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CHAPITRE I. Synthèse bibliographique

I.3. La phytoremédiation

I.3.3. Les stratégies pour accroître la phytodécontamination

L’efficacité de la dépollution dans le système sol-plante dépend, d’une part, de la

productivité de la plante en termes d’accumulation des métaux et de production de la

biomasse, et d’autre part, de la solubilité des métaux dans le sol.

L’utilisation conventionnelle des plantes hyperaccumulatrices, qui ont une faible

biomasse, ne permet généralement pas d’atteindre de forts rendements en extraction. Par

ailleurs, les plantes hyperaccumulatrices n’ont souvent pour cible qu’un seul métal, elles ne

sont donc pas adaptées au traitement de la pollution polymétallique.

Les stratégies actuelles en phytodécontamination consistent à utiliser des plantes

métallotolérantes avec une biomasse importante et une capacité d’accumulation moyenne.

L’objectif est alors d’accroître la mobilité des métaux dans le sol afin d’augmenter leur

accumulation dans la plante.

Les interactions existantes dans le système sol-plante, en particulier au niveau de la

rhizosphère, ont pour conséquence de modifier la spéciation et la mobilité des métaux en les

rendant disponibles pour la plante. L’excrétion, au niveau des racines, des molécules

organiques de faible poids moléculaire, telles que les acides acétique, oxalique, fumarique,

citrique, etc., permet la formation des complexes solubles entre ces molécules et le métal.

L’utilisation des réactifs complexants, ou chélatants, pour améliorer l’efficacité de la

phytoextraction est basée sur ce constat (Chen et al., 2003). Les chélatants naturels (tels

que les acides citrique, oxalique, etc.) ou les chélatants de synthèse (tels que EDTA, DTPA,

NTA etc.), ayant une forte affinité pour les éléments métalliques, sont utilisés pour solubiliser

des métaux dans le sol. En effet, les complexants entrent en compétition avec les

constituants du sol auxquels les métaux sont associés. Une partie du stock de métaux passe

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alors en solution sous forme de complexes métal-chélate stables et solubles (Norvell, 1984;

Peters, 1999; Hauser et al., 2005).

De nombreuses études en phytoextraction de différents métaux, tels que Pb, Zn, Cu,

Cd, Ni, Co, et Au, en présence des chélatans ont été effectuées (Blaylock et al., 1997; Ebbs

et al., 1997; Huang et al., 1997; Anderson et al., 1998; Vassil et al., 1998; Cooper et al.,

1999; Epstein et al., 1999; Robinson et al., 1999; Wu et al., 1999; Blaylock and Huang, 2000;

Kayser et al., 2000; Robinson et al., 2000; Chen and Cutright, 2001; Grcman et al., 2001;

Lombi et al., 2001; Römkens et al., 2002; Chen et al., 2003; Kos and Lestan, 2003;

Thayalakumaran et al., 2003a; Thayalakumaran et al., 2003b; Thayalakumaran et al., 2003c;

Wenzel et al., 2003; Turgut et al., 2004; Wu et al., 2004; Luo et al., 2006; Evangelou et al.,

2007; Komárek et al., 2007; Komárek et al., 2008). Les résultats obtenus sont très variables,

et dépendent du métal cible, du chélatant et de la plante utilisée (Tableau I.4). Certaines de

ces études montrent de bons résultats. On obtient alors une extraction du métal du sol et

une accumulation de ce métal dans les feuilles de la plante. Dans d’autres cas,

l’accumulation du métal par la plante est présente, mais entraîne une perte de la biomasse

ou des lésions chez la plante. En effet, l’accumulation de teneurs élevées en métaux induite

par des chélatants provoque un stress de la plante et affecte sa productivité, surtout dans le

cas d’une pollution polymétallique, lorsque plusieurs métaux avec différents degrés de

phytotoxicité sont biodisponibles. Par exemple, Zn et surtout Cu sont plus toxiques que Pb

pour la majorité des plantes. Ainsi, lorsque la plante accumule simultanément ces trois

métaux, sa croissance est affectée lorsque le seuil le plus bas de la phytotoxicité, en

l’occurrence celui de Cu, est atteint (Lombi et al., 2001).

De manière générale, les chélatants sont assez efficaces pour remobiliser des

métaux dans le sol et induire leur accumulation dans les plantes. Les résultats les plus

prometteurs ont été obtenus pour la phytoextraction de Pb par la moutarde indienne

(Brassica juncea) en présence de l’EDTA. Blaylock et al. (1997) suggèrent que cette

technique pourrait permettre d’extraire entre 180 et 530 kg de Pb par hectare et par an,

rendant possible la dépollution en moins de 10 ans des sites contaminés par le plomb à la

hauteur de 2500 mg/kg.

Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que l’application des chélatants dans le

milieu naturel présente des risques. Du fait de leur fort pouvoir complexant, et de leur

persistance dans l’environnement, due à leur faible biodégradabilité, les chélatants

synthétiques (type EDTA) peuvent entraîner une migration massive des métaux dans

l’environnement. Komárek et al. (2007) ont évalué les risques associés à la phytoextraction

de Pb par le peuplier en présence d’EDTA. Ils ont montré que l’application de l’EDTA

maintient les métaux, Pb et Cu, dans le sol sous des formes fortement mobiles pendant deux

années suivant l’application. Ces métaux peuvent être lessivés vers les nappes ou alors être

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absorbés par des plantes, puis des animaux, et atteindre ainsi la chaîne alimentaire. La

migration des métaux à travers le sol a également des effets toxiques sur les

microorganismes présents dans le sol (Grcman et al., 2001).

Par conséquent, l’utilisation des chélatants en phytoremédiation nécessite une

approche adaptée et prudente. Leur dégradation et leur toxicité doivent être examinées au

préalable. Leur usage dans le milieu naturel nécessite un dispositif pour contenir le lessivage

du sol, afin d’éviter la pollution des nappes suite à la remobilisation des métaux et au

déversement des complexants. Enfin, les chélatants peuvent affecter la croissance végétale.

Pour ces raisons, l’utilisation des plantes à système racinaire extensif, comportant des tiges

souterraines du type rhizome, semble être une voie intéressante bien que peu explorée.

D’autres stratégies en phytoextraction visent à accroître la quantité de métal extrait à

chaque cycle biologique par le biais des transformations génétiques. En dépit du fait que

l’extraction du métal par la plante nécessite l’absorption et le transfert du métal dans les

parties récoltables, la plante idéale pour la phytoextraction doit combiner la capacité

d’accumuler de fortes teneurs en métaux, comme Thlaspi caerulescens,et celle de produire

rapidement une forte biomasse, comme Brassica juncea. Ainsi, se développe de plus en plus

une approche génétique. Ces études portent sur l’introduction des gènes responsables de la

production de protéines et de peptides permettant l’accumulation et la tolérance d’un métal

donné dans des plantes ayant une croissance rapide et une biomasse importante (Mejare

and Bulow, 2001).

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Tableau I.4. Synthèse des principales études de phytoextraction assistée par des

chélatants.

Chélatants Métaux Plantes Observations Références

EDTA, HEDTA,

DTPA, EGTA,

EDDHA

Pb Zea mays

(maïs),

Pisum

sativum (pois)

Efficacité : EDTA > HEDTA >

DTPA > EGTA > EDDHA.

Amélioration de la translocation

vers les feuilles.

Huang et al.,

1997

EDTA Pb, Zn,

Cd

Augmentation des teneurs en

métal dans les feuilles.

Grcman et al.,

2001

EDTA, EDDS Pb Brassica rapa

(chou chinois) Accumulation de Pb dans les feuilles, mais capacités

insuffisantes pour une réelle

application.

Kos et Lestan,

2003

Pb Concentration de Pb dans les

feuilles (1 %). Blaylock et al., 1997

Pb Augmentation de la concentration

de Pb dans les feuilles, cependant

une diminution de la biomasse.

Epstein et al.,

1999

EDTA

Cd, Cu,

Pb, Zn

Brassica

juncea

(moutarde

indienne)

Faible accumulation des métaux. Wu et al., 2004

EDTA, HEDTA Cd, Cr, Ni Augmentation des concentrations

dans les tissus (Ni et Cd dans les

feuilles, Cr dans les racines),

cependant diminution de la

biomasse. EDTA est plus efficace.

Chen et

Curtight, 2001

EDTA Cd, Cr, Ni Augmentation de l’absorption et

du transport des racines aux

feuilles. Diminution de la

biomasse.

Acide citrique Cd, Cr, Ni

Helianthus

annuus

(tournesol)

Stimulation du transport jusqu’aux

feuilles dans le cas de Cr.

Possible diminution de la

biomasse due à une forte

remobilisation des métaux.

Turgut et al.,

2004

Acide citrique Cd, Cu,

Pb, Zn Sinapis alba(moutarde

jaune),

Lolium

perenne

(raygrass),

Lupinus

harwtegii

(lupin)

Absorption plus importante des

métaux par Sinapis alba, qui est

un hyperaccumulateur. Faible

absorption par Lolium perenne et

Lupinus hartwegii.

Römkens et

al., 2002

Acide citrique Pb, Cd Raphanus

sativus

(radis)

Diminution de la toxicité de Pb et

de Cd. Stimulation du transport

jusqu’aux feuilles dans le cas de

Cd. Accumulation de Pb dans les

racines.

Chen et al.,

2003

EDTA : acide éthylène-diamine-tétraacétique ; HEDTA : acide

hydroxy-éthylène-diamine-tétraacétique ; DTPA : acide diéthylène-triamine-pentaacétique ; EGTA: acide

éthylène-glycol-tétraacétique ; EDDHA : acide éthylène-diamine-dihydroxyphényl-acétique ; EDDS: acide [S,S]

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