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CHAPITRE V. Evolution de la spéciation du zinc suite à la phytoremédiation

V.2. Identification des espèces du zinc

V.2.1. µEXAFS

La figure V.2 a présente sept spectres représentatifs des grains riches en Zn de taille

de 5 à 20 µm localisés dans différents emplacements dans les sols, à proximité ou à

distance des racines selon les plantes. Au total, douze grains ayant un environnement

cristallochimique similaire aux points 1-7 ont été observés. En raison de la très petite taille de

grains, les spectres de cinq autres grains ont un faible rapport signal/bruit et n’ont pas été

inclus dans l’analyse. Les spectres représentatifs 1-7 sont regroupés en une famille

puisqu’ils peuvent se décrire comme un système à deux composantes. Les spectres 1 et 2

sont quasiment identiques et correspondent à une espèce pure : le zinc métallique. Le

spectre 7 correspond à une deuxième espèce pure : l’oxyde de zinc (ZnO). Les spectres

intermédiaires, 3, 4, 5, et 6, correspondent aux mélanges de ces deux espèces en

différentes proportions. Le zinc métallique et l’oxyde de zinc n’ont pas été présents dans le

sol initial avant phytoremédiation. Leur origine dans le sol après phytoremédiation sera

discutée dans la partie V.4 de ce chapitre.

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Figure V.2. Spectres µEXAFS au seuil K de Zn enregistrés dans des points d’intérêt sélectionnés en

µSXRF. Le spectre 8 a été enregistré en mode de fluorescence, tous les autres spectres ont été

enregistrés en mode de transmission.

La comparaison du spectre 1 avec le spectre de référence de Zn métallique montre

que le spectre expérimental et le spectre de référence sont bien en phase et ont la même

forme. Cependant, on observe une différence en amplitude entre ces deux spectres.

L’amplitude du spectre de référence a été multipliée par 0.77 pour reproduire le spectre

expérimental (Figure V.3 a). On observe les mêmes tendances pour le spectre enregistré en

point 7. Ce spectre a la même forme et phase que le spectre de référence de ZnO.

Cependant, l’amplitude du spectre de ZnO du sol est réduite de 49 % par rapport au spectre

de référence (Figure V.3 b). La réduction de l’amplitude du signal EXAFS des grains de Zn et

de ZnO du sol par rapport aux références ne semble pas provenir de l’effet de sur-absorption

(anglais : overabsorption) lié à l’épaisseur, puisque les spectres de ces grains ont été

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enregistres en mode de transmission. La réduction de l’amplitude peut être due à l’effet

« trou » (anglais : hole effect) lié à la petite taille des particules constituant les grains. Cet

effet se produit lorsque les particules sont petites (typiquement de taille micrométrique) par

rapport à la taille du faisceau. Dans ce cas, la réduction de l’amplitude est linéaire dans

l’espace k et dans l’espace R. Ce phénomène est observé pour le spectre 1 (Figure V.3 a,c),

ce qui indique que le grain 1 du Zn métallique pur est constitué des particules bien

cristallisées de taille micrométrique. En revanche, le spectre du grain 7 du ZnO pur et la

transformée de Fourier de ce spectre montrent que la réduction de l’amplitude n’est pas

linéaire dans l’espace k ni dans l’espace R (Figure V.3 c,d). Ce phénomène se produit

généralement lorsque les particules constituant le grain sont typiquement de taille

nanométrique. On observe alors dans l’espace k un amortissement des ondes, et dans

l’espace R une perte des paires atomiques à grande distance. Ceci est caractéristique de la

très petite taille (typiquement nanométrique) des particules et du désordre structural des

particules (Dähn et al., 2002; Manceau et al., 2004; Manceau et al., 2005; Manceau et al.,

2008). Ces résultats indiquent que les pôles purs de la famille des grains Zn

0

-ZnO sont de

cristallinité différente : Zn métallique pur est microcristallin et ZnO pur est nanocristallin.

Le grain 7 contient l’oxyde de zinc pur. La morphologie nodulaire de ce grain et son

emplacement à proximité immédiate de la surface de racine de l’iris en association

vraisemblablement avec des poils racinaires ou des mycorhizes (Figure V.1 b) et le fait que

ZnO n’a pas été présent dans le sol initial suggèrent ensemble que ZnO pourrait être formé

par précipitation à la surface racinaire. Le même type de grains de ZnO ayant les spectres

EXAFS identiques à celui du point 7 a été trouvé à la surface des racines d’une graminée

terrestre, Agrostis tenuis, cultivée sur un sédiment contaminé par Zn (Panfili, 2004).

La comparaison du spectre 5 avec le spectre 1 (grain de Zn métallique pur) et le

spectre 7 (grain de ZnO pur) montre que le spectre 5 est intermédiaire entre le spectre 1 et

le spectre 7, et les trois spectres se croisent aux mêmes valeurs de k. Cela indique que le

point 5 contient un mélange de deux espèces : Zn métallique et ZnO (Figure V.3. e). La

reconstruction du spectre 5 par une combinaison linéaire de ces deux espèces montre en

effet qu’il est bien reproduit avec 70 % de Zn métallique et 30 % de ZnO (Figure V.3 f). La

réduction de l’amplitude du spectre 5 n’est pas linéaire dans l’espace k et intermédiaire entre

le spectre 1 et le spectre 7. Ceci suggère que les particules constituant ce grain pourraient

être de cristallinité variable.

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Figure V.3. Spectres µEXAFS au seuil K de Zn enregistrés dans les points 1 et 7 (trait plein) et les

spectres des références de Zn métallique et de ZnO (trait pointillé) (a, b) et leurs transformées de

Fourier (TF) (c,d). L’amplitude des spectres des références de Zn métallique et de ZnO a été

multipliée pas 0.77 et 0.51 respectivement. (e) Comparaison des spectres µEXAFS des points 1, 5 et

7. (f) Reconstruction du spectre µEXAFS du point 5 par une combinaison linéaire de Zn métallique et

de ZnO.

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les points 3 et 4 est similaire à celle dans le point 5 (∼30 %). En revanche, dans le point 6 la

proportion de ZnO augmente jusqu’à 65 % et, respectivement, la proportion de Zn métal

diminue jusqu’à 35 %. Ces évolutions des proportions des espèces sont visibles sur les

spectres. Le spectre 6 ayant la plus forte proportion de ZnO se rapproche alors en forme et

en amplitude au spectre 7, qui correspond à ZnO pur. Si l’on compare entre eux les spectres

3, 4 et 5 contenant les mêmes proportions des espèces (70 % de Zn, 30 % de ZnO), on

constate une variation d’amplitude des oscillations EXAFS. L’amplitude du spectre 5 est

supérieure à l’amplitude des spectres 3 et 4. Cette variation d’amplitude des oscillations

EXAFS est caractéristique d’une variation moyenne de la taille apparente des particules

constituant les grains. Autrement dit, la cristallinité moyenne varie d’un grain à l’autre.

Si l’on regarde l’emplacement des grains de la famille Zn

0

-ZnO dans la rhizosphère,

on constate que les grains 3, 4 et 5 contenant plus de Zn métallique que de ZnO sont

relativement éloignés des racines (Figure V.1 c,d). En revanche, les grains 6 et 7 contenant

65 et 100 % de ZnO sont localisés à proximité immédiate des racines (Figure V.1 b). La

présence des grains de Zn métallique pur, des grains de ZnO pur et des grains de mélange

avec différents rapports Zn

0

-ZnO laisse supposer une différence des conditions locales à

l’échelle de quelques dizaines de micromètres dans la rhizosphère, et l’influence de ces

conditions sur la nature des grains. La présence des grains de Zn métallique pur et bien

cristallisé dans les zones relativement éloignées des racines, l’augmentation du taux de ZnO

avec le rapprochement des racines dans les particules Zn

0

-ZnO de cristallinité variable, et la

présence des agrégats des nanoparticules de ZnO pur à proximité immédiate de la surface

des racines pourraient suggérer l’oxydation graduelle des particules de Zn métallique et leur

évolution en ZnO dans les zones oxygénées de la rhizosphère proches des racines. La

corrosion des particules de Zn métallique à l’air et à la température ambiante avec la

formation d’une couche de ZnO est connue et couramment utilisée dans la synthèse des

nanostructures de Zn

0

-ZnO et ZnO (Sun and Pan, 2004).

Outre Zn métallique et ZnO, cinq autres espèces de Zn ont été identifiées à l’état pur

par µEXAFS : gahnite, willémite, Zn-kérolite, Zn-goethite et Zn-phosphate.

Le spectre du point 8 est bien similaire au spectre de référence de la gahnite, le

spectre du point 9 à celui et de la willémite, ce qui indique la présence de ces espèces dans

les points analysés (Figure V.4). La gahnite (ZnAl

2

O

4

) et la willémite (Zn

2

SiO

4

) ont été

présentes dans le sol initial en faibles proportions : <10 % et ∼11 % respectivement (cf.

Chapitre III). Ces sont des minéraux primaires de Zn, leur persistance au traitement par

phytoremédiation n’est pas surprenante.

CHAPITRE V. Evolution de la spéciation du zinc suite à la phytoremédiation

Figure V.4. Spectres µEXAFS au seuil K de Zn enregistrés dans les points 8 et 9 (trait plein) et les

spectres des références de la gahnite et de la willémite (trait pointillé). Spectre 8 a été enregistré en

mode de fluorescence. La différence en amplitude entre le spectre expérimental et le spectre de

référence est due à l’effet de la sur-absorption.

Les spectres enregistrés dans les points 10 et 11 sont quasiment identiques et

parfaitement similaires au spectre de référence de Zn-kérolite 210, ce qui indique sans

ambigüité la présence de cette phase dans ces points (Figure V.5 a). Il s’agit d’un

phyllosilicate riche en Zn de composition Si

4

(Zn

2.1

Mg

0.9

)O

10

(OH)

2

nH

2

O où le zinc est

substitué au magnésium dans les sites octaédriques du réseau cristallin. Comme la gahnite

et la willémite, l’espèce Zn-kérolite a été présente dans le sol initial, et elle persiste dans le

sol après phytoremédiation.

Outre Zn métallique et ZnO, une troisième nouvelle espèce a été identifiée à l’état

pur dans le point 13, à proximité immédiate de la racine de l’iris (Figure V.1 b). Il s’agit d’un

oxyhydroxyde de fer zincifère, Zn-goethite substituée (α(Fe,Zn)OOH). La figure V.5 b montre

la comparaison du spectre expérimental enregistré dans le point 13 avec le spectre du

composé de référence de Zn-goethite. Ce composé de référence a été synthétisé par la

dissolution de Zn-ferrihydrite avec 0.5 M KOH pendant 93 jours. Avec ce protocole, Zn et Fe

libérés en solution coprécipitent en goethite où Zn est substitué au Fe dans les sites

octaédriques Fe(O

3

(OH)

3

) du réseau cristallin (Manceau et al., 2000b). Les spectres de la

goethite du sol et de la goethite synthétique sont identiques, ce qui indique que dans la

goethite du sol le zinc est incorporé dans le réseau cristallin. L’incorporation de Zn dans la

structure de la goethite, et le fait que Zn-goethite n’a pas été présente dans le sol initial,

suggèrent que cette espèce s’est formée lors de la phytoremédiation par coprécipitation de

Fe et de Zn libérés en solution suite à la dissolution des phases porteuses initiales.

CHAPITRE V. Evolution de la spéciation du zinc suite à la phytoremédiation

Figure V.5. Spectres µEXAFS au seuil K de Zn enregistrés dans les points 11 et 13 (trait plein) et les

spectres des références (trait pointillé) de Zn-kérolite et de Zn-goethite substituée (a,b).

La partie restante des spectres expérimentaux (14 à 29) caractérise les points les

plus fréquemment rencontrés dans les sols analysés (Figure V.2. c). Les spectres

enregistrés dans les points de 16 à 29 sont similaires, ce qui indique un environnement

cristallochimique de Zn similaire dans ces points (Figure V.2 c). En effet, ces spectres, en

grande majorité, sont bien reconstruits avec une seule espèce : Zn-phosphate. Un exemple

représentatif de la reconstruction du spectre 21 est présenté sur la figure V.6 a. Ce spectre

correspond à un précipité de Zn dans le cortex racinaire de Phragmites australis. Les

spectres des points 14 et 15 correspondent aux précipités à la surface de la racine de

Phragmites australis (Figure V.1 e). Ce deux spectres ont des allures similaires aux spectres

16-29, mais ils se distinguent par la forme et la position de la première et deuxième

oscillation, ce qui indique un mélange de Zn-phosphate avec d’autres espèces dans ces

points (Figure V.2 c). En effet, chacun de ces deux spectres est bien reconstruit par une

combinaison linéaire de deux espèces : 63 % Zn-phosphate et 37 % Zn-goethite (point 14),

et de 79 % Zn-phosphate et 21 % Zn-kérolite (point 15) (Figure V.6 b,c). Le spectre du point

12, correspondant à la « plaque » formée à la surface de la racine du phragmite, est bien

reconstruit par combinaison linéaire de 54 % Zn-kérolite et 46 % Zn-goethite (Figure V.6 d).

En conjonction avec les teneurs en Zn mesurées dans les tissus végétaux, les

résultats de µEXAFS apportent des informations sur les mécanismes d’accumulation et de

piégeage de Zn par Phragmites australis. Cette plante accumule relativement peu de Zn

dans les parties aériennes (71 mg/kg), ce qui est typique des plantes tolérantes. L’excès de

Zn toxique est séquestré au niveau des racines sous formes peu solubles et non toxiques. A

l’extérieur des racines, le zinc est piégé dans les précipités racinaires sous forme de

goethite, kérolite et phosphate. A l’intérieur des racines, le zinc est séquestré dans les

cellules du cortex sous forme de phosphate.

CHAPITRE V. Evolution de la spéciation du zinc suite à la phytoremédiation

Figure V.6. Spectre µEXAFS au seuil K de Zn du point 21 (précipité du cortex racinaire de Phragmites

australis) et le spectre de référence de Zn-phosphate (a). Reconstructions des spectres µEXAFS des

points 14, 15 et 12 (précipités de surface racinaire de Phragmites australis) par combinaison linéaire

de Zn-phosphate et Zn-goethite dans le point 14 (b), Zn-phosphate et Zn-kérolite dans le point 15 (c),

Zn-kérolite et Zn-goethite dans le point 12 (d). Les spectres expérimentaux sont en trait plein, les

spectres reconstruits sont en pointillé.

En résumé, les analyses µEXAFS des sols après phytoremédiation ont permis

d’identifier in fine, à l’échelle micrométrique, sept espèces zincifères : Zn métallique, oxyde

de Zn, gahnite, willémite, Zn-kérolite, Zn-goethite et Zn-phosphate. Parmi ces espèces,

quatre espèces : gahnite, willémite, Zn-kérolite et Zn-phosphate, ont été présentes dans le

sol à l’état initial, ce qui suggère que ces espèces ont persisté à la phytoremédiation. Les

résultats de µEXAFS, en conjonction avec les résultats de micro-fluorescence X, montrent

aussi que Zn-phosphate est distribué un peu partout avec une grande variabilité

d’associations : dans la matrice du sol sous forme d’agrégats de morphologie et taille

variables, à la surface des racines sous forme de précipités en association soit avec la

goethite, soit avec la kérolite, ainsi que dans le cortex racinaire. Sachant aussi que le sol est

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1989)), l’ensemble des résultats suggère que les phosphates initialement présents, y

compris Zn-phosphate, pourraient être remobilisés et reprécipités lors de la

phytoremédiation.

Trois nouvelles espèces : Zn métallique, oxyde de Zn, et Zn-goethite, ont été

identifiées dans les sols après phytoremédiation. Une espèce, l’oxyde de Fe zincifère mal

cristallisé (Zn-ferrihydrite), majoritaire dans le sol à l’état initial (30 % de zinc total), n’a pas

été identifiée à l’échelle micrométrique dans le sol après phytoremédiation. En revanche, une

autre forme d’oxyde de Fe zincifère, Zn-goethite substituée, s’est formée lors de la

phytoremédiation. Ces résultats suggèrent la transformation de la ferrihydrite en goethite lors

de la phytoremédiation.