• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : Perceptions de la pratique par les organisateurs

5.2 Les programmateurs

5.2.1 La sécurité alimentaire

Chacun des acteurs représente un regroupement communautaire, un organisme public/privé distinct et possède une expérience professionnelle qui le pousse à adopter une position plus qu’une autre. L’accessibilité alimentaire, le droit à l’alimentation, la culture alimentaire, l’éducation, la souveraineté alimentaire et la notion de saines habitudes alimentaires demeurent tous des incontournables dans le discours de ces derniers. La notion de souveraineté alimentaire est reprise plus particulièrement du côté communautaire et fait référence au contrôle collectif sur l’alimentation : « La sécurité alimentaire, c’est la capacité concrète de choisir des aliments de qualité, à des prix abordables, en exerçant en tant que collectivité un contrôle sur son alimentation et sur sa vie » (Programmateur D). Les saines habitudes alimentaires sont décrites globalement comme étant le fait de diversifier son alimentation par l’acquisition de nouvelles connaissances, de planifier ses budgets, de planifier ses repas et de multiplier les stratégies d’approvisionnement. La nécessité pour les organismes communautaires de trouver des solutions innovatrices afin de permettre aux individus « d’aller au-delà du dépannage alimentaire » ressort fortement chez les bailleurs de fonds. Bien que l’aide alimentaire demeure essentielle pour ces derniers, elle ne permet pas selon eux, de lutter contre l’insécurité alimentaire de façon efficace, d’où l’intérêt de soutenir des organismes qui font preuve d’innovation sur ce point. En effet, cette réflexion découle du fait que les comptoirs alimentaires connaissent une fréquentation en hausse

113 et que les interventions visant l’autonomie permettraient de renverser cette tendance. Toutefois, la position du programmateur communautaire diffère quelque peu à ce propos. Ce dernier préfère parler de « civiliser le don alimentaire » par l’entremise d’initiatives collectives d’entraide alimentaire. Selon lui, les agences gouvernementales ont des critères de nouveauté (innovation) et n’ont pas du tout le désir d’investir dans les organismes qui ont fait leur preuve, témoignant ainsi d’un désengagement de l’État. Or, cette réflexion évoque le fait qu’il existe déjà des initiatives communautaires qui offrent des solutions efficaces afin de lutter contre l’insécurité alimentaire et qui souffrent d’un mal financement ou d’un préjugé négatif. En effet, les initiatives collectives comme les magasins de partage, les groupes d’achats et les cuisines collectives auraient déjà fait leurs preuves à ce niveau. L’efficacité des jardins collectifs à lutter contre l’insécurité alimentaire ne fait pas l’unanimité, tant du côté des bailleurs de fonds que du milieu communautaire, même si certains en sont de fervents promoteurs.

Au dire de ces acteurs, il est primordial de penser la sécurité alimentaire avec une approche intersectorielle axée sur les communautés locales plutôt qu’une approche en silos (absence de collaboration entre les secteurs). Le milieu doit se regrouper, se concerter et mobiliser les divers acteurs afin d’agir de façon globale à l’échelle locale, ce qui permettrait notamment de ne pas dédoubler les initiatives qui se partagent souvent la même portion de financement en plus d’agir sur les mêmes problématiques. Pour les bailleurs de fonds, il est donc bénéfique de soutenir le développement ainsi que les organismes centraux qui coordonnent la concertation locale comme les tables de concertation de quartier. Le tableau 5.4 à la page suivante permet de comparer différentes façons d’intervenir des programmateurs en sécurité alimentaire. Les informations proviennent des entretiens, chacune des colonnes représente un programmateur. Deux programmateurs (A et C) sur quatre évoquent comme mission la lutte à la pauvreté. Les deux interviennent de façon similaire (ils sont des bailleurs de fonds) bien que le programmateur C insiste davantage sur les notions de besoin et de demande, mettant de l’avant le critère de rentabilité et d’efficacité des projets. Le programmateur B met davantage d’accent sur la santé des individus et l’accessibilité aux aliments, tandis que le programmateur D agit davantage au niveau de la défense des intérêts des organismes communautaires qui travaillent en sécurité alimentaire.

Tableau 5.4 : Interventions des programmateurs en lien avec la sécurité alimentaire Les programmateurs Code A B C D Mission telle qu’évoquée par l’acteur Lutte à la pauvreté

(bailleur de fonds) Garder le monde en santé Lutte à la pauvreté (bailleur de fonds) Soutenir l’organisation citoyenne pauvre Types d’interventions -Soutient les organismes centraux -Soutient les organismes avec une mission sociale -Soutient les projets hybrides avec des approches évolutives -Soutient les projets avec une mixité de participants -Soutient des postes de ressources humaines

-Offre des formations afin de permettre aux organismes de développer des outils d’évaluation -Soutient les regroupements et la concertation locale intersectorielle -Soutient la production locale -Soutient les petites communautés locales où il y a des problèmes d’accès et des petits territoires défavorisés -Produit des documents informatifs issus de projets de recherches sur la sécurité alimentaire

-Soutient des projets d’insertion sociale -Soutient des projets novateurs (sexy et rafraîchissants) -Soutient les regroupements, la concertation locale et encourage les milieux à se prendre en main -Soutient des initiatives qui répondent à un besoin (demande) -Soutient des postes de ressources humaines -Produit des documents d’informations sur la pauvreté à Montréal -Soutient les organismes communautaires dans la mise en œuvre de programmes de développement social pour contrer la faim -Sensibilise le public aux problèmes de la faim et de la pauvreté -Organise des rencontres, ateliers, formations et des colloques

Si l’on porte attention à l’ensemble des orientations du tableau précédent, nous constatons que le financement de projets en alimentation comme les projets d’agriculture urbaine communautaire est intimement lié à la capacité des organismes qui chapeautent les projets à participer à la concertation locale et à innover afin d’atteindre des objectifs durables. En effet, bien qu’ils utilisent des expressions légèrement différentes, tous les programmateurs soutiennent la concertation locale et encouragent les milieux à se prendre en main de façon créative. Ainsi, afin d’éviter la concurrence entre les organismes, les programmateurs encouragent depuis quelques années les organismes communautaires à travailler ensemble sur une vision locale intersectorielle durable. Toutefois, la concurrence demeure présente et les programmateurs disent devoir encore faire des choix difficiles entre les nombreux projets qui leur sont soumis. Sur ce point, il existe deux positions. D’un côté, les projets moins efficaces ou les projets qui ne répondent pas nécessairement à des besoins criants de la population sont laissés de côté. D’un autre côté,

115 certains projets sont plutôt sélectionnés en fonction de leur aspect novateur afin de permettre leur émergence. Les organismes communautaires sont aussi encouragés par les programmateurs à développer des approches d’auto-évaluation afin d’évaluer leurs propres résultats par rapport à leurs objectifs initiaux. Bien que les programmateurs encouragent les organismes communautaires à se rassembler afin de se concerter, il semble que la concertation entre les programmateurs ne soit pas d’une grande intensité, même si existante. En effet, selon le bailleur de fonds C la collaboration entre les programmateurs se manifeste surtout sur le terrain (tables de concertation de quartier) puis par le financement conjoint de certains projets. Par contre, cette faible intensité de concertation entre les programmeurs entre quelque peu en contradiction avec leurs propres attentes envers les organismes, à qui ils demandent une plus grande concertation locale. Il ne se dégage pas de leadership clair en matière de sécurité alimentaire à Montréal, ce qui est déterminant et manquant au dire des acteurs rencontrés. La sécurité alimentaire ressort comme étant « la responsabilité de personne ».