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WAI-S Relation

1.6. Étude pilote des relations entre la capacité à décoder les signaux non-verbaux et les performances des psychothérapeutes, réalisée auprès d’un groupe de thérapeutes

1.6.1.3. Limitation des démarches de recherches antérieures

Nous pouvons remarquer que les habiletés FIS, telles qu’elles ont été définies dans ces études, sont principalement liées aux comportements verbaux des thérapeutes (notamment la fluence verbale, la capacité de persuader, et la capacité à instiller de l’espoir) et ne sont donc pas spécifiquement reliées à des compétences non verbales ou à la capacité des thérapeutes à décoder des signaux non verbaux, habiletés qui pourraient être elles aussi mesurées à l’aide de tâches de performance.

Pourtant, nous l’avons vu, les comportements non-verbaux des patients et des thérapeutes sont de première importance. Une portion significative des messages transmis durant la communication sont de nature non-verbale ou para-verbale. La psychothérapie est principalement la forme spécifique d’une interaction ou d’une relation d’influence entre un thérapeute et son patient, où le thérapeute a pour rôle de stimuler les capacités innées de guérison du patient (Frank & Frank, 1991) ; cette relation opère donc à partir d’une forme spécifique de communication, qui implique l’échange d’informations verbales et non-verbales.

Pour mémoire, bien que la communication verbale soit le premier focus des recherches en psychothérapie, la communication non-verbale représente une source majeure d’information, qui selon les estimations varierait avec de 65% à 95 % des signaux qui pourraient ne pas être transmis par les mots (Friedman, 1978). En effet, la “dimension cachée “ de l’information (Hall, 1969), la portion non-verbale de la communication comprend toutes les informations qui ne sont pas transmises par les mots ou les symboles écrits (Knapp, 1972), ou qui transite par des médias qui excluent les mots (Mastumoto et al., 2013). Cette dimension non verbale peut véhiculer des éléments d’information très signifiants à propos de l’état du patient, qui peuvent complémenter l’information verbale recueillie par les thérapeutes (Ekman,

O'Sullivan & Frank, 1999).

De plus, la communication non-verbale étant « incarnée » (« embodied »), chaque partie du corps et du fonctionnement corporel peut potentiellement agir comme un vecteur d’informations (par exemple, la position du corps, la gestuelle). Ceci implique que des informations essentielles puissent transiter par les canaux para-verbaux, le ton de la voix et son rythme ; les expressions faciales par exemple représentent une part très importante de la communication. Le visage est en effet particulièrement reconnu comme une source principale d’informations, en véhiculant des expressions faciales automatiques et par conséquent, moins filtrés par les individus, de manière instantanée, et qui peuvent amener à une réduction de la complexité des interactions sociales (Matsumoto & Hwang, 2013). Pour schématiser, nous pourrions dire que les individus qui peuvent se comprendre, par exemple en décodant les signaux non verbaux, peuvent mieux interagir.

En tant qu’êtres humains, nous l’avons vu, les psychothérapeutes sont naturellement « pré-câblés » à décoder les sept émotions primaires qui s’affichent sur le visage par le biais des expressions faciales (la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise, le dégoût, et le mépris). Ces expressions semblent être universelles même si elles sont modulées par le contexte, notamment le contexte social. Nous avons également vu que ces émotions prototypiques connues comme des macro-expressions, s’affichent sur toute la surface du visage avec une intensité et une durée supérieure aux expressions partielles, micro ou subtiles, qui sont affichées avec une moindre intensité et sur des régions plus discrètes du visage (Matsumoto & Hwang, 2013). Dans les contextes sociaux, comme dans le contexte de l’interaction psychothérapeutique, les individus ont tendance à réprimer ou à masquer leurs réactions négatives (Hill et al. 1992), et c’est justement dans ces contextes où les individus ressentent le besoin de cacher leurs émotions, que les micro-expressions sont supposées se manifester (Ekman, 2003 ; Matsumoto & Hwang, 2013 ; Porter & Ten Brinke, 2008).

à des contenus négatifs que les patients essaieraient de camoufler pendant les séances, et que ces micro-expressions pourraient agir comme des signaux naturalistes de feedback, signaux qui pourraient être perçus et décodés par les meilleurs thérapeutes. Ekman, O’Sullivan & Frank ont ainsi démontré que les individus différaient quant à leurs capacités à détecter les expressions émotionnelles micro et subtiles ; et que certains groupes d’individus, plus spécifiquement les individus intéressés par la détection du mensonge pourraient être plus efficace dans la détection de ces signaux. Un lien a été établi entre la capacité de décoder les émotions et la capacité à détecter le mensonge (Warren, Schertler & Bull, 2009). La capacité à détecter les émotions est notamment reliée à la capacité empathique, et l’empathie est considérée comme un des facteurs communs de la psychothérapie qui expliquerait le plus de la variance des résultats dus au traitement (Wampold & Imel, 2015).

Les individus diffèrent donc dans leur capacité à discerner et à décoder les messages non verbaux de la communication (Roter et al., 2006). Ceci nous a amené à formuler l’hypothèse que la capacité des psychothérapeutes à discerner et à décoder les informations non verbales, puissent être reliées à une portion significative de la variance des résultats dus au traitement, phénomène qui selon nous a été jusqu’à présent, insuffisamment étudié.

Pour soutenir encore plus avant cette hypothèse, nous pouvons citer les travaux d’Anderson et al. (2012), qui ont étudié l’aspect dysfonctionnel de l’hostilité dans les relations interpersonnelles entre un thérapeute et son patient, dans un contexte de soins psychodynamiques. Les auteurs suggèrent que ces comportements puissent impliquer aussi bien des expressions verbales que non verbales, et que ces comportements pourraient impacter significativement le processus psychothérapeutique. Nous pouvons citer également les travaux de Hill et al. (2016) sur l’entraînement des étudiants à développer des capacités aidantes, qui suggèrent d’évaluer les habiletés interpersonnelles en utilisant des protocoles composites, avec à la fois des mesures auto-rapportées, le détail des expériences aidantes, l’utilisation de mesures basées sur la performance, et de mesures non verbales ; ces auteurs mettent l’accent sur le fait

que les mesures des capacités interpersonnelles auto-rapportées ne sont pas suffisamment précises et sont donc insuffisantes pour évaluer les capacités interpersonnelles. Nous pensons dans cette optique, que les mesures auto-rapportées des compétences sociales ou relatives aux habiletés non-verbales ne peuvent pas éclairer de manière satisfaisantes les relations entre ces habiletés et les résultats des traitement psychothérapeutiques en condition de feedback naturaliste ou instrumental. Et qu’il est donc nécessaire, soit de disposer de tâches de laboratoires, soit de questionnaires reposant sur des tâches de performances validés à cet effet.

Les messages non verbaux et le feedback issu du Suivi Continu des Résultats au traitement (ROM)

Comme la variabilité des performances des thérapeutes est substantielle, et que les thérapeutes ont des difficultés à détecter et à prédire la détérioration probable de leurs patients et les abandons pendant le traitement, la méthodologie du Traitement Orienté par le Feedback a été élaborée, nous l’avons également vu, pour aider le praticien à adapter le traitement en temps réel. Pour rappel, selon Worthen & Lambert (2007), le feedback recueilli auprès des patients pourrait impacter les résultats en apportant aux cliniciens des informations qu’ils avaient originellement ignorées ou auxquelles ils n’auraient pas accordé une juste importance. Ce qui nous a laissé supposer que ces informations puissent être reliées à des signaux non verbaux, pour lesquels les thérapeutes pourraient avoir des capacités de discrimination variables.

Aussi, la pratique ROM semble principalement efficace pour les patients qui initialement ne retiraient pas de bénéfices réels de leurs traitements (patients qui n’étaient pas « en bonne voie de guérison » pour NOT ON TRACK – ou NOT) ce qui suggère que le signal véhiculé par le feedback instrumental de la pratique ROM puisse agir comme un signal négatif au potentiel correctif. Les thérapeutes ne semblent par ailleurs pas apprendre de la réception de ce signal de feedback, le feedback semblant également bénéficier aux psychothérapeutes originellement « les moins efficients », pour lesquels un accroissement substantiel de

l’efficacité pourrait être obtenu (atteignant l’efficacité de thérapeutes naturellement plus talentueux), sans autre entraînement plus formel à la psychothérapie, que de bénéficier de la possibilité de discriminer et d’utiliser ce signal négatif révélateur d’information importante. Ceci nous laissant supposer que le feedback instrumental puisse agir comme un complément ou un remplaçant du feedback naturaliste, pour lequel les thérapeutes pourraient avoir des capacités de détection différentes ; c’est-à-dire, avoir accès à une dimension cachée de l’information, qui est pourtant présente dans les séances de psychothérapie, ce qui va dans le sens du modèle générique du feedback en psychothérapie que nous avons suggéré.

Toutes ces données nous amènent à supposer qu’avoir accès à des éléments cachés d’informations ou à des éléments difficilement discriminables, pourrait permettre aux thérapeutes de changer l’orientation du processus de soins, en temps réel. Le feedback instrumental agirait ainsi comme une lentille grossissante, maximisant le potentiel de réception et d’utilisation de ces informations par les thérapeutes ; ces signaux étant naturellement présents dans les interactions psychothérapeutiques mais difficilement perceptibles pour tout un chacun. Comme l’alliance prédit les résultats, le feedback instrumental négatif pourrait exercer un effet de tampon entre la relation d’influence négative de la communication non verbale négative, l’alliance, et les résultats. Dans ce sens le feedback instrumental modérerait la relation négative entre la communication non verbale négative, l’alliance, et les résultats.

Dans cette optique, cette étude vise à soumettre à l’épreuve des faits nos hypothèses en analysant les résultats obtenus par des psychothérapeutes en condition de feedback instrumental et leurs habiletés à décoder la communication non-verbale.

1.6.1.4. Hypothèses relatives aux habiletés à percevoir les signaux non verbaux en