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1. LA PROBLÉMATIQUE DE L’ÉTUDE

1.4 L’insertion professionnelle à l’enseignement

1.4.3 L’apprentissage par l’accompagnement réflexif dans le cadre du mentorat

1.4.3.3 Le soutien à la socialisation professionnelle

L'anthropologue Oberg, utilise l'expression « choc culturel » pour décrire le phénomène social que vit l’individu lorsqu’il se retrouve dans un univers social où il éprouve des difficultés d’adaptation. Il explique la situation ainsi :

Le choc culturel survient à cause de l'anxiété provoquée par la perte de toutes nos références et de tous nos symboles connus dans l'interaction sociale. Ceux-ci incluent les façons de se situer par rapport aux circonstances de la vie : quand donner la main et quoi dire lorsqu'on rencontre des gens, quand et comment donner des pourboires, comment faire des achats, quand accepter ou refuser les invitations, quand prendre ce que disent les gens au sérieux ou non. Ces références et symboles qui peuvent être des mots, des gestes, des expressions faciales, des coutumes ou des normes, sont acquis au

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cours de notre éducation et font partie de notre culture autant que notre langue ou les croyances auxquelles nous souscrivons. Nous dépendons tous pour notre paix intérieure et notre efficacité de ces centaines de signaux, dont nous ne sommes pas conscients pour la plupart (Oberg, 2007 : 211).

Aussi, lorsqu’un individu arrive dans un milieu nouveau et qu’il est confronté à des normes différentes des siennes, il vit, selon Baillauquès
(1999) et Boutin (1999) un conflit cognitif. Pour Piaget, il s’agit d’une confrontation à un problème social entre deux individus ou même entre un individu et l’environnement social comme c’est le cas pour les enseignants débutants. Ces enseignants ont une vision idyllique de l’enseignant compétent et de la réalité professionnelle dans leur contexte d’insertion professionnelle.

Interprété de cette manière, ce conflit crée un malaise et une sensation de mal-être professionnel chez les enseignants débutants, qui se traduisent par une incapacité à savoir agir par rapport à la plupart des situations professionnelles. Devant une telle situation, l’enseignant débutant ne peut décoder les différents signes du contexte de son intervention pédagogique, il va vivre dans l’inquiétude.

Le choc de la réalité concerne également les enseignants expérimentés lors d’un changement d’environnement ou de conditions de travail, ce qui les pousse à douter de leurs aptitudes au regard des défis à relever. Ce choc conduit certains enseignants débutants, surtout les plus fragiles, à une crise psychologique et socioprofessionnelle (Baillauquès, 1999). Pendant cette période de turbulence, ces enseignants sont angoissés, manquent de confiance, demeurent impuissants et développent un sentiment d’incompétence professionnelle (Martinau & Corriveau, 2001).

De façon générale, les conclusions d’études sont unanimes. L’insertion professionnelle des enseignants débutants est pénible dans cinq secteurs bien identifiés : le conseil scolaire, la communauté scolaire, l’école, la classe et l’adaptation de l’enseignant. Ce qui émerge de chacun des domaines, c’est le besoin de soutien professionnel. On constate que les programmes d’aide dans le domaine de l’insertion sont pour la plupart un laisser-faire (Weva, 1999). « Il arrive qu’une relation d’aide se développe entre un enseignant expérimenté et un enseignant débutant. Cependant, en l’absence d’une structure et/ou d’un suivi rigoureux, cette relation devient informelle et ne répond pas, la plupart du temps, aux besoins réels de l’enseignant débutant (Weva 1999 : 196). « À cause de ce

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laisser-faire », les enseignants novices se trouvent, dès le premier jour de classe, à assumer la pleine responsabilité de celle-ci, sans supervision et sans un programme d’appui. Angelle (2002) illustre cet état de la situation de façon éloquente dans sa recherche de type qualitatif pour explorer l’expérience de socialisation des enseignants débutants de quelques écoles considérées comme les plus efficaces et les moins efficaces de la Louisiane, aux États-Unis d’Amérique.

En ce sens, l’efficacité des écoles a été déterminée selon le rendement scolaire des élèves, et calculée chaque année par le département d’éducation de Louisiane. La collecte des données s’est faite en deux phases. Premièrement, par des entrevues avec les administrateurs et les mentors, et dans un second temps, par l’observation informelle de l’organisation scolaire et de la culture de l’école lors de la visite de chacun des établissements scolaires. L’échantillon comprenait 10 écoles : 5 plus efficaces et 5 moins efficaces. Le questionnaire a visé à examiner les différences dans les soutiens apportés aux enseignants débutants tant du point de vue de la conduite du mentorat, en observant aussi bien le rôle des mentors; l’aide administrative donnée aux enseignants débutants et les méthodes de leur recrutement.

Pour l’analyse des données, la recherche est basée sur un cadre théorique construit autour de plusieurs études descriptives de la socialisation (Wells, 1984; Fox et Singletary, 1986; Jordell, 1987 ; Nigris, 1988; Zeichner et Gore, 1990; Su, 1992; Gratch, 1998). En définitive, ces études montrent qu’une socialisation réelle influence l’efficacité de l’enseignant novice dans son engagement professionnel. Elles indiquent aussi que cet enseignant trouve dans l’école où il est engagé, le soutien éducatif nécessaire au développement de ses aptitudes et l’intérêt pour l’enseignement. Les résultats des entrevues et des observations faites montrent que dans les cinq écoles les plus efficaces, quatre ont un programme de mentorat efficace et proactif.

Dans ces écoles, il existe un travail d’équipe qui conduit les mentors à offrir un accompagnement de qualité aux enseignants débutants et à les rencontrer fréquemment. De plus, le soutien des collègues se caractérise par l'assistance et l'appui. Ce soutien est primordial dans l'adaptation de l’enseignant débutant à son milieu de travail. Il faut aussi remarquer que la facilité d'approche des collègues donne un sentiment de confort et de

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sécurité à l'expatrié, qui induit, en conséquence, une meilleure adaptation à son milieu de travail.

Par contre, dans les écoles les moins efficaces, les enseignants ne peuvent offrir leur aide; l’existence des programmes de mentors est utilisée de façon informelle. Tandis que dans les écoles les plus efficaces, la direction effectue des visites fréquentes, dans les écoles les moins efficaces, les visites sont rares. De plus, les directions des écoles les moins efficaces rendent moins de visites pour répondre aux demandes de l’État, alors que dans le cadre des écoles les plus efficaces, les visites des directions d’écoles répondent au besoin d’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des élèves. Dans les écoles les moins efficaces, l’étude démontre que la plupart des enseignants débutants vivent de grandes difficultés professionnelles, et presque la moitié d’entre eux ont manifesté le désir de quitter la profession.

Certains enseignants débutants font état du manque d’accueil et de soutien reçus par leurs collègues, et notent une attitude de mépris ou d’évitement envers eux. Parfois, le débutant est mal à l’aise, il n’ose pas demander conseil ou poser des questions par peur d’être jugé. Plusieurs enseignants débutants se sentent isolés et souvent démunis pour entrer en contact avec les parents de leurs élèves. Effarouchés par ces parents, inexpérimentés, ils établissent difficilement avec eux une relation de qualité. Ces parents peuvent être méfiants par rapport à leur manque d’expérience ou critiques envers les pratiques non novatrices ou inefficaces. Pour cela, les rencontres parents-enseignants constituent souvent pour les enseignants débutants un moment de grande crainte. L’enseignant débutant est mis dans la même situation de difficulté et de complexité que l’enseignant expérimenté (Wood, 2005). La direction de l’école joue un rôle auprès des enseignants débutants, mais trop souvent, elle est débordée et indisponible. Breuse (2006) constate aussi que ceux qui ont la chance d’avoir des contacts ouverts et directs avec la direction de l’école s’en montrent très heureux et considèrent que cette situation a favorisé leur adaptation et leur appréciation de la profession. À cet effet, Angelle (2002) conclut qu’une intégration efficace est un processus mis en place par l’école pour faciliter la socialisation du nouvel enseignant et lui permettre de s’adapter convenablement à son nouvel environnement de travail. Pour ce faire, un soutien organisationnel sur deux aspects est indispensable. Le premier correspond à l'infrastructure, soit les conditions dans lesquelles l'enseignant débutant doit exercer ses

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fonctions, et le second est une contribution physique, émotionnelle ou symbolique apportée aux individus, augmentant leurs capacités nettes à relever le défi du changement.

C'est le soutien de l’autorité supérieure qui revêt cette fonction afin d'encourager l’enseignant débutant à accomplir ses tâches. Il est aussi de la responsabilité du système scolaire de procurer une expérience d’insertion qui va favoriser le développement professionnel des enseignants débutants et contribuer à leur désir de demeurer dans la profession.

Pour aborder dans le même sens, dans une autre étude qualitative menée au Texas, Angelle (2002b) estime que la direction de l’école doit jouer un rôle de leader pédagogique en engageant les nouveaux enseignants dans des discussions sur la pratique enseignante et en les assistant dans leur développement professionnel. En outre, la direction de l’école peut réduire le sentiment d’isolement des novices, en effectuant de fréquentes observations, et améliorer leur efficacité en leur offrant une rétroaction régulière et constructive (Hope, 1999; Angelle, 2002b). La direction de l’école influence également l’encadrement et le soutien donnés par les autres collègues enseignants.

En dehors de ce soutien, l’étude montre que même les enseignants débutants qui ont parfaitement complété leur stade de développement professionnel à l’étape de la formation initiale peuvent connaître des difficultés d’insertion sociale. Ce que montre Bullough (1989) dans une étude de cas de la première année d’enseignement d’une enseignante débutante, Kerrie, enseignant en septième année dans une école publique. Là, l’auteur indique que la façon dont la débutante va vivre sa première année d’enseignement a une grande influence sur ses développements personnels et professionnels futurs. Kerrie a été sélectionnée parmi 22 étudiantes universitaires à l’enseignement secondaire. Elle figurait dans le groupe des meilleures étudiantes de la cohorte. Ayant de multiples qualités associées au succès en enseignement (enthousiasme, sens de l’humour, intelligence, habileté à communiquer clairement et à varier les méthodes d’enseignement), elle a été employée suffisamment à l’avance pour pouvoir se préparer à son année d’enseignement, souhaitant fournir le temps et l’énergie nécessaires pour cette étude. Kerrie a 29 ans et elle est mère de deux enfants.

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De façon générale, pour les débutants en première année d’enseignement, il est difficile de planifier un scénario d’enseignement. Ils ne connaissent, la plupart du temps ni les élèves, ni leurs collègues de travail, ni le matériel disponible. En outre, ils n’ont pas toujours l’expérience requise ou le niveau de la matière à enseigner. Ils se créent alors un scénario simplifié.

Afin de se faire une certaine idée des élèves à sa charge, Kerrie s’est basée sur son expérience de mère, et surtout d’élève de septième année. Or, elle n’avait jamais enseigné de cette façon. Pour se rassurer, elle a consulté les activités planifiées par d’autres enseignants du même niveau. Durant la phase de survie, de nombreux problèmes survinrent. Kerrie comprit alors l’importance de bien planifier la discipline. Après six mois d’expérience, elle indique planifier davantage les périodes de transition et les déplacements. Cependant, elle n’a pas anticipé plusieurs situations responsables de problèmes de gestion : que faire avec les élèves qui ne terminent pas leur travail ? Quelle procédure appliquer quand les élèves sont en retard ou absents ? Quels sont les gestes entraînant une expulsion de la classe ? Ou comment effectuer les transitions d’une activité à l’autre ?

En somme, indépendamment du déficit ou de la réussite de la socialisation au stade de la formation initiale, si aucun soutien professionnel de socialisation n’est offert à l’enseignant lors de son insertion professionnelle, il éprouve de grandes difficultés pour intérioriser les connaissances et les savoirs de sa profession en vue de construire son identité professionnelle.