• Aucun résultat trouvé

1. Une spécificité géographique de moins en moins marquée

Lors de leur émergence à la fin du XXe siècle, les souches de SARM-C possédaient donc une spécificité géographique nette. Ainsi, le clone ST80 se rencontrait essentiellement en Europe et en Afrique du Nord ; le clone ST8, désigné également par le pulsotype USA 300 était majoritaire en Amérique du Nord où il cohabitait avec deux autres clones minoritaires : ST1 (USA 400) et ST59 (USA 1000). Enfin, l’Océanie était confrontée essentiellement au clone ST30 excepté dans la partie occidentale de l’Australie où le clone ST1 prédominait (Vandenesch et al, 2003 ; Tristan et al, 2007). Quel que soit le clone concerné, le succès épidémiologique de ces souches a été immédiat avec une augmentation nette de leur prévalence dans toutes les régions du globe. Néanmoins, ce succès global masque des

59

différences marquées d’une région à l’autre. La situation la plus préoccupante est celle des USA où les SARM sont devenus en moins de dix ans assez nettement majoritaires au sein des infections staphylococciques communautaires avec par exemple 59% de SARM parmi les souches isolées d’infections de la peau et des tissus mous dans les services d’urgences des hôpitaux américains (Moran et al, 2006). En Europe, il existe des différences marquées d’un pays à l’autre, la fréquence des SARM-C est < 2% dans certaines zones comme le Royaume-Uni (Holmes et al, 2005) alors qu’elle atteint 23 à 35% en Grèce (Chini et al, 2006). Quoi qu’il en soit, ce succès épidémiologique combiné avec les échanges internationaux a abouti à une nette diminution de la spécificité géographique. Ainsi, le clone ST8 (USA 300) a diffusé vers l’Europe, le clone ST80 s’est étendu du sud vers le nord de l’Europe et est également retrouvé en Asie, le clone ST30 « South West Pacific » a atteint l’Amérique du Sud et le clone américain ST59 s’est également répandu en Asie. La figure 16 donne une idée des échanges intercontinentaux des différents clones de SARM-C.

Figure 16 : Distribution géographique et échanges intercontinentaux des principaux clones de SARM

communautaire. D’après De Leoet al, (De Leoet al, 2010)

En fonction notamment du succès rencontré dans une communauté par le clone majoritaire, la distribution des souches de SARM-C tend à rester monoclonale comme en Amérique du Nord où USA300 reste largement majoritaire ou au contraire à devenir oligoclonale comme en Europe où le clone ST80, bien que restant majoritaire, « partage le terrain » avec d’autres lignées (ST8, ST30 etc…).

De plus, du fait de ces capacités de diffusion, il existe dans certaines zones une tendance à l’extension des SARM initialement communautaires vers l’hôpital, notamment lorsque

60

l’incidence des SARM-C est élevée comme aux USA, en Algérie ou en Grèce. Les SARM-C profiteraient ainsi de leurs meilleures performances réplicatives par rapport aux SARM-H pour les supplanter dans l’écologie hospitalière. Certains modèles mathématiques suggèrent donc que les SARM d’origine communautaire pourraient devenir à brève échéance la première cause d’infection nosocomiale à S. aureus (D’Agata et al, 2009). Dans cette hypothèse, les différences épidémiologiques ne permettraient plus de distinguer les SARM-C des souches de SARM hospitalières et on observerait en plus, du fait de la virulence accrue des souches de SARM-C, une augmentation globale de la sévérité des infections nosocomiales à S. aureus.

2. Facteurs associés à l’acquisition de SARM-C

Les facteurs conduisant à l’acquisition des SARM-C et donc aux infections ont été étudiés essentiellement aux Etats-Unis avec la lignée USA 300. Il n’existe pas à l’heure actuelle de facteur de réceptivité individuelle identifié (Watkins et al, 2012) et l’acquisition d’une souche de SARM-C est donc sous-tendue essentiellement par des facteurs environnementaux. Cependant, les facteurs liés à l’hôte sont habituellement très différents de ceux observés avec les SARM hospitaliers : alors que les SARM hospitaliers touchent principalement des individus aux défenses immunitaires amoindries et présentant des pathologies chroniques ; les SARM communautaires, quelle que soit la souche concernée, ont été observés initialement chez des sujets jeunes, sans antécédents ainsi que chez l’enfant (Watkins et al, 2012). La promiscuité, le bas niveau socio-économique, le manque d’hygiène et les contacts cutanés fréquents et répétés sont les facteurs de risque principaux retrouvés dans la plupart des études (Turabelidze et al, 2006). Le risque d’acquisition de SARM-C augmente donc avec le nombre de personnes présentes à domicile mais également en cas de fréquentation de collectivités plus ou moins fermées telle que le milieu carcéral ou les crèches. La pratique de sports de contact (lutte, rugby, football américain etc…) est également associée à une augmentation de l’incidence des SARM-C de même que le partage du linge de toilette. Aux USA, la fréquence des SARM-C est parfois décrite comme plus élevée chez les afro-américains ou les hispaniques mais cette incidence plus élevée n’est a priori que le reflet de différences socio-économiques (Tattevin et al, 2012). Quoi qu’il en soit, compte tenu du

61

succès épidémiologique des SARM-C dans certaines régions du globe, ces facteurs de risque tendent à perdre de leur importance, les souches de SARM-C s’observant chez quasiment tout le monde et pouvant même être responsables d’infections nosocomiales dans un nombre non négligeable de cas. Ainsi, une étude des bactériémies nosocomiales réalisée à Détroit (Michigan) entre 2005 et 2007 a montré que 20% d’entre elles étaient dues à une souche USA300 d’origine communautaire (Chua et al, 2008). Dans les régions où l’incidence des SARM-C reste faible, il est vraisemblable que, la notion d’un voyage récent dans un pays d’endémie constitue un facteur de risque important (Dumitrescu et al, 2008).

3. Facteurs de diffusion des SARM-C

Dès leur apparition, les SARM-C ont connu, à des degrés variables, un succès épidémiologique qui a conduit à leur diffusion rapide. Ce succès est dû à une adaptation particulièrement élevée à l’environnement communautaire qui a conduit à qualifier ces souches de « staphylocoques super-adaptés » (Dufour et al, 1999). Les déterminants de cette adaptation demeurent mal connus mais sont vraisemblablement communs à toutes les souches compte tenu des différences importantes observées par ailleurs. Il est donc probable que la résistance à la méticilline et la présence des gènes codant la PVL constituent les éléments principaux du succès des SARM-C. Ces deux éléments génétiques ainsi que la présence d’un plasmide (pMW2) sont les seuls éléments communs à différentes lignées de SARM-C identifiés par séquençage génomique (Chua et al, 2011). Le rôle respectif joué par ces deux facteurs est très difficile à déterminer mais, par comparaison avec ce qui est observé pour les SARM hospitaliers, la pression de sélection antibiotique semble jouer un rôle moins important dans l’émergence et la diffusion des souches de SARM-C au moins dans certaines régions (Stam-Bolink et al, 2007). A l’inverse, la consommation d’antibiotiques dans les 30 jours précédents a été montrée comme étant un facteur de risque indépendant d’infection par la souche USA300 (Tattevin et al, 2012). La PVL pourrait également jouer un rôle important de par sa propension à donner des infections cutanées. En effet, ce type d’infection relativement peu sévère mais associée à un inoculum bactérien très important et situé dans des zones superficielles facilement en contact avec l’environnement, favorise la transmission. Ainsi, dans la même étude, le second facteur indépendant de bactériémie à

62

USA 300 était l’existence d’une infection de la peau ou des tissus mous (Tattevin et al, 2012). Cette transmission peut soit être directe, par contact cutané, soit indirecte via les vêtements, le linge, la literie ou d’autres surfaces inertes.

4. Virulence des SARM-C

a) Cas général

L’étude de la virulence liée aux souches de SARM est extrêmement difficile et a fait l’objet de très nombreuses controverses avant même l’émergence de la résistance dans la communauté. Les études réalisées à la fin des années 90 se sont révélées contradictoires quant à l’existence d’une sévérité liée spécifiquement à la résistance à la méticilline même si la résistance est associée à une augmentation significative de mortalité (OR = 1,93) dans une méta-analyse des bactériémies à S. aureus portant sur 31 cohortes rassemblant 3963 patients entre 1980 et 2000 (Cosgrove et al, 2003). En effet, les causes potentielles de cette augmentation de mortalité sont multiples car les pathologies associées ou le retard à l’instauration d’un traitement efficace n’ont pas toujours été pris en compte. L’activité anti staphylococcique moins bonne de la vancomycine par rapport à celle des pénicillines M sur les souches sensibles a également été incriminée comme pouvant expliquer le moins bon pronostic des infections à SARM (Levine et al, 1991).

Concernant les SARM-C, le problème est encore plus complexe puisque l’appréciation de la virulence en pathologie humaine dépend, en plus, du comparateur utilisé et de la pathologie concernée. Lorsque l’on compare les souches de SARM-C avec les SARM d’origine hospitalière, il apparait que les SARM-C possèdent intrinsèquement des capacités de virulence plus élevées : meilleures possibilités de réplication, de synthèse protéique et capacités métaboliques globalement plus performantes associées à la présence de nombreux facteurs de virulence (Watkins et al, 2012). Certaines études ont confirmé cette hypothèse en montrant d’une part des capacités supérieures d’échappement à la phagocytose par les polynucléaires et d’autre part une augmentation nette de mortalité due aux SARM-C dans un modèle murin de bactériémie (Voyich et al, 2005). Les études en pathologie humaine sont cependant moins claires et, pour la plupart d’entre elles, la différence de virulence entre SARM-C et SARM-H parait difficile à démontrer (Tattevin et al,

63

2012 ; Watkins et al, 2012). Cette discordance apparente peut s’expliquer par plusieurs facteurs tels que des terrains différents mais également des sites d’infection non comparables. Le terrain sous-jacent joue probablement un rôle important puisque, comme nous l’avons déjà évoqué, les infections à SARM-H se retrouvent principalement chez des sujets âgés présentant des pathologies préexistantes alors que les SARM-C touchent préférentiellement des sujets jeunes sans antécédents. Dans ces conditions, l’évaluation de la sévérité et donc de la virulence de la souche est susceptible d’être fortement biaisée par l’influence des pathologies sous-jacentes. Cependant, cette différence d’âge ou de pathologie sous-jacente n’est pas forcément retrouvée dans les régions où la prévalence des SARM-C est importante comme aux USA (Tattevin et al, 2012). Dans ce cas, d’autres facteurs peuvent intervenir et, parmi eux, le type d’infection initiale joue un rôle qui n’est pas toujours pris en compte. Ainsi, même lorsque les études portent sur des infections invasives et notamment les bactériémies, « l’accessibilité » du foyer infectieux initial est un élément important dans la prise en charge thérapeutique. Or, les SARM-C étant fortement associés aux infections cutanées, ceci induit plusieurs biais potentiels : dans les études portant sur plusieurs types de pathologies, la surreprésentation des infections cutanées, qui restent majoritairement des infections bénignes, induit une diminution globale de la sévérité dans ce groupe principalement représenté par des SARM-C. De même, lorsqu’on s’intéresse aux infections invasives, le fait que le point de départ soit une infection superficielle rend l’éradication du foyer infectieux initial beaucoup plus facile que lorsqu’il s’agit par exemple de la colonisation d’un matériel étranger. Les infections à SARM-C pourraient ainsi être, à sensibilité égale aux antibiotiques, plus faciles à traiter. Enfin, même si l’on restreint les études aux infections cutanées, le caractère volontiers nécrosant des infections à SARM-C peut, paradoxalement, faciliter leur traitement car ce type de lésion est plus aisément accessible à un drainage chirurgical qui sera beaucoup plus rapide et efficace que l’antibiothérapie utilisée pour traiter les infections non nécrosantes (Stevens et al, 2005). Les comparaisons entre SARM-C et souches sensibles à la méticilline se heurtent aux mêmes difficultés auxquelles viennent s’ajouter les différences de traitement et les variations importantes observées d’une souche à l’autre. Ainsi, aucune différence entre SARM et SASM en termes de gravité n’a pu être montrée dans une étude prospective de bactériémies communautaires réalisée à Taiwan (Wang et al, 2008) de même que dans une étude des infections cutanées communautaires en Californie (Miller et al, 2007).

64

b) Virulence de la souche USA 300

En raison de son succès sur le continent Nord-américain, la souche USA300 est parmi les souches de SARM-C celle qui a été le plus étudiée. Comme les autres SARM-C, elle possède les gènes codant la PVL et une cassette SCCmec de type IV mais d’autres facteurs ont été incriminés pour expliquer son émergence particulièrement intense.

x Variant de la PVL.

Comme nous l’avons déjà indiqué, la PVL sécrétée par USA 300 appartient à un haplogroupe différent (PVL de type R) de la PVL observée dans les autres lignées de SARM-C ainsi que dans les souches méti-S qui portent habituellement le type H (O’hara et al, 2008 ; Dumitrescu et al, 2008). Certains auteurs ont émis l’hypothèse que la PVL de type R pourrait être associée à une virulence ou à une transmissibilité accrue (O’hara et al, 2008) mais cette hypothèse n’est pas confirmée par les données expérimentales qui ne montrent aucune différence entre les deux haplogroupes R et H en ce qui concerne la toxicité sur les PNN humains (Besseyres des Horts et al, 2010).

x Sécrétion de quantités importantes d’hémolysine alpha

L’hémolysine alpha est un facteur de virulence décrit pour de nombreuses souches de S. aureus (Kielian et al, 2001). Contrairement à la PVL, l’hémolysine alpha ne provoque pas de lyse des PNN mais s’attaque à d’autres cellules immunitaires telles les macrophages et les lymphocytes (Watkins et al, 2012). Son rôle potentiel dans la virulence des souches USA300 est soutenu par des études expérimentales montrant une diminution de la virulence de souches USA 300 délétées du gène hla dans un modèle murin de pneumonie nécrosante (Bubeck-Wardenburg et al, 2008). Les souches USA300 auraient la capacité de produire des quantités significativement plus élevées que la moyenne d’hémolysine alpha (Li et al, 2009), vraisemblablement par le biais d’une expression particulièrement importante du système agr qui régule, entres autres, l’expression du gène hla.

65

x Production accrue de Phenol Soluble Modulin (PSM).

Les gènes codant ces peptides à activité pro-inflammatoire sont présents chez tous les S. aureus et il n’existe pas de différence significative de distribution d’une lignée à l’autre (Otto et al, 2010). Cependant, USA300 produirait des quantités plus importantes que les autres lignées (Wang et al, 2007 ; Li et al, 2009) ce qui augmenterait les capacités cytolytiques de ces souches.

x Présence de l’élément ACME (Arginin Catabolic Mobile Element)

ACME est un volumineux élément génétique mobile fréquemment retrouvé chez S. epidemidis et qui a été observé chez S. aureus lors du séquençage complet du génome d’USA300 (Diep et al, 2006). Un certain nombre de gènes présents au sein du complexe ACME sont des homologues de certains gènes de virulence (Diep et al, 2006) et la présence de l’élément ACME confèrerait en outre à USA300 un avantage sélectif en termes de colonisation de la peau. De plus, elle serait capable d’induire une résistance aux polyamines qui sont des cations bactéricides sécrétés par les cellules vivantes (Joshi et al, 2011 ; Thurlow et al, 2013). Cependant, le rôle d’ACME en tant que facteur de virulence demeure discuté car, sur un modèle d’infection chez le rat, la déplétion du complexe ACME ne semble pas modifier la virulence (Montgomery et al, 2009). Par ailleurs ACME n’est pas présent dans l’ensemble des lignées de CA-MRSA, notamment pas dans le clone Européen ST80.

66

TRAVAIL PERSONNEL

67

I. Introduction

La possibilité d’un lien entre la production de PVL et une forme particulièrement sévère de pneumonie staphylococcique a été suspectée en 1999. A partir d’un échantillon de 172 souches extraites de la collection du CNR des staphylocoques, Lina et al ont cherché à déterminer si la production de PVL était susceptible de jouer un rôle dans différents syndromes cliniques (Lina et al, 1999). Dans cette collection, 27 souches étaient associées à un tableau clinique de pneumonie communautaire et la présence des gènes codant la PVL a été détectée pour 22 de ces 27 souches. Parmi ces 22 cas, les données cliniques et biologiques n’étaient suffisantes pour permettre une analyse que dans 8 cas mais ces observations présentaient des caractéristiques très inhabituelles pour des pneumonies staphylococciques telles qu’on les concevait à la fin du XXe siècle. En effet, ces pneumonies étaient survenues chez des enfants ou des adultes jeunes, sans antécédents et présentaient une leucopénie initiale, une gravité clinique extrême (6 cas fatals sur 8) et des signes de nécrose hémorragique du parenchyme pulmonaire et de la muqueuse respiratoire pour ceux qui avaient été autopsiés. Ces pneumonies étaient toutes d’origine communautaire, dues à des souches sensibles à la méticilline et, inversement, aucun cas similaire n’avait été retrouvé parmi les pneumonies nosocomiales pour lesquelles aucune souche ne produisait la PVL (Lina et al, 1999). Une telle présentation clinique avait été rapportée auparavant dans quelques cas mais n’avait jamais été rattachée à un profil toxinique particulier (Olcay et al, 1995 ; Petros et al, 1998 ; CDC 1999).

Cependant, ces patients étaient issus de déclaration spontanée de cas au CNR et il existait très certainement un biais de sélection, les formes les plus graves étant les plus susceptibles d’être rapportées. De plus, aucune comparaison avec des souches non productrices de PVL n’était possible. Nous avons conçu le projet d’étudier de plus près cette pathologie en apparence nouvelle d’une part en collectant et en analysant de manière plus approfondie les nouveaux cas et d’autre part, en les comparant à des cas de pneumonie staphylococciques dont les souches ne produisaient pas la PVL.

Le recueil prospectif des données cliniques et biologique a débuté en 1999 et se poursuit depuis sans interruption dans le cadre du CNR des staphylocoques. L’envoi des souches bactériennes est systématiquement sollicité et ces souches font l’objet d’une caractérisation

68

complète de leur profil toxinique par PCR. Les résultats de l’analyse de ces données ont fait l’objet de plusieurs publication et notre travail a porté principalement sur trois d’entre elles que nous allons maintenant détailler.

69

II. Caractérisation clinique des pneumonies staphylococciques dues

à des souches productrices de PVL : description de l’entité

« pneumonie staphylococcique nécrosante »

A.

Première publication : Staphylococcus aureus strains carrying the gene for