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l’interaction verbale

3.3. Méthode de recueil des données

3.3.2. Des entretiens clinico-conversationnels

Comme le rappellent Blanchet et Gotman (1992 : 9), l’entretien est à l’origine un type de rapport social appartenant au langage diplomatique qui désigne une conversation d’égal à égal. Traditionnellement, il est possible de répertorier une orientation directive, une orientation semi-directive et non semi-directive de l’entretien. La première se réfère essentiellement à une technique d’enquête particulière (Blanchet, 2000), la seconde se rapporte à un type d’intervention dans lequel l’interviewer élabore au préalable un « guide d’entretien » ; la troisième orientation a, quant à elle, été formulée par le psychothérapeute Carl Rogers (1945).

Associé à une forme d’observation ethnologique (Blanchet et al., 1992), l’entretien concerne également une certaine forme de « récit de vie ». C’est ainsi que Blanchet, reprenant les termes de Labov et Fanshel (1977), définit l’entretien : « un entretien est un « speech event » dans lequel une personne A extrait une information d’une personne B, information qui était contenue dans la biographie de B » (Blanchet, 2000 : 82).

Pour Trognon (2003), alors que l’entretien clinique est une source de connaissances sur l’interaction conversationnelle et qu’il constitue une base de données disponibles pour des études approfondies (Duncan &

Fiske, 1977), il était jusqu’alors peu étudié en tant qu’entité. Cependant, depuis un certain temps déjà, les travaux réalisés par Blanchet, par Trognon et son équipe (Groupe de Recherche sur les Communications, Nancy 2) ainsi que par le Groupe de Recherche sur la Parole (Paris 8), autour de Rodolphe Ghiglione, ont largement contribué à dégager un certain nombre de phénomènes qui s’y déroulent.

C’est d’ailleurs à Blanchet (1991, 1998) que nous devons d’avoir établi une classification des différents types de relance, sur différents registres, et d’avoir montré expérimentalement que ces interventions, dans un contexte thérapeutique (Masse, Blanchet & Poitrenaud, 1999) opèrent des modifications sur un ensemble de croyances que le patient a sur le monde ou sur lui-même, dont le tableau 3.3. ci-dessous rend compte :

Tableau 3.3. - Effets des relances sur les discours subséquents des

«interviewés». D’après Blanchet (1991, 1998) et Masse (1999).

Type d’acte Registre Type de relance Effet de la relance

Déclaration

modal Interprétations - Effets de résistance (par des modalisations de négation)

référentiel Complémentations

- Construction d’un discours qui tend vers la neutralité et la référentialisation

Interrogation

Modal Questions modales

- Remise en question de la vérité/sincérité du locuteur

Référentiel Questions référentielles

- Effet d’influence, voire de résistance et de radicalisation de l’opinion

réitération

Modal Reflet - Remise en question de la

vérité/sincérité du locuteur

référentiel Echo

- Accroissement de la modalisation dans le discours subséquent (allant dans le sens d’une opacification discursive)

A partir de ces travaux expérimentaux, Blanchet note que toute relance entendue comme une remise en question de la véracité et de la validité des propos tenus par le patient possède ainsi des effets d'influence sur l'opinion de ce dernier.

L’entretien, comme outil du psychologue, permet d’étudier le fait de parole lui-même et les faits dont la parole est le vecteur. Son utilité est admise mais, comme le formule Blanchet, « l’entretien ne répond pas aux critères minimaux qui caractérisent un outil scientifique », précisant encore que

« l’entretien est un dispositif de recherche dont nous ignorons à quel égard et à

quel type d’interrogation il soumet la réalité observée » (Blanchet, 1985). La définition de l’entretien proposée par Blanchet correspond à un entretien entre deux personnes, un interviewer et un interviewé, conduit et enregistré par l’interviewer ; ce dernier ayant pour objectif de favoriser la production discursive linéaire de l’interviewé sur un thème défini dans le cadre d’une recherche. L’entretien repose donc sur la triade interviewer-interviewé-situation dans laquelle se déroule le discours, et à partir de laquelle va s’opérer une co-construction. Le clinicien se doit ainsi de tenir compte de trois critères : le cadre de la pratique, l’objectif de l’entretien et les caractéristiques de l’interviewé. L’entretien est donc pertinent lorsque la recherche porte sur les représentations d’un sujet, sur la production d’un objet du discours, sur les rapports que le sujet entretient avec l’objet dont il parle.

Les entretiens de type conversationnel qui ont été menés pour recueillir les données nécessaires à notre recherche conservent certaines caractéristiques des entretiens cliniques et de recherche mais présentent aussi des différences fondamentales. En effet, ce ne sont ni des entretiens thérapeutiques (cf. Blanchet, 1998 ; Proia, 2003) ni des entretiens à visée d’évaluation (cf. Ervin-Tripp, 2002 ; Veneziano & Hudelot, 2002 ; Peter-Favre & Drechsler, 2002). Il s’agit d’entretiens de type conversationnel.

L’objectif était de converser de façon naturelle et informelle afin de recueillir un matériel verbal qui serait analysé a posteriori. Dans ces entretiens conversationnels, l’interlocuteur chercheur en psychologie avait la possibilité de faire en sorte que les places interviewer-interviewé puissent être changeantes. En effet, il s’agissait d’engager la conversation comme cela aurait pu se faire en situation de la vie quotidienne. Les thèmes ne sont donc plus définis à l’avance (excepté la consigne de départ). Il s’agit donc plus de conversations casuelles (« à bâtons rompus ») considérées généralement comme fondatrices d’autres types d’interactions verbales.

Nous constatons d’abord que ces interactions associant un sujet schizophrène à un allocutaire « normal » s’apparentent peu ou prou à la conversation. D’une façon générale, la conversation est un objet essentiellement dynamique où les processus cognitifs de traitement de l’information des interlocuteurs sont d’une part en activité constante,

d’autre part soumis au flux continu de facteurs contextuels ou internes qui viennent influer sur leur dynamique. Dans le même temps, ces interactions verbales sont plus que de la simple conversation à bâtons rompus sans relever pour autant du dialogue finalisé.

Ici, la conversation est envisagée empiriquement comme une situation naturelle d’usage de la langue (Clark, 1996, 1999) et d’exercice de l’intercompréhension (Trognon & St Dizier, 1999 ; Trognon, 2001) se constituant en produit émergent de l’activité conjointe de ses participants (Clark, 1996, 1999 ; Trognon, Musiol & Kostulski, 1999 ; Bernicot & Trognon, 2002). Les locuteurs deviennent des interlocuteurs qui contribuent par leurs interventions réciproques à la progression du déroulement conversationnel, activité conjointe où les actions sont apériodiques, déséquilibrées et alternantes (Musiol & Trognon, 1999).

Cependant, Grossen et Trognon (2002 :148) expliquent que la conversation ordinaire, “prototype de la conversation symétrique”, n’est en fait qu’une forme idéalisée de la conversation et que la plupart des conversations découvrent des asymétries à différents niveaux (participation de chacun, gestion du discours, intérêts…).

Concernant maintenant le statut de l’interlocuteur qui a réalisé les entretiens, il n’est ni médecin ni psychologue en fonction, il est présenté comme un chercheur en psychologie qui s’intéresse, de façon générale, à la manière dont les patients vivent leur prise en charge institutionnelle et dont ils s’occupent. Ce sont les médecins responsables des différents services qui ont sollicité les patients à venir nous rencontrer si ces derniers étaient intéressés et l’ensemble des entretiens s’est déroulé dans des structures hospitalières spécialisées (bureau médical ou salle d’ergothérapie de l’hôpital). Et il ne fait aucun doute que le dispositif contextuel dans lequel l’entretien est réalisé est dépendant de l’environnement matériel et social (Blanchet & Nathan, 1991 ; Grossen &

Trognon, 2002). Cela présuppose alors de déterminer la place de l’intervenant et le dispositif qui lui est indissociablement lié (Blanchet, 1997 ; Masse, 1999). Ainsi, bien que l’interlocuteur n’exerçait aucune fonction et que le but n’etait autre que d’échanger, il est intéressant de noter que, dans ces corpus conversationnels, on retrouve parfois de nombreux indices invitant à penser que le patient assume un rôle « de

patient », comme s’il se trouvait dans une situation institutionnelle l’opposant à un représentant du personnel médical ou thérapeutique.

C’est en ce sens que ces entretiens s’apparentent à de l’entretien clinique.