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schizophrénique : Aspects cliniques et cérébraux

1.3. Aspects biologiques et cérébraux

1.3.2. Aspects anatomiques et fonctionnels

Dès le début du 20e siècle, Kraepelin et Bleuler affirmaient que la schizophrénie était liée à des anomalies cérébrales. C’est en partie grâce à l’essor des techniques d’imagerie cérébrale que de telles hypothèses ont donné lieu, il y a une quarantaine d’années, à de nombreuses recherches dans le domaine. L’imagerie par résonance magnétique a ainsi ouvert la voie à des descriptions plus précises, notamment par l’amélioration de la résolution spatiale et la possibilité de différentier la substance blanche de

la substance grise. L’amélioration du traitement et de l’analyse des images, avec l’introduction de la tomographie par émissions de positrons (TEP), l’IRM fonctionnelle (IRMf) a permis d’exploiter ces données avec plus de précision. Ces avancées ont donc conduit à une description plus détaillée des atteintes cérébrales dans la schizophrénie.

1.3.2.1. Atteintes structurelles macroscopiques

1.3.2.1.1. Les modifications volumétriques

L’élargissement ventriculaire chez les patients schizophrènes est un des principaux élément mis en avant par les études de la morphologie cérébrale par l’utilisation de la tomodensitométrie (CT scann) dans la pathologie (Johnstone et al., 1976 ; DeLisi et al., 1997). Cet élargissement concerne essentiellement les ventricules latéraux (Degreef et al., 1992). Il faut cependant noter que l’élargissement ventriculaire n’est pas spécifique à la schizophrénie puisqu’il est observé au cours du vieillissement et dans diverses pathologies comme l’anorexie mentale, les démences dégénératives ou la maladie de Parkinson (Weinberger, 1984 cité par Martinot, 1997 : 115).

Au niveau cortical, des réductions volumétriques ont été constatées au niveau du lobe frontal (Raine et al., 1992 ; Sanfilipo et al., 2002) et du lobe temporal (Sanfilipo et al., 2002). Quant aux lobes pariétaux et occipitaux, les résultats sont plus mitigés (Goldstein et al., 1999). Enfin, des variations volumétriques ont également été mises en évidence au niveau du cervelet, avec notamment une réduction du vermis (Loeber et al., 2001 ; Bottmer et al., 2005).

1.3.2.1.2. Les modifications morphologiques

Les structures frontales et temporales ont très rapidement focalisé un vaste ensemble de données, et restent actuellement les candidats majeurs pour une étiologie neuroanatomique. Les travaux de Jakob et Beckmann

(1986, 1989) ont eu une large influence sur les recherches concernant le cortex entorhinal. Ces auteurs ont montré des modifications cytoarchitectoniques et laminaires dans cette structure. Là encore, ces résultats sont sujets à critiques. En effet, aucune de ces études ne tient compte de la complexité cytoarchitectonique et laminaire de la structure, ni de la variabilité interindividuelle et les études qui tentent de contrôler ces facteurs ne trouvent aucune différence (Akil & Lewis, 1997).

1.3.2.1.3. Les modifications de la densité et de la taille neuronale

La diminution du nombre de neurones dans l’hippocampe est un argument souvent mis en avant. En fait, peu d’études ont montré une diminution de la densité cellulaire (Falkai & Bogerts, 1992) et du nombre de cellules hippocampiques (Walker et al., 2002). Il est ainsi communément admis que la composition cellulaire de l’hippocampe n’est pas altérée (Harrison, 2004). Au niveau cortical, une augmentation de la densité neuronale a été observée dans le cortex frontal (Pakkenberg, 1993) et dans le préfrontal plus précisément (Selemon et al., 1998). Ce sont surtout des cellules de petite et de moyenne tailles qui sont affectées, et peu les cellules pyramidales. On ne retrouve pas de telles modifications dans le cortex moteur (Arnold et al., 1995). Au niveau sous-cortical, les modifications majeures concernent les noyaux thalamiques qui se projetent sur le cortex préfrontal, comme le noyau dorso-médian (Pakkenberg, 1990) et le noyau antéro-ventral (Danos et al., 1998). La concomitance de l’augmentation de la densité neuronale dans les structures corticales et l’absence de pertes cellulaires plaident pour une réduction du neuropile (Selemon & Goldman-Rakic, 1999). Selon ces auteurs, l’augmentation de la densité ne serait que le résultat d’une diminution de l’espace interneuronal. Au niveau cortical, Rajkowska et al.

(1998) ont noté une réduction de la taille des neurones dans le cortex préfrontal, qui ne se retrouve pas dans le cortex visuel, ni moteur (Arnold et al., 1995).

1.3.2.2. Les atteintes anatomiques microscopiques

Les anomalies synaptiques représentent un site potentiellement intéressant pour l’investigation de la pathologie. La détermination des protéines synaptiques au niveau de la formation hippocampique présente de grandes variations. La mesure de certaines protéines présentes dans les vésicules présynaptiques des neurones montre de légères diminutions (Eastwood & Harrison, 1995 ; Webster et al., 2001), en particulier dans les structures corticales (cortex préfrontal et temporal). Aucun changement n’a été établi, en revanche, dans les cortex pariétal, occipital et cingulaire (Glantz & Lewis, 1997). Toutefois, un cas particulier est fait du striatum où des augmentations de la densité synaptique ont été constatées chez des patients schizophrènes (Roberts et al., 2005a ; Roberts et al., 2005b).

Cette modification reflèterait soit l’altération du processus d’élagage synaptique (qui conduit normalement à une diminution du nombre de synapses), soit à un bourgeonnement synaptique anormal (Roberts et al., 2005b). La mesure d’autres protéines indiquent une réduction plus marquée (Harrison & Eastwood, 1998 ; Sawada et al., 2005), en particulier de celles qui se trouvent principalement exprimées par les neurones excitateurs. Ces données viennent souligner ainsi l’importance des systèmes excitateurs dans cette région, et renvoient à l’hypothèse glutamatergique de la schizophrénie (cf. infra § 1.3.3.2.).

En résumé, de nombreuses modifications ont été observées dans la schizophrénie. L’augmentation de la densité neuronale liée à l’absence de pertes cellulaires plaide pour une réduction de la connectivité neuronale.

Cette hypothèse est renforcée par la diminution des marqueurs synaptiques, principalement pré-synaptiques. Cette réduction de connectivité locale semble prépondérante dans certaines structures comme l’hippocampe et le cortex préfrontal. Toutefois, là encore les données de la littérature ne sont pas consensuelles.

1.3.2.3. Les atteintes de la substance blanche

Les premières études en IRM structurale n’ont donné que peu de renseignements, en effet, peu d’études ont montré une différence de

volume de la substance blanche entre des sujets sains et des patients schizophrènes (Shenton et al., 2001). Cependant, l’amélioration des techniques d’imagerie anatomique a d’une part contribué à la description plus précise des atteintes structurales. D’autre part, Hyde et al. (1992) avaient observé que l’expression de la schizophrénie est étrangement similaire à celle de la leucodystrophie métachromatique. Ces études ont permis de mettre en évidence que cette affection résultait d’un processus de démyélisation. Ces deux facteurs ont ainsi conforté l’hypothèse d’une altération de la substance blanche montrant une diminution (Hulshoff et al., 2004). Plus précisément, une diminution de la densité de substance blanche a été constatée dans les gyri post-central et temporal supérieur de façon bilatérale, et dans les gyri frontal inférieur, médian et orbito-latéral gauche (Spalletta et al., 2003). Des atteintes des projections longues distances ont également été constatées dans le bras antérieur droit de la capsule interne, (Hulshoff et al., 2004), dans les pédoncules cérébelleux supérieurs et moyens (Wang et al., 2003), ainsi qu’au niveau des fibres cortico-striatales (Spalletta et al., 2003). Les lobes frontal et temporal sont connectés par plusieurs structures principales : le faisceau unciné connectant l’amgydale et le lobe temporal avec les gyri orbito-frontal, le cingulum interconnectant les structures limbiques (e.g. cortex préfrontal, gyrus cingulaire, gyrus parahippocampique), le fornix connectant l’hippocampe avec le thalamus et le cortex préfrontal notamment, et le faisceau arqué connectant les aires de Broca et de Wernicke. Toutes ont fait l’objet d’investigations dans la schizophrénie, et toutes présenteraient des anomalies (pour les faisceaux arqué et unciné, cf. Burns et al., 2003 ; Spalletta et al., 2003 ; pour le cingulum, cf. Sun et al., 2003 ; pour le fornix, cf. Kuroki et al., 2006). Les connexions inter-hémisphériques ne sont pas épargnées non plus, avec une atteinte du corps calleux (Foong et al., 2002) et de la commissure antérieure (Hulshoff et al., 2004).

Les études tentant de faire un lien entre la diminution de substance blanche sur la symptomatologie restent toutefois controversées. Il ne semble pas y avoir de relation entre le volume de la substance blanche et la symptomatologie négative (Milev et al., 2003). Il n’y aurait pas non plus d’effet du type de neuroleptiques sur le volume de la substance blanche dans le cortex préfrontal (Arango et al., 2003).

Au final, la schizophrénie ne serait plus seulement considérée comme une pathologie de la substance grise, mais également de la substance blanche. Les atteintes concernent aussi bien la substance blanche locale, que les structures de communication intra- et interhémisphérique. Parmi ces structures, celles connectant les aires frontales et temporales sont particulièrement importantes (Fletcher, 1998) ouvrant la voie à l’hypothèse de disconnectivité structurale dans la physiopathologie de la schizophrénie.

1.3.2.4. Un trouble de l’intégration fonctionnelle ?

Bien que les mécanismes physiopathologiques de la schizophrénie demeurent non élucidés, les troubles comportementaux et cognitifs des patients souffrant de schizophrénie reflèteraient des perturbations de l’intégration cérébrale des fonctions adaptatives sensori-motrices et cognitives, qui résulteraient d’un défaut de connectivité entre les structures ou systèmes neuraux sous tendant ces fonctions (Friston &

Frith, 1995 ; Friston, 1998). Cette idée n’est certes pas nouvelle et remonte au 19e siècle. Il faudra cependant attendre les progrès techniques du début des années 1970 pour voir apparaître la première observation expérimentale. Par la suite, une grande partie des travaux a convergé vers une atteinte spécifique de la région frontale. Cette hypothèse reste encore fréquemment citée, même si elle rencontre de plus en plus de critiques.

Depuis une dizaine d’années environ, une autre hypothèse a pris l’ascendant et considère que la schizophrénie serait la conséquence d’une altération beaucoup plus diffuse de la connectivité cérébrale.

1.3.2.4.1. L’hypoactvité frontale

Les premières études en imagerie fonctionnelle se sont très rapidement tournées vers l’hypothèse d’une hypoactivité des lobes frontaux (Hill et al., 2004). Elle consiste en une diminution de l’activité

métabolique ou des flux sanguins cérébraux dans les régions frontales.

Dans une méta-analyse récente, Glahn et al. (2005) ont établi de façon précise une hypoactivation préfrontale chez des patients schizophrènes comparativement aux sujets sains. Cette hypoactivation s’accompagne d’une hyperactivité du gyrus cingulaire et du pôle frontal gauche.

L’hypothèse d’une hypoactivité frontale reste très controversée elle aussi (Gur & Gur, 1995). Elle a été largement documentée et les auteurs considèrent actuellement que l’hypoactivité frontale s’accompagne soit d’une hypoactivité soit d’une hyper-activité dans des structures connexes, notamment temporales. En parallèle des altérations locales de la communication neuronale, l’hypothèse d’une atteinte plus globale a été avancée.

1.3.2.4.2. Un trouble de la connectivité globale

L’intégration fonctionnelle est définie comme l’interaction entre des groupes de neurones ségrégés aboutissant à une assemblée globale unifiée. Un tel processus est supposé permettre l’intégration de plusieurs groupes neuronaux en un processus neuronal unique et cohérent (Tononi

& Edelman, 1998). Les nombreuses données des études d’imagerie structurales et fonctionnelles ont permis d’avancée l’idée selon laquelle la schizophrénie résulterait d’un dysfonctionnement de la connectivité corticale. Ce qui a donné lieu à « l’hypothèse de dysconnectivité » (Friston

& Frith, 1995). Ce concept du dysconnectivité n'est pas nouveau dans le champ de la psychiatrie. Le terme se rapporte à une rupture de l’interconnection des fibres qui lient les régions du cerveau. Cette idée a été différemment utilisée pendant plus d’un siècle dans l'histoire de la neurologie. Dès 1906, Wernicke considère que les maladies psychiatriques résultent de perturbations des systèmes associatifs dans le cerveau.

Bleuler, adoptant une vue psychologique des désordres psychiatriques, décrivait la schizophrénie en terme de dissociation des fonctions psychiques. Ainsi, la schizophrénie résulterait d’une altération de la communication entre diverses structures cérébrales plutôt que d’une altération des structures elles-mêmes (Friston, 1998 ; Tononi & Edelman, 2000).