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Concordance entre la perception des jardiniers et la perception des organisateurs par

Chapitre 6 : Discussion et retour sur les résultats

6.1 Concordance entre la perception des jardiniers et la perception des organisateurs par

Bien que tous les jardiniers aient en commun de vouloir se divertir et d’avoir du plaisir, il existe une variété d’attentes chez les participants rencontrés. Plusieurs jardiniers démunis ont évoqué comme motivation à participer à l’expérience, leur désir de bénéficier des légumes frais gratuitement, de rencontrer des gens, d’apprendre à jardiner, de connaître de nouvelles ressources communautaires, et d’apprendre sur l’alimentation. Nous avons constaté que certains participants se sont retrouvés dans des projets qui ne correspondaient pas nécessairement à leurs attentes personnelles, même s’ils s’y sont impliqués intensément. La communication entre l’animateur et les participants semble parfois défaillante et les outils de communication désuets, ce qui influence la qualité des apprentissages pour les participants. La capacité des animateurs à pouvoir mobiliser les jardiniers, de répondre à leurs questionnements en ce qui a trait aux plants, à leurs utilisations concrètes dans la vie quotidienne et aux ressources communautaires, influencent leur appréciation et du même coup, la quantité de capital social acquise à travers l’expérience. Les jardiniers ayant participé à des projets qui ont moins bien fonctionné (faible participation, faible production, animateur moins compétent, projet plus récent) ressortent frustrés et ont l’impression

d’avoir été utilisés simplement pour leur force de travail. Ceci rejoint la théorie de Portes (1998) qui prétend que le capital social n’est pas nécessairement juste et bon, mais parfois injuste et négatif. La réalité sociale derrière l’intervention y est pour quelque chose. La participation réduit généralement au fur et à mesure que l’été avance (sauf durant la période des récoltes), ce qui rend la charge de travail plus lourde pour les jardiniers restants. Comme l’évoque aussi Bourdieu (1980), le capital social peut devenir trop lourd pour les individus qui ne sont pas en mesure de s’impliquer suffisamment. Ainsi, l’initiative devient beaucoup moins attrayante pour des individus qui tentent de briser l’isolement ou qui viennent dans le but de se divertir tout en désirant bénéficier de la production. Il est aussi intéressant de constater que très peu de jardiniers démunis ont assisté aux conférences données en dehors des périodes de jardinage.

Selon les dires des jardiniers, l’agriculture urbaine communautaire ne s’adresse pas à tout le monde, elle fait appel à certaines qualités spécifiques et permet de les améliorer, de les travailler, de les développer. Selon eux, il faut avoir de la curiosité, la volonté d’apprendre ainsi que d’expérimenter. De plus, il faut être patient, car cela prend du temps avant d’obtenir des fruits et des légumes et les projets sont souvent longs à démarrer. L’activité, bien qu’appréciée globalement par les participants, apparaît comme particulièrement énergivore à cause de l’implication intense qu’elle demande. Ce constat est aussi partagé par les coordonnateurs et les programmateurs. Selon les personnes démunies, les jardins collectifs possèdent quatre fonctions : d’apprentissage, de production, de divertissement et finalement de socialisation. Les participants atypiques comme démunis perçoivent l’activité comme étant bénéfique au niveau de la quantité de fruits et légumes récoltés, même dans le cas des individus ayant fait partie d’un projet avec des récoltes moins fructueuses, ce qui confirme le constat fait par Stephan Reyburn dans sa thèse écrite en 2006. Les jardiniers démunis rencontrés perçoivent l’activité, après coup, comme une façon de briser leur isolement, de se divertir à moindre coût, d’avoir accès à des fruits et légumes frais et finalement d’apprendre sur l’alimentation. Les atypiques rencontrés, jeunes comme âgés, perçoivent l’activité après coup comme une façon d’avoir accès à des fruits et légumes biologiques (consommation responsable), de mieux savoir les cuisiner, d’avoir du plaisir et finalement de jaser un peu tout en travaillant avec des individus qu’ils n’auraient pas côtoyés normalement. Ainsi la dimension sociale de l’expérience semble plus importante pour les jardiniers démunis que les atypiques rencontrés.

123 Pour les programmateurs qui font la promotion de l’initiative, les jardins collectifs apparaissent comme des projets novateurs, sexy, hybrides, des projets avec une valeur ajoutée et soutiennent que les jardins permettent de développer de saines habitudes alimentaires (diversifier son alimentation, planifier ses budgets, planifier ses repas, changer sa façon de s’approvisionner) et de réduire les îlots de chaleur. Chez les sceptiques, les jardins collectifs apparaissent comme un outil d’intervention inefficace qui fait face à plusieurs enjeux (précarité de financement, précarité d’emploi, expertise, localisation). Ainsi, les sceptiques critiquent l’incapacité des organismes à s’inscrire dans une dynamique de réseautage plus large et durable en plus de leur incapacité à atteindre la clientèle démunie. Les programmateurs s’entendent toutefois tous pour dire que ce sont des projets qui servent de prétexte au développement social et qui permettent aux jardiniers de créer des liens d’entraide et de solidarité, d’acquérir le sens des responsabilités, d’acquérir des connaissances, de socialiser avec d'autres individus, de briser l’isolement, de s’insérer socialement et de développer une alternative aux comptoirs alimentaires. Les programmateurs ont conscience de l’obligation des organismes à devoir fabriquer un « patchwork » de financement avec plusieurs bailleurs de fonds, dans le but de subvenir à leurs besoins et d’assurer leur pérennité, ce qu’ils reconnaissent ne pas être l’idéal. Ceux-ci tentent de financer le plus d’interventions possible, mais doivent répondre à des critères de rentabilité et d’efficacité, dans le but de boucler un budget limité. Ces derniers encouragent ainsi les milieux à se prendre en charge, à se mobiliser et à se concerter afin de ne pas dédoubler les interventions locales et de créer de nouveaux partenariats multisectoriels. Pour les coordonnateurs, les projets apparaissent comme des projets multifacettes, un outil de sécurité alimentaire, des lieux de mixité, de socialisation, des projets démocratiques sous-financés. Les coordonnateurs, pour leur part, bien qu’ils dirigent des jardins collectifs qui évoluent dans des contextes différents et avec des clientèles différentes, rappellent tous des intentions liées à la sécurité alimentaire. Ils ont comme objectifs communs à travers le projet de jardin de vouloir promouvoir ou améliorer l’accessibilité aux fruits et légumes frais et d’échanger sur l’alimentation à travers des activités éducatives, participatives et démocratiques dans le but de renforcer la dignité, la prise en charge individuelle et l’autonomie alimentaire. Les projets impliquant une mixité de participants seraient plus à même de fonctionner et moins stigmatisant. Cette perception est partagée à la fois par tous les organisateurs. En effet, ceci rejoint la position de Lin (1995) qui prétend que l’action instrumentale exige des interactions hétérophiles qui induisent des tensions parce qu’elles sortent

de l’ordinaire. Un équilibre entre les deux types d’interactions (homophiles et hétérophiles) serait important afin de promouvoir à la fois la stabilité et le changement.

Ainsi, pour les programmateurs, la portée est davantage sociale avec un potentiel d’éducation alimentaire. Leurs intentions découlent d’un désir de pousser les individus à s’insérer socialement et à développer des compétences afin de se prendre en charge et à aller au-delà du dépannage alimentaire. Il semble que les attentes des jardiniers diffèrent en fonction de leur niveau de vulnérabilité. Pour les personnes démunies, l’expérience est davantage sociale et pour les atypiques l’expérience est davantage reliée à un désir de consommer de façon plus responsable. Certains coordonnateurs amplifient la portée alimentaire de l’expérience afin de répondre à de grandes orientations sans évaluer les retombées durables de l’expérience. Pour les personnes démunies, l'initiative n'est pas une alternative au dépannage alimentaire, mais plutôt un loisir accessible et une ressource complémentaire qui leur permet de rencontrer des gens et de bénéficier d’aliments variés, frais et de qualité, ce qui n’est pas le cas dans les comptoirs alimentaires. À ce titre, si l’on reprend la définition de l’insécurité alimentaire évoquée par Anderson (1990), Radimer et al. (1992), les jardins collectifs permettraient aux individus de lutter contre l’insécurité alimentaire, car ils leur offrent l’opportunité d’acquérir des aliments personnellement satisfaisants par un moyen socialement acceptable.