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“Le paragraphe oral anglais”

4.5 Le support lexical

Le support lexical (disjoint ou non) dans le préambule constitue la différence majeure entre l’anglais et le français oral. Il est extêmement rare en anglais oral alors qu’il est très fréquent en français. Dans notre corpus, nous n’avons relevé au total que 7 supports lexicaux (dont au moins trois sont ambigus), ce qui nous permet de dire que seuls 1,5!% des préambules comportent un support lexical dans notre corpus. De plus, s’il vient certainement “mettre en place la référence de l’argument qui sert de support à la prédication du rhème” (Morel et Danon-Boileau, 1998:41), il ne se présente jamais dans une structure à présentatif existentiel (comme c’était parfois le cas pour le cadre) de type “il y a X…”, et lorsqu’il apparaît dans une structure avec reprise pronominale, le rhème n’est jamais introduit par un relatif. Sur le plan intonatif, il n’est pas détaché du rhème

comme en français grâce à une remontée de l’intonation sur sa dernière syllabe, mais est au contraire prononcé la plupart du temps avec une intonation descendante (nous avons relevé un cas où l’intonation monte sur le support lexical, mais il s’agit d’une question), parfois même sans pause entre le support lexical et le rhème. Il ne porte aucun accent de focalisation et n’est pas mis en relief par la mimo-gestualité (nous supposons que ceci peut être dû à la rareté même du support lexical dans le préambule qui en fait un élément focalisé, et que les locutrices n’ont pas besoin de le marquer d’une autre manière).

Nous allons d’abord présenter les supports lexicaux avec reprise pronominale dans le rhème et que nous considérons comme disjoints.

Exemple 1!: support lexical disjoint à fonction de sujet avec reprise pronominale Préambule 2 = ligateur + support lexical disjoint + cadre

TU 188 (Z)!: and my FRIENDS that were ‰ HERE Ê [et mes amis qui étaient là] Rhème 2

TU 189 (Z)!: they didn’t go {0,143} at: ALL ‰ they didn’t go ONCE in the whole of the second /semester ‰ [ils n’y sont pas allés du tout ils n’y sont pas allés une seule fois dans tout le second semestre]

Dans cet exemple, Zoe parle de ces jeunes Anglais en France qui ne rencontrent aucun Français et ne vont même pas aux cours proposés par l’université. Nous avons pensé que “that were here” ne faisait pas partie du support lexical à cause de l’emploi de “here” par Zoe. En effet, elle aurait dû, s’il ne s’était pas agi d’un cadre, employer “in Nantes” puisque “here” situe la prédication dans le lieu présent (or, elle raconte un fait inscrit dans le passé), mais avec “here”, elle rattache la prédication au moment de l’énonciation. Il y a donc une rupture temporelle entre “my friends” et “that were here” qui nous oblige à considérer comme cadre la deuxième partie du préambule. “My friends” se trouve ainsi disjoint du rhème et est repris par le pronom “they”.

Exemple 2

Préambule 1 = ligateur + support lexical disjoint

TU 787!: uh MY hem Ê {0,136} my (XXX) FRIEND Lydia Ê [euh mon euh mon XXX amie Lydia]

Rhème 1

she has: this HOrrible like: phobia of WASPS: Ê but like: a major phobia Ê she’s has nightmares ‘bout them (F0-) Ê she REAlly Ê §spiders§ (F0-) Ê hates them (F0-) Ê [elle a cette horrible genre phobie des guêpes mais genre une super phobie elle en fait des cauchemars elle les §les araignées§ déteste vraiment]

Ici encore, le support lexical “my (XXX) friend Lydia” est détaché du rhème (en grande partie par son intonation descendante et le rehaussement sur le début du rhème puisque préambule et rhème ne sont pas séparés par une pause) et est repris par le pronom “she”. Dès le début de ce support lexical (qui commence en fait sur le faux-départ), Zoe met en place un geste de la main!: sa main gauche est en équerre à hauteur du cou jusqu’au deuxième “my” où elle écarte les doigts. Nous ne pensons pas que ce geste soit en relation avec le sémantisme du support lexical, mais il assure une certaine cohérence de

l’ensemble de la structure mimo-gestuelle de l’exemple, que nous reproduisons ici!:

TU 787 Pr1 = ligateur + support lexical disjoint

Zoe uh MY hem Ê {0,136} my (XXX) FRIEND Lydia Ê regard ...M ] fl tête ...flD ] fl mains...[MG en équerre > MG doigts écartés

TU 788 Rh1

she has: this HOrrible like: phobia of WASPS: Ê but like: a regard... ] flD ] M sourcils... [ Ÿ ]

tête ... ] reculée + fl ] fl mains... > crochets > poing > équerre > écartés major phobia Ê she’s has nightmares ‘bout them (F0-) Ê regard ... tête ...[›fl] fl [ Q ] mains...[battement] [battement] TU 791 she REAlly Ê §spiders§ (F0-) Ê hates them (F0-) Ê regard ... ]

sourcils... [Ÿ]

tête ...[ ] repos ... [fl ] repos mains... [battement] [battement]

Ce qui est intéressant dans cet exemple, c’est la séquence gestuelle de la main gauche de Zoe, qui est particulièrement complexe. Dès le début du support lexical “my hem”, Zoe place sa main gauche en équerre à hauteur du menton, sans doute dans la prévision du geste qu’elle va faire (la main en équerre est utilisée ici pour signer l’attente d’un élément qui va être mis en relief), ensuite vient cet élément “my (XXX) friend Lydia”, et les doigts s’écartent alors (configuration main en “5”) symbolisant ainsi la focalisation (tous les doigts de la main sont utilisés et montrés à l’interlocutrice ce qui donne de l’importance au discours). Zoe entame alors le rhème, la main toujours dans cette configuration, mais sur “has this”, celle-ci prend la forme d’un crochet, les doigts sont légèrement repliés, comme le geste de recul brusque de la main que l’on fait lorsque l’on est surpris par quelque chose de déplaisant (seule la configuration de la main est mimée, pas le mouvement). Zoe replie alors complètement ses doigts sur “horrible” (on se situe ici dans le même type de geste que le précédent, avec une forte motivation métaphorique!: si c’est quelque chose d’horrible, je n’y touche pas, et comment mieux le mimer qu’en fermant le poing, même si “horrible” a plutôt le sens de “terrible, grande” ici). On retrouve ensuite les deux gestes du support lexical!: la main en équerre sur “like:”, qui a ici une fonction de focalisateur (voir plus haut pour les différentes utilisations de “like”) et les doigts écartés pour l’élément focalisé, “phobia of wasps:” (“phobie des guêpes”). À cet instant, le rhème est posé (l’information principale est donnée) et la suite va déterminer plus précisément cette phobie des guêpes de Lydia. La séquence gestuelle que

nous avons vue et qui comportait une série de gestes enchaînés les uns aux autres est en quelque sorte suspendue (la main reste dans cette dernière configuration doigts écartés) et Zoe va effectuer une série de battements (la main s’abaisse rapidement et reprend sa configuration initiale) sur chaque mot comportant une syllabe tonique dans le rhème, à savoir “major”, “nightmares”, “really” et “hates”. Ces battements contribuent à marquer le rythme de son discours et à accentuer ses mots par rapport aux autres. Le fait que la séquence gestuelle complexe soit initiée sur le support lexical disjoint montre bien que c’est la référence de l’argument qui sert de support à la prédication (Morel et Danon-Boileau, op. cit.) et il en va de même pour “phobia of wasps” qui va aussi d’une certaine manière fournir le support de la longue définition.

Exemple 3!: support lexical disjoint objet du rhème avec reprise pronominale Préambule 1 = ligateurs + support lexical disjoint

TU 564 (Z)!: SO {0,12} anyway about the ticket ‰ {1,07} [alors au fait à propos du billet] Rhème 1 > préambule

are you getting it §right§ tonight ‰ {2,36 laugh M + Z} {1,14} [tu le prends §d’accord§ ce soir]

Exemple 4

Préambule 1 = support lexical disjoint+ modus

TU 852 (Z)!: WITH spiders i just have to [moi les araignées il suffit que] Rhème 1 + ponctuant

kill them straight away though Ê {1,09 (bruit)} [je les tue tout de suite pourtant]

L’exemple 3 est un peu différent des exemples précédents dans la mesure où d’une part, le support lexical disjoint “ticket” n’est pas le sujet grammatical du rhème, mais son objet, et d’autre part, tout en en étant disjoint et repris par le pronom “it”, il est néanmoins introduit par la préposition “about”. On retrouve donc une fois de plus ce besoin constant de l’anglais de conserver des marques syntaxiques qui permettent d’établir les relations entre les éléments de la phrase alors que dans un pareil cas en français, on pourrait très bien trouver “Alors, le ticket, tu le prends ce soir!?” “Ticket” n’est ici marqué ni sur le plan prosodique, ni sur le plan mimo-gestuel.

L’exemple 4 est construit de la même façon que l’exemple 3. “Spiders” est le complément de “kill” et est repris dans le rhème par “them”. De même, il est introduit par la préposition “with”, alors qu’en français on aurait tout simplement “les araignées il suffit que je les tue tout suite”. Comme dans l’exemple précédent également, le support lexical n’est pas marqué sur le plan de la prosodie et sur le plan mimo-gestuel.

Exemple 5!: Support lexical sujet du rhème non repris par un pronom Préambule 1 = ligateur + support lexical + marque TdF + cadre

TU 793 (Z)!: (h) and her sister hem Ê {0,728} FOR: her BIRTHDAY ‰ [et sa sœur euh pour son anniversaire]

Rhème 1

TU 795 (Z)!: (h) got a s hem basically a matchbox: (F0-) Ê {0,467} k §(h)§ [a pris une s euh une espèce de boîte d’allumettes §(h)§]

Dans l’exemple 5, “her sister” va servir de support au rhème dont il est séparé par le cadre “for her birthday”. Il n’est pas marqué sur le plan prosodique mais sur le plan mimo-gestuel, Zoe met en place un geste qui va lui servir doublement par la suite!: elle place sa main gauche en configuration ‘C’ (cf. Cuxac, 2000:105) à hauteur du menton, ce qui va lui permettre de marquer le cadre temporel d’une part, où l’index et le pouce se rapprochent et dont nous avons vu plus haut que cela lui permet de circonscrire un événement précis dans une période de temps plus large, mais après avoir écarté le pouce et l’index, elle les rapproche une deuxième fois sur “matchbox” (“une boîte d’allumettes”, c’est-à-dire une petite boîte). Le deuxième geste fait ainsi référence à la petite taille de la boîte utilisée. Il n’est pas impossible que Zoe, au moment de l’émission du support lexical, ait déjà eu en tête l’idée de la boîte d’allumettes et qu’elle ait mis sa main dans cette configuration pour marquer l’écart entre la taille de la boîte utilisée et la taille d’autres boîtes possibles. Le rhème ensuite enchaîne directement avec le verbe, ce qui montre une fois encore le souci de liens syntaxiques forts puisque “her sister” est le protagoniste de l’action.

Les deux exemples suivants sont beaucoup plus délicats à traiter, et leur classement parmi les supports lexicaux relève plus de l’intuition, car ils sont très ambigus.

Exemple 6!: support lexical repris dans le rhème!? Préambule 4 = point de vue + ligateur + cadre

TU 10 (M)!: i’ll say LONdon for now [je vais dire Londres pour le moment] Préambule 5 = ligateur + support lexical + ligateur

TU 11 (M)!: cos my dad you know [parce que mon père tu sais] Rhème 6

my dad {0,887} moved around quite a lot Ê {0,235} [mon père a pas mal voyagé] Exemple 7

Préambule 3 = ligateurs

TU 160 (Z)!: (h) AND HEM Ê [et euh] Rhème 3 > préambule

TU 161 (M)!: WHO’S she again Ê {0,634} [qui ça] Préambule 4 = support lexical disjoint TU 162 (Z)!: Fe LI city Ê

Rhème 4 inachevé

that woman that Ê [cette femme qui] Préambule 5 = ligateur

TU 164 (M)!: OH

Rhème 5

she’s THAT {0,266} WOman {/0,665} §looks after the {1,251 (laugh)/}§ LOOKS AFter THE

NOTTING/HAM CROWD Ê {0,646 laugh} that woman Ê {0,397}[c’est cette femme §s’occupe des§ s’occupe des gens de Nottingham cette femme]

Le caractère ambigu de ces deux exemples repose sur le fait que tous deux impliquent une répétition. Dans l’exemple 6, Michelle commence avec “my dad”, insère un autre ligateur, et reprend “my dad” dans le rhème. Or on pourrait aussi considérer que “you know” n’est pas un ligateur mais un simple marqueur d’appel à l’attention de l’autre, et que

l’ensemble support lexical + marqueur ferait partie du rhème. Ce qui nous a amené à classer “my dad” comme support lexical, c’est que lorsque nous regardons la vidéo, nous n’avons nullement l’impression qu’il y ait une hésitation de la part de Michelle, mais au contraire qu’elle veut mettre “my dad” en relief, ce que font à la fois le support lexical et le marqueur d’appel à l’attention de l’autre.

Dans l’exemple 7, il y a également une répétition. Michelle n’a pas entendu de qui Zoe voulait parler et lui demande de répéter ce qu’elle a dit, et Zoe le fait en posant d’abord “Felicity”, puis en apportant une précision sur la personne en question (précision qui nous laisse penser qu’en fait, Michelle ne se souvenait plus de cette femme, et non pas qu’elle n’avait pas entendu). Du coup, “Felicity” est bien l’objet de discours défini par le rhème ce qui correspond assez à la définition du support lexical disjoint, et est mise à distance par Zoe qui emploie “that woman”, au lieu par exemple de “the woman”.

souvent plus court. Ces constituants, lorsqu’ils sont présents, sont, comme en français, les ligateurs, le point de vue et le modus, le cadre et le support lexical. Nous abordons maintenant les ponctuants du rhème.

Chapitre 5