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Les rassemblements: un moyen d'agir sur la ville

C'est donc un programme ambitieux qui nous est maintenant fixé. En réinterrogeant les liens entre centre et rassemblement, nous avons montré en quoi ils étaient essentiels à l'architecte-urbaniste pour exercer. Devant les différentes chroniques de la mort annoncée de ce recouvrement, dont certaines ont été exposées, il nous faut développer une approche en cinq actes:

• Dans "la ville comme rassemblement", nous tenterons de montrer en quoi les trois terrains retenus (Bobigny, Créteil et Nanterre) sont, ou ont été appréhendables comme rassemblement de tout ce qui s'y croise en nous inspirant du travail de H. Lefebvre.

• Dans "la pratique des rassemblements", nous revisiterons une série de travaux emblématiques de la sociologie urbaine sur les agrégations juvéniles, puis ils seront interrogés au travers du concept goffmanien de "rassemblement" (gathering).

I. Centralité et rassemblements: Phénomènes en débat chez l'architecte et le sociologue

Scindée en deux parties distinctes, la partie centrale du mémoire esquisse quelques réponses quant au découplage centre/rassemblement. Cette interprétation singulière des regroupements de jeunes repose sur une approche ethnographique et interactionniste.

• Dans celle évoquant les "rassemblements, une urbanité relative ou les limites de l'espace public", les tensions qui caractérisent les pratiques sociospatiales de ces groupes sont l'occasion de réinterroger les conceptions classiques de l'espace public.

• Dans la partie suivante "capter les flux: cultures territoriales et mouvements des rassemblements de jeunes", nous introduisons deux éléments qui paraissent selon nous, décisifs pour réinterpréter ces formes d'agrégation et saisir les potentialités qu'elles recèlent.

• La dernière partie, intitulée "les pauses publiques: de l'approche transdisciplinaire et de ses conséquences pratiques", nous proposons une alternative urbaine pour contribuer à avancer sur les différentes questions abordées tout au long de ce travail, mêlant formes spatiales et pratiques sociales. Cette interpellation du politique s'appuie sur une expérience d'architecte-urbaniste ET sociologue dont nous montrerons les limites et les conséquences.

Mais tout d’abord, esquissons rapidement ce qu’implique un tel programme quant aux méthodes utilisées sur le terrain. L’ethnologue ou le sociologue ne semblent en effet jamais à leur place, toujours de trop. Il n’ont rien d’autre à offrir que leur seule présence. Disponibles sans être impliqués, leur jugement ne vaut que par son extériorité. Ils ne tirent leur légitimité que de leur capacité à accorder des expériences étranges et des situations quotidiennes, d’être ici et pourtant encore ou déjà ailleurs. Il doivent faire “comme si” l’extraordinaire était leur lot commun, s’étonner de tout et ne s’émouvoir de rien. Ou plutôt, développer leur sensibilité, tout en évitant les clichés. Plus l’objet de la recherche est surexposé, plus ces exigences sont fortes. Plus les commanditaires y importent leurs valeurs, plus ces contraintes sont difficiles à respecter et pourtant d’autant plus nécessaires.

Paradoxalement, ces difficultés épistémologiques peuvent constituer un appui pour construire de nouveaux modes d’interprétation d’un terrain aussi sensible que celui des “bandes de jeunes en banlieue”. La multiplicité des enceintes au sein desquelles le chercheur doit rendre des comptes nécessite pour ce dernier des déplacements de posture,

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d’échelle et de problématique qui rendent l’appréhension du terrain plus complexe, plus riche. Progressivement, l’objet acquiert des dimensions multiples. Le chercheur apparaît comme médiateur et porte-parole. L’objectivité relative de sa recherche se nourrit de ces déplacements. En revanche, la multiplication des commanditaires et des valeurs qu’ils véhiculent rend plus essentielle encore, la part du travail de terrain devant s’effectuer sans médiation locale, proche de l’observation participante.

Le contexte est ainsi doublement balisé, d’un coté par des commanditaires qu’il s’agit de convaincre et de l’autre par un terrain qu’il nous faut comprendre. Ce portrait serait incomplet si l’on ne prenait en compte les dimensions éthique et politique qui légitiment ce désir de comprendre et de convaincre. Entre conviction et responsabilité, il s’agit de rendre audible et de donner à voir les implicites et les points aveugles des catégories institutionnelles ou médiatisées et des concepts utilisés par la majorité des acteurs pour nommer les agrégations juvéniles quotidiennes sur les espaces urbains et les lieux communs. Ce travail de déstabilisation des catégories peut en effet faire émerger de nouveaux points d’appui pour agir sur ces terrains sensibles.

Nous allons dans un premier temps aborder les enjeux et les différentes phases de ce travail de déstabilisation qui nous entraîne du stigmate à la situation. Il nous faudra montrer ensuite la nécessité d’articuler action et discours, ainsi que proximité et retenue dans notre observation. Après en avoir relevé les écueils, la dernière partie sera consacrée à la dimension interprétative d’une méthode qui multiplie les échelles et les postures. Comment peut-elle en effet, nous conduire à agir sur un terrain aussi sensible que les regroupements de jeunes en banlieue ?

a. Du stigmate à la situation

Les méthodes mises en place consistent à multiplier les terrains, les échelles et les points de vue sur les pratiques de regroupement quotidien sur l’espace urbain. Par la mise en relation de ces échelles différenciées (archives, paroles, interactions…), nous comptons mettre en évidence des réalités multiples montrant comment ces variations d'échelles sont "d'abord le jeu des acteurs" (Lepetit, 1993 : 126). Par cette progression, à la fois dans le

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l'espace et dans le temps), approche locale (en référence au contexte structurel) et approche localisée (comparative). Les analyses d'un gardien d’immeuble, d'un élu ou d'un éducateur de rue sont sensiblement éloignées entre elles, ainsi que celles d'un gardien ou d'un élu à l'autre. Les agrégations juvéniles dans une cour de collège, au centre commercial ou devant le hall d'un bâtiment n'ont pas le même sens. Porter la recherche sur trois villes (Bobigny, Créteil et Nanterre) permet de percevoir des différences notables quant à la localisations des regroupements, au rôle de l'espace urbain, des politiques municipales, celles des bailleurs ou des clubs de prévention. La pratique d'observation participante consistant à écouter et faire parler au quotidien les jeunes donne un matériau différent des observations ponctuelles et des entretiens qui opèrent une mise en récit. Il s'agit d'abord d'un matériau brut non médiatisé, non tributaire d'un informateur privilégié. Il permet surtout au travers de la détermination des situations-clés d'articuler action et discours, espaces et individus.

Par le croisement des approches (Lefebvre, Goffman, ethnographie, sociologie, urbanisme…), nous nous sommes moins appuyés sur les épaules de ceux qui ont abordé les agrégations juvéniles auparavant, qu'essayés à développer une démarche plus personnelle "lançant elle-même le défi ou y répondant" (Geertz, 1998 : 99). Ces regroupements sont généralement abordés en termes de bandes, de désorganisation et d'anomie17 ou à l'inverse, de "cultures urbaines" valorisées mais le plus souvent cantonnées dans une sous-culture jeune(Bazin, 1995). Notre hypothèse de départ considère les pratiques d’agrégation juvéniles, les trop fameuses “bandes de jeunes”, avec les mêmes outils conceptuels que ceux pris habituellement pour les autres manifestations sociospatiales citadines. Il nous à donc fallu repartir d'un questionnement beaucoup plus basique, en deçà de toutes les catégories consacrées aux “bandes de jeunes”. Puis, déplacer légèrement l'échafaudage empirique et théorique patiemment monté par toute une discipline (sociologies de la jeunesse, de la déviance…) et qui a fini par masquer l'ensemble de l'objet. Dans l'interstice ainsi dévoilé, l'ossature à édifier s'appuie sur la notion de 'rassemblement' (Goffman, 1963).

17 La sociabilité réduite des galériens " ne ressemble en rien à la vie « organisée » des « bandes », dont il est malaisé de percevoir les structures sociométriques et les frontières. (…) En même temps, ce type de relations résiste obstinément à la plupart des tentatives d'organisation et de prise en charge par les travailleurs sociaux ; les jeunes n'utilisent les services proposés que pour y abriter cette sociabilité de retrait. (…) La cité n'abrite pas des jeunes en retrait, des jeunes délinquants et des jeunes violents, mais des acteurs qui paraissent tout à la fois, imprévisibles aux autres et à eux-mêmes. Leur expérience n'a pas de centre. Ils oscillent d'une conduite à une autre au gré des circonstances et des opportunités, comme s'ils n'étaient pas portés par des orientations mais agis par des circonstances. (…) La manière dont les acteurs définissent leur situation est sans équivoque. En premier lieu, la vie de la cité est décrite comme « anomique », désorganisée

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Celle-ci désigne un large "ensemble d'occasions sociales (…) par lesquelles les participants coopèrent concrètement" (Joseph, 1996), quelle que soit par ailleurs leur appartenance à un groupe.

Les enjeux et les questionnements de la recherche

Des individus se rapprochant les uns des autres et devant subsister ensemble dans des milieux qui ne leurs sont pas destinés. Quoi de plus élémentaire comme configuration, quoi de plus ouvert comme situation ? D'où l'envie de comprendre un phénomène qui semble à la fois premier pour un jeune chercheur et pourtant complexe, au carrefour d'enjeux réflexifs réels et de 'problèmes sociaux' surmédiatisés. Tout de suite, apparaissent les premières questions :

• Qui sont ces jeunes et que sont ces regroupements? • Quels types de sociabilités y sont mis en œuvre?

• Quelles sortes de collectifs forment-ils? Qu'est-ce qui les fait tenir ensemble? • Quelles formes prennent ces rassemblements et dans quelle mesure celles-ci

nous informent-elles sur ce qui les imprègne?

• Dans quelle mesure peut-on parler à leur propos de cultures spécifiques? • Quel rôle joue le critère territorial dans l'entretien de ces cultures si elles

existent?

• Dans quels milieux évoluent-ils? Peut-on dire que les rassemblements s'appuient sur d'autres acteurs et d'autres espaces ?

Progressivement, le travail se centre autour de deux problématiques :

• Dans quelle mesure les rassemblements peuvent-ils être considérés comme étant des nœuds qui articulent centralités (équipements, centres commerciaux…) et espace urbain (logement, rue…)?

• Les mobilités qui traversent ou portent les rassemblements peuvent-elles constituer une ressource pour revitaliser l'espace urbain?

C’est à ces deux questions que la recherche a tenté d’apporter des éléments de réponse. Il a donc fallu en cerner les différents enjeux, en évoluant d'une enquête bibliographique et par entretien à une observation et une participation auprès des jeunes, et enfin à une

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interprétation et une proposition concrétisée lors d’un concours d'urbanisme présenté avec P. Chemetov18.

L'enjeu social est évident pour ces publics désaffiliés et stigmatisés. Ses dimensions politiques sont massives, dans la mesure où son traitement par les médias, les élus et la population elle-même, en fait un enjeu quotidien. Ce qui oriente l'ensemble de ces acteurs est la sauvegarde d'un ordre public susceptible de préserver la paix civile et sociale ainsi que la démocratie républicaine, face aux communautarismes, à l'insécurité et aux économies parallèles. D'où les termes de "sauvageons", de "zones de non droit" suivis par des mesures législatives de répression dont le dernier avatar est la « loi sur les halls »19. Les enjeux économiques lui sont directement liés. Ils concernent notamment le marché de la sécurité, de l'aménagement urbain, ou encore le montant des aides accordées par l'Etat dans le cadre de la politique de la ville. Les symptômes les plus visibles de ces enjeux sont les pratiques de privatisation et de sécurisation des espaces communs d’habitation (résidentialisation), les mesures de surveillance de l’espace public (caméras) et la présence des vigiles qui se sont généralisées.

La littérature sur cette dimension sécuritaire est importante, portée notamment par l'IHESI (voir annexe « portrait type du jeune violent urbain »), institution de recherche du Ministère de l'intérieur (Bauer et Raufer, 1998) et ses contradicteurs de l'école bourdieusienne et notamment Loïc Wacquant (1992), Patrick Champagne (1991) et Laurent Mucchielli (2001).

Devant ces problématiques et ces implications multiples, le projet de recherche proposé aux collectivités, qui a nécessité un an de montage financier20, est présenté comme ayant une finalité d'ordre public ou tout du moins de compréhension d'un "problème" social et urbain. Cependant, la démarche s'inscrit dans une volonté de renouvellement des approches en terme d'anomie (Dubet et Lapeyronnie, 1992) largement partagées par les édiles locaux. Leur fidélité tout au long de ces trois années est le fruit d'une curiosité réelle envers une

18 Concours pour la revalorisation urbaine de Bobigny.

19 Article 61 de la "Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure":

"Les voies de fait ou la menace de commettre des violences contre une personne ou l'entrave apportée, de manière délibérée, à l'accès et à la libre circulation des personnes ou au bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté, lorsqu'elles sont commises en réunion de plusieurs auteurs ou complices, dans les entrées, cages d'escalier ou autres parties communes d'immeubles collectifs d'habitation, sont punies de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 EUR d'amende."

20 La recherche a été financée durant trois années par une convention signée entre l’Université et des collectivités territoriales (Ville de Bobigny, Département de la Seine-Saint-Denis, Ville de Nanterre,

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approche atypique assez éloignée des rapports élaborés par les bureaux d'études, mais aussi d'intérêts croisés (relations personnelles, propositions d'emploi, participation à des séminaires ou à des concours…). Cette singularité donne à la recherche un sens périphérique par rapport à leurs “préoccupations”, mais en contrepartie la diversité de ces exigences m’a permis de garder une direction très proche d'un travail universitaire, parfois au prix de vives discussions sur cette remise en cause des représentations en terme de “bandes”. L’engagement de ces collectivités favorise d'autre part l’implication des responsables et des agents, l'accès administratif à certaines archives et ma légitimité auprès de tous les gestionnaires de terrain.

Les différents rapports insistent sur le rôle essentiel de ces espaces de regroupement dans la socialisation des adolescents. Si le rassemblement constitue le nœud des sociabilités pour ces jeunes, il représente alors un point d'appui majeur pour entreprendre un travail visant à les sortir de leur relégation. Cette intention légitime paraît à la fois parcellaire et oublieuse de la complexité de cet objet multiforme que sont les différents rassemblements. Elle reste néanmoins un horizon qui va nous guider en filigrane et attirer à lui notre compréhension des publics et des acteurs qui croisent les rassemblements.

Les différentes phases de l’enquête

Une observation directe voire participante semble toute indiquée pour percevoir les types de sociabilité propres aux rassemblements. Afin d’éviter une pure description, ainsi qu'une trop grande sympathie pour les acteurs, nous avons souhaité socialiser les perceptions en prenant aussi en compte le regard des gestionnaires de l'espace public.

Après une phase préalable de recherches bibliographiques, la première étape du travail consiste à interroger des gardiens d'immeubles, responsables jeunesse, travailleurs de rue, employés des services municipaux de terrain (nettoiement, sport, espaces verts…), bailleurs sociaux, coordinateurs de quartier..., le plus souvent par entretiens in situ. Ils ont pour but de collecter de manière systématique des informations précises sur tous les lieux de rassemblement se produisant sur des espaces non prévus à cet effet : les “rassemblements décalés”. D’une part, ces prises d’espaces montrent ce qui fait qu’un espace public fonctionne. D’autre part, ce sont bien souvent des situations instables et les moments où ils

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se créent et ceux où ils disparaissent sont des instants privilégiés pour comprendre leur nature.

Les questions ont trait aux lieux, aux publics qui les fréquentent et aux temps de fréquentation. Dans cette première période il s’agit de faire un diagnostic sur leur utilisation ainsi qu’une première tentative de compréhension. Le travail d’entretien effectué, en particulier avec les gardiens d’immeuble et les services municipaux “de terrain”, rend possible non seulement une collecte importante de renseignements concernant le sujet de l’étude, mais il permet aussi de ‘donner la parole’ à des personnels qui n’ont pas l’habitude d’être consultés sur leur pratique quotidienne.

A partir des entretiens réalisés lors de cette première phase, la deuxième période est consacrée à la réalisation d’une cartographie détaillée des rassemblements décalés et des mouvements des rassemblements de jeunes. Les “espaces intermédiaires”21 accueillant des publics différenciés par leur âge, leur provenance, leur sexe... y sont repérés.

La dernière étape consiste à observer, participer au besoin, mais surtout essayer de comprendre les logiques en cours lors des échanges au sein des regroupements ou entre les jeunes et leur environnement spatial, social, familial, économique...

Les lieux et les modes d'enquête sont de trois sortes:

• Au sein d'institutions (cours extérieures et espaces communs de collèges, lieux de jeux ou d'aide aux devoirs)

• En passant informé (accompagné d'éducateurs de rue) ou non (simple déambulation)

• Au sein de regroupements de jeunes en observateur participant.

A travers la notion de rassemblement, il s’agit de rendre accessible les attitudes et les rapports à l'espace faisant partie de l'ordinaire, tout en montrant les spécificités de ces formes d’assemblement.

Il fallait pour cela s'intéresser au moment même de la situation, puis le rapprocher d'autres s'étant produits auparavant, considérer les individus, les espaces et les histoires liés les uns aux autres.

Ce privilège accordé à la situation se comprend si l'on considère son caractère problématique. L’observateur et les participants ne peuvent en effet réduire son

21 Nous nous référons ici aux travaux de J. Rémy et de L. Roulleau-Berger, mais les espaces physiques et leur statut institutionnel (une barrière, un bassin, un square, un jeu pour enfants…) sont nettement moins cadrés

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indétermination avant d'y agir. C'est lors de ces épreuves que s’élaborent les parcelles et les moments de bien commun et d'espace public que nous souhaitons interroger.

Situationnisme méthodologique

"La comparaison qui intéresse le sociologue porte moins sur le vécu subjectif de l'individu que sur ce qui fait d'une épreuve singulière une expérience anthropologique et une histoire susceptible d'être rejouée. En effet, dans la mesure où l'épreuve est socialement cadrée, ce n'est pas l'individu qui constitue l'unité élémentaire de la recherche, mais la situation. A cote des entités constitutives de la sociologie que sont le collectif (groupe, classe, population) et l'individu (acteur, agent, sujet), la microsociologie introduit ainsi un objet nouveau, la situation d'interaction. Ses outils (approche dramaturgique, analyse de conversation) se réfèrent ainsi, implicitement ou explicitement, à un paradigme de la discipline que l'on appellera situationnisme méthodologique" (Joseph, 1998 : 10) pour le distinguer de deux autres paradigmes dominants dans les sciences sociales: le structuralisme critique et la sociologie de l'action orientés sur le conflit (Bourdieu, Touraine) d'une part et l'utilitarisme et l'analyse des stratégies orientés vers l'intégration (Boudon, Aron, Crozier) d'autre part (d'après Touraine, 1986 : 139).

b. De l’observation à la rupture

Quelques difficultés ont jalonné ces années de travail. L'impossibilité d'accéder à des chiffres INSEE (CSP, nationalité…) détaillés en deçà de l'îlot est redoublée par le secret qui entoure l'accès à certaines données jugées confidentielles par les différentes institutions (études antérieures, compte-rendus de réunion…).

Le trafic de stupéfiants est la deuxième difficulté qu'il a fallu dépasser. Concrètement, les rassemblements marqués par le "deal" sont abordés en dernier, après qu'une habitude de contacts réguliers se soit instaurée avec certains ‘grands’ qui fréquentent aussi d'autres regroupements de jeunes moins âgés sur lesquels je me suis rendu auparavant. En dehors de leurs activités délictueuses, l'âge influe en effet sur le type de rapport existant entre l'observateur et les observés. On peut considérer que la catégorie retenue par D. Lepoutre (10-16 ans), est la plus 'confortable', dans la mesure où elle est en demande de rapports