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1. Limites des traitements conventionnels

A côté des particularités cliniques et biologiques de la pneumonie staphylococcique nécrosante, l’un des aspects les plus intriguant de nos résultats concerne la relative inefficacité des traitements conventionnels dans cette pathologie. En effet, la plupart des patients ont « bénéficié » d’une prise en charge a priori adaptée à leur situation puisque

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76,7% ont été admis en service de réanimation, 63,9% ont bénéficié d’une ventilation mécanique invasive, 54,8% d’un traitement à visée inotrope et surtout 78,9% ont reçu, dès les premières heures d’hospitalisation, un traitement antibiotique comportant au moins une molécule active sur la souche de S. aureus retrouvée et dont l’utilisation est validée pour les pneumonies. Le taux d’antibiothérapie adaptée atteint même 86% dès lors que les cas n’ayant pas eu le temps de recevoir une antibiothérapie en raison d’une évolution suraiguë ont été exclus. Malgré cette prise en charge supposée adaptée, la mortalité est élevée et ce bien qu’il s’agisse dans la majorité des cas de sujets jeunes, sans antécédents. Cette relative inefficacité de l’antibiothérapie nous a conduit à nous interroger sur les causes de ces échecs et sur d’éventuelles alternatives thérapeutiques.

En ce qui concerne les raisons de ces échecs, le problème de l’émergence de la résistance à la méticilline ne semble pas en cause puisque nous n’avons pas observé de différence d’évolution entre les souches méticilline sensibles et les souches résistantes contrairement à ce qui a été observé aux USA où l’émergence des SARM-C s’est accompagnée d’une augmentation importante de la sévérité des pneumonies staphylococciques (Francis et al, 2005 ; CDC, 2007). Cette apparente discordance s’explique en fait aisément dès lors que l’on admet que la présence de la PVL est associée à une sévérité plus importante. En effet, l’émergence des SARM-C a abouti à une augmentation importante des souches résistantes et en parallèle des souches PVL+ et donc de la sévérité. En restreignant notre étude comparant les souches sensibles et résistantes aux S. aureus PVL+, nous avons pu annuler l’effet confondant de la PVL et montrer que la résistance à la méticilline n’est pas un déterminant majeur de la sévérité des pneumonies nécrosantes.

Par contre, une cause plausible d’échec des traitements antibiotiques théoriquement actifs ferait intervenir des problèmes de diffusion et de concentration au site de l’infection. En effet, le caractère nécrotique des lésions, qui constitue un obstacle à la diffusion des antibiotiques, et la concentration bactérienne très élevée observée dans les modèles expérimentaux font que les conditions locales sont peu propices à l’obtention de concentrations élevées d’antibiotiques au site de l’infection. Dans cette hypothèse, la bactéricidie serait donc médiocre et les situations où les staphylocoques seraient exposés à des concentrations sub-inhibitrices in situ seraient par conséquent très fréquentes. Or, l’obtention de concentrations inhibitrices est probablement encore plus fondamentale pour

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les S. aureus PVL+ que pour d’autres souches ou que dans le cas d’autres espèces bactériennes. En effet, Dumitrescu et al ont démontré que l’exposition à des concentrations sub-inhibitrices de certains antibiotiques, notamment certaines béta-lactamines, provoquait non seulement l’absence de bactéricidie mais également une augmentation significative de la production de PVL (Dumitrescu et al, 2007). Cette augmentation semble sous la dépendance du stress pariétal induit par la liaison aux PLP1 qui entraine une surexpression de certains gènes régulateurs (gène sarA) ainsi que l’inhibition du répresseur rot (Dumitrescu et al, 2011). Dans le cadre des pneumonies nécrosantes, il est donc possible que les problèmes de diffusion des antibiotiques au site de l’infection soient responsables non seulement de difficultés pour éradiquer le S. aureus mais également d’une augmentation de la production de PVL et donc de la sévérité des lésions respiratoires.

2. Alternatives thérapeutiques

En ce qui concerne les alternatives thérapeutiques possibles, nous sommes parti du postulat que la cible principale du traitement devait être la PVL étant donné l’association que nous avions démontrée entre la sévérité et les symptômes attribuables directement à ses effets. Dès lors, la problématique consistait soit à diminuer la production de PVL, soit à tenter d’en limiter les effets, le drainage des lésions étant le plus souvent impossible du fait de leur caractère diffus. La diminution de la quantité de PVL produite peut être obtenue par une bactéricidie rapide dont nous avons vu la difficulté, mais également, par analogie avec certaines thérapeutiques utilisées dans d’autres pathologies à médiation toxinique, à l’aide d’antibiotiques inhibant la synthèse des protéines bactériennes. Or, certains antibiotiques se sont montrés capables d’induire une diminution significative de la production de PVL in vitro alors même qu’ils étaient présents dans le milieu à des concentrations sub-inhibitrices (Dumitrescu et al, 2007). Cet effet antitoxinique est particulièrement marqué avec la clindamycine, la rifampicine et le linézolide et est retrouvé dans une moindre mesure avec l’acide fusidique. De plus, l’association d’une de ces molécules avec l’oxacilline est susceptible de diminuer voir d’annuler l’hyperproduction de PVL induite par l’oxacilline jusqu’à obtenir une baisse des concentrations de la toxine identique à celle observée avec le traitement anti toxinique lorsqu’il est seul (Dumitrescu et al, 2008). En cas d’association, la

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clindamycine et la rifampicine semblent être les molécules inhibant le mieux la production de PVL alors que l’effet du linézolide, bien que présent, parait un peu moins net et que l’acide fusidique se montre insuffisant pour contrecarrer l’effet de l’oxacilline. La figure 20 résume les effets des différents antibiotiques sur la production de PVL in vitro.

Oxacilline + clindamycine

Oxacilline + rifampicine

Oxacilline + linezolide

Oxacilline + acide fusidique

Figure 20 : Effets des antibiotiques à action antitoxinique sur la production de PVL lors de l’association à

l’Oxacilline à ¼ de la CMI (à gauche) et à 1/8e de la CMI à droite. En noir : Oxacilline seule ; gris foncé : Oxa + antibiotique dosé à 1/8 de la CMI ; gris moyen : Oxa + antibio à ¼ de la CMI ; gris clair : Oxa + antibio. à ½ de la CMI. D’après Dumitrescu et al (Dumitrescu et al 2008)

Pour tenter de limiter les effets de la PVL, une autre possibilité consisterait à bloquer la toxine à l’aide d’anticorps spécifiques. En effet, il a été montré que la PVL est fortement immunogène chez l’homme (Croze et al, 2009) et que des anticorps monoclonaux dirigés contre la toxine étaient capables de bloquer la lyse des PNN induite par la PVL (Hongo et al, 2009). De plus, certaines préparations commerciales d’immuglobulines humaines polyvalentes (Tégélines®) se sont avérées capables in vitro de bloquer l’effet cytopathogène de la PVL sur les PNN à partir d’une concentration de 10mg/l (Gauduchon et al, 2009). Or, les posologies utilisées en clinique humaine permettent d’obtenir ce niveau de concentration dans le sérum très aisément.

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3. Propositions de prise en charge

Les traitements à visée antitoxinique constituent donc une voie prometteuse pour améliorer la prise en charge thérapeutique des pneumonies nécrosantes. Néanmoins, aucun de ces traitement n’a fait l’objet d’essais cliniques ni n’a été évalué sur des modèles animaux dans cette indication. Quelques faits cliniques ont été publiés, avec des résultats prometteurs (Micek et al, 2005 ; Rouzic et al, 2010) mais compte tenu de la rareté des pneumonies nécrosantes, il est probable que la validation chez l’homme de ces traitements prendra encore plusieurs années. Cependant, dans notre dernière étude, l’utilisation de traitement à visée antitoxinique à un moment quelconque de la prise en charge était associée de façon indépendante à une diminution de la mortalité en analyse multivariée et d’autres auteurs ont observés également de manière rétrospective, une diminution de la mortalité associée à l’utilisation des antibiotiques antitoxiniques (Li et al, 2011). Ces résultats prometteurs doivent cependant être tempérés par le fait que ces traitements ont le plus souvent été utilisés en deuxième intention, après documentation de l’infection et de la présence de la PVL. Compte tenu de la vitesse d’évolution vers le décès des pneumonies nécrosantes, il est possible que ces patients toujours en vie lors de la documentation de l’infection soient en majorité des patients qui auraient survécu de toute façon. Quoi qu’il en soit, les traitements à activité antitoxinique ne présentent pas d’inconvénients particuliers en dehors de leur caractère le plus souvent bactériostatique qui nécessite a priori l’association avec d’autres molécules (Morgan, 2007). La sévérité extrême de certaines formes de pneumonies nécrosantes fait qu’il s’agit de situations dans lesquelles la médecine fondée sur les preuves atteint ses limites. Nous avons donc publié en 2010 des recommandations de prise en charge thérapeutique des infections dues aux S. aureus PVL+ dont le texte figure en annexe. Une prise en charge des pneumonies en unité de réanimation parait indispensable compte tenu de la sévérité et les mesures de traitement symptomatique (traitement du choc, ventilation etc…) doivent suivre les règles habituelles. Malgré l’absence de preuve formelle, nous préconisons l’utilisation en première intention de la clindamycine associée à une béta-lactamine active sur le staphylocoque et à la vancomycine. L’utilisation des immunoglobulines parait devoir être plus restreinte mais doit être sérieusement envisagée en cas de situation où sont présents des facteurs fortement associés à la mortalité tels que des hémoptysies importantes ou une leucopénie profonde (Gillet et al, 2010).

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