• Aucun résultat trouvé

Centres et espace métropolitain : Urbain hétérogène et cités homogènes

B. Bobigny, Créteil, Nanterre : Trois villes comme rassemblement

5. Centres et espace métropolitain : Urbain hétérogène et cités homogènes

7. Politiques urbaines et rassemblements :

Construction de la ville et de la métropole comme fait central...108

II . La ville comme rassemblement

Nous avions introduit le présent mémoire sur le paradoxe existant entre l'injonction au rassemblement qui se manifeste chez l'architecte-urbaniste par la hantise du centre vide, et le découplage qui semble se généraliser entre centre et rassemblement.

En revenant sur le travail de H. Lefebvre, nous souhaitons réinterroger ce recouvrement centre/rassemblement et le mettre à l'épreuve de nos trois terrains que sont Bobigny, Créteil et Nanterre. Il fut en effet le grand théoricien de la ville comme centre et du centre comme rassemblement. Il ne s'agit pas ici de présenter l'ensemble de l'œuvre ou des concepts du philosophe-sociologue, mais d'essayer de montrer ce que peut apporter son approche de la ville comme rassemblement dans notre problématique de redéfinition du rassemblement dans la ville contemporaine.

II . La ville comme rassemblement

A. L'espace du rassemblement chez

Henri Lefebvre

H. Lefebvre indique que l'on doit travailler la ville à plusieurs niveaux (1962a : 123-129) si l'on veut la comprendre. Il en distingue trois : ceux d'objet, de sujet et d'œuvre (1970a : 179 ; 1970c : 4 ; 1978 : 282 ; 1986a : 77, 162).

Considérée comme objet, la ville dépend à la fois du mode de production dans lequel elle s'inscrit, de sa situation et sa place dans le territoire, des flux, stratégies et tactiques qui la traversent, bref, de son métabolisme.

Le deuxième niveau, celui de la ville comme sujet, s'intéresse aux acteurs sociaux, l'activité et les degrés de conscience de ces groupes, les moments et la conjonction des forces qui les animent. Ce niveau joue un rôle particulier, dans la mesure où c'est là que se fait (ou ne se fait pas) la médiation entre ordre proche et lointain, entre espace et société. C'est donc essentiellement à ce niveau que se manifestent les contradictions.

Le dernier niveau considère la ville comme œuvre, permettant de dépasser les contradictions des niveaux précédents. Par l'usage et la réalisation de la ville comme œuvre concrète (art, histoire, monuments, institutions) les citadins tentent de réaliser leur propre vie comme œuvre.

On mesure ici la continuité entre les différents niveaux, stipulant un lien direct entre réalisation sociale de l'homme dans des rassemblements, collectifs à même de faire émerger la ville comme œuvre. A l'inverse, apparaissent aussi les ruptures qui peuvent séparer ces niveaux, notamment en cas de contradictions. Par ce "treillis" (1962a : 125), H. Lefebvre souhaite donner une représentation certes imparfaite et approximative, comportant les inconvénients de toute schématisation, mais permettant d'introduire dans notre analyse du centre et du rassemblement, le sens du mouvement. Ce dernier est en effet selon lui, la dimension fondamentale de l'espace urbain.

II . La ville comme rassemblement

1. L'espace comme mouvement

Par le mouvement de ce qui s'y croise, le centre procure de l'imprévu, du possible et des rencontres. Pourquoi ? Parce que nous dit H. H. Lefebvre, la distance entre contenant et contenu peut virtuellement y devenir nulle. Pourtant, c'est l'impossibilité effective de ce recouvrement entre centre et rassemblement qui représente "la contradiction immanente de l'espace-temps urbain" (1970a : 130) et caractérise son mouvement dialectique. C'est ce mouvement qui pour H. Lefebvre est essentiel. La pensée urbanistique, faute de méthode dialectique, n'a pas pu saisir selon lui, que d'une part ce non recouvrement entre centre et rassemblement est consubstantiel à la notion même de centralité et que d'autre part, les contradictions entre centre et périphérie rejettent un urbain stable. Pour "comprendre les différences dans l'homogénéité ; les périphéries dans les centralités" (1986b : 62) ou encore les rapports entre ségrégation et intégration, H. Lefebvre utilise une méthode dialectique. Elle présente en effet l’avantage de saisir des situations particulière par leur coté éphémère qui met à mal l'existant. C'est au sein de ce moment négatif que se constitue selon lui une connaissance positive du phénomène urbain.

Chaque contradiction y est différente des autres, chacune existe dans une situation donnée et avec un contenu particulier, un mouvement propre, qu'il faut comprendre dans ses connexions, dans ses différences et ressemblances (1982 [1947] : 222). On a toujours à l'esprit: contradiction = opposition. Mais H. Lefebvre insiste sur le fait que la méthode dialectique devrait toujours mettre au moins trois termes ou sujets en présence. Le troisième terme permet d'introduire la complexité dépassant les oppositions classiques, dans lesquelles chaque pôle reflète et finalement renforce l'autre, et donc bloque toute évolution, tout mouvement. H. Lefebvre utilise toute une série de trilogies qui lui permettent de travailler le phénomène urbain:

Nature / culture / produits Passé / présent / avenir

Processus / forces / évènements Déterminisme / décision / hasard Quotidien / non-quotidien / fête

Espace perçu / espace conçu / espace vécu Architectural / urbanistique / territorial Espace / temps / énergie

II . La ville comme rassemblement

Sa conception d'un espace tout à la fois homogène, fragmenté et hiérarchisé (1976 : 26-30 ; 1978 : 308 ; 1981 : 84-87 ; 1989b : 17) va nous aider à mieux comprendre les rapports qui nous préoccupent entre centre et rassemblement.

Contrairement à l'idée répandue d'une économie s'appliquant à l'ensemble de la société et d'un espace ou d'une urbanisation comme effets secondaires, pour H. Lefebvre, les différentes crises trouvent leur origine et surtout leurs effets, dans les rapports sociaux qui sous tendent l'économique ou l'étatique (la famille, l'école, les valeurs, les normes...). Ce que remettent alors en cause ces crises, ce ne sont pas l'économique ou l'étatique pris à part, mais les transformations de l'ensemble des rapports de dépendance et de domination existant au sein de cette société. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette définition d’un espace homogène-fragmenté-hiérarchisé.

Avec la croissance de la production industrielle, l'entreprise n'arrivait plus à assurer et à garantir les relations de domination qu'elle entretenait avec ses employés et le monde du travail en général. Selon l'auteur, l'Etat se voit confier le soin de reproduire les rapports de domination qu'auparavant elle assumait à travers la reproduction des rapports de production dans l'entreprise essentiellement. La croissance a aussi généralisé le principe d'équivalence entre les marchandises, entre la force de travail des hommes et les salaires, entre les terrains agricoles, industriels ou urbains. Ce principe d'équivalence représente d'après H. Lefebvre le fondement de l'Etat moderne, comme principe d'unité, d'identité et d'intégration politique.

L'espace devient donc le milieu de l'échange généralisé et aussi celui de la domination de l'Etat. Cet espace est fragmenté, homogène, hiérarchisé. Il est fragmenté parce que la propriété privée du sol est généralisée à l'espace entier. Et pour que toute partie de l'espace soit échangeable, interchangeable, l'espace est découpé en une multitude de parcelles, de lots, de pavillons, de cellules d'habitation, qui seuls peuvent constituer un marché de l'espace dynamique. Ensuite l'espace est homogène à cause de cette équivalence généralisée qui fait que tout est échangeable, comparable. En dernier lieu, cet espace est hiérarchisé parce que l'échange de toutes ces parties d'espace ne peut qu'aboutir à des inégalités puisque l'usage de l'espace ne disparaît pas (distance par rapport au centre ville par exemple). Pour simplifier, l'Etat tend vers un espace homogène, l'économique vers un espace fragmenté et la conjonction des deux face à l'usage différencié, vers un espace

II . La ville comme rassemblement

Le rôle de l'Etat est en effet de coordonner un espace qui, s'il était dévoué entièrement au marché, mènerait au chaos et briserait la société. Seul l'état est capable, conceptuellement et techniquement de gérer l'espace dans sa globalité (1978 : 298). Mais il instaure un ordre logistique qui hiérarchise l'espace et qui donc le rend répressif (rapport centre/périphéries, ségrégation...).

On ne peut cependant parler d’une subordination pure et simple de l'espace au pouvoir. Ceci pour plusieurs raisons :

• D'une part il n'y a pas toujours accord entre les intérêts privés et l'action des pouvoirs publics, mais aussi parfois affrontement.

• Ensuite, les usages différents continuent à exister, à travers les espaces pour le sport, la détente, la culture...

• De plus, l'économique et le social sont répartis dans un espace, dont l'occupation et les transformations posent des problèmes de plus en plus complexes à gérer.

• Enfin, les crises successives entraînent un discrédit de l'Etat.

Donc, selon H. Lefebvre d'un coté l'Etat n'arrivera plus, à terme, à assumer l'objectif que lui a assigné le marché, c'est à dire la reproduction des rapports de domination. Et de l'autre coté, sa stratégie qui vise à s'insérer entre l'espace fragmenté par le marché et l'espace reconstruit par les usages, entraîne l'émiettement de la société mais n'empêche pas l'émiettement de l'espace. Dès lors, l'Etat risque de perdre sa base et peut finalement se désagréger.

L'auteur souhaite donc que cet espace se métamorphose en un espace qu'il appelle "différentiel", c'est à dire dont les bases sont les multiples différences de la société, des situations, de l'espace...Un espace où sont rassemblés le public et le privé, où les séparations centre/périphérie habituelles sont court-circuitées par la multiplication des centres périphériques différenciés, c'est pour lui l'avènement de l'urbain.

La conception d'un espace tout à la fois homogène, fragmenté et hiérarchisé d'Henri Lefebvre nous aide à préciser les tensions existant au sein même du rapport centre/rassemblement. Leur découplage s'expliquerait alors par la lutte existant entre les forces d'émiettement du marché et celles d'homogénéisation des pouvoirs publics. Ces derniers tentent vainement d'empêcher cette explosion du centre, mais ne parviennent qu'a renforcer les hiérarchisations sociales et symboliques par leur violence logistique. Le

II . La ville comme rassemblement

renforcement de cette hiérarchisation de l'espace éloigne de fait les activités et les publics qui ne possèdent pas les capitaux économiques, sociaux, culturels ou symboliques légitimes pour y être présent et conduit à la multiplication de formes de centre secondaires dans lesquels la pression est moins forte.

Dans ce cas, que recouvrent ces formes de centre et en quoi se distinguent-elles des centres périphériques différenciés relevant d'un urbain valorisés par l'auteur?

2. La ville comme centre

Après avoir rappelé que les centres ont toujours péri par saturation, défaut ou assaut de la périphérie (1972 : 118) et retracé le déplacement historique des centres au cours des 19ème et 20ème siècles, depuis les grands boulevards jusqu'aux Champs Elysées, H. Lefebvre souligne ce qu'il y a de nouveau dans la centralité contemporaine: elle se veut "totale" (1974 : 383). Une centralisation "rationnelle" exercée par les pouvoirs publics dissocie les aspects de la pratique sociale et les regroupe au sein d'espaces homogènes (1971 : 7). Elle condense au centre les richesses dont ces pouvoirs estiment avoir besoin et expulsent logiquement les restes en périphérie, dans une cohérence globale rigoureuse, mais désintégrante pour ceux qui la subissent et pour l’espace lui-même. Du coup, ce centre rassemble les informations plus que les gens et les choses (1968 : 149). Il devient un instrument de puissance plus qu'un lieu d'urbanité. Il n'y a pourtant selon H. Lefebvre, pas de réalité urbaine sans un centre qui puisse toujours plus rassembler de nouveaux objets, sujets ou situations. Cependant, quelle que soi leur forme, les centres sont toujours inachevés et entretiennent une pénurie d'espace effective alors qu'il y a abondance objective. Ils renvoient donc à d'autres centres, des centres autres.

Cette multiplication des centres divers, ségrégative ou non, n'enlève rien à la nécessité de conservation de l'idée de centre qui relève selon lui de la civilisation et non seulement du pouvoir (1986a : 170). Cette "idée de centre", c'est la centralité. H. Lefebvre dissocie donc la centralité, idéal urbain de conjonction entre centre et rassemblement effectif, et le découplage réel entre ces deux entités. Il assiste ensuite à une transformation des centres et des périphéries ainsi que de leurs rapports, avec la multiplication des

II . La ville comme rassemblement

contradictions des centres vues précédemment (le centre ne rassemble qu'en éloignant…) peuvent donc les faire évoluer vers une polycentralité, une omnicentralité, la rupture du centre ou encore son éparpillement. C'est cependant l'orientation de ce mouvement qui reste déterminante pour l'auteur, allant soit vers la dispersion et la ségrégation, soit vers la constitution de centres différenciés. Il prône alors la création de nouvelles centralités mouvantes et de villes éphémères (1968 : 79, 128).

Dans le chapitre précédent, la conception d'un espace homogène, fragmenté et hiérarchisé nous montrait un centre refoulant en périphérie les activités et les publics dépourvus des capitaux nécessaires, ce qui avait conduit à la multiplication des formes de centre périphériques dont on avait du mal à saisir les contours. Nous voyons dans ce chapitre que cette multiplication provient du centre lui-même, toujours inachevé et pourtant entretenant la pénurie d’espace, d’activités. Le découplage centre-rassemblement de ces formes de centres découle de l’orientation que prend ce processus, soit accentuant la ségrégation, soit favorisant une différenciation. Du coup, il accorde la primauté au concept de centralité. Il lui donne une immanence civilisationnelle susceptible de surmonter le découplage centre-rassemblement qui caractérise nombre des centres partiels peuplant la périphérie. Une périphérie vidée de sa substance par le centre "total" de la ville contemporaine qui absorbe les pouvoirs et les richesses. C'est bien ce phénomène de dispersion et de ségrégation qui différencie ces centres subordonnés, des autres formes de centre différenciés que va promouvoir H. Lefebvre au travers du 'droit à la ville". Un droit à la centralité, seul à même selon lui, de permettre aux citoyens-citadins et des groupes qu'ils constituent (sur la base des rapports sociaux) à "figurer sur tous les réseaux et circuits de communication, d'information, d'échanges" (1972 : 21).

Mais en quoi les pratiques sociospatiales de ces formes de centre seraient-elles révélatrices d'un rassemblement 'véritable' ou d'une simple agrégation périphérique ? Comment reconnaît-on un recouvrement centre-rassemblement par la qualité (des interactions?) et non plus seulement par la quantité (problématique du centre vide) ?

II . La ville comme rassemblement

3. L'urbain comme praxis

Pour H. Lefebvre, la pratique spatiale d'une société sécrète son espace. Elle le pose et le suppose. La trilogie de l'espace conçu-vécu-perçu (1962a : 218 ; 1974 : 48,258 ; 1978 : 281 ; 1992 : 18) peut constituer un premier outil pour répondre à ces questions sur la "qualité" des pratiques centrales de rassemblement.

• L'espace conçu, c'est la représentation de l'espace, l'espace (dominant) conçu par les spécialistes (scientifiques, intellectuels…).

• L'espace vécu, c'est l'espace de représentation, l'espace vécu au travers des images et des symboles, dramatisé, parlé, affectif, corporel.

• L'espace perçu, c'est l'espace de la vie quotidienne produit par la pratique spatiale qui lentement le domine et se l'approprie (1974 : 48).

Si l'espace est un tout, l'espace perçu joue un rôle clé, dans la mesure où c'est essentiellement à ce niveau qu'interviennent appropriation et vie quotidienne. L'appropriation façonne du temps et de l'espace. La vie quotidienne confronte les besoins aux produits pour en faire des biens et aux désirs pour la changer en jouissances. Elle met en rapport individus et groupes (famille…), vie dominée et vie créatrice. Rencontre du secteur dominé du réel et de celui non dominé, elle est le lieu de leurs rencontres, de leurs échanges et de leurs conflits. C'est le lieu des rapports des corps entre eux. La vie quotidienne associe répétitif et créatif, du tragique et du destin. Bref, c'est le lieu des contradictions.

Selon H. H. Lefebvre, c'est dans la vie quotidienne et à partir d'elle que s'accomplissent les véritables créations, celles qui produisent l'humain et que produisent les hommes au cours de leur humanisation: les œuvres. Le changement dans la vie quotidienne est donc le critère du changement. Les sociétés changent vraiment quand elles inventent une nouvelle façon de vivre et non lorsqu’elles ne font que simplement modifier leurs formes politiques.

La vie quotidienne est donc le lieu de la praxis. signifiant tout à la fois, pratique sociale ainsi que son exploration et saisie, jamais complète (dépassement du rapport théorie/pratique) La praxis englobe donc à la fois la production matérielle et spirituelle,

II . La ville comme rassemblement

introduit plusieurs niveaux: praxis totale (révolution), partielle (réforme transformatrice), connaissance (comme pratique et inversement). Politique, répétitive, inventive, spécifique (mais liées à la totalité), la praxis repose à la fois sur le sensible et l'activité créatrice stimulée par le besoin qu'elle transforme (1966 : 37). Seule la praxis peut par sa capacité créatrice globale créer des formes et des rapports nouveaux.

Le phénomène urbain contiendrait donc une praxis à la forme singulière, parce que liée à la centralité, à une activité particulière… Pour qualifier cette forme, l'auteur évoque le "style" (1967b : 213) de ceux qui l'investissent. Cette invocation est ici une manière de sortir des approches classiques (philosophiques, systémiques, rationalistes…) qui tendent à établir des logiques sociales. Par le concept de "style", H. Lefebvre tire toutes les conséquences des dimensions sensibles et créatrices de la praxis pour redéfinir la pratique sociale30. C'est dans la vie quotidienne que ces dimensions sensibles et créatrices se constituent en style et que la praxis s'accomplit en œuvre.

Nous nous posions la question de la spécificité des pratiques centrales de rassemblement et de ce qui définit la 'qualité' de ces rassemblements par rapport à d'autres se produisant sur des centres subordonnés ou fonctionnels. Tout d'abord, H. Lefebvre souligne que vie quotidienne, praxis et appropriation sont enchâssées l'une dans l'autre. Elles produisent des formes singulières de rassemblements dont ceux qui les façonnent se définissent dans leur pratique sociale par un "style" propre. Les centres complexes favorisent dans ces rassemblements, des appropriations collectives et individuelles qui se condensent et se signifient en œuvre (1989 [1959] : 537). En effet, plus un espace est fonctionnalisé, plus il se met hors du temps vécu et perçu, complexe des citadins, moins il est appropriable (1974 : 411).

30 "Il n'est absolument pas question de retourner vers l'esthétisme. Une telle interprétation comporterait un malentendu. Les rapports sociaux apparaissent maintenant dans leur complexité et leur richesse: pas seulement abstraction et formes, systèmes de contrats et/ou de 'valeurs', institutions et/ou idéologies, mais ensemble de champs 'sensibles' différentiels et articulés. La première conception est une conception réductrice qui a pour but d'immobiliser (dans des structures et fonctions) le mouvement des rapports sociaux. Le pratico-sensible, constitutif du monde social considéré comme une valeur d'usage, incarnation des rapports sociaux, ne peut se laisser réduire" (1970d : 92).

II . La ville comme rassemblement

Cependant, il reste à comprendre comment se réalise cette appropriation du centre à travers la notion d'œuvre qui selon H. Lefebvre semble essentielle à la réalisation pleine et entière du centre-rassemblement.

4. Le rassemblement comme forme

"D'où tirer le principe du rassemblement et son contenu? Du ludique" (1968 : 150). "Il s'agit de préparer 'l'ère des loisirs', ou plutôt l'ère du non-travail, lointaine mais qui viendra, sauf catastrophe" (1967b : 177).

Pour H. Lefebvre, rien ne donne plus d'intensité au rassemblement que le sport, le théâtre le jeu ou la fête, parce qu'ils dépassent en les rassemblant l'usage et l'échange. Cependant, un saut immédiat de la vie quotidienne dans la fête relève du mythe et fait justement l’impasse sur le mouvement de l'un à l'autre qui définit le rassemblement. La centralité ludique nécessite en effet de mettre l'appropriation au dessus de la domination et de donner la priorité au temps sur l'espace. Bref, de faire du centre, de la ville et de l'espace lui-même une œuvre, concrète et sans limite. Ceci suppose pour le rassemblement, de passer entre l'oisiveté vidée de tout contenu créateur et le travail entretenu de manière artificielle. H. Lefebvre souhaite par là faire se recouper deux façons de créer propres à l'homme: "dans la spontanéité vitale (le plaisir, le jeu) et puis à partir de l'abstraction (sérieux, patience, douleur consciente, labeur)" (1962b : 129). Cependant, la réalisation de cette "métamorphose du quotidien" (1992 : 7) par l'action et l'œuvre n'émerge pas spontanément. Produite par des "agents" historiques et sociaux, il n'y a "pas d'œuvres sans une succession d'actes réglés et d'actions, de décisions et de conduites, sans messages et