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Chapitre 4 : Analyse des données et discussion

II. Ecrit ou oral : stratégies et compréhension

2.3. Associer l’écrit à l’oral et vice-versa

Jusqu’ici, dans cette deuxième partie du chapitre nous avons essayé de faire une distinction entre la tâche de compréhension écrite et celle de compréhension orale. Toutefois, il faut reconnaître que cela n’est pas toujours si évident. En effet, les sujets ont souvent ressenti – plus ou moins consciemment – le besoin ou l’envie de faire des associations entre ces systèmes.

2.3.1. Le besoin d’oraliser

La première chose qui saute aux yeux lorsque nous nous intéressons aux correspondances effectuées entre l’oral et l’écrit est que quand les sujets étaient confrontés au texte écrit, ils essayaient de manière plutôt systématique de l’oraliser, de le mettre en voix. L’ensemble des transcriptions (cf. Annexe 6) que nous avons faites le démontre.

Ce travail s’est fait la plupart du temps de manière spontanée, même si lors de la première séance Julie avait demandé explicitement à l’enquêteur si elle devait lire à voix haute ou pas. Evidemment, cela n’était ni une obligation ni un conseil puisque le seul objectif était de voir comment les participants s’y prendraient.

Un point intéressant à souligner est que, en lisant, les sujets passaient par une sorte de filtre pouvant être rapproché du phénomène du crible phonologique à l’oral. Ils prononçaient donc les mots selon les normes de leur langue maternelle. Par exemple, la plupart des ‘an’, ‘en’, ‘in’, ont été nasalisés : ‘ancora’ [anko’ra] étant lu [ɑ̃koRa] (Julie, Texte 2). Ou encore, ‘ch-’ [k] a parfois été prononcé [ʃ], comme en français, ou [tʃ] : ‘Michele’ [mikele] devenant [miʃɛl] et ‘macchia’ [matʃja] au lieu de [makja].

Enfin, on remarque également que Julie a été celle qui – pour mieux comprendre – s’est le plus appuyée sur ce travail d’oralisation et que, en revanche, Stéphane n’y a presque pas eu recours, notamment lorsqu’il n’avait pas le texte écrit sous les yeux. En effet, quand il s’agissait de répéter ce qui avait été perçu à l’oral, ce participant a systématiquement préféré donner directement l’équivalent en français. Nous nous demandons donc à quoi ce comportement est dû. S’agit-il d’une sorte de peur de ‘mal dire’ ou de ‘mal prononcer’ ou bien le participant n’arrive tout simplement pas à retenir les sons qu’il entend en mettant en place des transferts de manière immédiate ?

2.3.2. L’oral à l’aide de l’écrit et vice-versa

Bien qu’en italien l’écart entre l’orthographe et la prononciation des mots ne soit pas très grand comparé à celui du français, cela n’empêche qu’il y ait variation entre la représentation d’un même son dans les différentes langues (cf. Ch. 1, 3.2.2.). C’est pourquoi nous croyons que le fait de travailler sur l’oral et sur l’écrit simultanément peut être bénéfique à la compréhension de la langue étrangère. Parfois c’est l’oral qui vient aider l’écrit, d’autres fois c’est l’inverse.

S’appuyer sur l’oral pour comprendre l’écrit

L’exemple le plus parlant de la mise en place de cette stratégie est le mot ‘uomo’ [womo], qui a été mieux compris à l’oral qu’à l’écrit, probablement car il garde les deux phonèmes présents dans l’équivalent français ‘homme’ [ɔm] :

[…] tra uomo e

donna

[womo] phonétiquement ça pourrait être ‘homme’. [womo], [omo] qui voudrait dire ‘homme’ et [dona], [dona] peut-être ‘femme’ alors. La parité salariale entre hommes et femmes !

(Mathieu, Texte 2)

[Est-ce que phonétiquement ça te fait penser à quelque chose ?]

[womo] ? Homme ! Ahh, putain je suis con ! Mais oui, les hommes et les femmes ! [dona] c’est femme, ça je sais [dona] en plus, ah ça m’énerve ! Ah mais oui en plus ! [rires] Bon ça change tout ! Alors, donc, le salaire des hommes et des femmes, entre les hommes et les femmes, je sais pas.

Comme nous pouvons le constater dans le deuxième exemple, parfois il suffit de proposer d’observer les choses sous un autre angle pour que les associations et la compréhension se réalisent. De plus, cet exemple nous montre qu’à partir de la compréhension d’un mot important les inférences de liaison se font automatiquement et que le sens du texte parait d’un coup plus clair. C’est pour cette raison que nous avons décidé de pousser Julie à essayer de passer par le son plutôt que de rester bloquée.

La contribution de l’oral semble parfois moins simple à définir, comme lorsqu’elle aide Stéphane à interpréter le sens du dernier paragraphe du premier texte, les partis en question participant effectivement à la manifestation prévue pour la suite :

Parteciperanno anche il Partito democratico e l’associazione dei partigiani, oggi ufficialmente non presenti per non alimentare il clima di tensione scatenato dal gesto folle di Traini

Après une première écoute :

Par contre j’ai l’impression qu’ils appellent quand même à manifester. Il y a un truc qui n’est pas clair là-dedans. J’ai l’impression qu’en l’écoutant ils disent plus qu’ils appelleraient à participer.

Après une deuxième écoute :

Ouais j’ai vraiment l’impression que eux ils vont participer. Ils appellent à participer, mais non officiellement ? C’est-à-dire qu’ils sont appelés à participer pour pas alimenter le climat de tension. Je serais plus dans cet interprétation-là avec l’oral.

(Stéphane, Texte 1)

Ici, qu’est-ce que l’oral apporte que l’écrit ne donne pas ? Serait-ce dû à la prosodie et donc à une intonation particulière perçue comme une invitation à participer ? Nous avons réécouté ce passage pour essayer d’émettre une hypothèse satisfaisante, mais l’italien étant notre langue maternelle nous n’avons pas réussi à remarquer d’indices particuliers.

S’appuyer sur l’écrit pour comprendre l’oral

Lorsque l’oral ne suffit pas ou détourne la compréhension d’un mot ou d’un passage, c’est alors l’écrit qui intervient. Nous en avons plusieurs preuves :

Forte crescita economica

Donc ils sont allés, Euronews, sur l’île scandinave, qui a une forte croissance et pas une chute, en forte croissance économique ! Okay j’avais pas le bon sens […].

(Stéphane, Texte 2)

Pioniere

nell’applicare […]

Ah d’accord. Le mot [pjonjeʁe] je croyais que c’était un connecteur logique et en fait c’est ‘pionnière’ tout simplement. Maintenant que je le vois écrit, c’est transparent. Et en plus il est en début de phrase, avec une majuscule donc ça peut pas être… Fin moi j’imaginais comme ‘mais’ ou ‘pendant’ mais là pas du tout.

Dans le premier exemple, le fait de voir le mot ‘crescita’ [kreʃita] à l’écrit a permis à Stéphane de se rendre compte que son hypothèse de départ était fausse. Grâce à l’orthographe il a pu visualiser les consonnes dont ce mot se compose et a donc été capable de l’associer plus facilement à son équivalent ‘croissance’ [kʁwasɑ̃s], le phonème /ʃ/ l’ayant sans doute trompé. En ce qui concerne le deuxième exemple, nous pouvons observer que c’est non seulement la forme écrite du mot qui a permis à Julie de saisir le vrai sens du mot ‘pioniere’ [pjonjere] (= pionnier), mais la position occupée dans la phrase a également joué dans son interprétation.

De même, il est intéressant de constater que parfois le crible phonologique que l’on met en place dans l’exercice d’écoute n’est pas suffisant pour comprendre et qu’il faut alors passer par l’écrit. En lisant, on le réutilise à bon escient et d’un coup la compréhension semble évidente :

[..] la maggioranza dei dirigenti sono donne

Okay, donc là j’avais pas compris le mot mais maintenant que je le vois écrit je comprends. [diʁiʒɛnti] c’est les patrons, c’est ceux qui dirigent. (Julie, Texte 2)

Enfin, l’écrit peut permettre de comprendre des passages paraissant complexes à l’oral, comme dans le dernier paragraphe du deuxième texte. En ayant tous les mots sous les yeux, Stéphane a pu revoir ce qu’il avait perçu et passer d’une idée générale à une compréhension plus fine et précise :

Oltre a lottare per la parità dei diritti, questo paese deve fare i conti con numerosi casi di violenze sulle donne

Alors contrairement j’ai l’impression qu’ils disent qu’il y a encore de nombreux cas de violence sur les femmes qui existent. Donc contrairement à ce que j’avais compris, ils s’en servent pas pour dire que ça diminue, mais ils disent que, en fait ils disent rien pour savoir si ça diminue ou pas, mais plutôt ils disent qu’il y a encore des cas, beaucoup, fin des cas nombreux, sur les femmes. Donc voilà j’avais une idée trop générale mais pas en particulier, c’est pas exactement ce qu’elle disait.

(Stéphane, Texte 2)