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6.2. Au niveau meso

6.2.2. Dimensions épistémologiques

L’évolution sociétale tend à infléchir la verticalité de la relation entre le professionnel de santé et la personne malade chronique, notamment sur le plan des savoirs. La loi HPST de 2009 et le développement de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) ont modifié la relation soignant/soigné : aujourd’hui la personne malade chronique devient progressivement le partenaire privilégié des personnels soignants dans le cadre de la prise en charge de la maladie au quotidien (Bureau et Hermann-Mesfen, 2014). Ainsi, par l’ETP, la personne malade

65 Source : HCSP, Haut conseil de santé publique (2014). AVIS relatif à la mise en œuvre de l’éducation thérapeutique du patient depuis la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux

chronique acquiert de nouvelles compétences pour s’impliquer dans la gestion de son traitement.

Par ailleurs, le développement des nouvelles technologies a permis à la personne malade chronique de pouvoir disposer d’informations nécessaires pour comprendre sa maladie. Cette mobilité des savoirs (Quet, 2014) impacte également les SEA-ETP en reconfigurant les rapports entre le formateur, avant tout professionnel de santé, et les apprenants malades chroniques. Ainsi, il n’est pas rare d’assister à un entrecroisement entre des savoirs dits « biomédicaux » et des savoirs dits « expérientiels » (Jouet et al., 2011), ce qui a tendance à modifier la relation entre le formateur et l’apprenant : l’ETP, souvent assimilée à de la transmission d’informations, devient, dès lors, un travail de co-construction de nouveaux savoirs (Balcou-Debussche, 2016). Savoir scientifique du formateur : les compétences attendues

Pour accompagner les professionnels de santé dans leur démarche éducative, outre la dispense de formations spécifiques, des chercheurs en sciences humaines et sociales ainsi que des experts médicaux ont réfléchi à un référentiel de compétences66 nécessaire pour encadrer et animer des SEA-ETP. « Une compétence est un savoir-agir complexe qui fait suite à

l’intégration, à la mobilisation et à l’agencement d’un ensemble de capacités et d’habiletés (pouvant être d’ordre cognitif, affectif, psychomoteur et social) et de connaissances (connaissances déclaratives) utilisées efficacement dans des situations ayant un caractère commun » (Lasnier, 2000, p. 481) : on y parvient donc au travers de l’acquisition de

connaissances techniques (liées à un savoir), de connaissances contextuelles (en tenant compte du public visé) et des savoir-faire méthodologiques (adopter une pédagogie adaptée). D’autres catégorisations de compétences existent, dont celles mises en œuvre dans le référentiel national de l’ETP. Ces compétences vont guider le formateur et l’orienter dans le choix de ses actions : Des compétences techniques : liées aux connaissances techniques et biomédicales (relatives à des informations spécifiques de la maladie et de son traitement), à la

pédagogie (adapter les techniques et outils pédagogiques en fonction du public et du

thème traité), aux techniques et gestion de l’information (outils de suivi et d’organisation), à la prise en compte de l’environnement de l’ETP.

Des compétences relationnelles et pédagogiques : liées à l’écoute et la compréhension (écoute active, empathie), à l’échange et l’argumentation (échanger et informer, construire des partenariats), à l’accompagnement (construire une alliance thérapeutique, co-construire un projet), à l’animation et à la régulation (favoriser l’interactivité, favoriser les apprentissages mutuels, optimiser la production au sein d’un groupe). Des compétences organisationnelles : liées à la prise de recul et à l’évaluation

(délimitation de son rôle), à l’organisation et la coordination (planifier les actions liées à l’ETP, coordonner les acteurs), au pilotage (évaluer, prioriser).

Ce référentiel en ETP est important car celui-ci accompagne, a priori, les soignants dans leur nouvelle posture en leur donnant des « clés » pour coordonner ou dispenser l’ETP. Néanmoins le référentiel reste discutable. En effet, sa conception « s’est appuyée sur un cadre

conceptuel solide et une méthodologie innovante dans le domaine. Elle articule l’analyse de l’activité perçue par les acteurs de l’ETP, les réflexions d’un groupe d’experts et fait une large place à la concertation » (Foucaud et al., 2015, p. 57). Cependant, il n’est pas sans rappeler cet

aspect « protocole-recommandation » lié au monde biomédical, que les acteurs interviewés dans le cadre de son élaboration ont sans doute très largement relayés. À l’heure actuelle, être formateur en éducation thérapeutique n’est pas un métier, mais bien une fonction portée essentiellement par les professionnels de santé.

Savoir expérientiel de la personne malade chronique et de son entourage

Les savoirs convoqués lors des SEA-ETP relèvent essentiellement de la gestion de la maladie (traitement et suivi de la maladie) et des savoirs en santé (connaissances et accès aux savoirs) et font référence à l’auto-soin et l’autogestion de la maladie (voir infra[tab.12]). Est demandé à la personne malade chronique (et parfois à son entourage) d’acquérir, tout comme le formateur, un ensemble de « compétences » plus ou moins complexes.

Tableau 12. Compétences à acquérir par le patient au terme d’un programme d’éducation thérapeutique, quels que soient la maladie, la condition ou le lieu d’exercice (D'Ivernois et Gagnayre, 2013, pp. 51-52).

Cette notion de « compétences » mérite débat dans la mesure où « dans cette conception,

tout se passe comme si la maladie était extérieure au malade, comme si se traiter devenait une sorte de métier, et comme si le patient était transparent à lui-même » (Grimaldi, 2017, p. 312).

Au Québec, un référentiel de compétences du patient (Flora, 2016) a vu le jour dans une volonté de promouvoir les savoirs expérientiels des personnes malades chroniques et de leur engagement dans la gestion de leur santé.

Ce référentiel identifie l’évolution du patient « passif » au patient « expert » : « Des patients partenaires de leur santé, dans leurs propres

soins ; des patients ressources pouvant transmettre leur expérience dans des contextes d’enseignement, d’amélioration continue de la qualité de projets de recherche ; des patients en mesure d’exercer un leadership transformationnel au sein de la gouvernance des organisations en codirection avec les gestionnaires de santé. » (Flora, 2015, p. 113)

éducation thérapeutique du patient67 (en cours de validation). Il reprend les mêmes prérogatives demandées dans le référentiel de compétences à destination des soignants (compétences techniques, relationnelles et pédagogiques, organisationnelles), excepté le fait qu’il intègre, en plus, des compétences intra-personnelles ou émotionnelles renvoyant à la conscience de soi, la maîtrise de soi, la motivation et l’autoréflexivité.

Ce statut de patient-expert souligne le passage d’une connaissance centralisée à une connaissance partagée (Boudier et al., 2012). Néanmoins, dans la pratique, le patient-expert reste généralement cantonné à un statut de « personne ressource » qui témoigne de la gestion de sa maladie, et non d’un savoir spécifique pouvant être reconnu comme une expertise au même titre que celle du soignant (Tourette-Turgis, 2015), comme le souligne la coordinatrice du programme ETP Obésité/Diabète de Mayotte, qui depuis deux ans, a intégré 4 patients-experts dans son programme :

« Alors comment intégrer les patients experts ? Telle est la

question. Donc moi j’ai fait une formation là-dessus parce que j’étais un peu mal à l’aise par rapport à ça, ça m’a toujours inquiétée, nous soignants (…) En fait on a fixé des critères pour choisir, alors c’est pas du tout discriminatoire ou quoi que ce soit mais il fallait quand même que le patient soit volontaire, qu’il ait des facilités d’expression, qu’il ait un vécu de sa maladie pas négatif, parce que je ne vois pas l’intérêt (…) On a opté pour travailler sur des témoignages uniquement : comme atelier, atelier témoignage. Pourquoi ? Parce que compliqué pour eux quand même de mettre en place un atelier. » (Coordinatrice programme

Obésité/Diabète Mayotte)

L’intégration des patients-experts dans le cadre de programme d’ETP ainsi que la nouvelle posture éducative demandée aux professionnels de santé interrogent la dimension socio-affective de ces derniers.