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Les limites de l’approche cognitive expérimentaliste en psychopathologie en psychopathologie

schizophrénique : Aspects cliniques et cérébraux

Chapitre 2. Psychopathologie cognitive et pragmatique et pragmatique

2.3.3. Les limites de l’approche cognitive expérimentaliste en psychopathologie en psychopathologie

L’approche cognitive classique pose encore des difficultés. D’une part, il existe de nombreux problèmes méthodologiques inhérents au cadre expérimental concernant le recueil, le traitement et l’interprétation des données. En effet, la multiplicité des approches expérimentales à l’aide de tests spécifiques diversifiés rend chaque étude singulière et difficilement comparable à une autre. D’autre part, dans son application à la schizophrénie, l’approche cognitive soulève d’autres difficultés. En effet, la diversité des formes cliniques de cette pathologie, et donc les incertitudes diagnostiques qui en découlent, conduisent souvent à la constitution de groupes de patients très hétérogènes (incertitudes inhérentes à la définition de la (des) schizophrénie(s)). C’est d’ailleurs en partie pour répondre à cette dernière difficulté que plusieurs chercheurs (Andreasen &

Grove, 1986 ; Bazin et al., 2002, 2005 ; Olivier et al., 1997) ont tenté de préciser dans le cadre d’une approche psychométrique d’évaluation des troubles du langage, du discours et de la communication, les anomalies langagières qui jalonnent le discours des patients schizophrènes avec l’ambitieux objectif d’opérationnaliser les concepts de « désorganisation » ou encore de « troubles formels de la pensée » chers à Bleuler (cf. chapitre 4). Les instruments élaborés dans le cadre de cette approche permettent de discriminer des patients schizophrènes « désorganisés » et des patients schizophrènes « non désorganisés » (en fonction du score obtenu aux différentes échelles). Si les troubles recensés ne sont pas spécifiques à la schizophrénie, l’ensemble des données issues des recherches qui prennent en compte une telle variable tendent à montrer que les patients schizophrènes désorganisés éprouvent plus de difficultés que les patients schizophrènes non désorganisés dans la plupart des tâches neuropsychologiques auxquelles ils sont soumis (Besche, Passerieux, Segui, Mesure & Hardy-Baylé, 1996 ; Sarfati, Hardy-Baylé, Brunet &

Widlöcher, 1999 ; Bazin, Sarfati, Lefrère, Passerieux & Hardy-Baylé, 2005 ; Bazin, Perruchet, Hardy-Baylé & Feline, 2000 ; Kostova, Passerieux, Laurent & Hardy-Baylé, 2005).

Par ailleurs, les patients inclus sont souvent soumis à de nombreux traitements médicamenteux25. En outre, les données cognitives sont influencées par différents facteurs souvent mal contrôlés tels que l’âge des patients, leur institutionnalisation, l’évolution de la pathologie, le niveau intellectuel ou bien encore la qualité de la coopération des patients. Là encore, de plus en plus d’études tentent de contrôler plus finement la plupart de ces variables et en particulier l’implication des traitements antipsychotiques dont les mécanismes d’actions sur la cognition sont encore mal connus (Mohamed, Paulsen, O’Leary, Arndt & Andreasen, 1999 ; Daban et al., 2005 ; Hori et al., 2006 ; Cleghorn, Kaplan, Szechtman, Szechtman & Brown, 1990 ; Mortimer, 1997) ; autant que leur impact différencié en fonction de la classe à laquelle ils appartiennent (antipsychotiques atypiques vs conventionnels) (Meltzer & Gurk, 1999 ; Cuesta, Peralta & Zarzuela, 2001 ; Purdon, 2000 ; Savina & Beninger, 2007 ; Sumiyoshi, Jayathilake & Meltzer, 2002 ; Verdoux, Magnin &

Bourgeois, 1995 ; Daban et al., 2002 ; Remillard, Pourcher & Cohen, 2005).

Enfin, de façon générale, ce sont des compétences de niveau relativement élémentaire qui sont, d’une part, reliées aux symptômes (positifs, négatifs, de désorganisation) de la schizophrénie et, d’autre part, corrélées aux anomalies physiologiques. Et cela, même si une grande partie des travaux portant sur la schizophrénie tend à impliquer des niveaux qualifiés de complexes, faisant intervenir certains dysfonctionnements dans le domaine de l’attribution des intentions. En effet, il est légitime de s’interroger sur la nature des processus qui supportent de tels phénomènes et le contexte dans lequel ils s’expriment.

Autrement dit, tenter de rendre compte des processus cognitifs de haut niveau, au sens de Fodor (1986), à l’aide de procédures expérimentales n’entraîne t-il pas une réduction de la complexité de la réalité psychique telle qu’elle s’exprime en situation naturelle (en l’occurrence, de façon intentionnelle) ?

25 Les effets des médicaments psychotropes sont désormais l’objet de recherches en psychopharmacologie cognitive.

C’est précisément ce concept d’intention, où la place qu’il occupe dans la production de la parole qui fait débat. Pachoud souligne d’ailleurs le problème du présupposé de Frith sur l’existence d’une intention préalable pour assurer sa mise en acte ou sa prise de conscience.

Cependant, l’étude des conversations en général (Trognon, 1991, 1994) et celle des conversations pathologiques en particulier (Trognon, 1992), voire des conversations schizophrènes (Musiol, 1992; Trognon, 1992; Trognon

& Musiol, 1994, 1996) nous enseigne que l’intention de communiquer précise ou avouable ne correspond pas toujours à un mécanisme de production de l’action, mais peut tout aussi bien correspondre à l’une des étapes du déroulement de l’action, et même en constituer l’aboutissement.

Si les modèles que nous avons décrits ci-dessus souscrivent à la même conception de la psychologie cognitive que les fonctionnalistes, il semble que nous sommes en présence d’une toute autre conception de la causalité que chez Fodor (1987) et Pylyshyn (1984). Selon ces auteurs, qui comptent parmi les fondateurs du courant fonctionnaliste, on doit supposer que les agents agissent en vertu d’états intentionnels et de représentations douées de contenus, qui sont les causes de leurs actions (Engel, 1988). Les attitudes propositionnelles et états intentionnels qui en découlent supposent l’implication d’opérations mentales complexes qui jonglent avec des catégories contextuelles jamais figées et d’autant plus difficiles à appréhender qu’elles sont holistiques. L’explication d’un comportement, fût-il aberrant, ne peut donc en ce sens se limiter à une option déterministe qui parie exclusivement sur une causalité cérébrale.

(Musiol, 1999). La théorie de l’identité des événements mentaux et des événements neuraux à laquelle les auteurs souscrivent, semble assumer en plus et non sans risque, le postulat selon lequel il existe une étroite corrélation entre opérations mentales complexes et opérations mentales élémentaires.

Si la référence au cadre de la psychopathologie cognitive (Hardy-Baylé et al., 2003) et de la neuropsychologie cognitive (Frith, 1992) (branche de la psychopathologie cognitive) a permis de dégager des concepts répondant aux besoins d’une validation scientifique objective par le biais d’investigations sur le cerveau et de répondre à certaines questions

cliniques à propos de la genèse de certains symptômes, les perturbations mises en exergue au sein de ce cadre auraient plutôt trait à des processus cognitifs de type neuro-élementaires (Musiol, 2002). Comme en témoigne la présentation ci-dessus, les hypothèses d'un déficit d'une fonction de planification de l’action et du discours ou de représentation et de l’expérience de l’action ont connu un vif engouement (probablement renforcé par les études neurobiologiques qui présentent une certaine convergence avec ces modèles neurocognitifs des troubles schizophréniques). Cependant, comme le notent Musiol et Pachoud (1999), s'en tenir à ces hypothèses équivaut à renoncer à en examiner d'autres, qui pourraient s'avérer également pertinentes et révélatrices d'autres processus pathologiques. Or, nous pouvons parfaitement concevoir des hypothèses alternatives, explicitant par exemple, les anomalies discursives qui jalonnent le discours schizophrénique. Il pourrait tout aussi bien s'agir de l'expression d'un trouble de la pensée (au sens fodorien du terme). Nous proposons ainsi dans la suite de cette présentation de voir comment l’articulation de l’approche pragmatique au sein du cadre de la psychopathologie cognitive peut conduire à l’ouverture d’un débat avec les chercheurs qui souscrivent au modèle neuropathogénique de la pathologie schizophrénique (Frith, 1992 ; Hardy-Baylé et al., 2003 ; Andreasen, 2002) et qui ont plutôt tendance à exclure la question de la pensée complexe du champ de leurs préoccupations théoriques. L’étude empirique des conversations pathologiques, et en particulier des conversations schizophréniques vient, dans un premier temps au moins, relativiser la question de la constance des déficits tels qu’ils sont présentés dans le cadre des approches qui adhèrent à une conception déficitaire du fonctionnement schizophrénique.

2.4. L’approche pragmatique en psychopathologie