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“Le paragraphe oral anglais”

4.2 Les ligateurs

4.2.1 Les ligateurs discursifs

Ils sont en nombre restreint (nous en avons compté 8 dans notre corpus, en assimilant “cos” et “because”, dont 4 sont fréquents et 4 plus rares). Le ligateur que l’on rencontre le plus souvent est “and” (“et”, 111 occurrences, sans compter les conjonctions “ a n d ” apparaissant à l’intérieur du rhème), ensuite viennent “cos / because” (“parce que”, le premier étant une version réduite du deuxième, 45 occurrences au total dont 29 de “ c o s ” et 16 de “because”), puis viennent “but” (“mais”, 36 occurrences) et “so” (“alors”, 31 occurrences). Parmi les ligateurs rares, on trouve “then” (“ensuite”, 5 occurences) et “like” (“genre”), “otherwise” (“sinon”), ainsi que le relatif “who” (“qui”). Ces trois derniers ligateurs n’apparaissent qu’une seule fois dans le corpus. Nous n’avons pas, dans ce comptage, tenu compte des apparitions de ces ligateurs en association avec un autre ligateur et que Szlamowicz (op. cit.) nomme ligateurs composés, car nous pensons comme lui que leur sens est différent des ligateurs simples.

AND

La première valeur de “and” correspond à la valeur que Morel et Danon-Boileau ont exprimé pour la conjonction “et” qui “n’a pas pour rôle de marquer la mise sur le même plan de deux éléments linguistiques de même statut syntaxique. «!Et!» construit au contraire toujours une hiérarchie entre des éléments du discours, que ce soit pour souligner la complémentarité du deuxième élément par rapport à celui qui le précède […], ou pour recatégoriser le discours précédent en en faisant la base thématique de ce qui va suivre […]” (pp.!115-116). C’est exactement de cela qu’il s’agit dans l’exemple suivant!:

Exemple 1 Rhème 3

TU 7 (M)!: (h + bruit) MY NAME’S Michelle Fisher: [je m’appelle Michelle Fisher] Préambule 2 = ligateur

TU 8 (M)!: and [et] Rhème 4

i’m:: TWENty three years old [j’ai vingt-trois ans] Préambule 3 = ligateur

TU 9 (M)!: and [et] Rhème 5

i’m from: {2,27} LONDON ‰ {0,18} [je viens de Londres]

Ce passage se situe en tout début d’enregistrement, enregistrement qui devait commencer par une présentation des deux locutrices (présentation destinée à faciliter l’archivage du corpus). La consigne avait donc été donnée aux deux locutrices de se présenter en disant leur nom, leur âge, et d’où elles venaient!: nous n’avions pas insisté particulièrement sur l’ordre des informations, mais cet ordre de présentation est plus ou moins admis culturellement (en France comme en Angleterre), où il semblerait assez étrange de donner son âge avant son nom. On voit donc que Michelle suit ici l’ordre de présentation qui lui a

été donné, et hiérarchise les informations les unes par rapport aux autres!: d’abord son nom, puis une information complémentaire mais de moindre importance par rapport au nom, son âge, et enfin, le lieu d’où elle vient. Ces informations sont toutes complémentaires dans la mesure où la présentation serait très incomplète (par rapport à celle qui lui a été demandée) si l’une d’entre elles venait à manquer. Cette présentation sera reprise en partie par Zoe dans l’exemple 2!:

Exemple 2 Rhème 1

TU 18 (Z)!: my name’s Zoe Lacey: ‰ {0,2} [je m’appelle Zoe Lacey] Rhème 2

TU 19 (Z)!: I’M: twenty three years-old as WELL Ê {0,13} [j’ai aussi vingt-trois ans] Préambule 2 = ligateur

TU 20 (Z)!: and: [et] Rhème 3

i’m: from: DURham which is in the north-east of England Ê {0,515} [je viens de Durham qui se situe au nord-est de l’Angleterre]

La différence avec l’exemple précedent est qu’il n’y a qu’un “and” et que celui-ci est légèrement allongé. La conjonction entre le nom et l’âge est remplacée par une référence au discours de Michelle (“as well”, “aussi”), et on peut supposer par conséquent, que Zoe fait également référence à la hiérarchie établie par Michelle. Le “and” allongé nous semble ici avoir également une autre valeur!: une valeur de conclusif. L’information que donne Zoe est la dernière information du paragraphe oral (la fin du paragraphe est marquée par la chute conjointe de F0 et de l’intensité), et nous pensons que cette fin de paragraphe est anticipée lors de la production du “and”. Morel et Danon-Boileau notent aussi que “la conjonction «!et!» peut également assurer la mise en relation avec le contexte situationnel dans l’univers construit par le discours!: «!et!» globalise alors ce qui précède et introduit un fait qui a valeur de rhème (ou qui acquiert une valeur prédicative forte) par rapport à ce préalable thématique” (p.!117). C’est un peu ce qui se passe ici, avec une nuance cependant. Le “and” va servir à recatégoriser ce qui le suit en préambule pour le paragraphe suivant. En effet, nous avons noté dans notre transcription que le paragraphe 3 est recatégorisé en préambule et va servir de cadre au paragraphe 4 de cette même séquence. Il est plus juste de dire en fait que c’est uniquement cette information concernant le lieu de résidence de Zoe en Angleterre qui va servir à introduire le paragraphe 4, où Zoe enchaîne directement par la question “have you ever been there” (“es-tu déjà allée là-bas”). On trouve exactement la même configuration dans l’exemple 3!:

Exemple 3 Rhème 1

TU 42 (Z)!: JArrow’s really rough {3,594 (laugh M+Z)} §yeah§ {0,307} [Jarrow est une ville très malfamée §oui§]

Préambule 1 = ligateur TU 44 (Z)!: (h) and [et]

Rhème 2 > préambule

Hebburn’s really rough as well Ê {0,61} [Hebburn est aussi très malfamée] Rhème 3

my dad used to teach in Hebburn when he was first started teaching he used to get harassed

by all the pu ‰ pils Ê §{3,12 laugh}§ {0,332 (cough)} [mon père était prof à Hebburn quand il a commencé à enseigner il se faisait embêter par ses élèves]

Dans cet exemple, on voit qu’à l’instar de l’exemple 2, le deuxième rhème est introduit par le ligateur “and” qui introduit une hiérarchie entre les deux villes “Jarrow” d’une part, et “Hebburn” d’autre part, et que l’ensemble ligateur + rhème va être recatégorisé en préambule pour le rhème suivant. On peut aussi penser que cette conjonction sert à faire pivoter l’objet de discours (c’est ce que J. Szlamowicz appelle changement

d’orientation discursive)!: dans le paragraphe précédent, il avait été question des deux

villes “Hebburn” et “Jarrow”, et le paragraphe s’était achevé sur un commentaire de Michelle “I think Jarrow’s in Tyne and Wear” (“je pense que Jarrow est dans le Tyne and Wear”), par conséquent, si Zoe veut faire une remarque sur son père qui a travaillé à Hebburn, elle a le choix entre avancer cette remarque directement, ce qui serait vraisemblablement perçu comme une rupture par l’interlocutrice, et une absence de prise en compte de sa remarque, ou bien alors elle peut, et c’est le choix qu’elle fait, faire une remarque sur Jarrow, qui, si elle ne prend pas réellement en compte ce que dit Michelle (la situation géographique de Jarrow), note néanmoins que Zoe ne va pas contre cet objet de discours. Elle peut ensuite faire le lien en trouvant un point commun entre Jarrow et Hebburn (le fait que les deux villes soient aussi malfamées l’une que l’autre), mais ce point commun aurait pu être bien différent, dans la mesure où il n’est là que pour permettre à Zoe de sauter d’un objet à l’autre et de faire sa remarque sur son père qui a travaillé à Hebburn.

Exemple 4

Préambule 1 = ligateur TU 158 (Z)!: (h) BUT: [mais] Rhème 1

I NEVER SEE THOSE BLOKES AT ALL: Ê {0,139} [je ne vois jamais ces mecs] Préambule 2 = ligateur

TU 159 (Z)!: and [et] Rhème 2

we WENT to Felicity to dinner Ê the other night ‰ [nous sommes allés dîner chez Felicity l’autre soir]

Dans l’exemple 4, le procédé est le même que celui utilisé dans l’exemple 3, puisque là encore, “and” sert à introduire un objet de discours différent. Dans le paragraphe précédent, il était question d’un garçon qui était DJ, garçon rencontré lors d’une soirée, et dans ce paragraphe-ci, Zoe conclut (en élargissant d’ailleurs le référent puisqu’elle passe de Dave, le DJ, à ces mecs, dans “je ne vois jamais ces mecs”) ce paragraphe et introduit un nouveau thème de discours avec “nous sommes allés dîner chez Felicity l’autre soir”, où elle va parler de ces étudiants anglais en France, qui ne vont jamais en cours et ne

rencontrent aucun Français.

Exemple 5

Rhème 3 > préambule

TU 141 (M)!: d’you REmember that FIRST night when everyone turned UP Ê [tu te rappelles de ce premier soir où tout le monde s’est pointé]

Préambule 1 = ligateur TU 143 (M)!: and [et] Rhème 4 + incise > préambule

i: Ê {0,276} insulted Ê °what’s his name° Ê Fred/dy ‰ [j’ai insulté °comment il s’appelle° Fre/ddy]

L’exemple 5 est plutôt à rapprocher des deux premiers exemples où il y a une hiérarchisation et complémentarité des informations!: information 1!: une soirée où tout le monde s’est pointé ; information 2!: complémentaire, Michelle a insulté quelqu’un qui s’appelait Freddy. Cette hiérarchie ici est calquée sur le déroulement réel de la séquence. Elle fait donc directement référence au déroulement chronologique de cette soirée (cette valeur chronologique de “and” est d’ailleurs également ce qu’à noté Szlamowicz à partir de son corpus).

Szlamowicz voit aussi en “and” une valeur de changement d’orientation discursive, valeur qui se confirme dans notre corpus, en voici deux exemples!:

Exemple 6 Préambule 3

TU 338 (Z)!: so [alors] Rhème 4 > préambule

you couldn’t LIKE just reLY on that Ê [on pouvait pas genre vraiment compter dessus (le car)]

Préambule 4 = ligateur + modus

TU 339 (Z)!: cos you’d have to [parce que ça voulait dire qu’il fallait] Rhème 5

spending like entirely the whole day there Ê {0,721 + (h)} [passer genre entièrement toute la journée là-bas]

Rhème 6 (commentaire sur ce qui précède)

TU 340 (Z)!: it was just: AWful Ê [c’était vraiment horrible] Paragraphe 2

Préambule 1 = ligateur TU 341 (Z)!: and [et] Rhème 1

i WENT to families every week-end which was nice Ê {0,878} [j’allais dans les familles tous les week-ends ce qui était sympa]

Dans l’exemple 6, le “and” initie un paragraphe oral dans un même tour de parole (on se situe donc ici dans ce que Szlamowicz nomme la dialectique d’ouverture / clôture du

paragraphe, p.!85), mais il ne joue ici aucun rôle dans la conservation du tour de parole (il

n’y a pas de pause démarcative déplacée — voir plus loin le chapitre 8 sur les pauses!— ni de hausse de l’intensité ou d’allongement de “and”). En revanche, en ce qui concerne l’enchaînement pragmatique de cet énoncé, on constate que d’une part, il s’insère dans le thème général développé par Zoe et qui est de décrire son année d’assistanat en Bretagne,

avec tout ce que cela présentait d’inconvénients (le collège était situé dans une petite commune et il fallait prendre le car pour se rendre à Rennes, mais il n’y avait que deux cars par jour!; elle était systématiquement prise en charge par les familles des élèves le week-end, mais n’avait du coup plus une minute à elle!; les familles, dans un souci de lui faire découvrir la culture bretonne, lui faisaient manger des galettes et l’emmenaient à Vannes tous les week-ends). Nous nous situons donc toujours dans une certaine continuité thématique, mais cette continuité ne se laisse cerner qu’à la fin de l’intégralité de la séquence. Si l’on considère l’exemple que nous venons de donner, on peut considérer qu’il y a changement d’orientation discursive entre le paragraphe 1 et le paragraphe 2, dans la mesure où il est question du car pour aller à Rennes dans le paragraphe 1, et de sa prise en charge par les familles dans le paragraphe 2.

Un peu plus loin dans la même séquence thématique, on retrouve la valeur de changement d’orientation discursive de “and”, de manière encore plus marquée. Il aura également valeur de clôture du paragraphe oral, puisqu’il va entraîner un changement de thème de la conversation (on va passer des années d’assistanat en France, à la cuisine française).

Exemple 7

Préambule 1 = ligateur TU 388 (M) = so [alors] Rhème 2 > préambule rhème 3

what DID YOU DO with Ê Zoe Ê [qu’avez-vous fait avec Zoe] Rhème 3 > préambule

TU 389 (M)!: XXX i: TOOK her to VANNES (F0+) Ê [XXX je l’ai emmenée à Vannes] Rhème 4

TU 390 (M)!: so did I: Ê §{0,246 laugh}§ [moi aussi] Rhème 5 > préambule

TU 391 (M)!: I: intro Ê (h) i introDUCED her to GALETTES ‰ [je lui ai fait décou je lui ai fait découvrir les galettes]

Rhème 6

SO did I: Ê {1,79 laugh M + Z} {0,978 (bruit)} [moi aussi] Préambule 2 = ligateur

TU 393 (Z)!: and [et]

Rhème 7 > préambule paragraphe 1, séquence 9

COquille jacques Ê {0,337} everything was bre/ton Ê {0,0676} [les coquilles saint-jacques tout était breton]

Nous sommes obligée de donner un extrait assez large de cet exemple pour en comprendre pleinement toutes les valeurs. Avant le passage cité, Zoe a donc, comme nous venons de le dire pour l’exemple 6, décrit les inconvénients de son année d’assistante dans un collège français. Le passage s’achève sur une touche humoristique!: par politesse, Zoe était obligée de dire aux familles, ravies de lui faire découvrir les galettes et la ville de Vannes, qu’elles ne les connaissait pas, alors qu’elle mangeait des galettes et allait à Vannes tous les week-ends. La touche humoristique est reprise par Michelle, qui imagine les familles se retrouvant en dehors de la présence de Zoe et se racontant ce qu’elles avaient fait avec elles, le mensonge de Zoe étant certainement découvert. C’est dans ce

contexte que Zoe fait cet ajout “and coquilles Saint-Jacques {0,337} everything was Breton”, qui tombe en quelque sorte comme un cheveu sur la soupe après le mime de Michelle. L’énoncé vient en fait comme un ajout de dernière minute (ce n’était pas seulement les galettes, mais aussi les coquilles Saint-Jacques) avec en plus un jugement négatif sur l’attitude chauvine des Bretons (elle venait en France pour découvrir la culture française et on lui fait découvrir la culture bretonne). Ce jugement apporte un commentaire conclusif sur le paragraphe qui précède, et même un commentaire conclusif sur toute la séquence thématique qu’elle conclue de la manière suivante!: cette année d’assistanat ne fut pas une grande réussite!; mais va également permettre d’enchaîner sur une nouvelle séquence thématique (après les galettes, les coquilles Saint-Jacques!: cette insistance thématique sur des mets permet l’enchaînement sur la cuisine française) du fait du changement d’orientation discursif!: en effet, si l’on considère ce qui précède immédiatement le “and”, c’est-à-dire le mime par Michelle de la découverte du mensonge de Zoe aux familles, nous ne sommes plus du tout dans la même orientation. Une autre explication serait de donner à “and” une valeur de conservation de tour de parole (ici en fait, une valeur de reprise de parole en force par Zoe). En effet, on pourrait considérer que Zoe estimait n’avoir pas tout à fait terminé ce qu’elle voulait dire et désire reprendre la parole qui lui avait été plus ou moins prise de force par Michelle. Le mime de Michelle commence en fait par un rhème qui se pose comme préambule de son discours rapporté (ici imaginé) direct!: “(h) THEY PROBABLY got TOGETHER and were discussing you after”. Le tour commence par une inspiration audible signifiant “je vais parler”, puis une intensité forte sur le début de l’énoncé qui l’impose à l’interlocutrice. Sur le plan mimo-gestuel, les yeux se ferment dès le début de l’énoncé, ce qui est encore plus fort que le fait de détourner le regard pour prendre la parole (nous verrons le rôle du détournement de regard plus en détail dans la partie sur la gestualité). Mais pour être brève, l’interlocutrice qui veut prendre la parole détourne généralement (pas toujours) son regard de la locutrice!: “celui qui écoute regarde celui qui parle!; celui qui parle ne regarde pas celui qui écoute”. Cette façon de détourner le regard permet de ne plus prendre en compte l’interlocuteur, de se replier sur soi pour dire ce que l’on veut dire. Or, ici, Michelle ferme les yeux, ce qui nous semble encore plus fort dans la non prise en compte de l’autre et dans le repli sur soi (comme le fait de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ce que l’autre a à dire). On pourrait donc considérer que Zoe, après un tel tour de force, voudrait reprendre ce tour de parole qu’elle a perdu, mais les indices intonatifs et mimo-gestuels vont à l’encontre d’une telle interprétation. Le début de l’énoncé “and coquille Saint-Jacques {0,337} everything was Breton” est prononcé avec une intensité moyenne (juste un pic sur la première syllabe de “coquille”, mais qui a pour effet plutôt de marquer le changement d’orientation discursive en effectuant une légère mise en relief du terme qui n’est d’ailleurs pas vraiment modulé sur le plan intonatif). De plus, elle regardait Michelle parler et continue de la regarder pendant l’émission de “and”. Son regard part vers la

gauche sur “coquille Saint-Jacques” (deuxième élément allant dans le sens d’une focalisation, le troisième élément est fourni par le mouvement des avants-bras qui reculent en trois temps sur les accoudoirs, correspondant exactement aux temps rythmiques de “coquilles Saint-Jacques” car la deuxième syllabe de “coquilles” est considérée par Zoe comme inaccentuée), pour revenir immédiatement vers Michelle avant même la fin de la production de “jacques”. Enfin, la première partie de l’énoncé avant la pause est prononcée avec le sourire (le sourire est une mimique indiquant une co-énonciation bien établie et un consensus fort, on ne peut donc pas voir ici de rupture de la co-énonciation due à la prépondérance de rapports de co-locution). L’interlocutrice Michelle, quant à elle, ne regarde pas Zoe pendant que celle-ci parle et ne la regardait pas non plus avant. On sent, dans l’absence de contact visuel de Michelle une continuité co-locutive!: elle sait qu’elle va reprendre la parole, mais ne sait pas encore exactement comment elle va orienter son discours. Zoe va lui fournir l’orientation discursive dont elle a besoin pour continuer avec “I had those the other day in a Chinese restaurant”, “those” faisant référence aux “coquilles Saint-Jacques”. C’est pour toutes ces raisons que nous avons vu dans ce “and” une valeur de rectification (ajout d’un oubli, orienté vers le discours précédent de Zoe) et de changement d’orientation discursive (par rapport au contexte immédiat que constitue le mime de Michelle), mais certainement pas de conservation du tour de parole et encore moins de reprise de la parole en force.

En revanche, “and” peut parfois acquérir cette valeur de conservation du tour de parole comme dans les exemples qui suivent!:

Exemple 8!: “and” à valeur de conservation du tour de parole Rhème 9 > préambule

TU 149 (Z)!: WHO WAS THE DJ bloke Ê {0,561} [c’était qui le mec qui était dj] Préambule 2 = ligateur + point de vue

TU 150 (M)!: i don’t KNOW Ê [je ne sais pas] Rhème 10

you SAT ‰ {0,292} at THE other end of the table from us:: Ê [tu étais assise (ou!: vous étiez assis) à l’autre bout de la table par rapport à nous]

Préambule 3 = ligateur + point de vue

TU 151 (M)!: and: {0,684} everyone’s going [et tout le monde faisait] Préambule 4 = ligateur

hi [ouais] Rhème 11

he’s a dj:: Ê [il est dj]

Dans cet exemple, Zoe demande une nouvelle précision par rapport à ce qui avait été développé précédemment!: finalement, elle ne se souvient plus de ce DJ. Michelle visualise très bien la personne mais ne connaît pas son nom, ce qui explique le “I don’t know”. De plus, elle reproche plus ou moins à Zoe de ne pas s’en souvenir, car celle-ci était mieux placée qu’elle à table (elle était assise près du DJ à l’autre bout de la table). Tout ce dont Michelle se souvient, c’est que de son côté de la table, les convives étaient assez épatés (nous avons traduit “hi” par “ouais”, mais il s’agit ici d’une exclamation au sens plus

fort, traduisant l’admiration) du fait que l’inconnu était DJ. Ce qui se passe donc ici, c’est que Michelle ne veut pas rester sur son aveu d’impuissance à qualifier le personnage, ni sur le reproche implicite qu’elle fait à Zoe de ne plus se souvenir du nom de quelqu’un qui était situé près d’elle à table. Tout en essayant de rassembler ses souvenirs (tentative marquée par les allongements de “us” et de “and”, avec un allongement important sur “us”), elle ne marque pas de pause entre les deux termes. La pause vient après. Dans une étude sur les pauses démarcatives déplacées (Ferré, 200217!; à paraître,b), nous avons montré que c’est là une stratégie conversationnelle relativement courante chez nos locutrices!: on sait que l’interlocuteur prend de préférence la parole à un point de complétude syntaxique, intonative et pragmatique18 (c’est-à-dire lorsque le sens, la prosodie et la syntaxe indiquent que l’énoncé est achevé), or l’ajout d’une conjonction est justement l’indication que quelque chose va suivre puisque la conjonction a pour rôle de relier deux arguments (l’indication est d’autant plus forte que la conjonction est ici en