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Identification du comparant

3.2 Inf´erence causale traditionnelle

3.2.1 Identification du comparant

Nous venons d’indiquer que, dans la sous-section qui commence, les m´ethodes d’inf´erence causale auxquelles nous comparerons l’inf´erence RB sont identifi´ees principalement par les principes qui les sous-tendent. Cette affirmation, toutefois, ne saurait nous tenir lieu de m´ethode. En d’autres termes, il ne serait pas convenable que la question des principes de l’inf´erence guide l’identification du comparant quand on a annonc´e de la comparaison qu’elle porte en particulier sur ces principes. Ce qui est convenable, en re- vanche, est de commencer par identifier les domaines d’objets vis´es par les m´ethodes d’inf´erence causale RB et de consid´erer les m´ethodes d’inf´erence traditionnellement `a l’oeuvre dans ces domaines. C’est ce que nous faisons ici – et qui pr´ecis´ement nous conduira `a faire des principes de l’inf´erence un ´el´ement central de l’identification des m´ethodes auxquelles les proc´edures RB seront compar´ees.

3.2.1.1 Domaines d’objets vis´es par l’inf´erence causale RB

En vue d’identifier les domaines d’objets auxquels l’inf´erence causale RB est adapt´ee, une premi`ere remarque est essentielle : les m´ethodes RB visent `a inf´erer des causes `a partir de probabilit´es et ind´ependammment de toute exp´erimentation ou manipulation. En effet, les donn´ees probabilistes dont on inf`ere des connaissances causales grˆace aux r´eseaux bay´esiens sont des donn´ees probabilistes d’observation.

L’impossibilit´e d’exp´erimenter – quelles qu’en soient les raisons – est `a la fois un obstacle majeur `a la recherche des causes et un trait qui semble caract´eriser les sciences sociales, au sens anglo-saxon de l’expression. Par « sciences sociales », les Anglo-Saxons et nous-mˆemes dans la suite de ce texte entendons l’ensemble des ´etudes dans lesquelles des m´ethodes relevant des sciences « dures » sont utilis´ees pour analyser des ph´enom`enes qui ont `a voir avec l’homme. Il ne s’agit donc ni de la sociologie, ni mˆeme de l’ensemble que constituent la sociologie et l’´economie. Plutˆot, certaines ´etudes en sociologie et en ´economie rel`event des sciences sociales au sens auquel nous faisons r´ef´erence. Elles en rel`event ainsi que des ´etudes en ´epid´emiologie, psychologie,

linguistique..., et pour autant qu’elles mobilisent de mani`ere essentielle des outils statistiques.

3.2.1.2 Inf´erence causale en sciences sociales

Dans le domaine des sciences sociales au sens que nous venons de d´efinir, la question de la causalit´e est souvent abord´ee comme une question locale. Le plus souvent, il s’agit de d´eterminer s’il existe une relation de cause `a effet entre deux variables donn´ees, par exemple si l’origine ethnique influence causalement la r´eussite scolaire8. A l’inverse, l’inf´erence causale RB telle que

nous l’avons pr´esent´ee constitue une r´eponse `a la question globale des rela- tions de cause `a effet au sein d’un ensemble de variables.

Cette diff´erence importante n’implique pas que la comparaison de l’inf´erence causale RB avec l’inf´erence causale telle qu’elle se pratique tra- ditionnellement en sciences sociales n’a pas de sens. Au contraire, elle nous permet d’identifier plus pr´ecis´ement ces m´ethodes d’inf´erence causale utilis´ees dans les sciences sociales avec lesquelles il convient de comparer les m´ethodes RB. En effet, si les ´etudes de sciences sociales abordent majoritairement la question de la causalit´e comme une question locale, certaines d’entre elles l’abordent comme une question globale. Ces ´etudes utilisent les m´ethodes de ce qu’il est convenu d’appeler « mod´elisation d’´equations structurelles » (structural equation modeling) ou, plus simplement, « mod´elisation causale » (causal modeling). C’est avec l’inf´erence causale telle qu’elle se pratique dans le cadre de la mod´elisation causale que l’inf´erence RB doit ˆetre compar´ee.

Dans le cadre de la mod´elisation causale, la question de la causalit´e au sein d’un ensemble de variables causalement suffisant rel`eve de ce que Kline appelle « analyse de chemins » (path analysis). Il convient ici d’ˆetre clair : « analyse de chemins » n’a pas alors le sens qui lui est historiquement donn´e par Wright9, mais un sens moins pr´ecis. En ce sens ´elargi, l’analyse de chemins

se caract´erise d’abord par ceci qu’elle s’applique `a des ensembles de variables causalement suffisants.

A ce point, il semble que nous avons identifi´e ce `a quoi l’inf´erence cau- sale RB doit ˆetre compar´ee. Il s’agit de l’inf´erence causale telle qu’elle est men´ee dans le cadre de l’analyse de chemins (« inf´erence causale AC » dans la suite). Le probl`eme est que cette description ne suffit pas `a caract´eriser une proc´edure, ou mˆeme un ensemble de proc´edures. Plus pr´ecis´ement, on rencontre (au moins) trois obstacles au moment de d´ecrire les proc´edures

8

Felouzis (2003).

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d’inf´erence causale AC. Le prochain paragraphe est consacr´e `a exposer ces obstacles et `a expliquer comment nous les contournons.

3.2.1.3 Obstacles `a la description des proc´edures d’inf´erence cau- sale AC

En premier lieu, si les sciences sociales telles que nous les avons ca- ract´eris´ees ont l’unit´e m´ethodologique impliqu´ee par la commune impossi- bilit´e d’exp´erimenter, il n’est pas ais´e de se rep´erer dans la m´ethodologie des sciences sociales, ni mˆeme dans celle de l’analyse de chemins. En effet, la di- versit´e des objets et, surtout, des domaines institu´es dont rel`event les sciences sociales ont pour corr´elats un flottement dans la terminologie m´ethodologique mˆeme. Ainsi, le mˆeme proc´ed´e peut ˆetre d´esign´e diff´eremment par un ´epid´emiologue et par un sociologue. Il nous semble mˆeme que les mˆemes termes d´esignent parfois des proc´ed´es diff´erents. D`es lors, nous utilisons le moins de termes techniques possibles et veillons `a expliquer en quel sens nous les utilisons. De mani`ere g´en´erale, nous reprenons la terminologie uti- lis´ee dans Kline (1998).

En deuxi`eme lieu, et de fa¸con apparemment plus probl´ematique, nous rencontrons l’obstacle constitu´e par ceci que l’objet premier de l’analyse de chemin n’est pas l’inf´erence causale. Ainsi, l’analyse de chemins ne vise pas d’abord `a d´eterminer si une variable en cause une autre, mais `a quantifier l’effet d’une variable sur une autre variable qu’elle cause.10 Dans les termes

que Wright utilise pour d´ecrire la m´ethode originale :

. . . une m´ethode pour mesurer l’influence directe le long chaque chemin pris isol´ement [...] et donc trouver le degr´e auquel la variation d’un effet donn´e est d´etermin´ee par chaque cause particuli`ere.11

Cependant, cela n’implique pas qu’il soit impossible de d´efinir une proc´edure d’inf´erence causale mobilisant les outils de l’analyse de chemins. Plus, nous soutenons que les outils de l’analyse de chemins sont effectivement utilis´es pour inf´erer des causes. Une fois que nous aurons expliqu´e comment cela se fait, il apparaˆıtra que c’est mˆeme l`a une utilisation assez naturelle de ces outils. De fa¸con plus g´en´erale, il apparaˆıtra que ce deuxi`eme obstacle et le troisi`eme se contournent d’un mˆeme mouvement.

En troisi`eme lieu, le projet de d´ecrire une proc´edure d’inf´erence causale AC se heurte `a la diversit´e des pratiques r´eelles. Cette diversit´e conduit `a envisager qu’il n’existe rien de tel qu’une proc´edure d’inf´erence causale AC. Toutefois, conclure de la diversit´e des pratiques `a l’absence d’une unit´e

10

Ce point est soulign´e dans Freedman (1987) p. 112.

11

m´ethodologique est aller trop vite en besogne. Positivement, nous soutenons qu’une unit´e est sous-jacente `a la diversit´e des pratiques. Cette unit´e est plus pr´ecis´ement celle qu’impose la primaut´e de la sp´ecification de mod`eles dans le domaine de la mod´elisation causale. En d’autres termes, l’unit´e m´ethodologique des pratiques dans le domaine de la mod´elisation causale correspond exactement `a ceci que toute analyse relevant de ce domaine commence par la construction d’un graphe orient´e dont on consid`ere qu’il repr´esente ad´equatement la structure causale du ph´enom`ene consid´er´e. Pour ce qui est plus pr´ecis´ement de l’inf´erence causale, cette unit´e m´ethodologique est exactement celle que d´ecrit le terme « th´eorique » tel qu’il est d´efini plus haut12 et correspond au caract`ere hypoth´etico-d´eductif de l’inf´erence.

Dans cette optique, la diversit´e des pratiques r´eelles se comprend en termes d’´ecarts `a la norme m´ethodologique de l’hypoth´etico-d´eduction. Au- trement dit, les pratiques r´eelles diff`erent parce qu’elles s’´ecartent du ca- non m´ethodologique hypoth´etico-d´eductif, et dans la mesure o`u elles s’en ´ecartent. Dans ces conditions, il n’est plus seulement impossible de com- parer l’inf´erence causale RB `a la pratique de l’inf´erence causale AC ; il n’y a pas grand sens `a le faire. Ce `a quoi l’inf´erence causale RB doit ˆetre mesur´ee est ce qu’est l’inf´erence causale AC si elle ne s’´ecarte pas des pr´eceptes m´ethodologiques hypoth´etico-d´eductifs. Plus pr´ecis´ement, les proc´edures d’inf´erence causale RB doivent ˆetre compar´ees `a une proc´edure d’inf´erence causale hypoth´etico-d´eductive recourant aux outils de l’analyse de chemins. La prochaine sous-section est consacr´ee `a mettre au jour une telle proc´edure.