• Aucun résultat trouvé

Les sciences et l’expertise prisonnières de leurs questions

Si des constructions des risques induits par l’amiante sont élaborées par les victimes, on a vu qu’elles restaient étroitement dépendantes de leur expérience directe ou personnelle. Leur transposition vers une connaissance moins dépendante des circonstances de son élaboration contraint à passer par une médiation scientifique. En effet, la relation causale entre l’exposition à ce matériau nocif et le déclenchement d’une pathologie est tout sauf facile à mettre en évidence. Le lien entre exposition et pathologie, pour être montré, doit faire l’objet d’une construction scientifique, par

l’intermédiaire de la discipline épidémiologique1

. Sans cette construction préalable, le risque est très complexe à appréhender puisqu’il est stochastique et décalé temporellement. Stochastique, parce que toutes les personnes exposées à l’amiante ne développeront pas une pathologie liée à l’amiante ; ce risque statistique ne peut être mesuré qu’à l’échelle de populations. Décalé dans le temps puisque les pathologies

induites mettent plusieurs années à se déclarer2. Contrairement à un accident ou une

allergie qui se contracte au contact direct d’un matériau, le problème des expositions à l’amiante doit donc nécessairement être construit scientifiquement pour être connu et surtout transmis au-delà des groupes directement touchés.

Cette nécessaire médiation scientifique pose une série de problèmes. Elle crée tout d’abord une dépendance sociale vis-à-vis d’un champ particulier d’activité, le champ scientifique, qui a des logiques partiellement autonomes de définition de ses interrogations et de construction des faits scientifiques. De plus, elle exclut de fait de certains espaces de débats les catégories de la population inaptes à formuler une expérience dans des termes scientifiquement admissibles tout en lui interdisant l’accès à une connaissance qui la concerne pourtant au premier chef. Elle cautionne enfin une

1. Pour une présentation générale de l’épidémiologie, voir Marcel Goldberg et al., L’épidémiologie

sans peine, Paris, Frison-Roche, 1990 (1ère édition, 1985), 194 p. ; sur l’importance de l’épidémiologie dans la connaissance des effets pathogènes du travail, voir Denis Hémon, « Apport de l’épidémiologie », dans André Oudiz, Denis Hémon, édition, Evaluation des risques et des actions de prévention en milieu

professionnel. Hygiène industrielle. Actes de la rencontre Valorisation sociale de la recherche Santé- Travail, Paris, octobre 1985, Paris, Inserm-La Documentation française, coll. Analyses et prospective,

1987, p. 19-35.

2. en fonction des pathologies, les temps de latence peuvent aller de 5 à 10 ans pour les fibroses pulmonaires à une quarantaine d’années pour le mésothéliome, Inserm, Effets sur la santé des principaux

activité d’expertise dont nous verrons qu’elle n’a rien d’évident quand elle se situe dans une situation d’arbitrage social face à un risque connu.

Une dynamique scientifique autonome

La première hypothèse qu’il est nécessaire d’établir est celle du caractère construit

des faits scientifiques. Comme l’ont montré les travaux de sociologie des sciences1

, la science ne montre pas la réalité dans un rapport de transparence mais procède au contraire à la construction de faits qui doivent une part importante de leur constitution aux logiques propres à l’espace scientifique. Mettre l’accent sur la « science telle

qu’elle se fait »2

est essentiel pour comprendre les controverses qui traversent la production scientifique sur la question des dangers liés à l’amiante.

Les conséquences de l’inhalation de poussières d’amiante à doses élevées sont l’objet d’un accord unanime entre tous les scientifiques. Cette inhalation provoque trois principales pathologies : l’asbestose et deux pathologies cancéreuses, le cancer du poumon et le mésothéliome. Les études menées sur des populations professionnelles ont établi ce fait comme attesté et reconnu par l’ensemble des scientifiques travaillant sur ces questions (épidémiologistes, pneumologues ou médecins). Pourtant, analyser le contenu des débats scientifiques sur cette question montre que les principaux points d’investissement scientifique se situent à la marge de cet accord.

En effet, et ceci peut se comprendre pour partie dans une logique de recherche scientifique, c’est autour de problèmes non encore résolus que se focalise l’attention des chercheurs. Dans le cas de l’amiante, c’est principalement la question des expositions à faibles doses, et en particulier la recherche d’une relation dose-effet validable pour ces bas niveaux d’exposition ou d’un éventuel seuil d’innocuité qui sont investies. Résoudre ce problème est d’autant plus difficile que l’on s’intéresse à des doses plus faibles, jusqu’à devenir littéralement impossible pour les doses très faibles puisque les cohortes de suivi épidémiologique à réunir devraient atteindre des tailles inimaginables dans le

1. Voir, par exemple, Bruno Latour, Steve Woolgar, La Vie de laboratoire. La production des faits

scientifiques, Paris, La Découverte, coll. Sciences et société, 1988, 296 p., bibliogr., index. ou Bruno

Latour, La science en action. Introduction à la sociologie des sciences, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1995 (1ère édition américaine, 1987), 664 p., bibliogr.

2. Michel Callon, Bruno Latour (direction), La science telle qu’elle se fait. Anthologie de la sociologie

cadre de telles études1. En fait, ce problème ne peut être appréhendé que par extrapolation des données recueillies pour des expositions plus importantes et en tenant compte des résultats de l’expérimentation animale. Les recherches aboutissent invariablement à des conclusions du type de celle que l’on peut recueillir dans un article rendant compte d’un colloque sur ce thème tenu en 1991 :

Bien qu’il reste des insuffisances et des incertitudes dans la connaissance des relations dose-effet entre exposition aux fibres d’amiante et cancer du poumon et mésothéliome, l’extrapolation des relations dose-effet observées dans les populations professionnelles vers les expositions à faibles doses à l’intérieur de locaux ou dans l’environnement (comme celles qu’on peut trouver dans les bâtiments), suggère que les risques pour la santé publique sont inférieurs à ce qui peut raisonnablement être mesuré. La question reste sans réponse quant au risque potentiel associé aux expositions en-dessous d’un niveau mesurable et au risque pour les gardiens et les employés de maintenance qui peuvent parfois être exposés à des pics de pollution.2

L’impossibilité à conclure ne peut se réduire à une question d’avancement des travaux, elle apparaît structurelle et comme un point limite de l’avancée de la connaissance, limite à laquelle il semble difficile à ces scientifiques de se résoudre

puisque cette controverse traverse l’histoire de la recherche scientifique sur l’amiante3.

De même, on peut voir dans l’intérêt porté à la différenciation de la dangerosité entre les familles d’amiante une même logique de recherche scientifique poussée à produire

des connaissances nouvelles. Ouverte par un article paru dans Science en 19904

, une controverse s’engage sur les degrés de nocivité différents entre les fibres d’appellation

1. Les exemples donnés dans l’expertise collective de l’Inserm aboutissent pour l’étude d’un excès de risque correspondant à une exposition de l’ordre d’une dizaine de fibres d’amiante par litre d’air à des cohortes de l’ordre du million d’individus pour l’étude de l’excès de risque de cancer du poumon et de la centaine de milliers pour celui du mésothéliome, Inserm, Effets sur la santé..., op. cit., p. 228-229.

2. traduction de : « Although there are deficiencies and uncertainties associated with the dose-response relations between exposure to asbestos fibres and lung cancer and mesothelioma, extrapolation from the occupational derived dose response relations to indoor or out door low dose levels, such as might be encountered in buildings, suggests that public health risks are below those that can reasonably be measured. The question remains unanswered as to the possible risk associated with exposures below a measurable level, and the risk for custodians and maintenance workers who can at times be exposed to peak dose. », Alain-Jacques Valleron, Jean Bignon et al., « Low dose exposure to natural and man made fibres and the risk of cancer : towards a collaborative European epidemiology », British Journal of

Industrial Medicine, 49, 1992, p. 612.

3. La situation est à cet égard la même que celle qui prévaut dans le domaine du nucléaire : « le problème qui va justifier quatre-vingts ans de polémiques tourne autour du seuil minimal d’induction du cancer, de mutations, ou d’effets tératogènes (déformations monstrueuses) : la seule certitude en ce domaine en 1989 comme en 1906, c’est en effet que les rayonnements ionisants peuvent déclencher des cancers chez l’être humain, sans savoir exactement à partir de quelle dose. », Denis Duclos, La peur et le

savoir. La société face à la science, la technique et ses dangers, Paris, la Découverte, coll. Sciences et

société, 1989, p. 73, souligné par l’auteur.

4. B. T. Mossman, Jean Bignon et al., « Asbestos : Scientific Developments and Implications for Public Policy », Science, 247, 19 janvier 1990, p. 294-301.

commerciale chrysotile et les autres types de fibres, en particulier les amphiboles. Le caractère cancérogène du chrysotile, variété d’amiante la plus produite et utilisée dans le monde, à doses peu élevées est totalement remis en cause par certains chercheurs :

Les données épidémiologiques récentes concordent avec l’hypothèse selon laquelle l’exposition au chrysotile aux niveaux réglementairement admis n’accroît pas le risque de pathologies associées à l’amiante.1

Cette controverse ne sera close en France qu’avec la parution de l’expertise collective de l’Inserm en 1996, mais cette hypothèse d’une innocuité du chrysotile à faible dose est un vecteur essentiel de la communication des industriels du secteur durant ce qui deviendra la crise de l’amiante à partir de 1994-1995.

Ces deux problématiques scientifiques — l’exposition aux faibles doses et l’« hypothèse amphibole » — posent le double problème de l’autonomie des logiques de la recherche scientifique vis-à-vis du problème réel dont elles traitent et de leurs dépendances vis-à-vis de leurs commanditaires. Avant de s’interroger sur le rôle d’expertise que sont appelés à tenir certains scientifiques, il est nécessaire d’évaluer le rôle qu’a joué la production scientifique elle-même dans l’appréhension du problème de la dangerosité de l’amiante. Pour ce faire, il faut à la fois interroger la logique même de la recherche scientifique qui pousse à investir certaines directions de recherche aux dépens d’autres, mais aussi essayer de mesurer les effets sur d’autres champs sociaux d’une connaissance qui apparaît comme plus controversée qu’établie.

Tout d’abord, sur ce problème de l’amiante où de grands groupes industriels à envergure internationale sont directement concernés, les enjeux de l’avancée de la connaissance scientifique ont des conséquences qui dépassent le strict plan académique, et peuvent directement influer sur l’évolution économique et sociale d’un secteur industriel. C’est pourquoi les industriels de ce secteur ont créé des associations

nationales et internationales2 dont le but est la promotion d’un usage contrôlé de

1. traduction de : « recent epidemiologic data are concordant with the suggestion that exposure to chrysotile at current occupational standards does not increase the risk of asbestos-associated diseases. »,

Ibid., p. 298.

2. En France, l’association française de l’amiante regroupait ainsi jusqu’en 1996 les industries françaises utilisatrices d’amiante (autour d’Eternit et Saint-Gobain). Sur un plan international, l’Asbestos Institute est principalement centré au Canada mais il faut aussi noter le développement de l’association brésilienne, l’Associação Brasileira do Amianto (Abra) créée en 1984 par Eternit et Brasilit (filiale de Saint-Gobain et Eternit). Voir sur ces points, François Malye, Amiante. Le dossier de l’air contaminé, op.

l’amiante. Elles interviennent en direction des médias intéressés à ces questions en tentant de s’imposer comme source dominante d’information, mais impulsent aussi par l’intermédiaire de l’Asbestose Institute de Montréal, par exemple, des programmes de

recherche scientifique1

. La contribution des industriels à la construction d’une certaine connaissance scientifique insistant sur les points tendant à relativiser les dangers de l’amiante, ou à certaines doses, ou sous certaines de ses formes, crée ainsi des points de controverses scientifiques contraignant les autres chercheurs à investir de tels problèmes. Ces contraintes sont d’autant plus forte qu’elles s’accompagnent d’un ensemble de facteurs déséquilibrant le rapport de forces entre industriels et scientifiques dans ce domaine de recherche en faveur des premiers.

Tout d’abord, les études épidémiologiques sur des populations professionnelles ne peuvent se faire qu’avec l’accord des industriels qui interviennent souvent aussi dans le financement de ces recherches. Une étude en lien avec les seuls syndicats de salariés est impossible à mettre en oeuvre jusqu’au bout, puisque l’impossibilité d’accès à certaines

données ou à certains lieux risque de compromettre la validité de l’ensemble du travail2.

Les responsables industriels ont donc une mainmise presque totale sur la production de la connaissance épidémiologique, puisqu’ils ont les moyens d’y mettre fin, voire de ne pas l’autoriser du tout, comme le montre cet extrait d’entretien d’un épidémiologiste ayant mené une étude dans une grande entreprise publique :

Et pourtant, A, c’est une bonne boîte, ils sont... Mais quand ils ont décidé que c’était fini, c’est le rouleau compresseur, c’est impossible de résister. Alors, on peut résister à titre personnel, comme l’a fait M. X qui a fait des procès, qui les a gagnés... Il y a des gens qui ont résisté même assez fortement, de façon farouche, mais, maintenant, ça y est, c’est fini... Lui, à titre personnel, il a été réintégré, enfin, je sais pas... Ils lui ont donné des dommages intérêts, machin... Néanmoins, c’est fini, il n’y a plus le service, le service a été entièrement... entièrement... Voilà, parce que, quand c’est comme ça, disons qu’à l’intérieur d’une entreprise quelle qu’elle soit, je dirais, bon, pendant très longtemps, ils se sont pas intéressés à ça, ils ont laissé faire, et ça se passait vraiment dans une... C’est moi qui ai mis en place cette structure d’épidémiologie depuis 25 ans, effectivement, c’était, à très peu de choses près, c’était pas très différent de ce qui se passait à l’Inserm. Et un beau jour, ils ont dit, bon,

1. Voir, pour un exemple de problèmes similaires dans le secteur du nucléaire, Roger Belbeoch, « Le risque de cancer chez les mineurs d’uranium », Travail, 26, automne 1992, p. 133-137.

2. Ce problème apparaît dans les débats retranscrits dans André Oudiz, Denis Hémon, édition,

Evaluation des risques et des actions de prévention en milieu professionnel. Hygiène industrielle, Actes

de la rencontre Valorisation sociale de la recherche Santé-Travail, Paris, octobre 1985, Paris, Inserm-La Documentation française, coll. Analyses et prospective, 1987, 230 p.

ben, qu’est-ce qui se passe de ce côté-là, tiens, ce truc nous convient pas, on va faire autrement. Et là, c’est fini, plus... il y a plus aucun... ou alors, il aurait fallu des contre-pouvoirs qui n’ont pas la puissance qu’il faut, quoi, il aurait fallu que les syndicats, par exemple, en l’occurrence, soient beaucoup plus puissants qu’ils ne le sont à l’heure actuelle, pour

imposer...1

Même si des cas de ce type existent, ils ne représentent cependant qu’une part minime par rapport aux études qui n’ont jamais vu le jour du tout alors qu’elles pourraient se justifier sur un plan scientifique ou épidémiologique. Le pouvoir détenu

par les industriels dans ce domaine prend en effet souvent la forme d’une non-décision2

, c’est-à-dire qu’il n’y a le plus souvent même pas besoin de refuser une étude, puisqu’il suffit simplement de ne pas l’engager, de ne pas en avoir l’idée ou de ne pas vouloir l’avoir. Cette forme de pouvoir invisible rend très difficile une connaissance scientifique des pathologies professionnelles, d’autant plus que celle-ci peut être utilisée

comme arme dans les conflits entre syndicats et employeurs au sein des entreprises3.

Ça se passe toujours mal à la fin, parce que selon les résultats, on se fait... moi, je me suis fait traiter de salaud, d’ordure, de vendu, etc., chez moi... par des syndicalistes fous furieux parce que on avait conclu qu’il n’y avait pas de risque. Mais, j’ai eu aussi des emmerdements énormes

avec des industriels... Pas les mêmes, pas au même endroit...4

L’épidémiologie, comme la toxicologie, sont des disciplines qui vont d’une certaine manière à contre-courant d’une certaine vision de la science et du travail scientifique, et nécessitent d’autant plus de détermination de la part des chercheurs dans ces domaines que leur reconnaissance sociale n’est jamais assurée.

Cette hétérogénéité du champ scientifique induisant des vides, des attentes, des décalages, des différences de dynamisme dans la recherche n’a pas que des causes extérieures, telle l’influence du monde industriel : elle se

manifeste également parce que l’engagement moral des chercheurs est présent dans le rapport au risque. Par exemple, le dévoilement de la toxicité

contrarie l’hédonisme traditionnel du chimiste. Il produit un chercheur

1. entretien épidémiologiste, Inserm, 9 décembre 1997.

2. Peter Bachrach, Morton S. Baratz, « Two faces of power », op. cit.

3. Le lancement d’une étude épidémiologique au sein d’une entreprise peut parfois être le support d’un changement dans l’organisation du travail au détriment des salariés. Les arguments de santé aux mains des responsables de l’entreprise peuvent être utilisés pour imposer des choix de gestion aux syndicats présents dans l’entreprise, pris de court par la parution des résultats d’une étude à laquelle ils n’ont pas été associés. Voir, par exemple, les trois articles parus dans Sciences sociales et santé, 3, 2, juin 1985 : Lucien Abenhaïm, William Dab, « Conditions de production et d’utilisation des connaissances scientifiques et relations de travail : une étude de cas de cancers de la vessie dans l’industrie de l’aluminium au Québec », p.47-60 ; Sami Dassa, « La santé comme argument dans les relations de travail », p. 61-66 et Henri Pézerat, Annie Thébaud, « La recherche captive », p. 67-74.

d’emblée harassé, fataliste, peu soutenu dans son travail de recension des catastrophes induites par l’homme, comparé à l’inventeur d’une nouvelle molécule présumée utile. […] Cet inventeur paraît en effet beaucoup plus en phase que le toxicologue (bien que celui-ci soit soutenu par l’idéal médical) avec l’éthique générale de la science moderne, qui privilégie la transformation plus que l’appréciation de ses effets, la conquête enthousiaste plutôt que la reconnaissance (un peu déprimante) des incidences malheureuses.1

Ensuite, les difficultés à mettre en oeuvre de telles études vont de pair avec d’autres raisons pour faire de l’épidémiologie de la santé au travail une discipline très peu développée, regroupant quelques dizaines de chercheurs en France. Parmi ces autres causes, on peut citer un développement récent de la discipline épidémiologique — avec un bond très net à partir de l’épidémie de sida —, une faible incitation publique qui trouve sans doute une de ses causes dans le double rattachement institutionnel de ces questions à la Direction générale de la santé et à la Direction des relations du travail, et des logiques propres aux modes de raisonnement de cette discipline. En effet, comme le

constate Marcel Goldberg2, « la prise en compte des facteurs socio-économiques dans

l’analyse des phénomènes de santé est à l’heure actuelle un fait marginal »3

. L’épidémiologie qui est issue de la discipline médicale éprouve en effet beaucoup de difficultés à intégrer des modèles d’analyse issus des sciences sociales ; tout oppose en effet ce mode d’approche à des modèles épidémiologiques issus principalement des sciences biologiques et médicales, qui tendent à privilégier une approche individuelle des phénomènes par rapport à une approche prenant en compte des facteurs sociaux. On a ainsi une difficulté théorique à assurer le passage entre la constatation de corrélation entre des données sociologiques ou socio-économiques et des phénomènes de santé, et une explication de ces corrélations qui puisse correspondre aux critères de validité de

cette science constituée4. Ce constat est confirmé par une sociologue de l’Inserm :

Il y a très peu d’interpénétration des disciplines épidémio[logie] et sciences sociales, il y a vraiment très peu... on n’y arrive pas, enfin, moi, j’ai passé quinze ans dans une unité d’épidémiologie et en fait, on est toujours restés je dirais juxtaposés, on n’a jamais réussi vraiment à développer des travaux en commun qui... permettant que le mode