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Chapitre 6 : Discussion et retour sur les résultats

6.3 Limites, apport social et scientifique

La rencontre des individus que nous avons convenu d’appeler démunis dans cette recherche n’a pas été sans difficulté. Nous avons très bien senti certains coordonnateurs-animateurs nous ont dirigés vers les jardiniers les plus sociables et les projets les plus prometteurs afin de se montrer sous leur meilleur jour et d’épargner certains individus plus défavorisés. Par contre, le fait d’avoir parcouru bon nombre de jardins issus d’organisations et de quartiers différents nous a permis de pallier en partie à cette lacune. D’un point de vue social, nous croyons que l’enquête réalisée éclairera les organisateurs sur les attentes de certains jardiniers. Toutefois, nous sommes conscients que notre recherche se penche principalement sur un type de jardinier en particulier, mais d’autres recherches sur l’agriculture urbaine montréalaise auparavant ont su exposer les

129 motivations liées aux autres clientèles. Même si le projet de jardin est caractérisé de collectif, il semble quand même possible pour les individus de garder une certaine distance avec les autres jardiniers, ce qui n’exclut pas la présence d’individus plus timides, avec un capital social plus restreint et qui possèdent des motivations sociales plus limitées. Dans une situation d’effervescence, comme c’est le cas actuellement pour l’agriculture urbaine à Montréal13, notre

travail permettra d’éclairer notamment les programmateurs sur les retombées spécifiques aux jardins collectifs et sur les difficultés encourues par les acteurs locaux. De plus, cela permettra aussi aux coordonnateurs-animateurs de disposer d’un regard extérieur neutre sur leur pratique et de la perception de quelques-uns des participants qui ont tiré profit de leurs efforts à l’été 2011. De façon plus large, nous évoquons aussi plusieurs questionnements en lien avec le phénomène de la pauvreté, dont les faiblesses de notre système d’assistance sociale québécois comme l’ont exprimé certains participants. Le montant alloué est bien en deçà (environ la moitié) du seuil de faible revenu calculé à partir de la mesure du panier de consommation. Nous constatons que même chez les individus avec un capital social préexistant, certains se retrouvent en situation d’insécurité alimentaire. La gymnastique budgétaire qui doit être exercée par les individus afin de couvrir les frais liés aux besoins essentiels de façon convenable n’est pas de tout repos et se fait aux dépens du montant alloué à l’alimentation. Dans une telle situation, le capital social, la culture alimentaire et le capital culinaire des individus prennent toute leur importance et déterminent leur état de santé et capacité à participer à la société. Les décideurs publics ont donc un rôle crucial à jouer afin de limiter le niveau de précarisation de ces individus. Ceci peut se traduire par plusieurs actions de la part des programmateurs venant appuyer (ou en continuant d’appuyer) des interventions existantes qui contribuent et parviennent déjà à développer du capital social et culinaire à l’échelle locale. Toutes les initiatives d’agriculture urbaine communautaire ne poursuivent pas les mêmes objectifs et ne sont pas nécessairement efficaces de la même façon.

D’un point de vue scientifique, notre enquête permettra d’éclairer les chercheurs qui s’intéressent à l’agriculture urbaine du pan communautaire et montréalais de l’expérience. En effet, à l’heure

13 Le 15 novembre 2011, le Groupe de travail en agriculture urbaine a recueilli 29 068 signatures requérant la tenue d’une

consultation publique sur l’état de l’agriculture urbaine à Montréal a été déposée. La consultation a été obtenue en vertu du droit d’initiative, inclus dans la Charte montréalaise des responsabilités. Une séance d’information publique et des séances de consultations publiques ont eu lieu durant le mois de mai et de juin 2012. Près de 1 500 personnes ont participés aux activités organisées par l’Office et 103 mémoires ont été déposés. (OCPM 2012b)

actuelle, il existe de multiples formes de projets d’agriculture urbaine et périurbaine14, qui poursuivent des objectifs bien différents des organismes étudiés dans cet ouvrage. Notre recherche se penche principalement sur le champ des opportunités que peut offrir un réseau communautaire de soutien pour les individus démunis participants à une activité collective de jardinage et abonde dans le même sens que certaines études liées à l’empowerment sans toutefois mettre l’accent principal sur le retour au travail. Les résultats observés peuvent aussi être transposables et comparables à d’autres types d’organismes participatifs qui travaillent en sécurité alimentaire ou autres domaines. En effet, notre projet s’insère dans une dynamique beaucoup plus large qui englobe un éventail d’organismes et d’initiatives qui tentent d’apporter des solutions partielles aux problèmes liés à l’insécurité alimentaire des ménages pauvres à l’échelle montréalaise.

Notre étude pourra ainsi être utile aux chercheurs qui s’intéressent au concept d’autonomie et à la notion d’empowerment, que nous avons tenté de mettre en relation avec le concept de sécurité alimentaire, abondamment utilisé ces dernières années. Notre recherche a permis de faire émerger le concept de capital culinaire qui nous semble particulièrement intéressant, car il représente en quelque sorte les capacités valorisées par les individus (compétences durables) en ce qui a trait à la cuisine (préparation des aliments en vue de leur consommation). Le capital culinaire peut être activé par la valorisation de la conscience alimentaire (intentions, choix éclairés) chez les individus et du même coup leur permettre de développer de l’autonomie alimentaire et, de surcroit, réduire la vulnérabilité des individus face à des périodes d’insécurité alimentaire. Bien qu’il n’y ait rien de totalement nouveau dans cette affirmation, il nous semble que le concept de capital culinaire permet d’expliciter le processus qui permet d’acquérir de l’autonomie alimentaire au niveau individuel.