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Conclusion au Chapitre 2

Section 2 Les relations avec les milieux financiers

Parmi les publics auxquels les organisations tentent d'entretenir des relations, une attention particulière est portée aux actionnaires et plus largement aux milieux financiers (2.1.). Les relations publiques ont plus précisément pour objectif de permettre aux actionnaires de pouvoir choisir toute connaissance de cause par la clarification de la comptabilité (2.2.). Pour ce faire, les entreprises doivent avoir connaissance précise du public à atteindre (2.3.).

2.2.11.. LL'i'immppoorrttaannccee ddeess aaccttiioonnnnaaiirreess eett ddeess mmiilliieeuxux ffiinnaannccieierrss

2.1.1. Les actionnaires : un public trop longtemps délaissé

Lougovoy et Huisman (1981, p.223)315 notent que "l'actionnaire français a souvent eu le sentiment d'être frustré et que la vérité lui était caché volontairement ou, tout au moins déguisée". La conséquence de cette frustration est que "l'épargne française déjà globalement insuffisante se détourne de plus en plus du financement des investissements des entreprises au profit d'emplois plus liquides tels que les livrets de Caisse d'Epargne". Campion (1958, p.320)316 rappelle également le fait que

"l'actionnaire français est mal renseigné quant à l'affaire dans laquelle il a investi des capitaux" et "son indifférence à cet égard".

Campion (1958, p.320)317 soulève pourtant un paradoxe :

"Chacun critique le fait que les actionnaires français soient si mal informés, alors que les sociétés américaines s'attachent à pleinement renseigner les leurs (envois de documentation, visites d'usines, conditions favorables de prix pour l'achat des produits de la firme, etc. … ). Le fait que les actions des sociétés françaises ont presque toujours

315 Lougovoy C. et Huisman D. (1981), op. cit., p.223.

316 Campion G.-L. (1958 ), Traité des entreprises privées - I. Organisation et financement, Presses Universitaires de France.

317 Campion G.-L. (1958 ), op. cit., p.320.

la forme au porteur empêche l'introduction en France des méthodes américaines. Les sociétés françaises peuvent néanmoins faire beaucoup en ce domaine, si dépassant la stricte exécution de leurs obligations légales, elles s'attachent à fournir aux actionnaires – et éventuellement aux obligataires – des informations étendues et topiques. Il leur appartient de compléter leurs rapports annuels par une documentation claire et complète, montrant, par exemple au moyen de graphiques, l'expansion des affaires sociales, la rentabilité des divers secteurs d'activités de la firme, etc. …

Lougovoy et Linon (1969, p.93)318 s'expriment également sur ce paradoxe, qui met en évidence l'inscription culturelle des relations publiques.

"Paradoxalement, alors que l'entreprise américaine assure la plus grand partie des ses besoins financiers par l'autofinancement, et cependant pratique une large politique d'information auprès des milieux financiers, l'entreprise française, qui est obligée de faire un appel constant aux banques et aux particuliers, ne songe que depuis peu à se tenir en contact permanent avec les actionnaires, les informer et les faire participer à sa vie quotidienne.

Les Etats-Unis, à l'aide de très nombreuses campagnes d'information, ont instauré le capitalisme populaire en associant tous les citoyens, riches et moins riches, à l'expansion nationales."

Lougovoy et Huisman (1981, p.223)319 explique ce paradoxe par une "vitalité de la Bourse" aux Etats-Unis, engendrée par "un environnement économique et politique très favorable" ainsi qu'une "infrastructure boursière solide". Le marché boursier américain dispose en effet des règles "simples, précises et compréhensibles par tous

318 Lougovoy C. et Linon M. (1969), op. cit., p.93.

319 Lougovoy C. et Huisman D. (1981), op. cit., p.223.

les citoyens américains et, chose très importante, bénéficie de la 'Security and Exchange Commission' (SEC) [instituée en 1933] qui veille à la moralité des transactions".

Il faut attendre 1967 pour qu'en France une fonction similaire soit dévolue à la Commission des Opérations de Bourse (COB). L'existence d'un tel organisme de régulation boursière va contribuer au développement des relations avec les milieux financiers. Elle permet de changer les règles du jeu dans les relations avec les actionnaires.

2.1.2. Les actionnaires : un public à conquérir

Les entreprises prennent progressivement conscience que "les actionnaires constituent un public qu'il importe de conquérir et de garder" (Lougovoy et Huisman, 1981, p.223). Une série de mutations économiques vont pousser les services de relations publiques à aller dans ce sens : "l'élargissement des marchés, la liberté de circulation des capitaux, l'abolition des frontières, la compétition au niveau mondial, l'accession de nouvelles couches de la société à la propriété imposent une refonte complète de l'information" (Heurteux, 1961)320.

La place privilégiée des actionnaires est mise en avant par Lougovoy et Linon (1969, p.93)321 et Lougovoy et Huisman (1981, p.223)322 lorsqu'ils nous racontent que

"Du Pont de Nemours, dit-on, pousse le respect des actionnaires jusqu'à placer leurs noms en tête de l'organigramme de la firme, avant le Président Directeur Général".

320 Heurteux C. (1961), L'information des actionnaires et des épargnants, Thèse de Droit, Université de Grenoble, 463 p.

321 Lougovoy C. et Linon M. (1969), op. cit., p.

322 Lougovoy C. et Huisman D. (1981), op. cit., p.

Si les propos de Lougovoy et Huisman (1981) sur la position des actionnaires en tête d'organigramme relèvent de l'utopie, ils permettent de mettre en évidence qu'

"une société peut beaucoup attendre d'actionnaires bien informés et satisfaits de la gestion" (Campion, 1958, p.320)323.

Si l'actionnaire semble prendre de l'importance dans les sociétés françaises, c'est avec beaucoup de retard par rapport à leurs consœurs américaines si bien que dans la période 1950-1960, "qui voit parallèlement l'essor de la publicité, les relations publiques sont cantonnées dans un rôle mineur caractérisé par l'organisation de réceptions ou de quelques contacts avec les journalistes" (Sfez, 1993)324. Toutefois, certaines entreprises font déjà des efforts durant cette période pour dépasser ce rôle mineur en nouant des contacts avec les milieux financiers notamment.

Parmi les cas étudiés par Courtois (1970)325, certaines entreprises ont en effet une politique d'information des actionnaires et des milieux financiers. C'est le cas de la Société Nationale des Pétroles d'Aquitaine (Courtois, 1970, pp.61-63)326:

"Situation de départ

Il s'agit d'une entreprise dont l'activité première, l'extraction et la distribution du gaz naturel, était nouvelle en France.

En 1954, les actions de la société ont été introduites à la Bourse de Paris. La société a alors ressenti le besoin d'étoffer et d'illustrer son rapport annuel d'activité, afin de mieux se faire connaître et apprécier. Dès 1958, cet effort d'information était encouragé par l'attribution du prix annuel du Meilleur rapport d'assemblé générale créé par le journal économique La Vie Française.

Le cercle de son public s'agrandissant, et en particulier le nombre de ses actionnaires s'accroissant au fil des années, la société a estimé que l'information donnée dans son rapport annuel devait être complété par une documentation périodique.

Objectifs

323 Campion G.-L. (1958), op. cit.

324 Sfez L. (1993), op. cit.

325 Courtois J. (1970), Stratégies psychologiques d'entreprises : politiques internationales de relations publiques et information, Dunod.

326 Courtois J. (1970), op. cit., pp.61-63.

Procurer à ses actionnaires ainsi qu'aux milieux bancaires et financiers une documentation complète et vivante, dont la périodicité soit telle que l'information devienne quasi permanente.

Moyens utilisés

En 1964, la société a décidé d'envoyer, chaque trimestre, à ses actionnaires, une note d'information.

Cette note se décompose de deux parties distinctes :

- La première partie rend compte des différentes activités du Groupe Aquitaine durant le trimestre écoulé en les classant par secteurs (…)

- La seconde partie est une monographie dont le sujets sont choisis en fonction de l'intérêt qu'ils paraissent devoir présenter, sinon pour la totalité des actionnaires (ils sont trop variés pour cela), tout au moins pour une grande partie d'entre eux (...) De telles informations sont évidemment précieuses, tant pour les analystes financiers que pour les actionnaires, et donnent une idée de l'esprit dans lequel l'entreprise conduit l'information de ces milieux.

Résultats

L'appréciation de la valeur de l'affaire, qui se traduit par sa cotation en Bourse, est due, non seulement aux éléments réels d'appréciation, mais aussi à la façon dont ceux-ci sont présentés et diffusés dans les milieux compétents.

Dans ce type d'action la réussite du titre Pétroles d'Aquitaine est un témoignage de son efficacité."

Par ailleurs, les relations avec les actionnaires sont particulièrement importantes au moment des offres publiques d'achat : il s'agit selon Courtois (1970, p.27)327 "pour les parties en présence de conserver ou de conquérir, dans un délai très court, la confiance des actionnaires, maîtres en grande partie du sort de l'affaire. Les antagonistes y ont l'occasion, soit de bénéficier du capital de notoriété qu'ils ont su créer au fil des années, soit au contraire de devoir improviser de toutes pièces et sur-le-champ une reconversion de l'image totale offerte jusque-là".

Toutefois, Courtois (1970) ne nous livre pas de cas français, pas même le cas Saint-Gobain328. Pourtant, il appréhende ce cas comme "l'affaire qui, au début de 1969, a secoué l'industrie française, inquiété les dirigeants et, entre autres conséquences, relancé la Bourse de Paris, stagnante depuis plusieurs années". Nous

327 Courtois J. (1970), op. cit., p.27.

328 Courtois (1970, p.27) précise à ce sujet que "pour des raisons évidentes, il n'était pas possible à l'auteur de traiter le cas de l'entreprise à laquelle il appartient". Courtois est en effet un personnage que nous aurons l'occasion de retrouver à maintes reprises dans la deuxième partie de cette thèse : il est en effet le premier chef du service des relations publiques de la société Saint-Gobain, créé en 1953.

traiterons de la politique des relations publiques lors de cette OPA dans la deuxième partie de cette thèse.

2.2.22.. LLeess rreellaattiioonnss ppuubblliiqquueess ppoouurr uunnee clclaarriiffiiccatatiioonn ddee llaa cocommppttaabbiilliittéé

"Comment transformer une corvée annuelle en acte de communication ?"

s'interroge Petit (1986, p.30)329. La réponse se trouve selon l'auteur dans les bilans d'entreprise et les rapports annuels. Le fond et la forme de ces rapports annuels connaissent une évolution avec l'implantation des relations publiques dans les entreprises françaises.

2.2.1. Le rapport annuel

La réalisation des bilans d'entreprise et des rapports annuels, qui constituent une obligation pour les entreprises cotées, "a longtemps été confiée systématiquement aux secrétariats, qui alignaient les chiffres sur de longs tableaux, et envoyaient-le tout à l'imprimeur" (Petit, 1986). Petit (1986) fait remarquer qu'il faut attendre les années 1970 pour que les entreprises prennent conscience de "l'importance que pouvait revêtir ce document pour leur image de marque". Les agences de publicité et les agence de relations publiques se sont alors vu attribuer cette nouvelle activité.

En réalité, le rapport annuel devient un vecteur d'image bien avant les années soixante-dix. Les rapports annuels tendent à se multiplier. Nous pouvons d'ailleurs soulever l'existence d'agences spécialisées (Publicis notamment) dans la réalisation des plaquettes ainsi que la création du prix du meilleur rapport en 1954 par La Vie Française.

329 Petit G. (1986)

Ainsi, en 1961, Heurteux (1961, pp.182-183)330 note l'existence de trois grandes catégories de rapports annuels. Le tableau 3 récapitule cette typologie qui distingue ce que nous appelons rapport discret, rapport embelli et rapport élaboré.

Tableau 1. 2 - Le contenu des rapports annuels, d'après Heurteux [1961, pp. 182-185]

Catégorie Contenu

Rapport discret Cette première catégorie comprend les rapports contenant uniquement "les pièces comptables, les rapports des commissaires, le texte des résolutions adoptés par l'assemblée, un rapport aussi synthétique que discret du conseil d 'administration".

Rapport embelli Cette catégorie de rapports annuels se distingue de la précédente "par une présentation plus attrayante" des rapports. "De nombreuses photographies, reproduisent, sur plusieurs pages, la gamme des différents produits fabriqués par l'entreprise".

Rapport élaboré Cette dernière catégorie comprend "les quelques rapports annuels qui donnent, sous une forme extrêmement claire, des informations exhaustives sur la marche des affaires sociales". "Allant bien au-delà des exigences légales, certaines sociétés, en effet, s'efforcent de renseigner leurs actionnaires aussi complètement que possible".

La troisième catégorie de rapport nous intéresse particulièrement car nous apprenons que, déjà à cette date, certaines sociétés vont au-delà des obligations légales. Selon Heurteux (1961, p.183), cette dernière catégorie de rapports annuels est établie "soit par les propres services de relations publiques de ces sociétés, soit par des organismes spécialisés, soit encore par les dirigeants eux-mêmes".

2.2.2. Les autres moyens d'information

D'autres moyens d'informations sont utilisés par les services des relations publiques : il s'agit notamment des lettres périodiques. Lougovoy et Huisman (1981, p.229)331 soulignent l'utilisation délicate de ces lettres car "l'actionnaire risque parfois de ployer sous l'accumulation de chiffres qu'il lui est souvent difficile de comparer entre eux". C'est pourquoi ces lettres, qui ont un caractère purement facultatif,

330 Heurteux C. (1961), op. cit.

331 Lougovoy et Huisman (1981), op. cit., p.229.

"doivent revêtir les mêmes qualités de clarté et d'objectivité que le rapport et viser plus à une information globale qu'à un excès de détails".

2.2.33.. LLaa nnéécceessssaaiirree ccoonnnnaaiissssaannccee ddeess aaccttiioonnnnaaiirreess

Cette refonte de l'information, si elle trouve ses fondements dans la création de la COB (nous nous l'avons évoqué dans le chapitre précédent), semble entrer dans les valeurs de l'entreprise : l'attitude des entreprises vis-à-vis des actionnaires doit partir de bases solides. S'il faut désormais permettre aux actionnaires de pouvoir choisir en toute connaissance de cause, les entreprises doivent "avoir une connaissance précise du public à atteindre" (Lougovoy et Huisman, 1981, p.224)332.

D'ailleurs Lahanque et Soltages (1991, p. 75)333 précise que la mission des relations publiques est "d'instaurer entre l'entreprise et ses publics des relations de confiance qui se fonde sur une connaissance et une compréhension réciproque".

Lougovoy et Huisman (1981)334 suggère en effet déjà à la fin des années soixante la mise au point d'un processus permettant notamment l'implication des banques et des agents de change. Les auteurs constatent en effet que si les actions circulent la plupart du temps au porteur, les intermédiaires que sont les banques et les agents de change, connaissant les principaux actionnaires "pourraient assurer le lien avec les sociétés". Ils suggèrent que "les actionnaires doivent faire l'objet d'enquêtes systématiques", que "chaque entreprise devrait avoir les indispensables fichiers qui lui permettrait de sérier ses actionnaires en catégories, de segmenter le marché".

332 Lougovoy et Huisman (1981), op. cit., p.224.

333 Lahanque S. et Soltages F. (1991), Les relations publiques, Editions d'Organisation.

334 Lougovoy et Huisman (1981), op. cit.

Toutefois Léger (2003, p.17) fait remarquer que "jusqu'au milieu des années soixante-dix, les sociétés cotées s'en tenaient le plus souvent, au minimum jugé indispensable dans le dialogue avec les actionnaires, développaient peu de communication avec les investisseurs, les prescripteurs, analystes financiers ou journalistes".

Ainsi, malgré les suggestions des théoriciens de relations publiques, peu d'efforts sont entrepris par les sociétés françaises cotées pour connaître ce public d'actionnaires. Ainsi, pendant plusieurs décennies, "la communication financière se résumait souvent à l'information financière, c'est à dire la diffusion de données essentiellement comptables, émises en priorité dans les publications légales". Léger (2003, p.17) ajoute que "les entreprises établissaient assez peu de comptes consolidés et les analyses financiers devaient reconstituer des comptes globaux, à partir des comptes sociaux de la société mère et de ses filiales". Par ailleurs, l'information diffusée n'était pas adapté à l'actionnariat à l'époque populaire : d'après Léger (2003, p.18), "le langage utilisé était souvent technique voire abscons et l'entreprise diffusait, avec retard, essentiellement des informations relatives au passé. L'entreprise se refusait de parler de l'avenir, ne donnant ni prévisions, ni objectifs".

Pour ce qui est des relations avec les analystes financiers, "il était assez courant que l'entreprise fasse patienter longtemps un analyste demandant un rendez-vous et lorsque ce rendez vous était enfin obtenu, l'analyste écoutait un représentant de l'entreprise, peu ouvert au dialogue, lui lire le rapport annuel relatif au dernier exercice clos, même si le rendez vous avait lieu en octobre" (Léger, 2003).

Section 3 - Les relations avec les investisseurs : une