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A. L’entité « pneumonie staphylococcique nécrosante »

5. Les facteurs pronostiques

Nous avons montré que la pneumonie nécrosante est une pathologie sévère mais il est important de noter que cette sévérité se manifeste extrêmement précocement au cours de l’évolution. Ainsi, la moitié des patients décédés l’ont été avant la mise en évidence de la PVL et dans un certain nombre de cas, avant même la documentation bactériologique, le diagnostic de pneumonie nécrosante staphylococcique ayant été porté a posteriori. Il est donc très important de pouvoir suspecter la présence d’un S. aureus PVL+ très précocement et de pouvoir identifier le cas échéant des facteurs associés à un fort risque d’évolution péjorative. En effet, il s’agit de situation pour lesquelles les traitements conventionnels ont montré leurs limites et qui peuvent justifier de prise en charge spécifique que nous évoquerons plus loin. L’étude de 50 cas de pneumonies nécrosantes PVL + nous a permis de mettre en évidence des facteurs liés à la mortalité qui paraissent en outre relativement spécifiques de l’entité « pneumonie staphylococcique nécrosante ». Les facteurs associés à la mortalité, outre les éléments non spécifiques tels qu’un score de gravité élevé, le recours à la ventilation mécanique ou la présence d’un état de choc, sont donc les hémoptysies, la leucopénie et la présence d’une éruption cutanée.

a) Les hémoptysies

Il s’agit d’un symptôme qui n’est retrouvé que dans 40% des cas mais qui est probablement assez spécifique, les hémoptysies étant très rares dans les autres pneumonies bactériennes du sujet jeune. Par ailleurs, il s’agit du seul symptôme retrouvé de façon significativement plus fréquente avec les souches sensibles à la méticilline comparées aux souches de SARM dans notre étude. Nous n’avons pas d’explication claire à cette différence mais il faut noter que, dans les séries américaines portant essentiellement sur des SARM, les hémoptysies

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semblent moins fréquentes que dans notre série. Ainsi, Kallen et al ne rapportent d’hémoptysies que chez 16% de leurs patients (Kallen et al, 2009).

Nous avons pu mettre en évidence, en analyse multi variée, une relation indépendante entre la présence d’hémoptysie et la mortalité. L’existence de formes hémorragiques de pneumonies staphylococciques particulièrement sévères avait été rapportée dès le début du XXe siècle et a été associée aux formes fulminantes conduisant précocement au décès (Mc Gregor, 1936 ; Wollenman & Finland, 1943). Cependant, il n’existe pas à notre connaissance d’autres études ayant testé les liens entre la gravité et la présence d’hémoptysies. Ces signes hémorragiques ont pu être favorisés par l’existence d’une thrombopénie qui est retrouvée assez fréquemment dans nos séries et qui est également associée à une évolution péjorative en analyse univariée. Par contre, la thrombopénie n’est pas associée au décès en analyse multivariée ce qui nous a conduit à la considérer comme un facteur favorisant les hémorragies mais non comme un élément de gravité spécifique.

L’étude des données des autopsies ainsi que les modèles animaux, particulièrement chez le lapin, montre que les hémoptysies traduisent une nécrose étendue de l’épithélium respiratoire, pouvant aller de la trachée aux alvéoles. Il s’agit de lésions diffuses, susceptibles d’altérer considérablement la qualité des échanges gazeux et qui entrainent en outre une fragilisation importante du tissu pulmonaire. La présence d’hémoptysie pourrait donc être prédictive d’une évolution vers le SDRA et justifier une prise en charge adaptée mais il n’existe cependant pas d’argument clinique démontré pour un tel lien qui demeure donc pour l’instant à l’état d’hypothèse.

b) La leucopénie

Même si elle ne peut être considérée comme spécifique des pneumonies nécrosantes staphylococciques, l’existence d’une leucopénie profonde à la phase initiale de l’infection est un élément majeur aussi bien du diagnostic que du pronostic. Elle est signalée dans la plupart des études portant sur les pneumonies nécrosantes (Kallen et al, 2009 ; Hageman et al, 2006) et apparait habituellement, de la même façon que dans notre travail, comme un facteur fortement lié à la mortalité (Kallen et al, 2009).De plus, nous avons pu montrer que l’association leucopénie/mortalité était « dose dépendante », une leucopénie < à 3G/L étant associée à un taux de décès de 80%. La figure 18, élaborée à partir des résultats des 50

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patients inclus dans notre étude sur les facteurs associés à la mortalité, illustre ce lien entre l’importance de la leucopénie et la mortalité.

Figure 18 : Pourcentage de survie (en noir) en fonction du taux de leucocytes à l’admission chez 50 patients

présentant une pneumonie staphylococcique PVL +. 23 patients/50 présentaient une leucopénie < 3G/L.

Cette leucopénie est très certainement liée aux effets de la PVL mais il est difficile de faire la part entre la destruction des polynucléaires in situ, majorée par le chimiotactisme induit par la PVL ; et les phénomènes d’apoptose décrits avec des faibles concentrations de PVL (Genestier et al, 2005). Il n’existe pas à notre connaissance de données concernant le passage systémique de la PVL et les concentrations susceptibles d’être retrouvées dans le sang lors d’une infection mais l’intensité de la réponse immunitaire observée même après une infection focale comme les infections de la peau et des tissus mous (Hermos et al, 2010) constitue un argument pour un passage systémique significatif. De plus, il est peu vraisemblable qu’une infection même sévère induise un recrutement des PNN tel que l’on puisse observer une leucopénie aussi profonde. Cette hypothèse du rôle systémique de la PVL reste à prouver mais ouvre des perspectives thérapeutiques intéressantes, notamment via l’utilisation d’anticorps neutralisants ou même d’immunoglobulines polyvalentes. Quoi qu’il en soit, les PNN étant le principal mode de défense contre les infections à S. aureus, il est vraisemblable que l’existence d’une leucopénie ou même de PNN en nombre suffisant mais en voie d’apoptose soient associés à une évolution péjorative de l’infection.

114 c) L’éruption cutanée

La survenue d’une éruption cutanée, le plus souvent décrite comme scarlatiniforme, est une éventualité rare dans le cadre des pneumonies nécrosantes puisque nous ne l’avons retrouvée que chez 10% des patients. Par contre, l’existence d’un tel rash est fortement associée à la mortalité, y compris en analyse multivariée. Nous n’avons pas d’explication claire quant à l’étiologie de ces éruptions. En effet, la présentation clinique associant un syndrome infectieux sévère, un état de choc, une éruption cutanée et des atteintes viscérales dans le cadre d’une infection à S. aureus correspond aux critères du syndrome de choc toxinique staphylococcique (CDC, 2011). Cependant, la PVL ne possède aucune des caractéristiques propres aux super-antigènes impliqués dans la physiopathologie des chocs toxiniques et ne peut donc pas expliquer ce type d’éruption. Malgré une caractérisation exhaustive du profil toxinique des souches par le CNR des staphylocoques, les gènes codant une toxine susceptible de provoquer un choc toxinique c’est-à-dire les entérotoxine A, B, C ou la TSST-1 (Thomas et al, 2007), n’ont été mis en évidence que chez 2 patients sur les 5 ayant présenté un rash cutané. Compte tenu de la nature de l’éruption, un mécanisme de type toxinique est quand même probable dans les autres cas, éventuellement via la surexpression de certains surperantigènes « mineurs » en lien avec l’importance de la concentration bactérienne et une hypothétique stimulation massive des systèmes régulant positivement les gènes codant ces toxines. Une autre possibilité pourrait être une libération massive d’histamine en lien avec la PVL qui possède la capacité d’induire la production d’histamine (Konig et al, 1995) mais la description de l’éruption ne concorde pas très bien avec cette hypothèse puisque l’éruption n’a jamais était décrite comme d’allure urticarienne.

d) Les facteurs de meilleur pronostic

A côté des facteurs associés à la mortalité, deux éléments cliniques sont au contraire associés à une évolution moins péjorative. Il s’agit d’une part de la présence d’un épanchement pleural à l’admission et d’autre part de l’existence d’emblée d’un foyer staphylococcique suppuré à distance pouvant suggérer que le poumon a été contaminé par voie hématogène. Concernant ce dernier point, il n’existe pas à notre connaissance d’études

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ayant comparé spécifiquement les pneumonies staphylococciques en fonction du mode de contamination et celui-ci est le plus souvent difficile à déterminer avec certitude. Certains faits cliniques suggèrent cependant une telle « protection » (Alonso-Tarres et al, 2005). Quoi qu’il en soit, il est certain que les deux modes de contamination coexistent en pathologie humaine, les atteintes respiratoires après endocardite droite étant par exemple manifestement d’origine hématogènes alors que les pneumonies compliquant la grippe ont toutes les chances d’être secondaires à une inhalation bactérienne. Nous formulons donc l’hypothèse que le mode de contamination joue un rôle important dans la physiopathologie des pneumonies staphylococciques et que la moindre gravité observée lors des atteintes supposées d’origine hématogène est due au caractère plus focal des lésions et à une atteinte moins importante de l’épithélium respiratoire. Pour confirmer cette hypothèse, il serait intéressant d’étudier les liens entre les facteurs traduisant a priori une atteinte épithéliale (hémoptysie, SDRA) et le mode de contamination supposé mais ce point n’a pas été envisagé dans notre travail.

Le caractère protecteur de l’épanchement pleural est difficilement explicable mais est à rapprocher des observations faites chez l’enfant aux USA où l’épidémiologie des empyèmes pleuraux bactériens a considérablement évolué. Ainsi, les empyèmes dus à S. pneumoniae sont devenus moins fréquents depuis la généralisation du vaccin pneumococcique conjugué au début des années 2000 alors que le nombre d’empyèmes à S. aureus a considérablement augmenté en proportion et en valeur absolue (Schultz et al, 2004). Cette augmentation est attribuée à l’émergence des SARM-C dont nous avons vu que la majorité produisaient la PVL et ne semble pourtant pas être associé à une gravité particulière puisque la mortalité associée aux empyèmes staphylococciques de l’enfant a été estimée à 0,7% aux USA en 2011 (Grijalva et al, 2011). Une étude portant sur 117 enfants présentant une infection à SARM-C respiratoire au Texas (90% d’empyèmes; 95 % des souches produisant la PVL) a confirmé cette mortalité faible puisqu’un seul décès a été observé (Carillo-Marquez et al, 2011). Ces données sont très discordantes avec nos observations et la présentation clinique des cas évoque les staphylococcies pleuro pulmonaires « classiques » avec notamment un âge médian inférieur à un an dans cette série et l’absence de patients ayant présenté des hémoptysies. La fréquence des empyèmes (près de 90%) est également à souligner dans cette série, ce qui pourrait indiquer un mécanisme physiopathologique différent de celui de nos cas et qui en outre facilite le traitement. En effet, le drainage thoracique, qui a été

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réalisé dans 94% des cas, permet une diminution rapide et radicale de l’innoculum bactérien. Il est donc vraisemblable que ces 117 cas, bien que présentant une infection respiratoire documentée de manière indiscutable à S. aureus producteurs de PVL, soient en fait extrêmement différents de nos observations. Cette diversité clinique importante pose le problème de la définition même de la pneumonie staphylococcique nécrosante d’autant plus que la majorité des enfants de cette série présentaient des lésions de nécrose (abcès, empyèmes etc…) et que 100% d’entre eux ont ainsi bénéficié d’un traitement de type chirurgical avec 94% de drainage percutané ou par thoracoscopie et 6% de chirurgie (Carillo-Marquez et al, 2011). Pour éviter les confusions, nous proposons de réserver le terme de « pneumonie nécrosante staphylococcique » aux situations présentant des signes de nécrose épithéliale tels que les hémoptysies, la présence de lésions hémorragiques bronchiques en endoscopie ou bien entendu des signes histologiques de nécrose.