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Chapitre 1 : Revue de la littérature

1.4 Appauvrissement, défavorisation et pauvreté

Depuis plusieurs années, la lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale figure au titre des défis majeurs à relever par le Québec dans la poursuite de son développement y compris sur le plan alimentaire. Le problème n’étant pas tant le manque d’aliments que le processus sociétal qui mène au manque d’aliments et à l’absence de contrôle des ménages ou des individus sur leur sécurité alimentaire (Hamelin et Bolduc 2003). En effet, dans un premier temps, la notion d’appauvrissement correspond à un processus, par lequel sont imbriqués les conditions économiques et les événements sociaux de la vie des individus (rupture du couple, perte d’emploi, échec scolaire, naissance d’un enfant, la retraite, accident ou maladie, immigration, etc.). L’insuffisance du revenu peut entraîner une plus grande précarisation résidentielle et contraindre les individus à occuper des logements parfois insalubres en plus de souffrir d’une situation d’insécurité alimentaire temporaire (Côté, Racine et Rouffignat 1995; Lamoureux 2001; Groulx 2011).

Cette situation d’appauvrissement peut avoir des effets sur la santé physique et mentale et peut servir à venir justifier la stigmatisation, les attitudes et les pratiques discriminatoires. Se forme alors le cercle vicieux de la défavorisation, cercle de reproduction des inégalités qui affecte le sentiment de confiance en soi et de prise en charge de sa propre vie (Groulx 2011). Ainsi, le concept de défavorisation réfère davantage aux ressources ou à la pluralité des désavantages qu’à

la faiblesse du revenu disponible. Il renvoie davantage aux conditions ou au mode de vie qu’aux pratiques de consommation (Apparicio, Séguin et Leloup 2007). Ainsi, l’exclusion apparaît comme la conséquence de la défavorisation et est liée au manque de capacité de l’individu de mobiliser un certain nombre de ressources de façon à faire face à des événements ou à des situations difficiles. La pauvreté est souvent associée à l’exclusion et s’apparente plus à une situation mesurable, même si cette dernière est subjective. En effet, une des avancées récentes en ce qui a trait à l’étude de la pauvreté et de l’exclusion a consisté à introduire la variable « temps » dans l’analyse, ce qui a permis de différencier des formes variables de pauvreté (transitoire, récurrente et permanente). Les individus en situation de pauvreté chronique seraient moins enclins à faire face à des difficultés financières, familiales et professionnelles (Groulx 2011). Le Québec a adopté en 2002 la loi 112 visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. « L’adoption de cette loi est l’aboutissement d’un mouvement citoyen né de la marche Du pain et des roses, organisée en juin 1995 par la Fédération des femmes du Québec » (Leloup 2010, 19). La loi privilégie l’autonomie et la mobilisation des personnes et des communautés. La loi 112 reconnaît que la pauvreté est une contrainte qui pèse sur la protection de l’exercice des droits et des libertés, et qu’elle menace le respect et la dignité humaine :

On entend par pauvreté la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société (Gouvernement du Québec 2004 cité dans Leloup 2010, 19)

Or, le seuil de faible revenu est souvent utilisé pour caractériser le niveau de pauvreté. Selon Simmel, la pauvreté est non seulement relative, mais est aussi construite socialement et le seuil de pauvreté, aussi élaboré soit-il, toujours arbitraire. En effet, ce n’est qu’à partir du moment où la situation d’un individu requiert ou devrait requérir une assistance qu’il devient membre d’un groupe caractérisé par la pauvreté. Simmel fait la distinction entre la pauvreté qui peut survenir à n’importe qui appartenant à n’importe quelles catégories (artiste, commerçant) et celle des individus en situation de dépendance à l’égard de la collectivité. Par cette approche constructiviste, Simmel observe le phénomène de pauvreté du point de vue non pas de la pauvreté en tant que telle, mais de la relation d’assistance entre ces derniers et la société dans laquelle ils vivent (Simmel [1903] 1998).

19 Bien entendu, la situation dans laquelle vivait Simmel à l’époque est bien différente de la nôtre, mais son approche apporte un éclairage théorique original au débat actuel sur l’assistanat et la pauvreté au Québec comme au Canada. Actuellement, le montant alloué par l’aide sociale ne permet pas aux individus de se nourrir adéquatement et couvre tout juste le montant alloué au loyer (Riches 2002; FAO2010; Tarasuk 2005). Pourtant, selon les Nations Unies, le droit à l’alimentation est reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui protège le droit de chaque humain à se nourrir dans la dignité :

Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur couleur, leur sexe, leur langue, leur religion, leur opinion politique ou toute autre opinion, leur origine nationale ou sociale, leur fortune, leur naissance ou toute autre situation on le droit à une alimentation suffisante et le droit d’être à l’abri de la faim (FAO 2010, 1).

Le droit d’avoir un accès régulier, permanent et non restrictif, soit directement ou au moyen d’achats financiers, à une alimentation quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante correspondant aux traditions culturelles du peuple auquel le consommateur appartient, et qui lui procure une vie physique et mentale, individuelle et collective, épanouissante et exempte de peur. (FAO 2010, 3).

Le droit à l’alimentation diffère du concept de la sécurité alimentaire qui n’est pas un concept juridique et qui n’impose pas d’obligations aux parties prenantes, pas plus, qu’il ne leur accorde de droits. Les organismes de charité et les banques alimentaires remplissent cette fonction d’offrir aux individus dans le besoin une source de nourriture la plupart du temps adéquate, mais qui ne permet pas d’offrir une solution durable :

La lutte contre la pauvreté est essentielle à l’amélioration de l’accès à la nourriture. La grande majorité des personnes sous-alimentées ne sont pas en mesure de produire ou d’acheter des quantités suffisantes d’aliments […] Même si une aide alimentaire leur est fournie pour soulager leurs souffrances, elle ne permet pas, à long terme, de lutter contre les causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire. (FAO 1996)

Outre les individus qui fréquentent ces organismes, il ne faut pas oublier les individus qui n’osent tout simplement pas utiliser ces services parfois stigmatisants (Tarasuk, Beaton 1999, cité dans Riches 2002). Ce type de situation d’exclusion contraint des individus à vivre leur situation dans l’isolement et l’exclusion. En effet, ils cherchent à dissimuler l’infériorité de leur statut dans leur

entourage et entretiennent des relations distantes avec ceux qui sont proches de leur condition. Cette situation peut mener les individus à se retrouver dans un état d’aliénation (Simmel [1903] 1998, 18; Hamelin, Mercier et Bédard 2010) :

L’aliénation fait référence à une faible capacité à changer ses conditions d’existence ou à une pauvreté de pouvoir (powerlessness). L’aliénation a des fondements objectifs qu’il est impératif d’analyser pour arriver à rendre compte, à l’échelle de la personne, de la dimension sociopolitique de l’expérience de la pauvreté (Rouffignat, Racine et Côté 1996, 15).

Bref, il n’est pas simple de lutter contre la pauvreté, c’est un phénomène universel complexe (plusieurs types de pauvreté) qui implique tous les groupes de la collectivité et qui tend à augmenter notamment lorsqu’il y a dégradation des marchés de l’emploi et affaiblissement des liens sociaux (Simmel [1903] 1998, 18-19). Pour y arriver, la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec prônent l’amélioration des conditions de vie et les opportunités des populations qui vivent une situation de pauvreté ou de précarité sociale (Brousselle et al, cité dans Leloup 2010).