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La mimo-gestualité mise en œuvre dans le cadre

“Le paragraphe oral anglais”

4.3 L’expression de la modalité!: point de vue et modus

4.4.2 La mimo-gestualité mise en œuvre dans le cadre

En ce qui concerne le cadre, nous avons préféré dans un premier temps définir le cadre d’un point de vue purement discursif, et la mimo-gestualité spécifique au cadre dans un deuxième temps pour des raisons de facilité, mais les deux analyses se rejoignent finalement. Nous avons relevé dans le cadre deux types de gestes!: a) les gestes directement liés au sémantisme du cadre et b) les gestes plutôt liés à la situation discursive qu’implique la notion de cadre. On rencontre ces gestes dans à peine la moitié des cadres (46,1!%), mais ils sont très cohérents.

Les gestes les plus directement liés au sémantisme exprimé par le cadre sont les mimes (ce sont aussi les gestes les plus rares). Par exemple, lorsque Michelle dit “there’s a bit where you go through the customs”, que nous avons vu plus haut, elle initie une séquence gestuelle sur le cadre (souligné dans l’exemple) qui se poursuit sur le rhème!: tout en prononçant “there’s a bit where”, sa main droite, qui était en pronation (paume de la main orientée vers le bas) à hauteur du menton, plonge vers l’avant pour se relever légèrement sur “you go through the customs”. Par ce geste, elle mime l’action qui se situe dans le cadre, mais aussi le cadre lui-même puisque “bit” est un terme très générique donnant peu d’indications sur la configuration spatiale. En effet, le geste permet de dire que le lieu est rectiligne (“comme un couloir”) et qu’il faut descendre avant de remonter (“comme dans un tunnel”). C’est plus précisément le geste qui nous permet de visualiser le cadre (et c’est d’ailleurs ce qu’elle veut faire puisque Zoe ne se souvient plus du tout de l’endroit). De même, lorsqu’elle dit “everytime I came out of my room”, que nous avons classé parmi les spatio-temporels, elle fait le geste d’ouvrir une porte qui va dans le sens

de notre analyse!: il ne s’agit ni d’un geste exprimant la temporalité, ni d’un geste exprimant un déplacement de lieu (comme l’indique pourtant “come out of”) mais un geste situé entre les deux (avant de sortir, elle doit ouvrir la porte). Enfin, lorsque Zoe dit “so to arrive at the station and suddenly have noone waiting for me that would have been the worst thing in the world” (TU!678!: “alors arriver à la gare et qu’il n’y ait tout à coup plus personne à m’attendre ça aurait été la pire chose au monde”), elle avance la tête sur “so to arrive”, mimant ainsi le déplacement vers la gare et fait un long mouvement de négation de la tête sur “suddenly have noone waiting for me” qui mime à la fois l’absence d’une personne qui l’attendait auparavant et la déception de se retrouver seule à la gare.

Nous avons vu également dans la section précédente que le cadre permettait de poser un nouvel objet de discours qui va s’opposer à un autre objet (déjà posé ou à venir). Cette opposition est rendue par le geste de pointage (à droite ou à gauche de manière indifférenciée). En effet, pour reprendre des exemples cités plus haut, lorsque Zoe dit “and she said to the real daughter” (“et elle dit à la vraie fille” par opposition à “la fille adoptée”), sa main droite, qui était en supination (paume de la main orientée vers le haut) à hauteur du buste, pointe vers la droite. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le pointage ne fait que révéler l’opposition et le nouveau cadre, mais ne participe pas à situer les personnages dans un certain espace comme c’est le cas par exemple en Langue des Signes Française (voir Cuxac, 2000), puisqu’un peu avant cette réplique, Zoe parlait de “this adopted daughter” et pointait également à droite. D.!McNeill fait la même observation dans sa transcription des gestes de pointage lors d’une narration par un sujet du dessin animé dont il a été question dans l’introduction, où “LH”, signifie “left hand”, “main gauche”, et “RH”, “right hand”, “main droite” et où il ajoute un commentaire en caractères gras!:

“First you see Sylvester (LH) and he’s in the window of the Bird Watcher’s Society, and he’s looking through binoculars at Tweety Bird (RH) who’s in the Broken Arms Apartment building, and Tweety Bird (RH) is looking back at Sylvester through binoculars too. Sylvester decides to go get Tweety and so (RH) he dashes out of his building and runs across the street. [Here the right hand has been set up to be Tweety and the left hand to be Sylvester, but all of a sudden the right hand becomes Sylvester.]37

” (1992:388).

Le pointage de Zoe révèle que les deux personnages opposés ici sont à tour de rôle situés de manière imaginaire en avant et à droite de la locutrice. Le geste évoque d’une certaine manière celui que l’on fait lorsque l’on présente une connaissance à quelqu’un d’autre et

37!Traduction de la remarque de McNeill!: “Dans ce passage, la main droite avait été attribuée à la désignation de Tweety alors que la main gauche désignait Sylvester, mais tout à coup, c’est la main droite qui désigne Sylvester.”

c’est exactement le rôle du cadre que d’introduire ce dont on va parler (il est d’ailleurs assez comique de penser qu’en anglais “présenter quelqu’un” se dit “introduce someone”). On trouve aussi cette notion d’opposition lorsqu’en disant “it’s not really in France it’s not the same” (TU!981!: “ce n’est pas vraiment en France ce n’est pas la même chose”), Zoe pointe l’auriculaire de la main gauche vers la gauche juste après “France”, l’opposant ainsi à ce qui va suivre “England”. En plus de ce pointage, elle plisse le nez, mais cette mimique est plutôt liée au sémantisme de “not really” (“pas vraiment”) qu’au cadre lui-même.

Cette valeur d’opposition se retrouve également lorsque Zoe dit “on the morning of the twenty sixth” (TU 752!: “le vingt-six au matin”) puisqu’elle pointe l’index de la main gauche vers la gauche et l’oppose ainsi au “twenty fifth”, la veille. Mais nous avons remarqué que le traitement mimo-gestuel des données temporelles dans le cadre est extrêmement précis. Le pointage à gauche (nous n’avons aucune occurrence de pointage à droite pour le temps) permet donc d’opposer un point précis du temps à un autre. Mais pour marquer un point précis du temps dans le passé, Zoe incline la tête à gauche. Ici, on se trouve bien dans l’axe temporel habituel gauche-droite, qui situe le passé plutôt à gauche et le futur plutôt à droite, selon les habitudes d’écriture dans les cultures occidentales. Comme par exemple lorsqu’elle dit “yeah cos two years ago I was a Nottingham student” (TU!687!: “oui parce qu’il y a deux ans j’étais une étudiante de Nottingham”), où elle incline la tête à gauche dès le début de “two years ago” et la maintient dans cette position pendant tout ce qui concerne cette période. Dans un autre passage, Michelle dit “we’d been travelling for firstly we got stuck” (TU 583!:“on roulait depuis d’abord on est resté coincé”), le début du cadre est interrompu, mais sur “firstly”, sa main droite, qui était au repos en pronation sur sa cuisse, effectue un mouvement de supination en une rotation du poignet vers l’extérieur. Ce geste correspond tout à fait à ce que Michelle veut exprimer, c’est-à-dire qu’il ne s’agit plus d’un point précis dans le temps, mais d’un déroulement (qui est métaphoriquement représenté par le “déroulement” du poignet) dans le temps en plusieurs étapes. Et quand Zoe dit “when I spend time with my friends from home I have an accent” (TU!80!: “lorsque je passe un certain temps avec mes amis à la maison j’ai un accent”) elle veut parler d’une période de temps indéterminée (et presque hors du temps) et écarte les doigts de la main gauche (où tous les doigts pointés semblent signifier “un certain temps”, mais la direction du pointage vers le haut en montre le caractère indéterminé). Enfin, un dernier exemple sur l’expression mimo-gestuelle de la temporalité!: lorsque Zoe parle de la phobie de son amie Lydia, elle commence ainsi son récit!: “and her sister hem for her birthday got a s hem basically a matchbox” (TU!793!: “et sa sœur euh pour son anniversaire a pris une s euh en gros une boîte d’allumettes”). Sur le début du préambule, la main gauche de Zoe était en configuration ‘C’ décrite par Cuxac (2000:105). Elle va ensuite fournir un appui pour

le geste qui suit immédiatement et qui porte sur le cadre “for her birthday”, où le pouce et l’index de la main se rejoignent sans toutefois se toucher. Ce geste montre que Zoe souhaite circonscrire un événement précis dans une période de temps plus large, ce qui apparaît dans le rapprochement des doigts de la main.

Nous avons donc montré comment la mimo-gestualité était congruente au sémantisme des expressions temporelles et aimerions maintenant aborder le deuxième type de marques mimo-gestuelles, qui est plutôt lié à la situation discursive du cadre qu’à son sémantisme propre. Il s’agit de marques exprimant la focalisation. En effet, le fait de poser le cadre dans le préambule étant plutôt inhabituel en anglais, la démarche correspond à une mise en relief d’un élément dans le discours, marquée sur le plan prosodique et sur le plan mimo-gestuel. Nous avons vu, en étudiant les pauses de focalisation38 dont nous parlerons plus précisément dans le chapitre 8 portant sur les pauses, que le terme focalisé portait toujours la syllabe tonique du groupe, et qu’il était marqué sur le plan mimo-gestuel par un hochement de tête ou un haussement des sourcils. Or, nous retrouvons précisément ces marques dans de nombreux exemples de cadres. De fait, le focus et le cadre possèdent la même valeur restrictive, mais le cadre restreint le domaine interprétatif alors que le focus exclut tous les autres éléments du paradigme.

Exemple 1!: marques de focalisation TU 678 Pr3 = ligateur + cadre

so to ARRIVE at the station Ê and suddenly have noone Ê waiting for me Ê regard ...M [›D ] M sourcils... [ Ÿ ] ... [Ÿ]...[Ÿ]

tête ...[avancée + ›D] repos ...[Q ] bouche...sourire

TU 680 Rh3

that would have been the WORST thing in the WORLD: (F0-) Ê regard ... sourcils...[ Ÿ Ÿ ]

bouche...

Nous avons déjà commenté une partie de la mimo-gestualité de cet exemple plus haut, mais nous le reprenons ici car il est particulièrement intéressant sur le plan de la focalisation. Les deux syllabes qui portent un accent de focalisation sont la deuxième syllabe de “arrive” et “worst”!: toutes deux sont marquées fortement sur le plan prosodique ainsi que la dernière syllabe du groupe, “world” qui est allongée et prononcée avec une intensité forte et une intonation descendante. On remarque que “arrive” et “worst” sont également prononcés avec une intensité élevée par rapport aux autres syllabes accentuées du groupe. Mais, sur le plan mimo-gestuel, ce sont uniquement “arrive” et “worst” qui sont les syllabes les plus marquées!: en disant “arrive”, Zoe, en

38!Ferré G., 2003, “Discursive, Prosodic and Gestural Marking of Focalisation Pauses in British English”, in Actes du Colloque Interfaces Prosodiques, A. Mettouchi et G. Ferré (Eds.), Nantes, 27-28-29 mars 2003, pp.!265-270.

plus d’avancer la tête (geste lié au sémantisme du verbe comme nous l’avons vu plus haut), hausse les sourcils et lève le menton vers la droite. Sur “worst”, si elle ne lève pas la tête, elle hausse deux fois les sourcils très rapidement. On trouve également dans le groupe, deux petits haussements de sourcils, l’un sur la syllabe inaccentuée de “station”, l’autre sur la première syllabe (accentuée) de “suddenly”. Par ailleurs, ce cadre qui est plutôt long pour un cadre anglais est marqué à plusieurs reprises sur le plan de la mise en relief. Dans des exemples plus courts, on ne trouve en général qu’un marquage de la focalisation, comme dans l’exemple suivant!:

Exemple 2

TU 959 Rh1 > préambule

{0,369 sniff} they LET ME GO: Ê {0,384} regard... sourcils ... [Ÿ ]

tête... + ‹ ] TU 960 Pr1 = cadre + ligateur

next thing you know ‰ regard... [flG sourcils ... [Ÿ ] tête... [fi

TU 961 Rh2

there’s all these new stuDENTS ‰ working in Marks and Spen/cers ‰ regard... ] fi ] Z sourcils ... [ Ÿ ] [ Ÿ ]

tête... ] [incl. G/D] inclinée à G par à-coups

Dans cet exemple, Michelle raconte comment les magasins Marks and Spencer, où elle travaillait pendant ses études en Angleterre, l’ont renvoyée, sous le faux prétexte qu’ils n’avaient plus besoin de tant de personnel, alors que c’était manifestement pour ne pas payer les charges. L’ensemble de la réplique est fortement mis en relief (focalisation marquée par les nombreux haussements de sourcils, l’intensité parfois forte mais surtout croissante à la fin du rhème 2, et l’intonation montante sur le préambule et le rhème qui le suit), mais Michelle, dans les divers haussements de sourcils, marque une pause entre le premier rhème et le préambule!: de cette manière, elle ne donne pas l’impression d’émettre un ensemble entièrement focalisé, mais une série d’éléments focalisés de manière individuelle. Dans le préambule, le haussement de sourcils est unique mais maintenu sur tout le cadre et le ligateur (c’est la prosodie et ce haussement de sourcils qui assurent la cohésion de l’ensemble cadre + ligateur en un même préambule et qui nous empêche de considérer le marqueur d’appel à l’attention de l’autre “you know” comme faisant partie du rhème qui suit). Bien qu’il n’y ait aucune pause dans le préambule et le rhème 2, on ne peut par conséquent pas adopter le découpage “next thing + you know there’s all these new students working in Marks and Spencers”.

Exemple 3

cos ON the WAY BACK as well Ê it’s a shame regard ...M sourcils...[ Ÿ ]

tête ...[› + fi Rh1 > préambule

we’re not going back Ê on the same day Ê regard ... tête ... ] [ ›fl ] flG

Ici aussi, le cadre est marqué sur le plan prosodique avec une intensité forte sur “on”, “way” et “back”, mais également sur le plan mimo-gestuel où Zoe hausse la tête dès le début du cadre et la maintient dans cette position sur le modus et une partie du rhème qui suit, et où elle hausse les sourcils sur tout le début du cadre “on the way back”. Parfois, en revanche, le geste est beaucoup plus ponctuel, comme dans l’exemple suivant!:

Exemple 4!: mise en relief ponctuelle

Pr1 = ligateur + marque TdF + cadre

but hem ‰ {0,102} WHEN MY: cos I LEFT in f in february regard ...café ] M tête ...fl ] repos mains...brassent café ] buste...[avancé TU 187 to go Ê to BarceLOna Ê regard ... tête ... [›fl] repos buste... ] repos

Au début du préambule, Zoe regardait son café qu’elle était en train de brasser et sa tête était penchée vers le bas (nous avons vu plus haut que ce type de gestuelle était à mettre en relation avec les difficultés de formulation éprouvées par la locutrice). Néanmoins, lorsqu’elle dit “Barcelona”, la syllabe “lo” porte l’accent tonique de tout le groupe et est marquée par un hochement de tête ponctuel.