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CHAPITRE I. Synthèse bibliographique

I.3. La phytoremédiation

I.3.1. Les concepts et les avantages

La phytoremédiation est définie par Cunningham and Berti (1993) comme l’utilisation

de végétaux supérieurs pour extraire, stabiliser ou dégrader des substances polluantes.

Cette technique peut être appliquée à des métaux lourds, à des radioéléments ou à des

polluants organiques présents dans le sol ou dans l’eau (Dushenkov et al., 1995; Salt et al.,

1995; Raskin et al., 1997; Dushenkov, 2003; Krämer, 2005).

L’étymologie du mot phytoremédiation provient du grec « phyton » - plante, et du latin

« remedium » - rétablissement de l'équilibre, remédiation. On distingue souvent les notions

de phytoremédiation et de phytorestauration. Le terme remédiation suppose l’action de

remédier, en mettant l’accent sur le processus. Le terme restauration suppose le

rétablissement d’un système dans son état normal. La restauration écologique implique la

restauration des ressources vers un état proche de l’origine, en termes de structure et de

fonction (Bradshaw, 1996). La restauration écologique met en lumière la question du niveau

de restauration nécessaire et suffisant pour que la ressource puisse retrouver sa fonction

d’usage. Il existe en effet une différence entre restaurer un sol pour atteindre un niveau

satisfaisant de décontamination pour que le sol soit à nouveau exploitable, et restaurer

totalement un site pour qu'il revienne à des conditions antérieures à la contamination. Le sol

étant un système dynamique, le retour à son état initial est quasi impossible. Lorsque l’on fait

référence à la phytorestauration d’un sol, on parle alors d’un procédé qui vise à réduire,

grâce à l’action des plantes, la pollution du sol jusqu’à un niveau nécessaire et suffisant pour

que le sol puisse retrouver sa fonction d’usage. Utilisée dans ce sens, la phytorestauration

devient synonyme du terme phytodécontamination. C’est pourquoi la phytorestauration est

souvent considérée comme une subdivision de la phytoremédiation.

Le terme générique de phytoremédiation regroupe deux stratégies de remédiation :

(i) la phytostabilisation qui vise à réduire la mobilité des contaminants, en particulier des

métaux, dans des sols ou des sédiments contaminés ; (ii) la phytodécontamination qui vise

à réduire la teneur des contaminants présents dans le milieu.

La phytostabilisation utilise le couvert végétal pour diminuer la mobilité et la

biodisponibilité des métaux présents dans le substrat et, dans l’idéal, immobiliser les métaux

in situ. Les plantes utilisées en phytostabilisation sont des espèces métallotolérantes

adoptant une stratégie d’exclusion (Berti and Cunningham, 2000). Les métaux sont piégés

au niveau de la racine, diminuant les risques de lessivage vers les eaux souterraines ou

encore l’entraînement par érosion éolienne ou hydraulique. Cette technique est souvent

complétée par l’ajout d’amendements organiques ou minéraux. Par exemple, les scories

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phosphatées (Mench et al., 1994b; Panfili et al., 2005), la béringite (Vangronsveld et al.,

1995), la grenaille d’acier (Boisson et al., 1999), et le compost municipal (Mench et al., 2003)

ont été utilisées pour immobiliser Zn, Cu, Pb, Cd, Ni et As dans des sols, des sédiments et

des friches industrielles. La phytostabilisation est bien adaptée pour réhabiliter des vastes

zones contaminées et mises à nu par la trop forte phytotoxicité du substrat. Néanmoins,

cette technique ne permet pas de décontaminer le substrat, et le risque sur le long terme

serait une remobilisation des polluants et leur propagation dans l’environnement, suite à des

modifications des conditions physico-chimiques du milieu.

La phytodécontamination regroupe plusieurs techniques selon le type d’action des

plantes, la nature du milieu contaminé et la nature des contaminants.

La phytoextraction utilise les capacités accumulatrices des plantes pour extraire les

métaux des sols et des sédiments. Cette technique de décontamination est basée sur la

culture des plantes possédant des propriétés de tolérance vis-à-vis de métaux et des

propriétés d’accumulation et de concentration des métaux dans leurs parties aériennes. Les

parties aériennes peuvent ensuite être récoltées, puis les métaux sont concentrés par des

traitements thermiques, chimiques ou microbiologiques. Les métaux peuvent aussi être

récupérés et réutilisés à but économique (le phytomining) (Robinson et al., 1997).

Certaines plantes sont naturellement capables d’accumuler de fortes teneurs en

métaux : ce sont des plantes accumulatrices, les teneurs accumulées dans leurs tissus sont

supérieures à celles présentes dans le sol. Certaines sont dites hyperaccumulatrices, si elles

sont capables d’accumuler plus de 10000 mg·kg

-1

de Mn, Ni ou Zn, plus de 1000 mg·kg

-1

de

Cu, Co, Pb, Cr, ou plus de 50 mg·kg

-1

de Cd dans leurs feuilles (Baker and Brooks, 1989;

Brooks, 1998). L’hyperaccumulation concerne un large éventail de métaux, et il existe

environ 440 espèces reconnues de plantes hyperaccumulatrices (e.g. Alyssum bertolonii,

Alyssum murale, Berkheya coddii, Sebertia acuminata, Silene cobalticola, Thlaspi

caerulescens, Brassica napus, Pteris vittata), dont plus de 300 sont les hyperaccumulatrices

de Ni. Un nombre réduit seulement de ces plantes est présent en climat tempéré,

notamment en Europe. En France, des sites métallifères (gisements, anciennes mines ou

fonderies) abritent une flore hyperaccumulatrice, et en particulier, Thlaspi caerulescens ou

tabouret calaminaire (Schwartz, 1997; Reeves et al., 2001). Thlaspi caerulescens est surtout

connu pour sa propriété à accumuler le zinc (> 1 % MS), mais certaines populations

possèdent aussi l’aptitude à concentrer Cd, Pb et Ni (> 0.3 % MS) (Schwartz et al., 2003;

Schmitt-Sirguey, 2004; Schwartz et al., 2006). Une récolte réalisée à partir d’une pelouse

métallophyte naturelle permet d’atteindre une extraction de 10 kg de Zn par ha (Schwartz et

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préférentiellement dans les zones du sol où les métaux sont présents en forte concentration

(Schwartz et al., 1999). La relative faible vitesse de croissance et la taille de Thlaspi

caerulescens tendent à limiter le rendement de l’extraction, mais cette plante répond

positivement à la fertilisation azotée et soufrée par une augmentation de la production de

biomasse (Schwartz et al., 2003).

La plante idéale pour la phytoextraction doit être capable d’absorber de fortes

teneurs en métaux et de les accumuler dans les parties récoltables, tout en ayant une

croissance rapide et une forte biomasse (Blaylock and Huang, 2000). La plupart des plantes

hyperaccumulatrices sont de petites tailles et ont une croissance lente, produisant ainsi une

faible biomasse. D’autres plantes sont seulement tolérantes et ne peuvent accumuler que

des teneurs relativement faibles en métaux dans leurs tissus, mais produisent une biomasse

plus importante. Depuis près de quinze ans, deux principales approches de la

phytoextraction se développent parallèlement : la phytoextraction par des plantes

hyperaccumulatrices (Raskin et al., 1997; Robinson et al., 1997; Lasat et al., 1998; Robinson

et al., 1998; Salt et al., 1999; Lombi et al., 2001; Schwartz et al., 2001; Keeling et al., 2003;

Schwartz et al., 2003) et la phytoextraction par des plantes tolérantes à forte biomasse (e.g.

Brassica spp., Zea mays, Helanthus annuus, Hordeum vulgare, Avena sativa, Populus spp.,

Salix spp.). Cette dernière technique de phytoextraction est souvent assistée par l’ajout de

réactifs chélatants afin d’augmenter la solubilité des métaux dans les sols (Blaylock et al.,

1997; Ebbs et al., 1997; Huang et al., 1997; Anderson et al., 1998; Vassil et al., 1998;

Cooper et al., 1999; Epstein et al., 1999; Robinson et al., 1999; Wu et al., 1999; Blaylock and

Huang, 2000; Kayser et al., 2000; Robinson et al., 2000; Chen and Cutright, 2001; Grcman

et al., 2001; Römkens et al., 2002; Chen et al., 2003; Kos and Lestan, 2003;

Thayalakumaran et al., 2003a; Thayalakumaran et al., 2003b; Thayalakumaran et al., 2003c;

Wenzel et al., 2003; Turgut et al., 2004; Wu et al., 2004; Luo et al., 2006; Evangelou et al.,

2007; Komárek et al., 2007; Komárek et al., 2008). L’ajout des chélatants (comme EDTA,

DTPA, etc.) permet de solubiliser les métaux dans le sol et de favoriser, dans certains cas,

leur transfert vers les racines sous formes de complexes en solution (Blaylock et al., 1997;

Huang et al., 1997). D’autres recherches en phytoextraction visent à accroître la quantité de

métal extrait à chaque cycle biologique en transférant les gènes responsables de

l’hyperaccumulation chez les plantes tolérantes à forte biomasse (Raskin, 1996).

La rhizofiltration, appelée également la phytofiltration ou encore

la phytoépuration, utilise des racines des plantes pour dégrader et/ou éliminer les

polluants des effluents (eaux de surface, eaux souterraines extraites, eaux usées, boues

liquides). Les systèmes racinaires favorisent la dégradation et la minéralisation de composés

organiques, ils absorbent, précipitent et concentrent les métaux (Raskin et al., 1994b). Cela

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sous-entend l'utilisation des plantes dont les racines ont une croissance rapide et une forte

biomasse pour obtenir la plus grande surface de contact avec la matrice polluée. Les plantes

« terrestres » telles que la moutarde indienne (Brassica juncea) (Dushenkov et al., 1995), le

peuplier (Populus spp.) (Moffat et al., 2001), ou les plantes de zones humides telles que les

roseaux (Phragmites spp.), les massettes (Typha spp.), les scirpes (Scirpus spp.), les saules

(Salix spp.), les iris (Iris spp.), etc., sont utilisées pour le traitement des effluents par

rhizofiltration (Weis and Weis, 2004). Cette technique d’épuration est inspirée principalement

des phénomènes naturels d’assainissement (autoépuration) observés dans des zones

humides (lacs, marais, prairies humides, etc.). Elle est ainsi la base de traitement des

effluents dans des zones humides artificielles (anglais : constructed wetlands) (Hammer,

1989; Horne, 2000). Les mécanismes impliqués dans le traitement des polluants varient

selon le type de polluants et le type de plantes : processus biologiques ou adsorption de

surface, processus physiques et chimiques tels que la chélation, les échanges d'ions et

l'adsorption spécifique (ne requérant pas d’activité biologique, elle peut se faire sur des

tissus morts) (Dushenkov et al., 1995). En France, depuis des années 1980, des recherches

du Cemagref dans le domaine des cultures fixées sur supports fins plantés de roseaux ont

conduit à la filière « Filtres Plantés de Roseaux » dans le domaine du traitement des eaux

usées des collectivités (Molle et al., 2004). Ces systèmes d’épuration de différentes

configurations sont basés sur l’utilisation des systèmes racinaires des macrophytes tels que

par exemple Phragmites australis implantés dans un filtre contenant un substrat poreux

(pouzzolane, gravier, sable, etc.). L’efficacité de ces systèmes est reconnue pour le

traitement des virus et des bactéries pathogènes, des demandes biochimiques en oxygène

(DBO

5

) et des solides en suspension. Le traitement de l’azote et de l’ammoniac par

nitrification varie suivant le système, et le traitement du phosphore et des métaux lourds est

plus limité (Liénard et al., 2004).

La phytovolatilisation utilise les plantes afin de transformer certains éléments

volatils du sol (As, B, Hg, Se) sous forme gazeuse (ex., le diméthylsélénide) et de les

éliminer dans l’atmosphère par évapotranspiration (Terry et al., 1992).

La phytodégradation utilise les plantes et les microorganismes associés pour

transformer au niveau de la rhizosphère les polluants organiques toxiques en substances

moins toxiques. Cette technique se rapproche plus de la bioremédiation assistée par les

plantes puisqu’elle repose sur l’action des microorganismes rhizosphériques.

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phytoremédiation présente de nombreux avantages d’ordre environnemental et économique.

Les techniques de phytoremédiation sont applicables à un grand nombre de polluants, elles

ne provoquent qu’un minimum de perturbations dans l’environnement, enfin leur coût est

faible (Raskin et al., 1994b). Salt et al. (1995) estiment le coût de la phytoremédiation des

sols entre 60 000 et 100 000 US $ par hectare, soit environ la moitié du coût des procédés

conventionnels les moins onéreux. Les techniques de phytoremédiation apparaissent alors

comme des méthodes alternatives ou des méthodes complémentaires aux méthodes

conventionnelles, moins coûteuses, plus extensives et plus respectueuses de

l’environnement.