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“Le paragraphe oral anglais”

4.2 Les ligateurs

4.2.4 L’accumulation de ligateurs

L’accumulation de ligateurs est assez rare dans notre corpus et se limite souvent à trois ligateurs comme “oh well yeah” ou “like cos uh” ou bien encore “and hem because” et “and then cos”. Dans ce cas, chaque ligateur va apporter sa contribution à l’orientation plutôt discursive ou énonciative. Des ligateurs discursifs peuvent se trouver mêlés, dans cette accumulation, à des ligateurs énonciatifs. Ainsi, au tout début de l’enregistrement, Michelle produit la séquence suivante “yeah right then so” suite à la question de Zoe qui lui demande si elle veut prendre la parole la première (et commencer la petite présentation que nous leur avions demandé de faire).

Exemple 1!: “yeah right then so” Rhème 1 > préambule

TU 3 (Z)!: you WAnna get first ‰ {0,763} [tu veux commencer] Préambule 1 = ligateurs

TU 4 (M)!: yeah right then SO: ‰ {0,374} [oui bon alors]

Rhème 2 + incise

TU 5 (M)!: my name’s Michelle Fisher: ‰ {1,685 (laugh)} TU 6 °they will {0,123} XXX° {0,467} §XXX§ [je m’appelle Michelle Fisher °ils vont XXX° §XXX§]

(…)

Tout d’abord, avec “yeah” et “right”, Michelle répond à la question de Zoe (nous avons néanmoins décidé de considérer l’ensemble comme ligateur, et non pas une réponse suivie d’un ligateur à cause de l’unité que forme le groupe!: il n’y a aucune pause entre les ligateurs, le fondamental et l’intensité vont progressivement croître sans rupture ni de F0, ni de l’intensité, et l’ensemble forme un tout insécable). Par ce début d’énoncé, elle

30!À ce sujet, V. Traverso (1999) note qu’“avoir vu les mouvements et les actions est le plus souvent indispensable pour la compréhension du corpus.” (p.!23)

accepte la proposition de Zoe et accepte également le désir de Zoe de commencer par établir de bons rapports co-énonciatifs. Sa question est en effet prononcée avec une intonation montante, ce qui est loin d’être une régularité en anglais!: le fait qu’il n’y ait pas ici d’auxiliaire comme c’est normalement le cas dans “do you want to get first” n’explique pas cette montée intonative (on pourrait prétendre que la montée intonative est due à l’absence d’auxiliaire et qu’elle a pour but de distinguer la question de l’affirmation, mais cela ne tient pas, car Zoe aurait tout aussi bien pu choisir de commencer sa question avec l’auxiliaire “do” et si elle ne l’a pas fait, c’est sans doute qu’elle ne voulait rien imposer à Michelle). Cette montée intonative sur la question de Zoe trouve une réponse en miroir par la montée intonative sur le ligateur que pose Michelle, et qui lui permet, tout en assurant les rapports de co-énonciation, de confirmer que ce préambule aura une suite. Il est intéressant de noter que, si l’on jette un rapide coup d’œil sur le schéma intonatif des divers segments du corpus, on s’aperçoit qu’à la différence du français, l’anglais présente des schémas intonatifs descendants très majoritaires. Or, sur ce début d’enregistrement (toute la séquence intitulée “Présentation”), on trouve une grande quantité de schémas intonatifs globalement montants. Ceci correspond à l’idée que l’on se fait d’une séquence de présentation, où toute la co-énonciation doit être établie. Ainsi, peut être ne devrait-on pas dire, comme nous l’avons fait plus haut, que la co-énonciation se pose comme acquise en anglais, ce qui explique les schémas descendants, mais tout simplement que la co-énonciation est construite au début de l’interaction, et que sur cette base, la conversation va pouvoir continuer sans qu’elle soit remise en cause constamment. Pour en revenir à notre exemple, Michelle va donc dans un premier temps prendre en compte la question de Zoe et en accuser bonne réception avec le ligateur “yeah”. “Right”, dont nous n’avons pas parlé jusqu’à présent car on ne le rencontre pas en position de ligateur dans notre corpus (on ne le rencontre que comme régulateur verbal, et encore est-il rarement seul et la plupart du temps accompagné de “all” ou “oh”), permet de porter “un jugement de conformité à des attentes” (Szlamowicz, 2001:214), jugement qui porte ici sur le rappel de la consigne (il faut vous présenter). “Then”, en revanche, va orienter le discours dans le sens d’une suite d’éléments présentés de manière chronologique à laquelle Michelle réfléchit, alors que “so” opère le bilan de cette réflexion de Michelle, tout en la prolongeant légèrement, ce qui est marqué par l’allongement sur ce ligateur, qui permet de gagner du temps. Si la question de Zoe était inscrite dans la co-énonciation sur les deux plans prosodiques et mimo-gestuels (elle sourit en regardant Michelle et elle fait un hochement de tête qui a pour but de donner la parole à l’autre!: geste déictique accompagnant les séquences interpellatives, Bouvet et Morel, 2002:103), le début de la présentation de Michelle s’inscrit dans la co-énonciation uniquement sur le plan de l’intonation car sur le plan mimo-gestuel, elle est plutôt préoccupée de la suite qu’elle va donner à son ligateur!: elle regarde son café qu’elle est en train de brasser. Cette préoccupation d’un objet autre que ce qui concerne l’interaction

(ce qu’on nomme habituellement un geste ludique!: manipulation d’un objet) est le signe de sa réflexion et du fait qu’elle est en train de mettre ses idées en place. Ce long ligateur a donc deux rôles!: établir de bons rapports co-énonciatifs avec Zoe et orienter son discours, mais aussi gagner du temps et réfléchir à la consigne.

Ce type d’accumulation de ligateurs est cependant rare, comme nous le disions plus haut, de même qu’est peu fréquente la répétition d’un ligateur. Nous avons compté en tout 7 fois où le ligateur est répété. Dans 4 cas, la répétition est due à une difficulté de formulation (lorsque Zoe dit par exemple “(h) and {0,444} and hem {0,614} and she’s {0,262} like {0,265} and she said oh you’ve been going to university”. Cette difficulté de formulation apparaît dans la répétition du ligateur, dans les reprises, dans l’ajout d’une marque de TdF et dans les nombreuses pauses intervenant en cours de syntagme). Dans 1 cas, il s’agit pour la locutrice d’une prise de parole en force (et donc d’imposer son dire, comme par exemple lorsque Zoe encore une fois dit “and then I {0,571} and then I saw them in hem the street”. Le ligateur “and then” est répété ainsi que le point de vue, mais ceci est dû à un chevauchement de sa parole avec celle de Michelle sur le premier “and then I”). La répétition peut aussi avoir une valeur d’intensification (comme dans cet énoncé de Zoe qui s’oppose à ce que vient de proposer Michelle “no no she said it’s an American”) ou encore de prise distance de l’énonciatrice par rapport à son discours comme dans l’exemple “yeah yeah we’re really enjoying the lessons we’re really enjoying the lessons”. Nous verrons plus loin, dans le chapitre portant sur les difficultés de formulation, que les mots-outils sont beaucoup moins répétés en anglais qu’en français, mais il apparaît en ce qui concerne les ligateurs qu’en français, ils sont également peu répétés (M. Candea, 2000!: “la répétition ne touche pas particulièrement les ligateurs”, p.!316). Cette absence de répétition des ligateurs dans les deux langues leur confère un statut particulier par rapport aux simples mots-outils. Les mots-outils établissent des connections entre les propositions ou jouent un rôle syntaxique, alors que les ligateurs orientent le discours.

Pour conclure cette section sur les ligateurs, nous avons donc vu qu’il existait deux sortes de ligateurs!: les ligateurs discursifs, qui précisent les relations logiques entre les énoncés et qui les relient entre eux, et les ligateurs énonciatifs, qui permettent de spécifier l’attitude de l’énonciateur vis-à-vis de son co-énonciateur et de son propre discours. Cependant, comme le dit Szlamowicz!:

“Ce que les ligateurs nous montrent, c’est que — même si on peut différencier les ligateurs discursifs des ligateurs énonciatifs — leur valeur énonciative est toujours présente et que leur valeur de structuration discursive l’est aussi. (…) Ce double statut intersubjectif et métalinguistique n’empêche pas que les ligateurs soient spécialisés, pour certains dans la structuration et pour d’autres dans la relation à la pensée d’autrui.” (op. cit., p.!366)