Le commentaire de l’auteur face au commentaire du juge III
5. Les réponses d’Étienne Dolet au tribunal ecclésiastique
On a dit que les questions posées par les juges au poète oscillent entre ses écrits et sa vie, l’élucidation de ses choix d’écriture et la mise au jour de ses opinions. Le procès inquisitorial d’Étienne Dolet, tel que les lettres de rémission qui lui sont accordées en juin 1543 le résument, permet d’observer plus en détail ce va‐et‐vient des griefs :
Luy mectant sus davantaige que par ses escriptz il semble mal sentir de l’immortalité de l’ame et sur ce auroit esté interrogé ensemble de sa vye et de ses meurs, adjoux‐
tant là dessus plusieurs propositions et questions de theologye et aultres qui sont au long et par le menu declairées ès interrogatoires qui luy ont esté faictz par lesd. in‐
quisiteur et officiers à l’instruction de son procès155.
Même si les soupçons des juges découlent bien d’une lecture des textes du préve‐
nu, l’interrogatoire se concentre sur sa « vie » et ses « mœurs », qui recèlent, plus que les pages imprimées, la vérité du crime ; après l’investigation des actes passés et des compor‐
tements habituels du suspect, on lui soumet « plusieurs propositions et questions de theologye » pour mettre ses croyances à l’épreuve : on regrette que la transcription de
154 Voir infra, p. 332 et suiv.
155 Documents d’archives sur Étienne Dolet, op. cit., p. 28.
l’interrogatoire ne nous soit pas parvenue, mais cela n’empêche de voir que le savoir spécialisé de l’Inquisiteur sert de grille de lecture et de révélateur pour faire apparaître l’idéologie supposée du texte poétique, ici un matérialisme excluant la vie dans l’au‐delà, ainsi que le naturel de l’auteur inculpé.
Soumis à un tel interrogatoire, le poète doit d’abord se justifier en s’adaptant au cadre théologique fixé par le juge. Dolet le fait en répondant de vive voix aux questions, et aussi en se référant à une première justification rédigée quelques années plus tôt pour fournir au commentaire de certains passages de ses livres lors d’une convocation devant le tribunal de l’évêché lyonnais :
Et quant à ce qu’il avoit esté enquiz de l’ame, […] il entendoit, comme encores il veult et entend, soustenir l’immortalité ; et que ainsi soit on le trouvera de mesmes en plu‐
sieurs passaiges des livres qu’il a composez ; et n’en a jamais parlé aultrement si ce n’a esté en recitant familierement par maniere de propos, et denya quelques opinions d’aucuns philosophes et aultres que l’on dict estre en Italye, non adhérant en quelque sorte que ce soit avec eulx. Et que au regard de ce mot fatum, dont il avoit appellé Fata Regis, il ne le prenoit sinon que pour une providence de Dieu et vouloir certain d’icelluy par lequel il nous afflige ou esleve selon son bon plaisir ; et jamais ne l’avoit entendu ny ne le vouloit entendre aultrement. Mesme en lad. année cinq cens trente huict ayant, comme dict est ci dessus, esté appellé pardevant l’official pour declairer comme il entendoit ce qu’il en avoit escript en sesd. Catho Chr[ist]ianus et Epigrammes, il en bailla sa déclaration veritable par escript signée de sa main, au moyen de quoy ne luy en fut plus depuys rien demandé156.
Le poète, juriste de formation, rejette les accusations en maniant la preuve litté‐
rale. Il convoque le témoignage de ses écrits et révoque le témoignage oral, tentant de minorer la valeur des conversations auxquelles il aurait participé. Il s’oppose à la tentative des juges qui essaient de faire émerger de sa poésie une philosophie condam‐
nable dérivée de l’enseignement de professeurs italiens, sans doute ceux qu’il a pu fréquenter, comme d’autres humanistes de sa génération, lors de son séjour d’études à Padoue et Venise157. Tous les livres cités dans l’interrogatoire, ouvrages poétiques compris, ainsi que le reste de la production religieuse de l’imprimerie Dolet seront d’ailleurs brûlés sur avis de l’Inquisition et sur l’ordre du Parlement de Paris en février 1544158. Mais l’auteur ne conteste pas le rapprochement entre des publications aussi
156 Ibid.
157 Voir H. Busson, Le Rationalisme dans la littérature française de la Renaissance (1533‐1601), Paris, Vrin, 1971 [1957], en particulier p. 52‐56 sur la doctrine de Pomponazzi, puis p. 76‐88 sur l’héritage padouan dans la littérature française de la génération de Dolet. Voir aussi les remarques introductives de C. Langlois‐Pézeret sur « La métaphysique de Dolet »dans les Carmina (1538), op. cit., p. 220‐244.
158 Voir Documents d’archives sur Étienne Dolet, op. cit., p. 59‐60.
différentes que le petit traité scolaire et religieux159 du Cato Christianus et son recueil de poésie lyrique et épigrammatique. Il estime qu’il vaut mieux se présenter en sujet obéissant et bien pensant plutôt que d’invoquer la singularité de son travail poétique, et c’est pourquoi il dissout dans une formulation chrétienne les connotations antiques de son vocabulaire de la destinée. Ce faisant, il pratique une forme de commentaire ; il commente ses textes160 et ses pensées, explique et donne à entendre : les multiples occurrences de ce dernier verbe, qui rappelle « l’entente » trahie de Villon, disent à la fois le sens attribué à certains passages (« comme il entendoit ce qu’il avoit escript », synonyme de « prendre » – « il ne le prenoit sinon que pour… ») et l’intention directrice de l’écriture (« il entendoit… soustenir », synonyme de « vouloir » – « il veult et tend161 »). L’interrogatoire l’amène donc à circuler entre ses textes en les raccordant au centre vital d’une personnalité fiable et dépourvue de mauvaises intentions.
Ce n’est que dans un dernier mouvement que l’écrivain et imprimeur fait valoir une dimension spécifique de son travail littéraire :
suppliant et requerant en tout evenement avoir esgard et considération ès choses qu’il pouroit avoir mis et escript en sesd. livres et epistres comme prote ou orateur par la necessité ou licence de la langue latine ou par imperitie et ignorance, qui est une commune malladye162.
159 Ce sont les mots de C. Longeon, « Le Cato Christianus d’Étienne Dolet » [1986], repris dans Hommes et livres de la Renaissance. Choix des principaux articles publiés par Claude Longeon (1941‐1989), Saint‐
Étienne, Institut Claude Longeon Renaissance‐Âge classique, Université de Saint‐Étienne, 1990, p. 283‐
291, citation p. 283.
160 Voir cette autre occurrence dans le même document : « apres avoir par luy baillé aud. official ses declarations par escript et exposition des vers de sesd. Epigrammes, l’official luy avoit dict qu’il se retirast… » Les termes utilisés méritent l’attention : « declarations » – que l’on a vu employé au singulier pour désigner le procès‐verbal signé par Nicolas Bourbon – et « exposition » peuvent s’appliquer à l’exercice du commentaire humaniste. On se désole de ne pas posséder le texte des
« déclarations » de Dolet sur ses poèmes, qui serait un document marquant de l’histoire littéraire du
XVIe siècle. Rappelons qu’Érasme a publié des Declarationes ad Censuras, op. cit. Sur ces mots de
« déclarations » et « exposition », voir J. Nicot, Thresor de la langue françoyse, 1606 : « Declaration : C’est exposition d’une chose obscure, Expositio, Interpretatio, Explicatio ». Pour leur usage dans les formules de titre des commentaires humanistes, voir par exemple le titre d’une section d’un recueil de commentaires des discours de Cicéron (Commentarii in Ciceronis Orationes, Venise, Pensi di Mandello, 1498, f. 2 r°) : Antonii Lusci Vicentini super undecim Ciceronis Orationes Expositio.
161 Pour ce dernier sens, étrangement absent du dictionnaire de Nicot en 1606, voir le Dictionnaire de l’Académie française, 1694 : « Entendre, veut dire encore, Vouloir, avoir intention. Je vous le promets, mais aussi j’entends, c’est à dire, Mon intention est. J’ay tousjours entendu que vous feriez cela. » Le dictionnaire français‐anglais de Randle Cotgrave publié à Londres en 1611 et numérisé par Greg Lindahl à partir du travail de la B.N.F. cite un exemple similaire, mais semble le rabattre sur le premier sens perceptif du verbe : « I’en feray comme ie l’entendray. I will doe as I see cause. »
162 Documents d’archives sur Étienne Dolet, op. cit., p. 29.
« Necessité ou licence de la langue latine » : l’expression combine de manière ha‐
bile l’idée d’une norme linguistique contraignante pour qui publie des textes en néo‐latin – ce qui renvoie au débat judiciaire sur le sens du mot fatum – et le souvenir de la liberté d’utiliser des termes rares et des néologismes, traditionnellement accordée aux poètes depuis Horace163. Les mots latins contraignent le faiseur de livres et lui échappent : ils sont porteurs d’une histoire qu’il ne peut pas tout à fait adapter aux normes de sa propre culture et dont il ne maîtrise jamais complètement les effets164. Le plaidoyer, dont la modestie peut sembler de circonstance tant elle détonne avec l’orgueil scientifique affiché par Dolet dans le reste de son œuvre, est bien sûr dicté par la menace de la condamnation, mais il exprime en l’espace de quelques mots une tentative cruciale : celle de soustraire un certain usage de la langue au domaine qualifié par le savoir théologique des juges165.
Mais pour que l’interprétation proposée par l’auteur au cours de son interroga‐
toire persuade les juges, il faut que l’auteur lui‐même soit perçu comme un interlocuteur crédible : l’efficacité du commentaire dépend en grande partie de la réputation du commentateur en procès166. Alors que les explications fournies par Dolet sur sa poésie en
163 Voir Horace, Art poétique, v. 51‐52 et 58‐59 : « …dabiturque licentia sumpta pudenter, / et noua fictaque nuper habebunt uerba fidem, si / Graeco fonte cadent parce detorto. […] /…Licuit semper licebit / signatum praesente nota producere nomen.–on nous accordera une licence prise de façon discrète, et de plus, ces termes nouveaux et de création récente trouveront crédit s’ils jaillissent d’une source grecque dont on les dérivera avec ménagement. […] Il a toujours été permis, il le sera toujours, de mettre en circulation un vocable marqué au coin du moment » (dans Épîtres, éd. F. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1989 [1934], p. 205). Notre deuxième partie explore les usages de la notion de licence poétique dans les réflexions des auteurs sur la censure, voir infra, p. 234 et suiv.
164 Cette résistance du vocabulaire latin classique à l’absorption dans les normes culturelles et religieuses des lecteurs chrétiens de la Renaissance est le point d’achoppement autour duquel se forme la querelle du cicéronianisme au tournant des années 1520‐1530, voir l’étude de J.‐C. Margolin,
« L’apogée de la rhétorique humaniste (1500‐1536) », dans Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, 1450‐1950, dir. M. Fumaroli, Presses Universitaires de France, 1999, p. 191‐257, en particulier p. 226‐235, et celle de M. Magnien, « D’une mort, l’autre (1536‐1572) : la rhétorique reconsidérée », ibid., p. 341‐409, en particulier p. 351‐361. Voir du même auteur l’introduction aux discours de Jules‐
César Scaliger, Orationes duae contra Erasmum, éd. M. Magnien, préf. J. Chomarat, Genève, Droz, 1999.
165 Sur la rupture opérée par Dolet « entre le domaine de l’éthique et la sphère proprement littéraire », voir M. Magnien, « D’une mort, l’autre… », art. cité, p. 354‐355.
166 N. Zemon Davis souligne la façon dont les lettres de rémission commencent toujours par mettre en avant la bonne réputation du prévenu, « bonne renommée et honneste conversacion » selon une formule récurrente sous la plume des secrétaires (Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au XVIe siècle, trad. C. Cler, Paris, Seuil, 1988 [Fiction in the Archives, Stanford University Press, 1987], p. 17). Voir le texte des lettres de rémission accordées à Dolet: « actendu mesmes que en toutes aultres ses actions et operations il s’est toujours bien et honnestement gouvernéet conduict, sans jamays avoir estéactainct d’aucun villain cas, blasme ne reproche… » (Documents d’archives sur Étienne Dolet, op. cit., p. 30). La
1538 avaient donné satisfaction à l’official, alors que son argumentaire qui faisait valoir humblement la spécificité de son travail de lettré avait été appuyé par le pouvoir royal dans les lettres de rémission de 1543, ses défenses ne convainquent plus personne lorsqu’il est à nouveau mis en procès quelques mois plus tard : le recueil de plaidoyers qu’il assemble alors sous le titre Le Second Enfer – référence plus ou moins avouée au grand poème judiciaire de Marot – comporte une traduction française d’un dialogue apocryphe de Platon (l’Axiochus) qui est condamnée par la faculté de théologie en novembre 1544 pour une simple négation apparemment sur‐traduite qui nierait la survie de l’âme après la mort ; la réputation d’athée et d’hérétique qui menace l’humaniste se trouve confirmée par la plus infime des preuves littérales. Ce n’est pas la seule preuve retenue contre lui dans cet ultime procès ; les livres religieux qu’on lui reproche d’avoir commercialisés en dépit de toutes les interdictions pèsent encore plus dans la balance : mais c’est bien son image de matérialiste militant et récidiviste, entérinée par les théologiens sur la base d’une seule « particule167 » extraite de son livre, qui lui vaut d’être exécuté sur le bûcher au terme de la procédure en août 1546. Bien loin de prendre en compte la « nécessité ou licence » des langues maniées par le traducteur, les « docteurs » qui examinent son ouvrage pratiquent une stricte comparaison linguistique terme‐à‐
terme dans leur traque du discours déviant :
Quant à ce dialogue mis en françoys intitulé Achiochus, ce lieu et passaige, c’est as‐
savoir « actendu que [après la mort] tu ne seras plus rien du tout », est mal traduict et est contre l’intention de Plato, auquel n’y a ny en grec ni en latin ces mots « rien du tout ». Mais y a seulement aud. Plato en grec « σῦ γὰρ οὐκ ἔσει » et en latin « tu enim non eris » qui est en françoys à dire « car tu ne seras plus ». En quoy appert qu’il y a grant difference entre ce que dict Plato et ce que dict le traducteur, car la propo‐
sition predicte, qui est en ceste traduction françoise, c’est assavoir « actendu que tu
grâce royale restaure justement la réputation et l’honneur du condamné : « de nostre plus ample grace, l’avons remis et restitué, remectons et restituons par ces presentes à ses bonne fame, vye et renommée »(ibid., p. 31).
167 Ce terme fait partie du lexique des examinateurs de la facultéde théologie, voir l’autorisation d’un livre de polémique religieuse en 1526 à l’exception d’une « particula » à corriger : « determinatum quod libri magistri nostri Petri Sutoris In anthicomaritas conuenienter possent imprimi, dummodo remouere‐
tur illa particula quod Beata Virgo est redemptrix et saluatrix humani generis. – Il a étédécidé que les livres de notre maître Pierre Cousturier Contre les anticomarites pourraient être imprimés convena‐
blement, à condition que fût enlevée cette particule que ‘‘la Vierge Marie est rédemptrice et sauveuse du genre humain’’ » (Registre des procès‐verbaux de la faculté…, op. cit., p. 113, § 121 A, 13 octobre 1526 ; il s’agit de l’Apologeticum in nouos anticomaritas…, Paris, [Pierre Vidoue pour] Jean Petit, 1526). Voir aussi l’emploi chez Robert Estienne de l’expression « particule exclusive » pour désigner une négation restrictive (Censures des theologiens, op. cit., f. 38 r°).
ne seras plus riens [sic] du tout », est dictum epicuraeum, conspirans errori Saduceo‐
rum168.
De façon révélatrice, « l’intention » de l’auteur grec sert à dénoncer celle du tra‐
ducteur français, qui lui ne peut faire valoir sa propre intention, pourtant évidente si l’on se reporte au titre qu’il a donné à son texte : « Deulx dialogues de Platon, Philosophe Divin et Supernaturel. Scavoir est, L’ung, intitulé Axiochus. Qui est des miseres de la vie humaine : et de l’immortalité de l’Ame. Et par consequence du mespris de la mort169. » Alors qu’il cherche dans la philosophie platonicienne de l’âme supérieure au corps un discours qui réconcilie les lettres antiques et les croyances chrétiennes, afin de justifier son œuvre humaniste aux yeux de ses détracteurs, Dolet se retrouve condamné, paradoxe cruel, pour avoir nié l’immortalité de l’âme. Ce renversement montre que ses juges, au mépris de la logique même du texte qui leur est soumis, orientent leur lecture vers le matérialisme qu’ils s’attendent à trouver chez cet auteur, le même matérialisme que l’Inquisiteur a signalé dans son œuvre poétique lors du procès de 1542. La possibilité d’un débat interprétatif avec le prévenu se referme sous le poids de sa mauvaise réputation, durcie par la répétition des poursuites qui le visent170.
Conclusion
Nous nous demandions comment lisent les juges. Les éléments de réponse que nous avons rassemblés nous amènent d’abord à considérer la place réservée à cette lecture dans l’élaboration de la décision de justice : les examinateurs n’ont pas le même rapport au texte qui leur est soumis selon qu’ils s’attendent ou non à ce que leur avis pèse sur le jugement final. Bien entendu, le degré d’articulation entre l’examen du texte et la sentence rendue sur les œuvres n’est pas immuable : les différents acteurs du procès essaient d’attribuer à la lecture un rôle plus ou moins déterminant, chacun selon son
168 Documents d’archives sur Étienne Dolet, op. cit., p. 70‐71, traduction des derniers mots latins : « un propos épicurien, qui va dans le sens de l’erreur des Saducéens. »
169 Le Second Enfer d’Estienne Dolet natif d’Orleans. Qui sont certaines compositions faictes par luy mesmes, sur la iustification de son second emprisonnement, Lyon, Dolet, 1544, f. D2. Voir la « Biblio‐
graphie », dans É. Dolet, Le Second Enfer, op. cit., p. 53‐54.
170 Voir la remarque de M. Clément : « c’est le fait d’être persistant dans l’erreur (pertinax) ou revenant à l’erreur (relaps), qui assure la plus grande sévérité à l’égard des hérétiques » (« Les Bûchers de l’humanisme », dans Étienne Dolet, Le Second Enfer. Autodaféd’un choix, Paris, Éditions Artulis, 2012, texte mis en ligne sur dolet.editionsartulis.fr, consulté le 22 juin 2015). La rechute qui fait de Dolet un
« relaps » tient ici à ses nouvelles impressions de livres religieux, mais les théologiens tentent de démontrer la rechute à l’œuvre dans les textes sortis de la plume de l’humaniste.
intérêt. On dira donc que la lecture des œuvres suspectes est tributaire des circonstances politiques du procès produites par le croisement des intérêts en jeu. Ainsi – même s’il peut sembler caricatural de le dire – la volonté du roi a un fort impact sur la condamna‐
tion ou l’acquittement d’un livre : en 1538, le Cymbalum mundi est interdit sans que les examinateurs de la Sorbonne y aient trouvé des preuves manifestes d’hérésie, parce que François Ier a donné l’impression d’être hostile à l’ouvrage ; cinquante ans plus tard, la politique de conciliation d’Henri III permet à Louis Dorléans d’échapper aux poursuites alors que son poème, selon l’avis de deux juristes, contient des preuves de lèse‐majesté.
Dans les deux cas, malgré l’application ou le zèle des examinateurs, l’examen du texte n’a pas eu les conséquences judiciaires attendues.
L’influence du roi sur la procédure permet de constater clairement que les cir‐
constances politiques sont modifiables par les acteurs : l’insoumission de Pierre Desgais semble avoir empêché Henri III de profiter de cette affaire pour se montrer clément à l’égard du parti protestant ; Berquin, Dolet ou Estienne ont tous trois réussi à mobiliser le soutien du roi à leur profit, avant que les parties les plus conservatrices de l’appareil judiciaire ne renversent la situation pour obtenir la condamnation des deux premiers et contraindre le troisième à l’exil. Là encore, les conclusions des différents procès ont varié indépendamment des résultats de la lecture des juges. Mais l’orientation politique de la procédure n’est pas seulement affaire d’influence extérieure, à commencer par celle du roi et de son entourage sur les membres du tribunal ; la situation politique se crée aussi dans le for intérieur des juges. Quand on voit différents livres de poésie dévote faire l’objet des mêmes poursuites en dépit de leurs divergences doctrinales, quand on voit que l’examinateur de l’Axiochus traduit par Dolet s’acharne à trouver du matérialisme dans un dialogue sur l’immortalité de l’âme, quand on voit le chanoine de Lille confis‐
quer les pièces de théâtre des rhétoriciens alors qu’il n’y trouve rien à redire, on com‐
quer les pièces de théâtre des rhétoriciens alors qu’il n’y trouve rien à redire, on com‐