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3.2. La classe : « une micro-société »

3.2.1. Les trois dimensions constitutives de l’intervention éducative

La dimension « didactique-épistémique » ou l’organisation et la gestion du savoir et des apprentissages

« Dans son acceptation moderne, la didactique étudie les

interactions qui peuvent s’établir dans une situation d’enseignement apprentissage entre un savoir identifié, un maître dispensateur de ce savoir et un élève censé apprendre celui-ci. La didactique ne se contente plus de

traiter la matière à enseigner selon des schémas préétablis, elle pose comme condition nécessaire la réflexion épistémologique du maître sur la nature des savoirs qu’il aura à enseigner et la prise en compte des représentations de l’apprenant par rapport à ce savoir (épistémologie de l’élève). » (Raynal et Rieunier, 2014)

La dimension « didactique » s’intéresse à la relation entre l’enseignant et le savoir car l’enjeu de chaque situation d’apprentissage est de permettre la rencontre entre des savoirs et des apprenants qui agissent sur eux. Ainsi l’enseignant jouera le rôle de médiateur entre le savoir et les apprenants. Parce que les savoirs sont en mouvement, qu’ils s’actualisent, se développent voire se transforment, des didacticiens (Chevallard, 1982) et pédagogues (Develay, 1985), se sont intéressés à la spécificité des savoirs qui leur semble déterminante car ces derniers sont au cœur de l’apprentissage. D’où viennent les savoirs que l’on enseigne ? Comment sont-ils choisis ? Comment sont-ils transmis ?

D’où viennent ces savoirs ?

Les savoirs sont en mouvement permanent. Un savoir n’est jamais figé, il peut subir des transformations régulières.

Michel Roger (2000) distingue deux types de savoirs :

Les savoirs médiatisés sont des savoirs dynamiques, « qui ont fait l’objet d’une

élaboration et d’une diffusion en vue d’une communication à un public aux spécificités variables (compétences, qualités, quantités) » (Roger, 2000, p. 7). Ils proviennent soit

de savoirs constitués depuis de nombreuses années, voire des siècles et qui se sont « enrichis, modifiés, affinés, précisés, formalisés, organisés au point parfois d’édifier

des domaines » (Roger, 2000, p. 8). Ce sont des savoirs savants ou experts (Perrenoud,

Les savoirs non médiatisés sont des savoirs qui n’ont pas fait l’objet d’une diffusion. Ces savoirs « sont présents dans les conduites et les processus d’individus qui exercent

(se trouvent affectés à) des tâches précises qui constituent leur activité principale et pour lesquelles ils ont acquis des compétences, une expertise » (Roger, 2000, p. 10).

Ces savoirs s’apparentent à des savoirs expérientiels, issus des pratiques professionnelles ou des pratiques sociales des individus (Perrenoud, 1998).

Quels savoirs à enseigner ?

Certains savoirs médiatisés et non médiatisés (Roger, 2000) vont être choisis comme savoirs à enseigner. Le savoir va subir alors « un ensemble de transformations adaptatives qui

vont le rendre apte à prendre place parmi les objets d’enseignement.

Le « travail » qui d’un objet de savoir à enseigner fait un objet d’enseignement est appelé la transposition didactique » (Chevallard, 1985, p. 39) [fig.10].

Figure 10. Le processus de transposition didactique selon Chevallard (1985).

Les savoirs savants sont « les savoirs validés, produits en un certain lieu et dans

certaines conditions, un monde aux limites plus ou moins nettes, « la communauté scientifique », qui légitime ces savoirs, leur confère un label d’exactitude, d’intérêt… »

Pour passer des « savoirs savants » aux savoirs à enseigner, une première transposition didactique, externe, s’opère (voir supra[fig.10]).

Les « savoirs à enseigner » sont ceux « qui sont décrits, précisés, dans l’ensemble des

textes « officiels » (programmes, instructions officielles, commentaires…) ; ces textes définissent des contenus, des normes, des méthodes » (Audigier, 1988, p. 14). Ce sont

les savoirs issus du « curriculum formel » (Perrenoud, 1998) prescrits par le Ministère de l’éducation nationale.

Pour passer des « savoirs à enseigner » aux savoirs enseignés, une deuxième transposition didactique, cette fois-ci interne, s’opère.

 Les « savoirs enseignés » sont ceux construits par l’enseignant à partir du « curriculum formel » et qu’il dispensera dans sa classe.

 Les « savoirs appris » sont l’ensemble des savoirs acquis les élèves.

L’enseignant reste le « maître » de séance, le chef d’orchestre. En l’occurrence il est une personne « ressource » qui est là pour animer, recadrer et fournir des éclairages sur la situation d’enseignement-apprentissage autour des savoirs (Roger, 2000). Il donne les consignes, reformule, clarifie, synthétise, corrige, présente les résultats, les confronte, évalue les prérequis et adapte son langage (Altet et al., 2014).

La dimension pédagogique-organisationnelle ou l’organisation et la gestion de l’enseignement apprentissage

« La pédagogie correspond ainsi au champ de la relation

interpersonnelle, sociale qui intervient dans le traitement de l’information et sa transformation en savoir dans la situation réelle du micro-système classe.

La pédagogie concourt à la transformation de l’information en Savoir par des échanges cognitifs et socio-affectifs, des méthodes mises en place par le professeur au travers d’interactions, de rétro-actions, de modes d’ajustement, d’adaptations interpersonnelles qui facilitent et permettent l’apprentissage durent le temps réel de l’intervention. » (Altet, 2013, p. 6)

La pédagogie renvoie à l’axe « Enseignant-Apprenant » du triangle pédagogique de J. Houssaye (2014) évoqué précédemment. En l’occurrence, elle est davantage centrée sur la relation enseignant-apprenant.

Les pédagogies de l’apprentissage

Nous nous appuyons sur les travaux de M. Altet (2013) qui propose une classification des différents courants pédagogiques issus de modèles d’apprentissage que l’on retrouve dans l’intervention éducative dans le monde scolaire :

Le courant magistro-centriste (ou transmissif) : centré sur l’enseignant. L’enseignant est le seul détenteur du savoir. Il présente le savoir de manière structurée et hiérarchique par le biais d’un exposé magistral. L’élève quant à lui, écoute de manière passive, réceptionne et enregistre les savoirs qui lui sont transmis. C’est une pédagogie verticale qui se focalise uniquement sur l’acte d’enseigner au détriment de l’élève. On retrouve ce type de pédagogie dans les cours magistraux, à l’université par exemple. L’avantage de ce « modèle » est qu’il peut s’adresser à un très grand nombre d’élèves, l’inconvénient est qu’il nécessite que tous les élèves soient au même niveau au même moment.

Le courant puéro-centriste (ou constructiviste) : centré sur l’élève. Ici l’objectif est de permettre à l’élève de s’épanouir en organisant des apprentissages favorisant la découverte comme par exemple mettre en œuvre des situations problèmes qui lui permettent de chercher, se questionner et essayer de trouver seul la solution.

Le courant socio-centriste (ou socioconstructiviste) : centré sur les élèves. L’élève est un être social avant d’être un élève. Ici le rôle de l’enseignant est « d’éduquer,

c’est-à-dire socialiser, insérer l’élève dans la société pour construire un homme nouveau et s’acheminer vers une nouvelle société » (Altet, 2013, p. 12). Cette pédagogie favorise

la co-construction des savoirs, entre les élèves et entre l’enseignant et les élèves. L’objectif de l’enseignant est alors d’organiser des situations d’apprentissage favorisant les interactions, comme par exemple des travaux de groupe.

progressifs, par essais-erreurs. L’enseignant stimule et vise des comportements observables appropriés. C’est une pédagogie qui mise sur la technicité, « ce qui est visé

par ces pédagogies c’est l’adaptation à la société technique industrielle par l’école »

(Altet, 2013, p. 14).

Le courant centré sur l’apprentissage : les « pédagogies de l’apprentissage ». Ces pédagogies s’inspirent des conceptions cognitivistes, constructivistes et socioconstructivistes, elles sont exclusivement centrées sur l’élève : sur le rapport élève-savoir, sur l’activité de l’élève, sur la médiation de l’enseignant. Dans ces pédagogies, l’enseignant parle très peu, est un guide, une personne ressource, un accompagnateur. Ici on s’intéresse plus à comprendre comment l’élève apprend. Ainsi, l’enseignant doit dynamiser l’interaction. En l’occurrence, il doit favoriser l’échange et l’argumentation en soutenant la diversité des idées, des conceptions proposées. « L’appui de

l’enseignant/formateur tient d’abord dans le partage des constructions, c’est-à-dire entendre et mettre en débat, apprécier (même si l’auteur est le voisin), réfléchir, soutenir, discuter loyalement, mettre à l’épreuve (mentalement, réellement). L’appui tient aussi dans la mémoire et sa trace. » (Roger, 2003, p.12)

En fonction des objectifs d’apprentissage, l’enseignant utilisera une ou plusieurs pédagogies de l’apprentissage. L’enseignant pédagogue est centré sur l’apprenant : il suscite les questionnements, sollicite les points de vue, gère les groupes (répartition/regroupement), accompagne ceux qui en ont le plus besoin, gère les supports pédagogiques, etc. (Altet et al., 2014).

La dimension relationnelle ou l’organisation et la gestion de la classe

La troisième dimension constitutive de l’intervention éducative est la dimension relationnelle ou l’organisation et la gestion de la classe. Elle recouvre plusieurs dimensions (Altet et al., 2014) à la fois d’ordre organisationnel (aménagement et organisation de l’espace physique, gestion du temps, choix des activités, etc.) mais aussi d’ordre relationnel (gestion du « climat », des conflits, règles de fonctionnement, de la discipline, etc.).

Cette dimension s’intéresse, entre autres, au style relationnel de l’enseignant, sa manière d’entrer en relation avec l’apprenant, par le langage verbal, mais également non verbal, ces

« gestes du métier »17 qui « induisent non seulement la qualité de la transmission d’un objet de

savoir, mais ils servent aussi à identifier ces marqueurs de l’empathie ou du repli sur soi dans les différentes situations où l’enseignant cherche à entrer en relation avec ses élèves, aussi bien qu’à déjouer les manipulations dont il se sent l’objet » (Duvillard, 2016, p. 11). Notre corps

parle, s’exprime, certes à travers des mots, mais également à travers des gestes. Ainsi, au-delà du discours verbal, l’enseignant est également un « passeur de signes » (Duvillard, 2016) ayant incorporé un ensemble de micro-gestes de métier destinés, pour certains, à favoriser l’apprentissage comme par exemple :

L’usage de la main : celle-ci peut inviter à la réflexion, à impliquer, à montrer, etc. La voix : permet de construire la dynamique du discours, de favoriser l’attention,

d’accompagner le contenu didactique et pédagogique, etc. Le regard : permet l’adressage personnalisé ou la régulation, etc.

Le déplacement : pour aller au contact, ou différer la rencontre ou l’éviter, etc.

J. Duvillard (2016) s’est inspiré du modèle triadique de Peirce18, qui définit trois catégories graduelles pour rendre compte de toute l'expérience humaine : l’icône, l’indice et le symbole. Nous prendrons l’exemple du geste de monstration « de la main qui explique » de l’enseignant et comment l’apprenant est censé le recevoir [tab.3].

Marqueurs Gestes

(Comportements) Aspects Icône kinesthésiques Indice d’une relation d’une action Symbole, Thématique générale, enjeu symbolique La main qui explique

Contact Plus ou moins

à distance Toucher Rencontre Animation Plus ou moins

dynamique Rassembler Participation Monstration Tension orientée Préciser Renforcement Explicitation Tension-

Attention Clarifier Explication

Structuration Arrêts Organiser Analyse

Tableau 3. Récapitulatif des gestes qui mettent en scène le micro-geste de la posture gestuée jusque dans l’usage des mains (Duvillard, 2016, p. 89).

L’icône : l’apprenant voit l’enseignant faire un geste. Il se représente ce geste sans y donner de

sens.

L’indice : l’apprenant « va situer ce geste dans un champ lexical et sémantique qui se précise »

(Duvillard, 2016, p. 35). Le geste de l’enseignant commence à prendre un sens aux yeux de l’apprenant.

Le symbole : l’apprenant intègre la portée symbolique du geste. C’est la phase de

l’interprétation.

Les travaux de Peirce permettent ainsi de mettre en exergue la portée symbolique de nos gestes, « l’épaisseur symbolique de l’agir » (Jorro, 2004) où s’entrelacent parole-pensée-action-relation. A. Jorro propose 4 analyseurs de l’agir professoral (2004) (2006) ; (Jorro et Crocé-Spinelli, 2010) en situation d’enseignement-apprentissage :

Les gestes langagiers qui renvoient au discours de l’enseignant

Les gestes de mise en scène des savoirs qui mettent en forme les savoirs transmis Les gestes éthiques qui caractérisent la manière dont l’enseignant va communiquer avec

les élèves et apprécier son travail

Les gestes d’ajustement qui renvoient à la manière de réagir de l’enseignant, sa capacité à s’adapter et se réajuster dans l’action

L’intervention éducative est une pratique à la fois organisée, organisatrice et qui s’organise autour des trois dimensions constitutives que nous venons de détailler. Lors de la phase pré-active (Lenoir, 2009), de planification, du travail préparatoire effectué en amont (objectifs pédagogiques, contenus à aborder, etc.), l’enseignant va prendre en compte ces trois dimensions pour concevoir et agencer son intervention éducative (Roger, 2000).