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Par le mouvement de ce qui s'y croise, le centre procure de l'imprévu, du possible et des rencontres. Pourquoi ? Parce que nous dit H. H. Lefebvre, la distance entre contenant et contenu peut virtuellement y devenir nulle. Pourtant, c'est l'impossibilité effective de ce recouvrement entre centre et rassemblement qui représente "la contradiction immanente de l'espace-temps urbain" (1970a : 130) et caractérise son mouvement dialectique. C'est ce mouvement qui pour H. Lefebvre est essentiel. La pensée urbanistique, faute de méthode dialectique, n'a pas pu saisir selon lui, que d'une part ce non recouvrement entre centre et rassemblement est consubstantiel à la notion même de centralité et que d'autre part, les contradictions entre centre et périphérie rejettent un urbain stable. Pour "comprendre les différences dans l'homogénéité ; les périphéries dans les centralités" (1986b : 62) ou encore les rapports entre ségrégation et intégration, H. Lefebvre utilise une méthode dialectique. Elle présente en effet l’avantage de saisir des situations particulière par leur coté éphémère qui met à mal l'existant. C'est au sein de ce moment négatif que se constitue selon lui une connaissance positive du phénomène urbain.

Chaque contradiction y est différente des autres, chacune existe dans une situation donnée et avec un contenu particulier, un mouvement propre, qu'il faut comprendre dans ses connexions, dans ses différences et ressemblances (1982 [1947] : 222). On a toujours à l'esprit: contradiction = opposition. Mais H. Lefebvre insiste sur le fait que la méthode dialectique devrait toujours mettre au moins trois termes ou sujets en présence. Le troisième terme permet d'introduire la complexité dépassant les oppositions classiques, dans lesquelles chaque pôle reflète et finalement renforce l'autre, et donc bloque toute évolution, tout mouvement. H. Lefebvre utilise toute une série de trilogies qui lui permettent de travailler le phénomène urbain:

Nature / culture / produits Passé / présent / avenir

Processus / forces / évènements Déterminisme / décision / hasard Quotidien / non-quotidien / fête

Espace perçu / espace conçu / espace vécu Architectural / urbanistique / territorial Espace / temps / énergie

II . La ville comme rassemblement

Sa conception d'un espace tout à la fois homogène, fragmenté et hiérarchisé (1976 : 26-30 ; 1978 : 308 ; 1981 : 84-87 ; 1989b : 17) va nous aider à mieux comprendre les rapports qui nous préoccupent entre centre et rassemblement.

Contrairement à l'idée répandue d'une économie s'appliquant à l'ensemble de la société et d'un espace ou d'une urbanisation comme effets secondaires, pour H. Lefebvre, les différentes crises trouvent leur origine et surtout leurs effets, dans les rapports sociaux qui sous tendent l'économique ou l'étatique (la famille, l'école, les valeurs, les normes...). Ce que remettent alors en cause ces crises, ce ne sont pas l'économique ou l'étatique pris à part, mais les transformations de l'ensemble des rapports de dépendance et de domination existant au sein de cette société. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette définition d’un espace homogène-fragmenté-hiérarchisé.

Avec la croissance de la production industrielle, l'entreprise n'arrivait plus à assurer et à garantir les relations de domination qu'elle entretenait avec ses employés et le monde du travail en général. Selon l'auteur, l'Etat se voit confier le soin de reproduire les rapports de domination qu'auparavant elle assumait à travers la reproduction des rapports de production dans l'entreprise essentiellement. La croissance a aussi généralisé le principe d'équivalence entre les marchandises, entre la force de travail des hommes et les salaires, entre les terrains agricoles, industriels ou urbains. Ce principe d'équivalence représente d'après H. Lefebvre le fondement de l'Etat moderne, comme principe d'unité, d'identité et d'intégration politique.

L'espace devient donc le milieu de l'échange généralisé et aussi celui de la domination de l'Etat. Cet espace est fragmenté, homogène, hiérarchisé. Il est fragmenté parce que la propriété privée du sol est généralisée à l'espace entier. Et pour que toute partie de l'espace soit échangeable, interchangeable, l'espace est découpé en une multitude de parcelles, de lots, de pavillons, de cellules d'habitation, qui seuls peuvent constituer un marché de l'espace dynamique. Ensuite l'espace est homogène à cause de cette équivalence généralisée qui fait que tout est échangeable, comparable. En dernier lieu, cet espace est hiérarchisé parce que l'échange de toutes ces parties d'espace ne peut qu'aboutir à des inégalités puisque l'usage de l'espace ne disparaît pas (distance par rapport au centre ville par exemple). Pour simplifier, l'Etat tend vers un espace homogène, l'économique vers un espace fragmenté et la conjonction des deux face à l'usage différencié, vers un espace

II . La ville comme rassemblement

Le rôle de l'Etat est en effet de coordonner un espace qui, s'il était dévoué entièrement au marché, mènerait au chaos et briserait la société. Seul l'état est capable, conceptuellement et techniquement de gérer l'espace dans sa globalité (1978 : 298). Mais il instaure un ordre logistique qui hiérarchise l'espace et qui donc le rend répressif (rapport centre/périphéries, ségrégation...).

On ne peut cependant parler d’une subordination pure et simple de l'espace au pouvoir. Ceci pour plusieurs raisons :

• D'une part il n'y a pas toujours accord entre les intérêts privés et l'action des pouvoirs publics, mais aussi parfois affrontement.

• Ensuite, les usages différents continuent à exister, à travers les espaces pour le sport, la détente, la culture...

• De plus, l'économique et le social sont répartis dans un espace, dont l'occupation et les transformations posent des problèmes de plus en plus complexes à gérer.

• Enfin, les crises successives entraînent un discrédit de l'Etat.

Donc, selon H. Lefebvre d'un coté l'Etat n'arrivera plus, à terme, à assumer l'objectif que lui a assigné le marché, c'est à dire la reproduction des rapports de domination. Et de l'autre coté, sa stratégie qui vise à s'insérer entre l'espace fragmenté par le marché et l'espace reconstruit par les usages, entraîne l'émiettement de la société mais n'empêche pas l'émiettement de l'espace. Dès lors, l'Etat risque de perdre sa base et peut finalement se désagréger.

L'auteur souhaite donc que cet espace se métamorphose en un espace qu'il appelle "différentiel", c'est à dire dont les bases sont les multiples différences de la société, des situations, de l'espace...Un espace où sont rassemblés le public et le privé, où les séparations centre/périphérie habituelles sont court-circuitées par la multiplication des centres périphériques différenciés, c'est pour lui l'avènement de l'urbain.

La conception d'un espace tout à la fois homogène, fragmenté et hiérarchisé d'Henri Lefebvre nous aide à préciser les tensions existant au sein même du rapport centre/rassemblement. Leur découplage s'expliquerait alors par la lutte existant entre les forces d'émiettement du marché et celles d'homogénéisation des pouvoirs publics. Ces derniers tentent vainement d'empêcher cette explosion du centre, mais ne parviennent qu'a renforcer les hiérarchisations sociales et symboliques par leur violence logistique. Le

II . La ville comme rassemblement

renforcement de cette hiérarchisation de l'espace éloigne de fait les activités et les publics qui ne possèdent pas les capitaux économiques, sociaux, culturels ou symboliques légitimes pour y être présent et conduit à la multiplication de formes de centre secondaires dans lesquels la pression est moins forte.

Dans ce cas, que recouvrent ces formes de centre et en quoi se distinguent-elles des centres périphériques différenciés relevant d'un urbain valorisés par l'auteur?