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Limites sp´ecifiques de l’inf´erence RB :

3.3 Comparaison

3.3.3 Limites sp´ecifiques de l’inf´erence RB :

Acyclicit´e, condition de Markov causale, fid´elit´e

Ainsi que nous venons de le rappeler, la conclusion d’une inf´erence causale RB n’est une cons´equence logique des ind´ependances probabilistes relatives au sein de la population consid´er´ee qu’aux conditions que le graphe causal sur l’ensemble de variables consid´er´e soit acyclique et que cet ensemble de variables satisfasse la condition de Makov causale et l’hypoth`ese de fid´elit´e. Or, nous savons depuis le chapitre 1 que l’acyclicit´e et la condition de Markov causale ne sont pas toujours satisfaites. Par ailleurs, nous avons vu dans le chapitre 2 qu’il en va de mˆeme de l’hypoth`ese de fid´elit´e. Dans un premier temps, nous analysons ce qui en d´ecoule pour la validit´e des inf´erences cau- sales RB. Dans un second temps, nous examinons la th`ese selon laquelle la difficult´e rencontr´ee serait sp´ecifique de l’inf´erence RB.

3.3.3.1 Cons´equences pour l’inf´erence causale

De ce que la conclusion de l’inf´erence causale RB n’est une cons´equence logique de ses pr´emisses que sous les trois hypoth`eses que nous venons de rappeler, il d´ecoule en premi`ere approche que seuls les ensembles de va- riables qui satisfont ces hypoth`eses sont susceptibles d’inf´erence causale RB. Autrement dit, il semble que l’existence de violations de ces hypoth`eses li- mite le domaine dans lequel on peut recourir `a l’inf´erence causale RB. En cons´equence, il semble que seuls les ensembles de variables qui satisfont les hypoth`eses corr´elatives de la notion de r´eseau bay´esien causal peuvent jouir du caract`ere d´eductif de l’inf´erence causale RB.

Cette premi`ere analyse, toutefois, est trompeuse. Plus pr´ecis´ement, les hypoth`eses d’acyclicit´e et de fid´elit´e et la condition de Markov causale ne peuvent pas ˆetre consid´er´ees comme de simples limites d’un domaine `a l’int´erieur duquel l’inf´erence causale pourrait ˆetre men´ee au moyen des r´eseaux bay´esiens et, donc, ˆetre d´eductive. La raison en est simple : puisque l’inf´erence causale RB est a-th´eorique, l’enquˆete visant `a d´eterminer avant- coup si les hypoth`eses n´ecessaires `a la validit´e de l’inf´erence sont satisfaites n’a simplement pas d’objet. En effet, avant de mener l’inf´erence causale RB, nous n’avons pas de graphe causal dont on pourrait se demander s’il est acyclique et s’il est avec les probabilit´es dans le rapport que d´ecrivent la condition de Markov causale et l’hypoth`ese de fid´elit´e.

A titre d’explicitation de cette th`ese, consid´erons `a nouveau la condition de Markov causale, dont nous avons d´ej`a indiqu´e qu’elle est celle des trois hypoth`eses qui a fait couler le plus d’encre. Nous verrons dans le chapitre 4 qu’il existe des r´esultats de validit´e de la condition de Markov causale pour

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les ensembles de variables qui satisfont certaines propri´et´es. En particulier, nous verrons que les ensembles de variables d´eterministes dont les variables exog`enes sont conjointement ind´ependantes satisfont prouvablement la condi- tion de Markov causale. Or, dans le contexte a-th´eorique qui nous int´eresse pr´esentement, ce r´esultat ne peut pas ˆetre utilis´e comme un crit`ere d’identifi- cation d’ensembles de variables qui satisfont la condition de Markov causale. Le crit`ere, en effet, est causal `a deux titres : d’une part les variables exog`enes d’un ensemble de variables V sont celles qui n’ont pas de cause dans V, d’autre part un V est d´eterministe si la valeur des variables non exog`enes de V est d´etermin´ee par celle de leurs causes directes dans V. Dans ces condi- tions, d´ecider si un ensemble de variables V est d´eterministe et tel que ses variables exog`enes sont conjointement ind´ependantes requiert de connaˆıtre le graphe causal sur V. Mais c’est pr´ecis´ement l`a tout ce que vise l’inf´erence causale.

De fa¸con plus g´en´erale, les trois hypoth`eses corr´elatives de la notion de r´eseau bay´esien causal ont un contenu causal, et il en d´ecoule qu’on ne peut pas d´eterminer si elles sont satisfaites par un ensemble de variables V sans disposer d’un graphe causal, mˆeme hypoth´etique, sur V. Maintenant, l’ab- sence de connaissance causale n’implique pas seulement qu’il est impossible de d´eterminer si les trois hypoth`eses sont satisfaites. Elle implique aussi qu’il est impossible de majorer la d´eviation entre GIV et le graphe causal r´eel

sur V que peuvent occasionner des violations ´eventuelles des hypoth`eses. Dans ces conditions, entre la conclusion d’une inf´erence causale RB et le graphe causal sur l’ensemble de variables consid´er´e, il n’existe aucune forme d’ad´equation qui soit garantie. L’hypoth`ese d’acyclicit´e, la condition de Mar- kov causale et l’hypoth`ese de fid´elit´e sont donc plus que les limites du do- maine `a l’int´erieur duquel les inf´erences causales peuvent ˆetre men´ees grˆace aux r´eseaux bay´esiens et jouir de la propri´et´e d’ˆetre d´eductives. Elles sont ce qui fait que l’inf´erence causale RB n’est jamais fiable – au sens pr´ecis o`u on ne peut jamais ˆetre assur´e qu’elle donne un r´esultat correct, mˆeme quand c’est le cas.

Avant d’aller plus loin, nous souhaitons souligner ici que par ce que nous venons d’en montrer, les hypoth`eses corr´elatives de la notion de r´eseau bay´esien causal ont un statut diff´erent des hypoth`eses qui sous-tendent l’uti- lisation des outils de l’analyse de chemins. Plus clairement, nous avons men- tionn´e plus haut que l’utilisation des diff´erentes m´ethodes d’estimation des param`etres et des diff´erentes mesures d’ad´equation aux donn´ees est condi- tionn´ee `a la satisfaction de certaines hypoth`eses par le mod`ele ´etudi´e.29 Ces

29

Pour une pr´esentation, voir par exemple Kline (1998) ou Kenny (1979). Pour une analyse : Freedman (1987) pp. 101–116, Clogg et Haritou (1997).

hypoth`eses sont contraignantes et conduisent `a des m´esusages des outils de l’analyse de chemins. Ces m´esusages ont ´et´e d´ecrits aussi bien dans les ouvrages m´ethodologiques30, que dans la litt´erature critique31; on a mˆeme

cherch´e `a les expliquer.32

Mais, aussi dommageables ces m´esusages soient-ils, leurs cons´equences ne sont pas comparables `a celles, d´ecrites plus haut, de l’utilisation des proc´edures d’inf´erence causale RB dans le cas g´en´eral. En effet, les hypoth`eses que ces m´esusages consistent `a ignorer ne sont pas du mˆeme type que l’hy- poth`ese d’acyclit´e, l’hypoth`ese de fid´elit´e et la condition de Markov cau- sale. Contrairement `a celles-ci, elles ne portent pas sur la causalit´e, mais seulement sur les distributions de probabilit´es. Soulignons que mˆeme les hy- poth`eses d’ind´ependance entre termes d’erreur et variables exog`enes ne sont pas causales : les variables exog`enes ne sont pas les variables exog`enes du graphe causal ad´equat, mais toujours seulement celles du mod`ele en train d’ˆetre test´e. D`es lors qu’elles ne sont pas causales, ces hypoth`eses peuvent ˆetre test´ees avant d’utiliser ou apr`es avoir utilis´e les outils de l’analyse de chemins qui requi`erent qu’elles soient satisfaites. La critique adress´ee `a leur propos aux utilisateurs de l’analyse de chemins n’a donc pas le mˆeme statut que celle que nous formulions plus haut `a l’endroit de l’inf´erence causale RB. On reproche `a ces utilisateurs une n´egligence pratique, l`a o`u nous pointions une difficult´e th´eorique pour l’inf´erence RB. Nous ne reviendrons pas dans la suite sur les hypoth`eses probabilistes qui doivent ˆetre satisfaites pour qu’il soit possible d’utiliser les diff´erents outils de l’analyse de chemins.

3.3.3.2 Limites sp´ecifiques de l’inf´erence causale RB ?

Avant d’int´egrer l’analyse qui pr´ec`ede `a notre comparaison des inf´erences RB et AC, il convient de nous arrˆeter `a la question de savoir si les difficult´es que nous venons de discuter sont bien sp´ecifiques de l’inf´erence causale RB. Plus clairement, ce paragraphe traite de la question de savoir si l’hypoth`ese d’acyclicit´e, l’hypoth`ese de fid´elit´e et la condition de Markov causale sont bien une caract´eristique qui distingue les inf´erences RB des inf´erences AC. Sur ce point, le cas de l’hypoth`ese d’acyclicit´e est le plus simple. Ainsi, que le graphe causal sur un ensemble de variables donn´e soit ou non cyclique ne change rien `a la possibilit´e de mener une inf´erence AC, ni surtout `a la pertinence de la conclusion qu’on peut esp´erer tirer d’une telle inf´erence. En effet, l’ensemble des tˆaches que nous avons explicit´ees dans le paragraphe 3.2.2.3 peuvent ˆetre accomplies pour des mod`eles cycliques – ou, pour reprendre le terme utilis´e

30

Voir par exemple Kline (1998) chap.12.

31

Voir par exemple Freedman (1991).

32

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dans le domaine de l’analyse de chemins, non-r´ecursifs.

Pour ce qui est maintenant, de la condition de Markov causale et de l’hypoth`ese de fid´elit´e, elles v´ehiculent une conception du rapport entre cau- salit´e et probabilit´es dont nous soutenons qu’elle est tr`es similaire `a celle qui sous-tend la pratique de l’analyse de chemins. Plus pr´ecis´ement, nous soutenons que la pratique traditionnelle des sciences sociales repose sur une caract´erisation de la causalit´e comme corr´elation qui ne disparaˆıt pas par conditionalisation. On consid`erera qu’une variable C cause (directement) une variable E si 1) C et E sont d´ependantes en probabilit´es et 2) les autres causes de E ne font pas ´ecran entre C et E.

A l’appui de la th`ese selon laquelle on consid`ere comme susceptibles d’ˆetre en relation de cause `a effet seulement des variables d´ependantes en probabi- lit´e, nous soutenons d’abord qu’on ne sp´ecifie (`a l’´etape A de la proc´edure que nous avons d´ecrite dans la sous-section 3.2.2) un mod`ele dans lequel fi- gure une fl`eche entre deux variables donn´ees que si ces deux variables sont corr´el´ees. Par ailleurs, nous avons mentionn´e d´ej`a que si l’estimation d’un mod`ele donne au param`etre associ´e `a une des fl`eches du mod`ele une valeur non significativement diff´erente de z´ero, alors ce mod`ele est rejet´e. A ce fait, nous ajoutons ici la pr´ecision qu’il est rejet´e au profit d’un mod`ele identique sauf pour ceci que cette fl`eche n’y figure pas.

A l’appui de la th`ese selon laquelle la corr´elation entre C et E est interpr´et´ee causalement si elle ne disparaˆıt pas par conditionalisation sur les causes de E, nous revenons sur les tests de type b. de l’´etape C. Ces tests consistent `a v´erifier que les corr´elations impliqu´ees par un mod`ele ne diff`erent pas significativement des corr´elations observ´ees. Or, les corr´elations impliqu´ees par le mod`ele se calculent par sommation relativement `a tous les chemins causaux. Les tests de type b. reposent donc sur l’id´ee selon laquelle la d´ependance entre deux variables qui ne se causent pas l’une l’autre s’´epuise dans la d´ependance qu’impliquent les diff´erents chemins causaux menant de l’une `a l’autre. R´eciproquement, une d´ependance que n’´epuiserait pas la prise en compte de ces chemins demande `a ˆetre interpr´et´ee causalement. Le mod`ele qui ´echoue `a l’interpr´eter de cette fa¸con est rejet´e `a l’issue du test b.

De fa¸con g´en´erale, il apparaˆıt que l’inf´erence causale AC repose sur une conception du rapport entre la causalit´e et les probabilit´es qui est tr`es proche de celle que v´ehiculent les r´eseaux bay´esiens causaux. En ce sens, la condition de Markov causale et l’hypoth`ese de fid´elit´e ne constituent pas un probl`eme qui serait sp´ecifique de l’inf´erence causale RB, et qui la distinguerait de l’inf´erence causale AC.

Toutefois, ce qui pr´ec`ede fait apparaˆıtre que ces hypoth`eses n’ont pas le mˆeme statut selon qu’on consid`ere l’inf´erence causale AC ou l’inf´erence causale RB. Dans le cas de l’inf´erence causale AC, nous venons d’identifier les

endroits de la proc´edure auxquels elle est mobilis´ee. A l’inverse, le recours `a la condition de Markov causale et `a l’hypoth`ese de fid´elit´e n’est pas localisable dans l’inf´erence causale RB. En effet, il en constitue le principe mˆeme.

Par ailleurs, nous savons maintenant (et depuis la sous-section 3.1.2) que ce principe fonde un mode d’inf´erence a-th´eorique. Nous avons montr´e (dans le dernier paragraphe) que l’a-th´eoricit´e implique qu’il est impossible de d´eterminer avant de mener l’inf´erence causale RB si la condition de Mar- kov causale et l’hypoth`ese de fid´elit´e sont satisfaites. Nous en avons d´eduit que l’inf´erence causale RB est toujours suspecte de donner des r´esultats in- corrects. De l’autre cˆot´e, nous avons vu (`a la fin du paragraphe 3.2.2.4) que l’inf´erence causale AC n’est pas a-th´eorique, qu’elle repose sur la sp´ecification de mod`eles causaux. Il en d´ecoule qu’on peut tester si un mod`ele donn´e satisfait la condition de Markov causale et l’hypoth`ese de fid´elit´e. Plus pr´ecis´ement, il est possible de proc´eder `a un test statistique de l’hypoth`ese selon laquelle elles seraient satisfaites dans le cas o`u le mod`ele serait correct. Par cons´equent, le fait de reposer sur une conception du rapport entre cau- salit´e et probabilit´es du type de celle que v´ehiculent la condition de Markov causale et l’hypoth`ese de fid´elit´e n’a pas pour l’inf´erence AC les cons´equences qu’il a pour l’inf´erence RB. De fa¸con plus g´en´erale, il apparaˆıt que si les vio- lations de la condition de Markov causale et de l’hypoth`ese de fid´elit´e ne sont pas un probl`eme sp´ecifique de l’inf´erence RB, le statut de ces hypoth`eses et les cons´equences de ces violations le sont.