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A. L’entité « pneumonie staphylococcique nécrosante »

3. Les liens avec la grippe

L’existence d’un lien fort entre les infections respiratoire à S. aureus et la grippe est démontré depuis longtemps, aussi bien lors des pandémies historiques que en cas de grippe saisonnière (Wollenman et al, 1943 ; Morens et al, 2008). Par contre, malgré une forte suspicion clinique, il n’existe que peu d’éléments permettant de relier spécifiquement l’infection grippale et les pneumonies nécrosantes PVL +. La présence d’un syndrome pseudo-grippal dans les jours précédents l’apparition des symptômes de pneumonie proprement dits est retrouvée dans plus de 60% des cas chez nos patients et a également

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été régulièrement rapportée par ailleurs. Malheureusement, les recherches spécifiques de virus ne sont que rarement pratiquées, probablement parce que, au moment où le patient est hospitalisé, les symptômes évoquent fortement une pneumonie d’origine bactérienne. Cependant, certains éléments, outre la symptomatologie précoce, viennent conforter l’hypothèse selon laquelle les virus, et notamment le virus grippal, joueraient un rôle important dans la physiopathologie des pneumonies nécrosantes. Ainsi, même si nous n’avons que rarement des preuves formelles de la présence d’une infection virale, nous avons pu remarquer, notamment dans la dernière étude, que la majorité des cas de pneumonie nécrosante survenaient pendant les mois d’hiver avec 33,8% des cas au cours des mois de janvier et février qui correspondent à la période de circulation maximale du virus grippal. D’autres études récentes ont montré un lien plus fort entre la grippe et la survenue de pneumonie staphylococciques avec par exemple 33% des patients testés ayant présenté une infection grippale récente dans l’étude de Kallen pendant l’hiver 2006-2007 (Kallen et al, 2009). Cependant, les souches de S. aureus n’ayant pour un grand nombre d’entre elles pas été complètement caractérisées dans cette série, il est difficile d’en tirer des conclusions formelles vis-à-vis du lien entre infection grippale et souche PVL+. Lorsque l’on considère non plus les pneumonies staphylococciques mais la grippe, le lien avec la PVL apparait plus clairement. Dans une étude des décès pédiatriques liés à la grippe survenus aux USA entre 2004 et 2007, Finelli et al ont ainsi montré une augmentation importante du nombre de décès enregistrés par an, qui passe de 47 en 2004-2005 à 73 en 2006-2007, une grande partie de cette augmentation étant attribuée à une augmentation (6% vs 34%) des décès par surinfection bactérienne staphylococcique alors que l’épidémie de grippe ne présentait pas de gravité particulière (Finelli et al, 2008). Parmi les bactéries responsables de ces surinfections mortelles, S. aureus représentait 73,3% des cas, la majorité étant des souches de SARM-C USA300 a priori PVL positives (Finelli et al, 2008). Durant la pandémie grippale 2009-2010, S. aureus a été la première bactérie incriminée dans les décès par surinfection respiratoire de grippe aux USA aussi bien chez l’adulte (Rice et al, 2010) que chez l’enfant (Randolph et al, 2011). L’absence de caractérisation des souches rend là encore délicate l’interprétation du rôle joué par les infections PVL+. Néanmoins, certains éléments de la série pédiatrique sont intéressants : parmi les 251 enfants ne présentant pas de pathologie sous-jacente et hospitalisés en réanimation avec la grippe, 26 présentaient une infection à S. aureus, respiratoire dans tous les cas. De plus, 44% des décès (8/18) dans cette

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population de sujets sains ont été attribués à une co-infection bactérienne respiratoire et S. aureus était la bactérie responsable dans tous les cas. Ces 8 décès étaient dus à une souche présumée PVL positive (SARM-C) dans 6 cas, les deux autres souches étant sensibles à la méticilline et n’ayant pas été testées pour la présence des gènes codant la PVL. Enfin, 4 enfants décédés sur 6 (2 cas non renseignés) étaient leucopéniques et la présence d’une infection respiratoire communautaire à SARM était le seul facteur de risque indépendant de décès dans la population des enfants ne présentant pas de pathologie préexistante (Randolph et al, 2011). Il existe donc beaucoup d’éléments concordants en faveur d’un lien direct entre la grippe et les pneumonies nécrosantes.

Les études expérimentales testant conjointement les effets de la PVL et du virus grippal sont difficiles en raison de la spécificité d’espèce à la fois du virus grippal et de la PVL. Lee et al, ont néanmoins proposé un modèle expérimental permettant d’évaluer les effets de la surinfection via l’instillation d’innoculum variables de S. aureus à des souris préalablement infectées par un virus grippal A adapté à la souris (Lee et al, 2010). Ce modèle s’est inspiré d’autres travaux portant sur la surinfection de la grippe par le pneumocoque (Mc Cullers et al, 2002) et a montré que la présence d’une infection grippale préalable augmentait de façon significative la sévérité des pneumonies staphylococciques en augmentant la mortalité globale, l’intensité des lésions du tissu pulmonaire, la quantité de bactérie retrouvée dans les poumons et la dissémination de l’infection en particulier au niveau du foie et des reins. Cependant, l’obtention de ces lésions nécessitait de forts innoculum et l’étude des déterminants bactériens de virulence était difficile. En effet, malgré l’utilisation de souches de SARM-C PVL+, la production de PVL dans ce modèle d’infection était tardive et les taux de PVL demeuraient relativement bas, ne permettant pas la comparaison avec des souches PVL négatives (Lee et al, 2010). Un modèle comparable a été utilisé par Iverson et al afin de tester différentes lignées de S. aureus (Iverson et al, 2011). Les auteurs ont montré là-aussi que l’infection préalable par le virus grippal augmentait significativement la mortalité, la morbidité et la densité bactérienne pulmonaire mais qu’il existait des différences significatives en fonction de la souche bactérienne instillée. Ces données étaient comparables avec ce qui avait été observé pour le pneumocoque (Mc Culler et al, 2002) mais par contre, plusieurs différences étaient relevées entre les deux modèles. Tout d’abord, l’obtention d’une pneumonie bactérienne, même après une infection grippale, nécessite des innoculum significativement plus élevés avec S. aureus qu’avec S. pneumoniae. De plus, les

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différences observées entre les souches de staphylococque n’étaient pas, contrairement au modèle pneumocoque, dues à une multiplication plus importante de certaines souches puisque les quantités de bactérie mesurées ne variaient que très peu d’une souche à l’autre. Enfin, l’augmentation de sévérité des pneumonies staphylococciques induites par la grippe ne se manifeste qu’en cas de surinfection précoce alors que la synergie grippe/pneumocoque persiste au moins deux semaines (Iverson et al, 2011). Les auteurs concluaient en indiquant que les facteurs pro-inflammatoires sécrétés par la souche bactérienne semblaient jouer un rôle plus important pour S. aureus que pour le pneumocoque pour lequel les capacités de réplication semblaient avoir un rôle plus important. Le rôle de la PVL n’a pas été testé spécifiquement dans cette étude mais les auteurs ont cependant constaté que la PVL était le seul facteur retrouvé spécifiquement dans la souche associée à la plus grande sévérité alors que les gènes codant pour d’autres facteurs de virulence potentiels étaient présents chez toutes les souches. Comme Lee et al, ils insistaient cependant sur les difficultés rencontrées pour contrôler le niveau d’expression de ces différents facteurs.

Pour contourner ces difficultés, en 2012, Niemann et al ont publié une étude testant les effets de la PVL recombinante et du virus grippal sur les polynucléaires humains ainsi que sur des cultures de cellules épithéliales respiratoires humaines (Niemann et al, 2012). Cette étude confirme le potentiel cytotoxique de la PVL sur les PNN humains mais montre que l’infection par le virus grippal augmente de façon très significative l’effet pro inflammatoire de la PVL sur les PNN ainsi que la lyse cellulaire. Lorsque la PVL seule est mise en présence des cellules épithéliales, il n’existe pas d’effet cytotoxique contrairement à ce que l’on peut observer avec d’autres produits du S.aureus comme les Phenol Solubles Modulins (PSM) à forte concentration. Les auteurs montrent que le virus grippal induit pour sa part au niveau épithélial la production de cytokines ayant un fort pouvoir chimiotactique. Par contre, le surnageant des cultures de polynucléaires exposé à la PVL, y compris à faibles concentrations, induit une déstructuration très importante de l’épithélium respiratoire avec rupture des lésions intercellulaires. Enfin, l’instillation chez la souris du surnageant de cultures de polynucléaires humains exposés à la souche clinique USA300, à son variant délété des gènes codant la PVL ainsi qu’à une souche avirulente de S. carnosus complété des gènes codant la PVL provoque, avec les souches possédant la PVL (USA300 et S. carnosus complété) des lésions pulmonaires nécrotiques et hémorragiques tout à fait comparables à

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celles observées en pathologie humaine (Niemann et al, 2012). Ces travaux ont conduit les auteurs à proposer un modèle dynamique d’interaction grippe / S. aureus PVL+ dans lequel la grippe, la production de PVL par S. aureus et la production de protéase (dont les PSM) jouent chacun un rôle propre aboutissant à la destruction de l’épithélium respiratoire. Selon ce modèle, la grippe provoque un afflux de polynucléaires au sein du poumon, la PVL entretient cet afflux et provoque la déstructuration de l’épithélium respiratoire, favorisant ainsi l’adhésion et la multiplication bactérienne. Cette forte concentration bactérienne entraine une production massive de protéases qui est, conjointement avec la lyse des polynucléaires induite par la PVL, responsable de la destruction cellulaire. La figure 17 résume les différentes étapes de ce processus.

Figure 17 : Modèle dynamique d’interaction grippe / S. aureus PVL+ au niveau de l’épithélium respiratoire

impliquant le recrutement des PNN par le virus grippal, leur destruction par la PVL et la désorganisation puis la destruction de l’épithélium respiratoire. D’après Niemann et al (Niemann et al, 2012)