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Les systèmes HET-S/NWD2 et HET-s/HET-S chez P. anserina

4 Les amyloïdes et les prions

4.6 Les amyloïdes fonctionnels

4.6.1 Les amyloïdes fonctionnels prion-like chez les champignons filamenteux

4.6.1.1 Les systèmes HET-S/NWD2 et HET-s/HET-S chez P. anserina

Comme on l’a vu brièvement dans les chapitres précédents, [Het-s] est un prion fonctionnel du champignon filamenteux P. anserina (Coustou et al., 1997; Saupe, 2011). Ce prion est impliqué dans un processus de reconnaissance du non-soi commun chez les champignons filamenteux nommé IV. La population de P. anserina peut être séparée selon deux types de souches, les souches portant l'allèle

het-s et celles portant l'allèle het-S; het-s et het-S sont deux variantes alléliques du même gène, et les

protéines HET-s et HET-S correspondantes sont identiques à 95% (Turcq et al., 1991). Les souches [Het-s] et het-S sont incompatibles et subissent une mort cellulaire lorsqu'elles fusionnent (Rizet, 1952). Mais cette réaction de mort cellulaire se produit si, et seulement si, la protéine HET-s est sous forme de prion. La protéine HET-s est une protéine cytoplasmique soluble qui peut passer à une forme prion amyloïde assemblée et auto-propageable (Coustou et al., 1997; Saupe, 2011). Il n'y a pas d'altération de croissance détectable associée à la présence de la forme prion [Het-s]; [Het-s] n'a aucun effet néfaste sur le fitness d’un individu en laboratoire.

Le domaine C-terminal de HET-s appelé PFD occupe les positions 218 à 289 (Balguerie et al., 2003; Greenwald et al., 2010). Le PFD de HET-s contient deux répétitions imparfaites de 21 résidus (Ritter et al., 2005). Chacune de ces répétitions forme une couche de 4,7 Å d'une structure de feuillets β empilés (Figures 56 et 57) (Ritter et al., 2005; Sen et al., 2007). Contrairement à de nombreux amyloïdes, le PFD de HET-s est caractérisé par l'absence de polymorphisme structural, tel que déterminé par la résonance magnétique nucléaire (RMN) du solide, ainsi que par son ordre et son caractère unique. Les deux pseudo-répétitions adoptent une structure en feuillets β rigide et sont reliées par une boucle flexible de 15 acides aminés (Ritter et al., 2005). Chaque répétition forme un anneau d'une structure de solénoïde-β à deux couches et comprend quatre brins β; les trois premiers brins β délimitent un noyau hydrophobe triangulaire, tandis que le quatrième dépasse du noyau

Figure 58. L’extrémité N-terminale de la protéine NWD2 est comparable au consensus du PFD de HET-s.

(A) Comparaison de la séquence NWD2 avec la séquence consensus du PFD de HET-s. (B) Diagramme montrant l’organisation génomique de het-s et nwd2 où les deux gènes adjacents sont transcrits de façon divergente. (C) Agencement des séquences NWD2(3-23) dans le modèle de repliement en solénoïde  (à gauche) et dans le modèle par homologie (à droite). Les résidus polaires sont en vert, les résidus hydrophobes en blanc et les résidus chargés positivement et négativement sont respectivement en bleu et en rouge. (d’après (Daskalov et al., 2012))

Figure 59. Les systèmes HET-s/HET-S et HET-S/NWD2 chez P. anserina

Représentations schématiques de l'organisation des domaines des loci het-s et het-S. Le gène adjacent à het-S code pour NWD2, un récepteur NOD-like avec un domaine NACHT et des répétitions WD. Lors de la liaison d'un ligand spécifique, NWD2 acquiert une activité de matriçage en solénoïde ß. L'activation de HET-S peut être obtenue soit par matriçage par la forme prion de HET-s ou par la forme activée de NWD2. A noter que Nwd2 est sous une forme inactive, un pseudogène, dans toutes les souches het-s en raison de l'insertion d'un transposon. (d’après (Riek and Saupe, 2016))

(Wasmer et al., 2008; Van Melckebeke et al., 2010). À l'extrémité C-terminale du PFD se trouve une boucle aromatique qui se replie dans une rainure délimitée par les troisième et quatrième brins β pour former une poche semi-hydrophobe (Van Melckebeke et al., 2010). Un modèle de cryo-EM de HET-s(218–289) a également été obtenu et concorde largement avec la structure RMN à l'état solide (Mizuno et al., 2011). Le repliement du solénoïde-β affiche un certain nombre d'éléments structuraux clés. Deux échelles d'asparagine se trouvent au début des premier et quatrième brins β (N226 / N262 et N243 / 279), et trois ponts salins (K229 / E265, E234 / K270 et R236 / E272) stabilisent l'empilement des deux anneaux de brins β. Le noyau intérieur est composé exclusivement de résidus hydrophobes à l'exception de deux résidus hydroxyle occupant des couches différentes pouvant former une liaison hydrogène à l'intérieur du noyau (T233 / S273). Les résidus glycine occupent l'arc-β entre le troisième et le quatrième brin β dans les deux couches. Une courte boucle C-terminale contient deux résidus aromatiques (F286 et W287) et se replie sur le quatrième brin β pour former une poche semi-hydrophobe. Fait intéressant, toutes ces caractéristiques clés de séquence sont conservées (au moins dans une certaine mesure) dans les différents homologues HET-S/s qui pourraient être identifiés dans les génomes fongiques, ce qui plaide fortement pour une conservation évolutive du repliement en solénoïde-β (Daskalov et al., 2014).

Comme nous l’avons vu précédemment, la paire HET-S/NWD2 est impliquée dans un système de PCD grâce à une transduction du signal de type amyloïde. Des preuves fonctionnelles de l'activité de transconformation prion de NWD2 ont été obtenues in vivo chez P. anserina (Daskalov et al., 2012, 2015a). Des versions de NWD2 modifiées répondant à des ligands connus induisent efficacement la formation de [Het-s] d'une manière dépendante du ligand. La région N-terminale de NWD2 est à la fois nécessaire et suffisante pour l'activité d’induction de prions in vivo. In vitro, un peptide synthétique NWD2(3–23) correspondant à la région homologue à la répétition élémentaire de HET-S/s, s'assemble en fibrilles amyloïdes qui présentent une infectivité prion. Les résidus critiques pour la formation du repliement en solénoïde-β sont conservés dans le NWD2(3–23), et la modélisation par homologie prédit un repliement en solénoïde-β pour ce motif (Daskalov et al., 2012) (Figure 58). L'analyse en RMN du solide des fibrilles de NWD2(3–23) est tout à fait cohérente avec la proposition selon laquelle le peptide adopte un repliement de type HET-S/s. Le peptide NWD2(3–23) est la plus petite entité moléculaire qui présente une activité inductrice de prions; il apparaît ainsi que la transconformation repose strictement sur les régions en brins β (et ne nécessite ni la boucle flexible, ni la boucle aromatique C-terminale, ni la répétition du motif de 21 acides aminés).

Il est désormais possible de proposer des scénarios d'évolution plausibles pour l'émergence du prion [Het-s]. La paire HET-S/NWD2 est largement conservée dans les espèces fongiques, alors qu'apparemment le système d'incompatibilité [Het-s]/HET-S est spécifique à P. anserina (Daskalov et

Pour chacune des cinq sous-familles de HRAM, pour un exemple représentatif, les séquences R1, R2 et R0 sont données ainsi que la signature générale du motif (donnée sous la forme d'un logo correspondant à la séquence consensus). (d’après (Loquet and Saupe, 2017))

Figure 61. Motifs de signalisation amyloïde PP et sigma.

(A) Architecture des gènes du locus hellp de Chaetomium globosum et architecture des domaines des protéines correspondantes. La séquence des régions PP de HELLP, de SBP et de PNT1 (NLR) est donnée. (B) Architecture des gènes du

al., 2012, 2014). Les protéines HET-s peuvent être propagées sous forme de prion car elles ont un domaine HeLo inactif (Deleu et al., 1993; Greenwald et al., 2010; Seuring et al., 2012), si ce dernier était actif, elles tueraient les cellules dans lesquelles elle se trouvent et ne pourraient se propager. Ces observations supportent l’hypothèse selon laquelle le système d'incompatibilité [Het-s]/HET-S dérive du complexe génétique préexistant het-S/nwd2 par exaptation (Debets et al., 2012; Seuring et al., 2012). Une exaptation est un mécanisme évolutif par lequel un gène ou un organe est coopté pour remplir une nouvelle fonction qui n'était pas à l'origine la cible de la sélection (Gould and Vrba, 1982). Dans ce modèle, une mutation ponctuelle du domaine HeLo de HET-S a permis la formation du prion [Het-s], créant ainsi le système d'incompatibilité [Het-s]/HET-S (Daskalov et al., 2012; Debets et al., 2012; Seuring et al., 2012). Une toxine (HET-S) a été transformée en un déclencheur d'activation de toxine ([Het-s]). Ce modèle peut expliquer pourquoi nwd2 est devenu inutile dans ce contexte comme en témoigne sa nature de pseudogène dans les souches het-s sauvages (Figure 59) (Debets et al., 2012).

4.6.1.2 Autres motifs amyloïdes prion-like dans les champignons