:23). Cela se produit également aux mesures 3 « -ti » (00:29), 11 « mo- » (00:55) et 13 « dra- » (01:00). Les appogiatures demeurent présentes aux mesures 7 « tvo- » (00:40), 11 « mo- » (00:54) et 16 « pri- » (01:04). Généralement cohérents, ces embellissements peuvent varier d’un couplet à l’autre due à la liberté de l’interprétation, l’épanouissement émotionnel et/ou l’aspect linguistique. Les Exemples 3.1.1.a. et 3.1.1.a.a. isolent la septième mesure, spécifiquement la première syllabe, « tvo-», du terme « tvoja » qui se produit à 39.5 secondes. Tandis que le premier exemple montre la différence entre la partition musicale et ce qui se produit en réalité lors de l’interprétation vocale, le deuxième exemple met l’accent sur l’exécution vocale de l’appogiature par une indication visuelle. La même structure est observable dans les Exemples 3.1.1.b. et 3.1.1.b.a., le mordant étant ajouté au terme « što » de la première mesure, précisément à 20.5 secondes.

71 Voir l’annexe 9 Traduction de la chanson « Ah što ćemo ljubavit kriti ». 72 Voir l’annexe 10 Traduction de la chanson « Kraj potoka bistre vode ». 73www.youtube.com/watch?v=Ue_K24XkFBk

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Exemple 3.1.1.a. Appogiature – « Ah što ćemo ljubav kriti »

Exemple 3.1.1.a.a. Appogiature – « Ah što ćemo ljubav kriti »

Exemple 3.1.1.b. Mordant – « Ah što ćemo ljubav kriti »

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Si nous nous penchons sur les endroits où ces ornements surviennent, ils se trouvent effectivement sur le questionnement « pourquoi cacher » provenant du premier vers « pourquoi cacher notre amour », ainsi que sur des pronoms possessifs « mien » et « mon amour » référant, tous les deux, aux troisième et quatrième vers étant « mon cœur n’est plus le mien, à toi, mon amour, il appartient ! » En ce qui concerne les appogiatures, l’accent est mis sur les termes « tvoja (t’) » dans le contexte de « t’appartenir », ainsi que « moje (mien) » et « pripalo (appartient) » dans le contexte de « mon cœur n’est plus le mien, à toi, mon amour, il appartient ! »

Ce qui capte l’attention, malgré la liberté de l’interprétation et/ou l’impact de l’aspect linguistique, est le fait que ces ornements semblent être utilisés, majoritairement et stratégiquement, sous l’influence de l’épanouissement émotionnel tel qu’exprimé par le personnage, ou le narrateur, incarné par l’interprète. Les mordants prolongent l’aspect temporel, et de cette manière, mettent l’emphase sur le questionnement psychologique et émotionnel du contexte poético-littéraire. Les appogiatures, à leur tour, mettent l’accent sur le point culminant du contexte poético-littéraire, la prise de conscience, ou autrement le résultat du questionnement psychologique et émotionnel.

Le même déroulement est observable dans la deuxième chanson, « Kraj potoka bistre vode »74. Par contre, tandis que la première chanson repose sur une constitution

poétique de trois strophes de quatre vers chacune, les deux derniers vers étant identiques dans chaque strophe, la deuxième chanson inclut trois strophes de quatre vers, sans aucune répétition. Pour cette raison il devient nécessaire de prendre en considération les trois strophes dans le but d’effectuer une comparaison crédible.

Ainsi, les mordants sont présents aux termes « bistre (claire) » (00:33), « zelena (verte) » (00:43), « sjedi (assise) » (01:08), « protiče (coule) » (02:25), « žubori (murmure) » (02:34), « kroz plač (à travers ses larmes) » (02:57), « junače (héros) » (04:12), « mlađani (fringant) » (04:22) et « grud’ma (torse) » (04:45). L’Exemple 3.1.1.d. isole la quatrième mesure, dont la première syllabe, « ze », du terme « zelena » à 42.5 secondes et, comme c’est le cas de la première chanson, présente une différence entre la

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partition et l’interprétation vocale. L’Exemple 3.1.1.d.a. met l’accent sur l’exécution vocale du mordant, de la même mesure, par une indication visuelle. Des appogiatures se trouvent aux termes « potoka (ruisseau) » (00:24) et (00:27), « teče (coule) » (02:16) et (02:18) et « vrati (reviens) » (04:04) et (04:06). Cela est visible dans les Exemples 3.1.1.c. et 3.1.1.c.a., plus spécifiquement à 24.5 secondes, lors de la première mesure et à la première syllabe, « po », du terme « potoka ». Comme dans le cas de la première chanson, les mordants sont utilisés dans le but de prolonger l’aspect temporel ayant un impact direct sur le questionnement psychologique et émotionnel. Ainsi l’emphase est mise sur l’environnement dans lequel se trouve le sujet du contexte, la dame, tout comme le sujet de son questionnement, le jeune héros. Les appogiatures mènent à la prise de conscience, le point culminant du contexte poético-littéraire, étant, dans ce cas, le retour du jeune héros. Exemple 3.1.1.c. Appogiature – « Kraj potoka bistre vode »

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Exemple 3.1.1.d. Mordant – « Kraj potoka bistre vode »

Exemple 3.1.1.d.a. Mordant – « Kraj potoka bistre vode »

En résumé, malgré la possibilité que les accentuations, incluant spécifiquement les appogiatures et les mordants, varient d’un couplet à l’autre lors d’une chanson, ou lors de la comparaison entre les chansons, on observe tout de même une constance : les appogiatures mettent l’accent sur les éléments du discours interagissant avec l’action, tandis que les mordants, en prolongeant l’aspect temporel, mettent l’emphase sur le questionnement psychologique et émotionnel constituant le discours en soi. Toute variation possible provient soit de la liberté de l’interprétation, de l’épanouissement émotionnel et/ou de l’aspect linguistique.

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3.1.1. Tableau récapitulatif : Ornements : appogiatures et mordants Ornements

Appogiatures Mordants

Mesure Syllabe Effet Contexte Rôle Mesure Syllabe Effet Contexte Rôle

Chanson 1 7 11 16 tvo- mo- pri- A cc entu ati on P rise de c onsc ien ce A cti on du dis cours 1 3 11 13 Što će- -ti mo- dra- P rolonga ti on tempor ell e Q ue sti onne ment psyc hol ogique e t émoti onne l É léme nts du discour s Chanson 2 1 po- -to- 3 4 9 -tre -le- sje-

Les embellissements peuvent varier en fonction de la liberté de l’interprétation, l’épanouissement émotionnel et/ou de l’aspect linguistique.

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Exemple 3.1.1.e. « Ah što ćemo ljubav kriti »75

Exemple 3.1.1.f. « Kraj potoka bistre vode »76

75 La chanson « Ah što ćemo ljubav kriti » [Pourquoi cacher notre amour] expose la thématique d’amour entre deux êtres chers. Son contenu poético-littéraire met l’accent sur l’intensité du sentiment amoureux et, comme c’est le cas dans la chanson « Kradem ti se u večeri » [Je m’évade les soirs], suit le processus d’un amour passionné passant à un amour douloureux pour conclure par un amour inatteignable. Dans les deux chansons, cet amour inatteignable est associé à la mort causée par l’intensité émotionnelle.

76 La chanson « Kraj potoka bistre vode » [Près du ruisseau de l’eau claire] expose également la thématique d’amour entre deux êtres chers et suit le même processus émotionnel que les chansons « Ah što ćemo ljubav kriti » [Pourquoi cacher notre amour] et « Kradem ti se u večeri » [Je m’évade les soirs].

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3.1.2. Effets vocaux : glissandi, vibratos et tremolos

La présence des glissandi, vibratos et tremolos semble de prime abord uniquement esthétique, alors que certains ornements ont des fonctions plus spécifiques par l’inclusion 1) des accents dans le but de retenir l’attention sur des éléments particuliers du contenu poético-littéraire ou 2) des nuances et des respirations dans le but d’amplifier la sensualité et la sensibilité du contenu poético-littéraire. Cependant, et à mon avis, ces ornements proviennent de l’influence instrumentale et mettent ainsi l’emphase sur la sensualité et la sensibilité du contenu poético-littéraire.

En effet, sevdalinka fut initialement accompagnée qu’au saz, instrument oriental à cordes pincés et non-tempéré, introduit sur les territoires bosniaques par les Turques au quinzième siècle, et authentique quant à l’exécution des modes orientaux, makamlar77. Sa constitution, notamment comptant de huit à douze cordes, nombre pouvant varier de six à seize dans d’autres régions, ainsi que l’ambitus, pouvant dépasser deux octaves lors de l’exécution de la musique traditionnelle bosnienne, produit une sonorité similaire au roseau. La mélodie domine toujours, même lors des takums, ensembles de saz (Medinić 2010, 69).

La constitution de l’instrument répond autant aux caractères formels qu’esthétiques des makamlar. Les caractères formels incluent l’échelle modale déterminée, la hiérarchie entre les degrés des échelles et les formules mélodiques, tandis que les critères esthétiques réfèrent au sentiment modal (Van Khé 1971, 17). L’échelle modale déterminée est heptatonique, avec distinction entre pente ascendante et pente descendante (Van Khé 1971, 7). « Les notes n’ont pas de hauteur absolue et ne correspondent pas à celles de la gamme tempérée » (Van Khé 1971, 7). De plus, elles n’ont pas la même importance (Van Khé 1971, 10). Les makamlar sont majoritairement formés de tétracordes, avec possible inclusion de tricordes et de pentacordes. Ceux-ci s’expriment à travers deux principaux groupes d’intervalles, ajnas (jins, sing.), celui du bas et du haut, le premier groupe étant utilisé pour la catégorisation du makam. Dans le cas de la modulation, un troisième groupe

77 Tel que l’affirme Van Khé, dû à la complexité des termes Râga, le Dastgâh, Âvâz, Mâqâm, etc. … il est préférable de retenir les noms vernaculaires sans les traduire par le terme « mode » (Van Khé 1971, 18). Dans le cas de la sevdalinka, le terme « mode » sera utilisé dans le but unique de faciliter la compréhension de l’impact qu’ont eu des périodes historiques différentes sur la constitution musicale – une interaction des éléments orientaux et occidentaux.

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d’intervalles, qualifié de secondaire, est ajouté78. En ce qui concerne la hiérarchie entre des

degrés des échelles, le degré le plus important représente la tonique, qui est également la note d’arrêt et la note finale (Van Khé 971, 12). « Selon Dr Habib Touma, les notes qui forment l’axe mélodique autour duquel se développe la mélodie, peuvent être considérées comme notes prédominantes » (Van Khé 1971, 12). Quant aux formules mélodiques, Van Khé fait mention de Shiloah79 qui souligne ce concept, tout comme la présence de formules rythmiques, observations réfutées par Touma (Van Khé 1971, 13). À ce sujet, Touma fait une distinction entre « mélodie » et « ligne mélodique ». Tandis que le premier concept est défini par une organisation rythmique-temporelle fixe et une organisation tonale-spatiale libre, le deuxième concept suit un schéma inverse, c’est-à-dire une organisation rythmique- temporelle libre et une organisation tonale-spatiale fixe (Touma 1970, 26).

Le maqam est une forme représentée par une organisation tonale-spatiale fixe particulière à ce mode. Sa singularité vient du fait que cette forme est construite non pas au moyen de motifs et de leur arrangement, de leurs variations et de leur développement, mais au moyen d’un nombre de passages mélodiques de différentes longueurs réalisant un ou plusieurs plans sonores dans l’espace et servant ainsi de base à une ou plusieurs phrases dans le développement d’un maqam (Touma 1970, 27)80.

Le quatrième et dernier caractère des modes81, également associé au makamlar, est le sentiment modal. Il s’agit de l’état émotionnel éveillé par la sonorité du mode particulier. À titre d’exemples spécifiques, « le Mâqâm Rast provoque la joie; le Ochaq, la peur; l’Aoudj, la jubilation, etc » (Van Khé 1971, 14).

À ces quatre critères fondamentaux, Van Khé ajoute des caractères secondaires, dont les ornements spécifiques, la durée et l’accentuation de certains degrés ou des silences, et l’utilisation de certains registres (Van Khé 1971, 17-18). Suivant les définitions et les explications de tous ces critères, autant fondamentaux que secondaires, trois conclusions émergent. Avant tout, tel que l’affirme Van Khé :

78 Sous recommandation de Dre Sahar Mulhem, professeure à l’Université du Koweït, l’information provient de www.maqamworld.com.

Voir l’annexe 12 Structure du makam Nahawand. 79 Dr Amnon Shiloah.

80 Tous ces éléments sont observables dans la sevdalinka, plus précisément dans son interprétation.

81 Les quatre critères ont été définis par Van Khé prenant en considération les trois notions de Râga (Inde), de

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Pour ce qui est de la réalisation, du développement du « mode », les musiciens de diverses traditions : indienne, iranienne, turque, arabe, vietnamienne ou maure, suivent à peu près le même processus : exposition dans un rythme libre et un tempo modéré des éléments essentiels du « mode », avec utilisation des formules servant de « signature » du mode, présentation des degrés de l’échelle dans un ordre ascendant ‒ ou quelques fois dans un ordre descendant ‒, mise en valeur de chacun des degrés avec accentuation sur les degrés prédominants, changement de rythme, changement de tempo, variation mélodique et variation rythmique. Tout le développement se fait par improvisation (Van Khé 1971, 18)82.

De plus, la spécificité de toute musique se constituant des modes, dont des critères identifiés, formels et esthétiques, provient de l’interaction et de l’exécution de ces derniers (Medinić 2010, 24). Finalement, il faut prendre en considération que « “la notion du mode” n’est pas une notion, valable pour tous les temps et tous les pays. Elle s’est transformée au cours des siècles de telle manière qu’on ne peut la définir qu’en fonction de l’époque et du lieu que l’on examine » (Van Khé 1971, 1)83.

La présence des glissandi, vibratos et tremolos se veut alors une reproduction sonore des premières sevdalinke accompagnées, au saz, et mettant l’expressivité au premier plan. Dans le but de montrer leur utilisation, toujours d’une manière équilibrée pour préserver « la dignité » et « l’équilibre » du discours musical, je me réfère aux deux chansons, « Il’ je vedro il’ oblačno » [Est-ce ensoleillé ou nuageux]84 interprétée par Emina Zečaj et « Ismihana » [Ismihana]85 par Zaim Imamović.

Dans la première chanson, « Il’ je vedro il’ oblačno »86, glissandi, vibrato et tremolos se trouvent aux mesures 1, 3, 5, 8, 10, 11, 13, 14,16 et 17. Plus précisément, les mesures 1 (00:32), 4 (00:43), 8 (00:57) et 14 (01:18) introduisent les glissandi, la mesure 13 (01:13) inclut le vibrato et les mesures 3 (00:38), 5 (00:46), 11 (01:04), 15 (01:22) et 17 (01:27) mettent en valeur les tremolos. Tandis que les glissandi se positionnent au milieu des vers, les tremolos sont majoritairement utilisés dans le but de renforcer la fin des vers.

82 Prenant en considération les propos sur les caractéristiques musicales de la sevdalinka, ainsi que l’analyse phonostylistique, ce processus est également applicable aux sevdalinke.

83 Propos du maître de Van Khé, Jacques Chailley, provenant de son étude intitulée « L’imbroglio des modes » (Van Khé 1971, 1).

84 Voir l’annexe 13 Traduction de la chanson « Il’ je vedro il’ oblačno ». 85 Voir l’annexe 14 Traduction de la chanson « Ismihana ».

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Les Exemples 3.1.2.a., 3.1.2.b et 3.1.2.c. illustrent la présence et l’utilisation respective des glissando, vibrato et tremolo. On peut une fois de plus observer leur présence dans l’interprétation vocale et non dans la partition musicale, ce qui met l’accent sur la liberté interprétative, une des caractéristiques de la musique modale. Cette liberté interprétative permet d’accentuer des termes spécifiques du contenu poético-littéraire, ayant un impact émotionnel sur la perception de l’auditoire. Dans la deuxième chanson, « Ismihana »87,

interprétée par Zaim Imamović, seuls les tremolos demeurent présents, et ce, aux mesures 3 (00:34), 4 (00:37), 5 (00:49), 9 (00:57), 10 (00:58) et 11 (01:02). Les Exemples 3.1.2.d. et 3.1.2.d.a. illustrent le tremolo de la première mesure, à 34 secondes, sur le terme « Ismihana ». Contrairement à la première chanson, les tremolos ne renforcent pas la fin des vers mais plutôt la fin des idées littéraires. À l’intérieur des idées littéraires, si présents, les tremolos sont placés aux endroits stratégiques, notamment sur le sujet « Ismihana » et le qualificatif du sujet, « amour (âme) ».

Exemple 3.1.2.a. Glissando – « Il’ je vedro il’ oblačno »

Exemple 3.1.2.a.a. Glissando – « Il’ je vedro il’ oblačno »

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Exemple 3.1.2.b. Vibrato – « Il’ je vedro il’ oblačno »

Exemple 3.1.2.b.a. Vibrato – « Il’ je vedro il’ oblačno »

Exemple 3.1.2.c. Tremolo – « Il’ je vedro il’ oblačno »

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Exemple 3.1.2.d. Tremolo – « Ismihana »

Exemple 3.1.2.d.a. Tremolo – « Ismihana »

En résumé, la présence des glissandi, vibratos et tremolos, évoque l’influence instrumentale, celle du saz. Instrument reposant sur les makamlar, il met en valeur le sentiment modal d’où la prédominance mélodique. Le sentiment modal demeure influencé par des « des ornements spécifiques, la durée et l’accentuation de certains degrés ou des silences, et l’utilisation de certains registres » (Van Khé 1971, 17-18).

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3.1.2. Tableau récapitulatif : Effets vocaux : glissandi, vibratos et tremolos

Glissando Vibrato Tremolo

Mesure Syllabe Position Mesure Syllabe Position Mesure Syllabe Position

Chanson 1 1 4 8 14 -dro tam- il’ il milieu des vers 13 -sec point d’orgue 3 5 11 15 17 -čno noć dan je dan fin des vers Chanson 2 ˇ Sujet ῀ Qualificatif du sujet ̚ Fins des idées littéraires

3 4 5 9 10 11 I-ˇ du-῀ -ce̚ -cu῀ I-ˇ mi̚ fin des idées littéraires

Glissandi, vibratos et tremolos projettent l’influence instrumentale, celle du saz, instrument reposant sur les makamlar et mettant en valeur le sentiment modal, d’où la prédominance mélodique.

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Exemple 3.1.2.e. « Il’ je vedro, il’ oblačno »88

88 La chanson « Il’ je vedro il’ oblačno » [Est-ce ensoleillé ou nuageux] développe la thématique d’amour entre deux êtres chers. L’intensité du sentiment toujours présente, cette sevdalinka ne suit pas le processus d’un amour inatteignable. Au contraire, il s’agit d’un amour concret et actuel.

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Exemple 3.1.2.f. « Ismihana »89

3.1.3. Phrasé : nuances, respirations et silences

Le rôle des nuances, respirations et silences demeurent similaire à celui des accentuations, c’est-à-dire qu’ils mettent l’accent sur des éléments spécifiques du contenu poético-littéraire. Tout dépendant du contenu poético-littéraire de la chanson, il peut s’agir de la mise en valeur de la sensualité et de la sensibilité de ce dernier, tout comme du questionnement psychologique et émotionnel évoquant soit le sentiment amoureux et/ou nostalgique. Les chansons choisies dans le but de montrer ces éléments analytiques sont « Đul Zulejha po bostanu šeta » [Đul Zulejha]90 interprétée par Safet Isović et « Magla pala do pola Saraj’va » [Brouillard tombé sur la ville de Sarajevo]91 par Himzo Polovina. Leurs notations musicales respectives sont présentées aux Exemples 3.1.3.a. et 3.1.3.b.

La sensualité et la sensibilité étant les thématiques principales de ces chansons, je me permets d’élaborer davantage le contenu poético-littéraire qui perd ses détails, toutefois

89 La chanson « Ismihana » [Ismihana] développe également la thématique d’amour entre deux êtres chers. Tandis que les trois premières strophes suggèrent la présence d’un amour inatteignable, la dernière strophe change le cours des événements et fait culminer la chanson avec un amour concret et actuel.

90 Voir l’annexe 15 Traduction de la chanson « Đul Zulejha po bostanu šeta ». 91 Voir l’annexe 16 Traduction de la chanson « Magla pala do pola Saraj’va ».

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importants, lors d’une traduction générale. Ainsi, la première chanson met en scène le dialogue entre Đul Zulejha (nom féminin) et la rosée, mettant indirectement l’emphase sur la beauté et la sensualité féminines, tout comme sur l’attraction et le désir amoureux. Contrairement à une construction littéraire courte et simple à première vue, la signification des mots spécifiques, et du contexte global, mène à une toute autre perception. Au niveau des mots spécifiques je retiens « bostanu (jardin) », « mednom (belle) », « zimovala (as-tu passé l’hiver) », « djevojke (jeune dame) », « pod bijelim vratom (sous le cou blanc) », « biser (perle) » et « merdžani (coraux) ».

« Bostan » (« bostanu » dans le contexte), représente le jardin, mais spécifiquement un jardin de melons d’eau. La saison de floraison est ainsi indirectement suggérée, référant également à la saison des amoureux. Ce terme est directement lié au prochain, « mednom », adjectif dérivant du mot miel et étant associé au goût des melons d’eau. « L’hiver » (« zimovala » dans le contexte) réfère à une période temporelle longue et tranquille, et dans ce contexte fait partie du passé. « Jeune dame » et « sous le cou blanc » mettent l’emphase sur la jeunesse, la beauté et la sensualité féminines, tandis que les « perles » et les « coraux » évoquent la mer et de grands horizons, ou des objets de valeur. La promenade, jointe à la discussion avec la rosée, suggère le questionnement intérieur, dans ce cas de l’état amoureux, avec toutes ses caractéristiques ici mentionnées.

Dans « Đul Zulejha po bostanu šeta »92, Safet Isović, connu pour la puissance de sa

voix, met en valeur une des caractéristiques principales de la chanson traditionnelle bosnienne, soit la présence de longues phrases musicales93. Les respirations et les silences se produisent aux mêmes endroits, notamment aux fins des contours musicaux, délimités majoritairement par les points d’orgues dans la partition. Cela est observable aux mesures 2