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Chapitre 2 : Types d’intercompréhension, stratégies et facteur âge

II. Stratégies de compréhension et autres observations

2.2. Les stratégies les plus récurrentes en intercompréhension

Après avoir dressé un panorama des typologies existantes, nous allons maintenant nous focaliser sur des exemples concrets de stratégies et de comportements que nos participants pourraient adopter pour réaliser la tâche de compréhension demandée.

2.2.1. Appui sur ses connaissances préalables

Tout travail de compréhension « ne dépend […] pas seulement de la succession de mots connus et inconnus qui le composent. Elle repose également sur toutes leurs connaissances préalables, que ce soit de type culturel, social, géographique… ou langagier (étymologie des mots, richesse de la langue maternelle, autres langues vivantes connues…) » (Herrenberger, 1999, in Dervey, L. : 43-44). L’intercompréhension suppose l’immersion dans l’authentique, à savoir le contact direct avec la langue telle qu’elle est, « sans qu’il y ait eu d’apprentissage préalable » (Caddéo & Jamet, 2013 : 57). Par conséquent, les seules connaissances qui peuvent être exploitées au moment de la mise en place du processus de décodage sont les savoirs et les savoir-faire que l’on détient dans sa langue première ainsi que son bagage personnel (ibid.). Les connaissances auxquelles nous faisons appel peuvent être d’ordre linguistique ou non linguistique. Dans le premier cas, nous pouvons réaliser des rapprochements – grammaticaux, lexicaux, syntaxiques ou phonologiques qu’ils soient – entre notre langue source et la langue cible ; entre les langues cibles, si elles sont plusieurs ; ou encore entre la langue cible et toutes les langues qui font partie de notre répertoire verbal. De plus, étant donné que non seulement il existe un lexique « panroman » – donc commun à toutes les langues romanes (Reissner, 2008, in Rodrigues, 2012 : 3) – mais que l’on parle aussi d’un vocabulaire « international » (ibid., cf. Ch. I, 3.2.1.), il nous semble normal de croire que la dimension lexicale sera la première à être valorisée par nos sujets. Dans le deuxième cas, s’appuyer sur des connaissances extra- linguistiques signifie mettre à profit toutes les connaissances que nous avons sur le monde : l’actualité, l’histoire, la géographie, les sciences, la littérature, etc. Comme toute approche plurielle le veut, on valorise tout ce qui est « déjà là ». Par conséquent, ces deux cas de figurent nous permettent d’affirmer que posséder une bonne culture générale ou même connaître des

langues en dehors de celles faisant l’objet de l’étude, se révèleraient des véritables atouts pour la compréhension (Caddéo & Jamet, 2013 : 58).

2.2.2. Formuler des hypothèses pour comprendre le sens : entre transfert et inférence

Toutefois, en intercompréhension le simple appui sur des connaissances antérieures n’est pas suffisant : il faut aller plus loin. Par la comparaison, l’interprétation, la logique, nous allons formuler des hypothèses dans le but de faire des ponts entre les langues (Andrade, 2003, in Santos, 2007 : 207) et de découvrir les règles de passage qui existent entre elles. De plus, lorsque nous estimons qu’une stratégie fonctionne, il se peut qu’elle soit automatisée et donc réutilisée par la suite. Ainsi, on observe l’apparition de deux processus spécifiques au phénomène de l’intercompréhension : le transfert et l’inférence. Ceux-ci « contribuent à construire la représentation mentale du contenu du texte : le processus d’inférence agit là où le texte est opaque, tandis que le transfert s’active là où il existe des transparences » (Cortés Velásquez, 2015 : 84)53. Nous entendons par opacité le « caractère de ce qui est difficilement

compréhensible, de ce qui est impénétrable ou obscur » (Dictionnaire TLFi54) et par

transparence la « qualité de ce qui est facilement compréhensible, intelligible » (ibid.55

) et souvent très similaire.

Le transfert

Le transfert est défini comme « l’ensemble des processus psychologiques par lesquels la mise en œuvre d’une activité dans une situation donnée sera facilitée par la maîtrise d’une autre activité similaire et acquise auparavant » (Cuq, 2003, in Escudé & Janin, 2010 : 44). Ce concept est fondamental en didactique des langues. On sait en effet que « derrière une langue se cache souvent une autre » et que par conséquent « avec l’apprentissage d’une langue, on prépare déjà celui d’une autre langue » (Meissner, 2009 : 1-2). Plus particulièrement, dans le cadre de l’intercompréhension entre langues proches, il s’agit alors d’un mécanisme par lequel le sujet transfère ses connaissances là où il perçoit des zones de transparence entre sa langue première (et/ou les autres langues qu’il connaît) et la ou les langues auxquelles il est confronté (Caddéo & Jamet, 2013 : 65 ; Cortés Velásquez, 2015 : 85), voire même entre celles-ci. Par conséquent, à travers cette activité réflexive l’apprenant va pouvoir jeter des ponts entre les langues, tout en sachant que chaque langue possède une logique et des spécificités qui lui sont propres (Escudé

53 Traduction réalisée par nos soins.

54 Dictionnaire en ligne : http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?11;s=1036177200;r=1;nat=;sol=0. 55 Dictionnaire en ligne : http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=1036177200.

& Janin, 2010 : 45). Ainsi, ce procédé va « amener le [sujet] à construire par lui-même l’architecture de la langue nouvelle » (Conti & Grin, 2008, in ibid.). De plus, nous croyons que dans une tâche de compréhension, comme c’est le cas dans notre étude, le transfert s’effectue aussi à un niveau plus large : les sujets « pourront par exemple transférer les stratégies de compréhension développées » en langue maternelle et les réutiliser pour « comprendre des textes en langue étrangère » (Dervey, 2017 : 49). Des exemples pourraient être l’observation du paratexte ou la lecture des questions avant de commencer celle de texte.

Si « envisager d’aller du connu vers du moins connu par le jeu des transparences, la notion de “vrais amis”, les airs de famille, etc. rend l’accessibilité à des langues nouvelles plus immédiate » (Caddéo, 2015 : 287), il ne faut pas oublier que transférer ses connaissances peut impliquer un risque de transfert négatif. « Lorsqu’il y a dissymétrie entre langue source et langue cible » peut se produire un transfert négatif susceptible de « gén[érer] des erreurs » (Caddéo & Jamet, 2013 : 65). Il faudra alors penser à bien exploiter tous les indices que le contexte offre pour ne pas tomber dans le piège des « faux amis ».

L’inférence

Contrairement au transfert, l’inférence agit lorsque l’on constate de l’opacité. Le principe de transparence n’étant plus exploitable, la compréhension se fait en mettant en lien « les informations possédées ou stockées dans la mémoire à long terme » avec les informations et les mots opaques auxquels nous sommes exposés (McKoon & Ratcliff, 1992, in Cortés Velásquez, 2015 : 84). Ces inférences se font à différents niveaux – lexical, syntaxique, sémantique, etc. (ibid. : 85) – et elles peuvent apparaître également au moment où l’on construit, par généralisation, des règles de passage morphosyntaxiques fondées partiellement sur la transparence. Par exemple, dans la relation entre l’italien et le français, si l’apprenant comprend que cappello signifie chapeau et que castello veut dire château, alors il pourra supposer que cammello correspond à chameau. Il s’agit donc d’une inférence purement morphologique qui n’est pas liée à la sémantique (Caddéo & Jamet, 2013 : 73).

De plus, les inférences peuvent s’appuyer sur la notion de schéma, définie comme une « structure abstraite et flexible que l’individu applique dans ses interactions avec le monde sur la base de son expérience afin de construire [du] sens » (ibid. : 77). C’est-à-dire que nous disposons d’une sorte de « schéma interprétatif préexistant dans notre mémoire »56 auquel nous

avons recours pour anticiper des informations, du lexique, des actes pragmatiques, etc. (ibid. :

76), ce qui rejoint l’idée de procédure top down (cf. Ch. II, 2.1.3.). Par exemple, face à un reportage ou à un article de presse, nous nous attendons à voir apparaître un titre, une source, un récit objectif, peut-être des citations, etc.

Il existe différentes classifications57 des inférences. Parmi celles-ci nous en retenons une

pour notre travail : les inférences qui dépendent de la fonction exercée. Cette typologie oppose les inférences de liaison – qui relient les éléments d’un même texte – des inférences d’élaboration – qui « consiste[nt] à récupérer des informations en mémoire à long terme, liées à la situation décrite par le texte » (Bouge & Cailliès, 2004, in Caddéo & Jamet, 2013 : 79). En fonction des données recueilles, nous essayerons donc de réutiliser cette catégorie dans notre analyse.

2.2.3. D’autres tendances

En guise de conclusion sur cette partie, nous exposons à présent très brièvement quelques- unes des observations faites par les chercheurs concernant les comportements les plus récurrents adoptés par des personnes qui se confrontent à des activités d’intercompréhension.

D’abord, on a constaté que les sujets débutants dans la nouvelle langue tendent à privilégier la dimension lexicale puisque la reconnaissance de celui-ci demande un effort cognitif moindre comparé aux rapprochements syntaxiques interlinguistiques (Blanche-Benveniste, Valli, 1997, Masperi, Degache, 1998, in Jamet, 2005 : 125). Cependant, on a tout de même observé qu’il peut y avoir une recherche spontanée de ressemblances morpho-syntaxiques lorsque les apprenants essayent d’identifier des éléments tels que le verbe, le sujet et parfois même le complément de lieu (Degache, Masperi, 1998, in ibid.), tout en montrant une préférence pour l’ordre SVO, en l’absence duquel ils peuvent se sentir perdus (Masperi, 1994a, Blanche- Benveniste, Valli, 1997, in ibid.). De plus, on s’est rendu compte que les monosyllabes grammaticaux (les articles, les prépositions et surtout – à notre sens – les connecteurs) sont parfois très difficiles à comprendre et qu’ils sont donc souvent laissés de côté (Hediard, 1997, Masperi, 1994b, Blanche-Benveniste, 1997, in ibid.). En ce qui concerne les connecteurs, cela serait dû à leur caractère polyfonctionnel – à savoir la capacité à acquérir des sens différents selon la position qu’ils occupent dans le discours (Sainz, 2005 : 131) – ainsi qu’à leur « signification procédurale » (Blakemore, 1987, 1989, 1996, in ibid. : 127). En effet, les connecteurs n’apportent aucune information supplémentaire à l’énoncé, mais ils guident le discours en facilitant les liens entre ses parties (Portolés, 1998a, in ibid. : 128). En outre, on a

pu voir que lorsque l’on lit ou entend un mot dans la langue cible et que l’on propose un équivalent, on a tendance à maintenir les consonnes. On peut donc imaginer qu’à l’écrit le mot fare (= faire) sera plus facile à comprendre que cosa (= chose) (Jamet, 2005 : 121). De même, on a observé que plus le mot est long, plus on aura d’indices et plus il sera facile à comprendre (ibid.) et que la première syllabe apparaît comme la plus importante (Melher, 1981, in ibid. : 122) – notamment à l’oral – « car suite au contact avec cette première syllabe le cerveau active toute une série de mots commençant de la même manière » (Jamet, 2005 : ibid.)58

. Enfin, on s’est aperçu qu’en phase de lecture les apprenants ressentent le besoin d’oraliser le texte puisque cela les aide à décoder les éléments opaques (Masperi, à paraître, Hédiard, 1997, Jamet, 2005 : 125).

Dans notre étude, nous chercherons alors à voir si ces tendances se produisent également chez nos participants ou s’il y a, au contraire, des écarts.

III. La question de l’âge en didactique des langues