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1. LA PROBLÉMATIQUE DE L’ÉTUDE

1.3 La formation à l’enseignement professionnel

1.3.1 Limites de la formation théorique

Plusieurs chercheurs (Gauthier et al. ,1997; Boutet, 1999; Maurice, 2006) émettent des doutes sur la capacité des enseignants débutants à pouvoir maîtriser les savoirs de l’enseignement au cours de leur formation. Selon Maurice, «il ne s’agit pas de tenter de dire que les savoirs diffusés en formation initiale sont inopérants, mais de prendre en compte l’importance des premiers pas sur le terrain» (2006 : 54). Il est d’avis que la connaissance de ce que fait un enseignant est insuffisante à rendre transmissible un savoir-faire. Le savoir d’action révèle des compétences explicitées du savoir-faire du praticien. Il donne des informations sur les interventions des experts. Et ces renseignements sont indicateurs des situations d’enseignement et des contextes de leur déroulement. Toutefois, ils ne permettent pas de saisir de façon explicite l’opérationnalité du processus cognitif mis en œuvre dans l'apprentissage de ces actions.

En effet, prenons ce modèle. Un chirurgien peut communiquer les actions entreprises dans les interventions cardiovasculaires. Cette information ne le rend pas pour autant apte à opérer des malades du cœur :

Ainsi, en formation initiale, pour un novice, toute réflexion sur les interventions pédagogique n’est que réflexion sur la pratique d’autrui. Si l’œuvre de Piaget permet parfois de justifier la réflexivité comme abstraction réfléchissante, elle favorise la considération qu’un novice devra construire ses interventions pédagogiques par adaptation à un milieu qui lui résiste, et que, en ce qui

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concerne l’enseignant, ce milieu de résistance n’entrera en jeu que lorsque le novice sera en poste (Maurice, 2006 : 54).

En définitive, le savoir-faire est l’habileté acquise par un acteur en «faisant». Suivant le processus de maturation cognitif qui se dégage des interventions d'enseignement, il est intégré et développé par la personne en situation d'exercice de la profession. L’étude expérimentale de Nguyen (2011) montre les limites de l’exposition aux savoirs d’expérience pour le développement des savoir-faire en enseignement, à partir de la formation initiale.

Nguyen (2011) a examiné la qualité de la formation initiale à l’enseignement quant à la préparation de l’entrée des enseignants débutants dans la profession enseignante. Il a principalement cherché à comprendre comment les dispositifs professionnels universitaires qui conduisent à expliciter les pratiques d’enseignement oral du français préparent les étudiants vietnamiens à l’enseignement du français. Il a effectué des observations, des séances d’enseignement, des observations des pratiques initiales de l’enseignement et des entretiens semi-directifs auprès des formateurs. Il s’agissait d’identifier les pratiques dans l’enseignement de l’oral à l’université et les comparer avec les besoins du terrain.

Par rapport aux données recueillies, l’auteur a remarqué que la formation initiale conduit les enseignants débutants à construire les connaissances qui leur permettent d’être à l’aise au niveau des connaissances des contenus à enseigner. Par contre, il a noté aussi des faiblesses au niveau de la maîtrise des savoirs pour enseigner, comme la formulation de questions et de consignes claires et la planification des activités d’enseignement. Selon Vahulle (2009), ces savoirs, pour enseigner, qui proviennent des réflexions du senti de l’enseignant en action ne peuvent se transmettre lors de la formation initiale : ils sont le fait de la subjectivation des connaissances offertes. Ces dernières résultent d’une reconfiguration personnelle de multiples connaissances de référence, conseils des formateurs, prescriptions diverses, qui ne peuvent prendre forme et sens que dans l’expérience singulière vécue et analysée par l’étudiant par rapport à son expérience de la pratique professionnelle.

En fait, l'apprentissage des savoirs ne se réalise que dans « la quête de logiques d’actions se fondant sur les conceptions et l’identification à la profession pour pouvoir

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exercer que le sujet se représente comme acceptable pour soi et pour autrui» (Vanhulle, 2009 : 249).

En conclusion, à partir des connaissances de la formation initiale et par rapport au contexte de son intervention, l’étudiant filtre, transforme et formalise dans son « style », des savoirs qui lui paraissent dans un premier temps utiles et acceptables au vu de la réalité de sa classe et de son enseignement. C’est donc par rapport à cette réalité de la pratique du terrain que la construction du savoir-faire professionnel s’amorce.

Tout comme Nault (1993); Neale et Johnson (1994); Reynolds(1995); Gauthier et

al.(1997); Boutet (1999); Chouinard (1999); Ria, Saury, Sève et Durand(2001);

Saujat(2004); Maurice (2006); Duchesne et Kane (2010) émettent des réserves par rapport aux approches de développement professionnel qui sont privilégiées dans la formation initiale, quant à la capacité des enseignants débutants de disposer de tous les outils pour être opérationnels à la sortie de leur formation pédagogique de dix mois. Le MÉO avait mis en place un projet pilote auprès de onze universités offrant le programme de formation initiale à l’enseignement. Seules six universités avaient pris part au projet-pilote qui s’échelonnait sur une période de deux ans, allant de l'automne 1995 au printemps 1997.

Le but du projet était, entre autres, de voir dans quelle mesure l’établissement d’un programme de formation visant à intégrer toutes les matières pouvait améliorer les habiletés pratiques des enseignants lors de leur entrée dans la pratique professionnelle. De plus, l’étude de Lataille-Démoré (1998) qui est une recherche empirique auprès des six universités de l’Ontario consiste à comprendre dans quelle mesure la formation du personnel enseignant intègre l’ensemble des matières de la formation à l’enseignement, pour développer la capacité des futurs enseignants à utiliser leurs connaissances pédagogiques et didactiques en fonction des exigences de la pratique efficace de la profession. Les méthodes utilisées comprennent l'analyse du contenu des programmes officiels et l'entrevue semi-dirigée individuelle auprès de chaque administrateur de programme. Les entrevues ont été enregistrées, transcrites et soumises à une analyse de contenu. Le plan d'entretien comprend des questions générales et des questions ouvertes.

L'analyse des données, faite dans une perspective qualitative, porte sur le contenu des entretiens. Les documents officiels assurent une certaine validité concomitante aux

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propos plus descriptifs. L’étude mixte a été réalisée à partir de traitement de données fait de façon inductive alors que d’autres l'ont été à partir des systèmes de classification de Fogarty (1991) ; Legendre (1993) ; et de Lenoir (1993). L’interprétation des données fait ressortir des problèmes sur les connaissances des enseignants pour en faire une intégration sérieuse, enrichissante, permettant le développement des habiletés attendues.

Les carences constatées au niveau des connaissances de la matière illustrent l’incapacité du développement des compétences didactiques et touchent l'analyse des contenus des programmes, leurs liens, ainsi que la détermination des modes d'intervention les plus appropriés en vue d'un enrichissement mutuel des matières. En outre, la compétence pédagogique comprend la mise en œuvre d'un processus d'enseignement et d'apprentissage favorisant la saisie des liens existants et la création de liens nouveaux. Au terme de sa recherche, l’auteur suggère une formation disciplinaire plus poussée qu’auparavant et davantage de préparation en planification tant sur le plan didactique que pédagogique.

Néanmoins, l’étude de Lataille-Démoré (1998) montre ses limites sur le plan méthodologique. D’où la question suivante. Comment les entretiens avec les administrateurs des programmes de formation permettent-ils de mesurer les habiletés qui sont ou non développées par les étudiants ? De même, si l’analyse des projets-pilotes est liée aux théories de l’intégration des matières de Fogarty (1991) de Legendre (1993) et de Lenoir (1993), une telle identification autorise-t-elle uniquement une appréciation essentiellement théorique des projets ? Permet-elle de rendre compte, de façon empirique, de l’effet de la formation sur les étudiants ?

Les éléments du contenu de l’étude ne permettent pas de répondre positivement à ces questions. Cependant, ils ont moins l’avantage d’évaluer le programme de la formation initiale. De ce point de vue, il appert qu’il existe un écart entre les objectifs de la formation initiale et les attentes des interventions sur le terrain. Joyce (1988) souligne la même difficulté pour les étudiants pour établir des liens avec leurs cours théoriques et la pratique, non seulement en raison de la distance entre le contexte de formation et celui de la pratique professionnelle, mais aussi en raison du fossé entre les réalités de la formation et les particularités de l’entrée dans la profession.

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En effet, même si les contenus d’enseignement de la formation initiale sont puisés dans les expériences vécues par les enseignants sur le terrain, ils sont essentiellement théoriques. Et ne peuvent être considérés par les enseignants débutants que de façons abstraites. C’est un point de vue souligné par Darling-Hammond, Hammerness, Grossman, Rust et Shulman (2005). Ces auteurs considèrent qu’entre ces connaissances abstraites et le vécu sur le terrain de l'exercice de l'enseignement, un réel décalage est constaté entre ce qui est dispensé dans les cours théoriques et ce qui est appris sur le terrain.

Dans des travaux antérieurs, Huberman (1989), Calderhead (1989) et même après, Boutin (1999), Gervais (1999) et Mukamurera (2008) rapportent les préoccupations, après coup, des enseignants débutants qui jugent que la formation paraphée est insuffisante. Elle ne prépare pas adéquatement à la réalité concrète de la profession et n’accorde pas suffisamment de place à la formation pratique. Ce que corroborent Mangez, Delvaux, Dumont et Dourte (1999) quand ils affirment que cette formation ne met pas assez l’accent sur l’intervention auprès des élèves en difficulté. Pourtant, John (1991), Grossman (1991) et Brown (1993) ont apporté aux critiques faites sur l’insuffisance de la formation initiale un autre point de vue. Ils considèrent qu’il serait injuste de faire correspondre les difficultés vécues par les enseignants débutants au manquement de la formation initiale. Car plusieurs d’entre eux abandonnent une partie des savoirs acquis en formation initiale, «savoirs perçus comme inutiles», lors de leur insertion professionnelle, préférant improviser. Cela peut expliquer en partie la perception du défaut de la déficience de la formation initiale.

Pour leur part, Norman et Feiman-Nemser (2005) considèrent que la formation initiale n’est pas destinée au développement des habiletés pratiques de l’enseignement. Les apprentissages pratiques ne peuvent être réalisés autrement qu’en situation d’exercice de l’enseignement. Ces auteurs font remarquer également que la théorie est donnée dans un cadre scolaire sans expérimentation. On ne peut s’attendre à ce que l’étudiant maîtrise entièrement la pratique de l’enseignement. Car la formation initiale vise le développement de la réflexion sur les actions pédagogiques afin de doter les étudiants des connaissances pédagogiques et des aptitudes qui servent à leur inculquer, lors de l’insertion professionnelle, les savoir-faire professionnels. Et cette formation initiale ne peut donc que servir à évoquer les savoirs d’expérience des enseignants pour construire les connaissances de l’enseignement et non les habiletés de la pratique professionnelle.

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