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Une alternative se pose donc aux sociétés françaises cotées : discrétion ou transparence ? Plus précisément, les sociétés cotées se trouvent confrontées à un dilemme qui est le suivant :

se limiter purement aux obligations légales en matière de publicité financière, ou aller bien au-delà des obligations légales en adoptant une stratégie de communication financière.

Cette alternative se traduit par une autre alternative :

appréhender la communication financière comme une obligation légale autrement dit une contrainte ou une "corvée annuelle" pour reprendre l'expression de l'article

24 Il fournit une série d'informations sur les pratiques de communication financière des sociétés cotées.

mis en exergue au début de cette section : dans ce cas, les sociétés cotées ont la possibilité de subir cette contrainte voire de ne pas la respecter ;

appréhender la communication financière comme un outil stratégique permettant de saisir les opportunités de croissance : dans ce cas, au vu des opportunités que peut offrir la communication financière, les sociétés cotées ont la possibilité de transformer la contrainte en outil stratégique ;

La problématique soulevée réside dans la transformation d'une obligation en un outil stratégique. Cette problématique est à notre avis vouée à se répéter. Nous pouvons en effet imaginer une généralisation de cette problématique à d'autres pratiques de gestion. Elle se pose notamment en droit du travail avec l'obligation de publication d'un bilan social. Plus près de notre champ de recherche, elle se pose également en comptabilité environnementale : soit les entreprises se contentent de respecter les réglementations en matière de respect de l'environnement, soit elles transforment ces contraintes en opportunités en allant bien au delà comme en tenant une comptabilité environnementale car elles y trouvent un intérêt stratégique comme celui de renforcer leur légitimité.

L'objectif de notre recherche est d'apporter des éléments de réponse à cette problématique. Bien qu'actuelle, cette problématique de gestion est ancienne et récurrente (2.1.). Nous nous proposons de la redécouvrir pour y donner une nouvelle jeunesse (2.2.).

2.2.11.. UUnnee nonouuvveellllee aaccttuuaalliittéé ppoourur ddeess pprroobblléémmaattiiqquueess aanncciieennnneess

"Portées au pinacle, enjeu d'un réel terrorisme intellectuel, les innovations managériales sont par la même vouées à décevoir, laissant de vrais problèmes en quête de solutions.

Donc à redécouvrir. Les jeunes chercheurs doivent en tirer une règle personnelle : ne pas engager de thèse sur un thème à la mode, la probabilité de produire une thèse obsolète est trop forte pour qu'elle vaille d'y passer quelques années de jeunesse … Les vieux problèmes restent posés : travaillez-y !"

Bouquin et Nikitin (2003, p.4)25

Sans entrer dans le débat de la nouveauté des problématiques de gestion, les propos ci-dessus formulés par Bouquin et Nikitin (2003)26 permettent de rappeler que les problématiques de gestion sont anciennes et récurrentes. C'est ce qui ressort de la définition de la problématique en "science de gestion" proposée par Nikitin (2006, p.96)27 : il s'agit d'un "dilemme récurrent auquel sont confrontés les managers". C'est le cas de la problématique que nous posons dans cette thèse. Notre problématique de recherche n'est pas sans rappeler, une question qui se pose en permanence aux managers. Il s'agit d'une problématique déjà bien ancienne à savoir : faut-il cacher ou divulguer l'information ? Transparence ou discrétion ? Cette problématique est d'ailleurs soulevée au début du dix-neuvième siècle par Pillet-Will (1832, p.16)28 :

"En industrie, comme en bien d'autres choses, le temps des mystères est passé. Tout se sait maintenant, lorsqu'on a intérêt à le savoir ; et il n'y aurait, je pense, rien à gagner d'un égoïsme qui porterait à tout tenir cacher. Comment d'ailleurs les administrateurs exerceraient ils les fonctions qui leurs sont attribuées, si, n'allant pas sur les lieux pour y examiner, apprécier et juger par eux-mêmes, tout n'était cependant pas porté à leur connaissance et mis sous leurs yeux ?"

25 Bouquin H. et Nikitin M. (2003), Editorial, Comptabilité Contrôle Audit, Numéro spécial "Innovations managériales", pp.3-4.

26 Bouquin H. et Nikitin M. (2003), art. cit.

27 Nikitin M. (2006), "Qu'est ce qu'une problématique en science de gestion et comment l'enseigner ?", Comptabilité Contrôle Audit, Numéro thématique, octobre 2006, pp.87-100.

28 Pillet-Will Comte M.-F. (1832), Examen analytique de l'usine de Decazeville (Aveyron), Dufart, Paris.

A l'inverse, un célèbre adage du dix-neuvième siècle proclame que "le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien".

Aussi, la séparation entre la propriété et la gestion de l'entreprise qui a marqué le dix-neuvième siècle, avait placé ce dilemme au centre d'un conflit entre la protection de l'épargne et la protection de l'entreprise. Comme le rappellent Urbain-Paléani et Boizard (1996, p. 448)29, "l'étendue de l'information est surtout génératrice de conflits, conflit d'une part, entre l'intérêt des associés pour lesquels la société doit apparaître dans toute sa transparence et conflit d'autre part, avec la nécessité de protéger l'entreprise qui ne doit pas se révéler à la concurrence".

En d'autres termes, les entreprises ont longtemps été réticentes à se dévoiler et ont eu tendance à vivre cachées pour se protéger contre la concurrence. Aussi évident qu'il puisse paraître aujourd'hui que les actionnaires doivent être informés sur la situation des sociétés, il semble que le législateur n'a envisagé que tardivement des dispositions relatives à la diffusion d'informations destinées aux actionnaires et plus largement aux épargnants. Même la loi de 1867 sur les sociétés anonymes ne prévoit pas la publicité financière autrement dit la diffusion d'informations aux actionnaires mais uniquement la publication de certains documents. Le législateur a par la suite tenté de répondre à ce dilemme en s'efforçant à partir du milieu des années soixante de réglementer à maintes reprises l'information financière diffusée par les sociétés afin de faire en sorte que la volonté de discrétion laisse la place à volonté de transparence.

29 Urbain-Paléani I. et Boizard M. (1996), "L'objectif d'information dans la loi du 24 juillet 1966", Revue des sociétés, juillet - septembre 1996, p. 447-463.

Si l'information financière est devenue une obligation légale, cette problématique est cependant toujours en quête de solutions. Certaines sociétés choisissent notamment de ne pas déposer leurs états financiers au greffe et préfèrent encourir le risque d'une sanction pécuniaire éventuelle plutôt que des divulguer des informations accessibles aux concurrents.

Le pari de notre thèse est alors de "redécouvrir" cette problématique de transformation d'une contrainte en outil, de lui donner une nouvelle actualité en mettant en avant la réaction des sociétés cotées entre se contenter de respecter ces obligations légales en matière de communication financière, et aller bien au delà en adoptant une stratégie de communication financière ?

2.2.22.. QQuueessttiioonnss ddee rreecchheercrchhee

Il est possible de distinguer quatre objectifs de recherche : la description, la compréhension, l'explication et la prédiction. Dans le cadre de notre recherche, nous nous engageons dans une logique descriptive, compréhensive et explicative.

Concrètement, nous cherchons à répondre à la question suivante : comment la simple publicité financière devient communication financière ? Autrement dit, comment transformer une obligation légale en un dispositif stratégique ? Cette question de recherche se décline en deux questionnements formulés ci-dessous :

• un questionnement à vocation descriptive et compréhensive : comment se traduit le passage de la publicité financière à la communication financière dans les sociétés françaises cotées ?

• un questionnement à vocation explicative : comment expliquer cette transformation d'une obligation légale en un dispositif stratégique dans les sociétés françaises cotées ?

Pour répondre à ces questions, il convient de répondre à plusieurs interrogations qui nous ont permis de conduire la recherche et de structurer la thèse. En effet, expliquer les pratiques de communication financière revient à rechercher les raisons qui ont réellement conduit les entreprises françaises, en particulier les sociétés cotées, à adopter des pratiques de communication financière. La première interrogation concerne les conditions de l'émergence de la communication financière dans les sociétés françaises cotées, ou plus précisément de sa gestation, de sa naissance et de son développement.

La figure suivante permet de représenter notre problématique de recherche en mettant en évidence comment un dilemme de gestion donne naissance à une problématique de recherche, qui elle-même génère des questions de recherche et des questionnements sous-jacents qui vont conditionner la suite du processus scientifique en guidant le déroulement de notre recherche.

Figure 3 - Formulation de la problématique

Quelles ont été les conditions de la gestation, de la naissance et du développement de la communication

financière dans les sociétés cotées françaises ?

Comment la simple publicité financière devient communication financière ? Comment transformer une contrainte en outil stratégique ?

QUESTIONS DE RECHERCHE