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4 Les amyloïdes et les prions

4.5 Les prions de levure

Les prions d'ascomycètes représentent un groupe spécifique d'amyloïdes infectieux (Antonets and Nizhnikov, 2017). La levure Saccharomyces cerevisiae contient environ dix prions. Contrairement

Figure 53. Prions de levures et de champignons.

Les prions [URE3], [PSI+] et [PIN+] de Saccharomyces cerevisiae et [Het-s] de Podospora anserina sont formés par formation amyloïdes d'Ure2p, Sup35p, Rnq1p et HET-s, respectivement. Les fonctions normales des protéines et les phénotypes prions sont indiqués. Les domaines prions d'Ure2p et Sup35p ont des fonctions normales, expliquant leur rétention au cours de l'évolution malgré une formation de prions rare. Les amyloïdes d’Ure2p, Sup35p et Rnq1p sont chacun repliés en structure en registre de feuillets  parallèles avec une molécule par feuillet  le long du grand axe du filament, tandis que celle de HET-s est une hélice  avec une molécule pour deux couches de feuillets . (d’après (Wickner, 2016))

Figure 54. Organisation des domaines des trois protéines prion les mieux caractérisées chez S. cerevisiae. Les domaines prion (PrDs) sont montrés par les rectangles verts et les domaines qui ne font pas partie des fibres sont représentés par des ellipses jaunes. QN correspond à des régions riches en asparagines et glutamines; QG à des régions riches en glutamines et glycines; ORs est une abréviation désignant les répétitions oligopeptidiques. (d’après (Liebman and Chernoff, 2012))

aux amyloïdes non infectieux, les agrégats de prions sont constamment fragmentés par des protéines chaperonnes (Chernova et al., 2017), fournissant les propriétés infectieuses et une transmission efficace des prions pendant la division cellulaire (Wickner et al., 2015). La « prionisation » des protéines peut entraîner des changements héréditaires dans leurs activités fonctionnelles qui provoquent différentes manifestations phénotypiques. Ce phénomène est appelé héritage protéique (Wickner et al., 1999), c'est-à-dire un héritage qui n'est pas déterminé par des changements dans la structure primaire des gènes, mais plutôt par la conformation de protéines particulières. La plupart des prions de levure n'ont aucun effet significatif sur la viabilité; cependant, certains d'entre eux peuvent être nocifs dans certaines conditions (McGlinchey et al., 2011), en revanche, certains prions peuvent augmenter la survie des cellules (Suzuki et al., 2012). Les prions de levure ont été découverts par leurs propriétés génétiques inhabituelles et sont devenus des modèles importants pour un ensemble de maladies amyloïdes et prions humaines. Les prions de levure ont été détectés initialement comme les produits de gènes non chromosomiques, conférant un rôle de suppresseur de non-sens (Nonsense suppressor en anglais) [PSI+] chez Saccharomyces cerevisiae (Cox, 1965) ou une levée de la répression de la régulation du nitrogène ([URE3] chez S. cerevisiae (Lacroute, 1971)). Ce n’est que bien plus tard qu’il sera démontré que ce sont des prions (Wickner, 1994).

Le prion [URE3] (Figures 53, 54 et Tableau 3) de S. cerevisiae est une forme amyloïde d'Ure2p, un régulateur négatif de la transcription des gènes codant pour les enzymes et les transporteurs en présence de sources d'azote pauvres (Cooper, 2002; Magasanik and Kaiser, 2002). Ure2p bloque les gènes des enzymes et des transporteurs nécessaires à l'utilisation de sources d'azote pauvres lorsqu'une bonne source d'azote est disponible. Ure2p est actif lorsqu'une bonne source d'azote est disponible, inactif lorsque seule une mauvaise source d'azote est fournie ou lorsque Ure2p est en forme prion.

Sup35p (Figures 53, 54 et Tableau 3) est une sous-unité (avec Sup45p) du facteur de terminaison de la traduction de S. cerevisiae, arrêtant la traduction et libérant le peptide achevé de l'ARNt final. Sa conversion en une forme amyloïde auto-propagée entraîne l’apparition du prion [PSI+], avec une déficience de ce facteur produisant une lecture fréquente des codons de terminaison de nombreux gènes de levure. Le prion est généralement caractérisé par un phénomène de lecture au travers (« readthrough ») des codons de terminaison d’ade1 et ade2 dans la biosynthèse de l’adénine. En plus de permettre la sélection du prion [PSI+], la couleur rouge des colonies ade1 ou ade2 permet de différencier les variants du prion « fort » (blanc) ou «faible» (rose) qui dépend de l’efficacité du « readthrough » ainsi que les clones rouge vif qui ont perdu [PSI+].

Le fait que [URE3] et [PSI+] soient des prions d'Ure2p et Sup35p respectivement, a d’abord été mis en évidence à partir de leurs propriétés génétiques inhabituelles, celles-ci étant inconsistantes

Tableau 3. Prions de levure, champignons et mammifères

(d’après (Wickner, 2016))

Figure 55. Critères génétiques pour la définition d’un prion de levure ou de prion fongique.

Les prions [URE3] et [PSI+] remplissent les trois critères (Wickner, 1994) car leurs phénotypes sont souvent dus à la déficience de la forme normale de la protéine, mais ce n’est pas le cas pour [PIN+] et [Het-s] (Coustou et al., 1997; Derkatch et al., 2001) car leurs phénotypes sont dus à de nouveaux effets de la forme amyloïde. (d’après (Wickner, 2016))

avec le fait que [URE3] ou [PSI+] soient des réplicons d’ADN ou d’ARN, mais attendues pour un prion (Wickner, 1994). Ces critères génétiques (Figure 55) étaient l’infectivité, montrée par l’hérédité non-chromosomique, la curabilité réversible (chaque prion peut être curé efficacement, mais peut (rarement) réapparaitre dans la même souche), la surexpression de la protéine qui augmente énormément la fréquence d’apparition du prion. De plus, le phénotype du prion est essentiellement celui d'un mutant récessif dans le gène chromosomique correspondant à la protéine prion, et pourtant ce gène chromosomique est nécessaire à la propagation du prion correspondant (Wickner, 1994; Wickner et al., 2015). Le fait que la forme amyloïde des protéines Sup35p et Ure2p respectives soit à la base des prions [PSI+] et [URE3] a été démontré par la résistance aux protéases d'Ure2p dans les souches [URE3] (Masison and Wickner, 1995), l'état agrégé de Sup35p et d’Ure2p dans les cellules [PSI+] et [URE3] respectivement (Patino et al., 1996; Paushkin et al., 1996, Edskes et al., 1999), ainsi que la formation d’amyloïdes de Sup35p et d’Ure2p amorcées (seedées) respectivement par des extraits de cellules [PSI+] et [URE3] (Glover et al., 1997; King et al., 1997; Paushkin, 1997; Taylor, 1999). Les parties d'Ure2p et Sup35p impliquées dans la formation et la propagation des prions sont restreintes à leurs domaines N-terminaux, tous deux riches en Q/N (Masison et al., 1997; Masison and Wickner, 1995; Ter-Avanesyan et al., 1994). Ces régions sont appelées les domaines prion, car ils sont à la fois nécessaires et suffisants pour la propagation du prion in vivo. Le domaine prion Ure2p peut propager [URE3] en l'absence de la partie C-terminale de la molécule (Masison et al., 1997). [PSI+] peut se propager avec le domaine N-terminal de Sup35p exprimé séparément du domaine C-terminal essentiel (Ter-Avanesyan et al., 1994). Des délétions dans le domaine C-terminal d’Ure2p peuvent élever considérablement l'efficacité de la conversion en forme prion, in vivo (Masison and Wickner, 1995) et in vitro (Taylor, 1999). La formation de prions Sup35p est augmentée par délétion de régions en dehors du domaine prion (Kochneva-Pervukhova et al., 1998; Balguerie et al., 2003), probablement en déstabilisant la structure native du domaine prion. Les modifications du domaine Sup35M (milieu) affectent également la propagation du prion en affectant la capacité de la chaperone Hsp104 à accéder aux filaments pour le clivage (Helsen and Glover, 2012). Cette région, enrichie en acides aminés chargés, sépare le domaine N-terminal formant le prion du domaine C-terminal. Le domaine prion d'Ure2p est important pour la stabilité de la molécule contre la dégradation des protéines, de sorte que sans le domaine prion, la régulation des catabolites azotés est défectueuse (Shewmaker et al., 2007). Le domaine prion Sup35p a également des fonctions non-prion, il est important dans la régulation du renouvellement général de l'ARNm grâce à son interaction avec la protéine de liaison et les enzymes de dégradation de polyA (Funakoshi et al., 2007; Hosoda et al., 2003).

Figure 56. Repliement amyloïde du « prion forming domain » de HET-s.

(A) Vue latérale et axiale d'un trimère de HET-s(218–289) dans sa conformation amyloïde fibrillaire. Chaque monomère apparaît dans une couleur différente (entrée PDB 2RMN). (B) Structure des répétitions R1 et R2 de HET-s(218–289) et séquences d'acides aminés correspondantes. Les résidus polaires sont colorés en vert, les résidus hydrophobes en jaune, les résidus chargés positivement en rouge, les résidus chargés négativement en bleu, les résidus aromatiques en magenta et la glycine en blanc. (d’après (Loquet and Saupe, 2017))

Figure 57. HET-S/s prion-forming domain (PFD)

(A) La structure en solénoïde-β du prion HET-s(218–289). La structure d'un monomère sous forme fibrillaire est représentée (PDB 2KJ3). Chaque barreau de brins β est représenté en jaune puis le second en rouge. La boucle centrale de connexion est représentée en bleu et la boucle C-terminale formant la poche semi-hydrophobe est en magenta. (B) Motifs solénoïdes-β individuels de HET-s et NWD2. Une représentation schématique de la forme en solénoïde β des répétitions 1 et 2 de HET-s et de NWD2(3–23) est donnée à gauche et à droite, respectivement. Le modèle NWD2(3–23) est basé sur la modélisation par