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Les règles d’allocation et les distorsions des incitations

Chapitre II : Le SCEQE – nouvelle contrainte pour les investissements

2.3 Les règles d’allocation et les distorsions des incitations

La méthode d’attribution des permis devrait être indifférente à l’efficacité économique d’un système cap & trade parce que les échanges permettent aux acteurs du marché de trouver les opportunités de

réduction au moindre coût. Ce résultat est dû à Montgomery (1972) dont l’hypothèse implicite est que l’allocation doit être basée sur une référence fixée, historique. Les systèmes américains de cap and trade pour le SO2 et NOX ont suivi ce modèle (Ellerman et al., 2000). Les allocations ont été distribuées durant plus d’une décennie en utilisant les volumes de production historiques ; l’allocation est restée fixe indépendamment de l’opération subséquente, de l’investissement ou même de la fermeture de la centrale.

Cependant, le SCEQE est initialement caractérisé par des périodes courtes d’allocation : d’abord trois ans, ensuite cinq ans. De plus, plusieurs études indiquent que l’attribution des permis aux installations existantes est basée sur les informations récentes relatives aux émissions, c’est-à-dire avec une mise à jour de référence (Buschner et al., 2006 ; Rogge et al., 2006 ; Matthes et Neuhoff, 2008). Le processus d’allocation, qui a prédominé dans le SCEQE-1, ne ressemble donc pas à celui du pure grandfathering et reste plutôt contingent des décisions actuelles de production, d’investissement et de fermetures. Les producteurs peuvent donc former des anticipations sur comment leur comportement actuel influencera les décisions des autorités pour les allocations futures (cf. Encadré 8). Ce phénomène de comportement stratégique est souvent évoqué comme un problème de strong early action – la réduction des émissions trop tôt réduit l’allocation future. Par conséquent, ces anticipations sur les allocations futures des permis peuvent distordre les décisions actuelles (Neuhoff et al., 2006 ; Neuhoff et al., 2006a). La continuation avec le grandfathering séquentiel implique que la réduction importante des émissions peut être déplacée indéfiniment. Le grandfathering avec mise à jour de la référence ébranle sérieusement les incitations pour la réduction des émissions (Burtraw et al., 2002 ; Egenhofer et al., 2006 ; Ellerman, 2006).

Encadré 8 : L’impact de la mise à jour de la référence sur la courbe de coût marginal de réduction (CCMR)

Les benchmarks ont été souvent proposés comme une solution pour réduire les distorsions provenant de grandfathering séquentiel. Selon ce critère, le volume des permis attribué n’est pas lié aux émissions historiques d’une centrale, mais plutôt à sa production. La production est multipliée par le facteur de benchmark (la moyenne des facteurs d’émissions d’une industrie ou bien les émissions

d’une meilleure technologie disponible (BAT)) afin de déterminer l’allocation gratuite des permis. Par exemple, la production d’électricité d’une centrale est mesurée dans une année de référence puis multipliée par les émissions que produit une BAT par unité d’électricité afin de déterminer l’allocation gratuite des permis. De cette façon, l’opérateur à une incitation à améliorer l’efficience de centrale mais seulement si la référence reste fixe.

L’inconvénient de ce mode est qu’il est basé sur une variable qui peut être manipulée par l’entreprise si l’année de référence est mise à jour. Les entreprises peuvent donc être incitées à produire davantage quand elles sont soumises à un tel marché, pour obtenir plus de permis. Elles produiront donc au delà du niveau de production socialement efficace, puisqu’en produisant une unité additionnelle de bien, les entreprises gagneront non seulement le prix du marché de ce bien mais aussi le prix des permis additionnels obtenus (Fischer, 2001).

Pour illustrer ces distorsions prenons l’exemple des allocations proposées aux centrales thermiques de PNAQ 2 en Allemagne. Les centrales thermiques reçoivent les permis dans la période 2008-2012 d’une manière proportionnelle à la production moyenne de la période de référence de 2000-2004. Le PNAQ 2 indique également qu’une méthode similaire avec mise à jour de la référence sera appliquée pour le SCEQE-3. Le Tableau 7 illustre ce que les producteurs peuvent penser si la même démarche d’allocation est gardée pour la prochaine phase du SCEQE-3. Supposons que l’opérateur d’une turbine à gaz à cycle combiné (TGCC) émette 0,4 tCO2/MWh et que le prix des permis en 2008 est de 25 €/tCO2. Le coût (d’opportunité) pour émettre le CO2 de cette unité est de 10,1 €/MWh. Cependant, si le PNAQ 2 actuel allemand reste tel quel, les unités efficientes au gaz

recevront un taux d’allocation de benchmark de 0,2921 pour la production moyenne d’électricité dans

la période de référence pour la période de 2013-17 (cf. Tableau 7). Avec l’hypothèse d’une augmentation du prix du carbone de 2 % par an (en terme réels) et que la firme actualise la valeur d’allocation future de 10 %, la valeur des permis dans la période 2013-17 est en moyenne de 13,84 € et la valeur d’allocation future de 4 €/MWh. Si on soustrait cette valeur aux coûts actuels, l’opérateur

prendra en compte les coûts d’opportunité de 6 €/MWh de l’électricité produite. Le signal prix du CO2

du SCEQE sera sapé d’environ 40 %. En plus, la différence entre les coûts environnementaux des unités de gaz et de charbon est réduite par ce type d’allocation de 11,1 €/MWh (21,2-10,1) à 6,8 €/MW (12,8-6). Cela pourrait favoriser, en fonction des prix des énergies primaires, la poursuite du fonctionnement au charbon plutôt que le changement vers le gaz dans la période de 2008-12, ce qui peut conduire à l’augmentation des émissions. Néanmoins, comme le quota des émissions est fixé, cette augmentation des émissions mènera également à la hausse de prix du carbone.

1

En prenant en compte les dispositions établies dans le PNAQ 2 allemand – le benchmark de 365 EUA/GWh, l’ajustement 0,83 pour les enchères et un autre ajustement basé sur l’ajustement d’efficience de cap global – cela conduit à une allocation de 80 % du benchmark de 365 EUA/GWh (ou 0,292 EUA/MWh).

Tableau 7 : L’allocation basée sur la production avec la mise à jour de référence Taux

d'émission

Coût d'opportunité

tCO2/MWh €/EUAa €/MWh EUA/MWh €/tEUAd €/MWhd €/MWh

Gaz 0.403 25.0 10.1 0.292 13.8 4.0 6.0 Charbon 0.846 25.0 21.2 0.600 13.8 8.3 12.8 Non fossile 0.000 25.0 0.0 0 13.8 0.0 0.0 Coût de permis (=coût de CO2) Allocation future (2013-17) Benchmarkb Valeur Actualisée futurec

a - EUA (European Union Allowance) - nom des droits d'émission de l'Union Européenne ; b - avec l'hypothèse de benchmark de 356/750 EUA/GWh pour le gaz/charbon et le facteur d'ajustement de 0,8 ; c - le prix du carbone augment de 2 % et le taux d'actualisation est de 10 % ; d - en prix de 2008.

Source : d’après Matthes et Neuhoff, 2008

Cet exemple illustre que le benchmark basé sur la production avec mise à jour de la référence réduit les coûts d’opportunité des centrales thermiques et peut distordre le choix entre les combustibles. Ainsi, si le benchmark parvient à protéger certains secteurs ou opérateurs du prix du carbone, ces derniers continueront à investir dans les technologies intensives en carbone et augmenteront leurs émissions (Harrison et Radov, 2002).

Une différenciation de benchmarks (e.g. par fuel, processus ou taux d’utilisation) implique aussi le financement supplémentaire d’installations particulières et diminue davantage le potentiel d’économie de coût du SCEQE puisque les incitations d’adoption et d’innovation sont limitées aux sous-groupes (Schleich et al., 2007). Jusqu'ici, seulement le Danemark, le Luxembourg, la Suède, le Royaume Uni, les Flandres et la Wallonie en Belgique ont appliqué des benchmarks uniformes pour la

production d’électricité (e.g. 265 g CO2/kWh en Suède). Or, les benchmarks uniformes créent les

incitations les plus importantes pour investir dans des technologies les moins émettrices.

2.3.1 Les règles pour les sortants

En général, la fermeture d’une installation peut être traitée de deux façons : l’allocation peut être

terminée ou elle peut être continuée. Les sortants dans le programme américain de SO2 peuvent

garder leurs allocations pour toute la période du programme, alors que la règle la plus commune dans les PNAQ 1 et 2 des Etats membres est de reprendre les permis si l’activité économique d’une installation est réduite ou si l’installation se ferme. Or, le retrait des permis des installations fermées résultent en des inefficacités économiques et des désincitations pour les nouveaux investissements comme expliqué ci-dessous (Schleich et Betz, 2005 ; Neuhoff et al., 2006).

L’argument principal pour ne pas modifier l’allocation en cas de réduction d’activité économique, voir sa fermeture, est que « cela préserve les incitations correctes pour que les firmes individuelles considèrent les coûts privés financiers des ressources comme équivalents au coût d’opportunité social lors d’une prise de décision en matière de changement d’activité économique, minimisant par ce biais le coût global social » (Ahman et al., 2007). Si l’allocation est gardée intacte, le propriétaire d’une installation considèrera l’investissement et les décisions opérationnelles seulement sur la base des coûts d’opportunité – le coût marginal de production incluant le prix des permis d’émission. S’il est profitable de fermer l’installation pour l’opérateur et de transférer ou de vendre les permis à une

installation plus efficace, cela constituera la solution efficace correspondant à l’effet attendu du système d’échange, toutes choses égales par ailleurs (Ahman et al., 2007).

L’important est que la décision ne soit pas dépendante de l’existence d’une allocation gratuite. Quand cela est le cas, les incitations à l’adoption et à l’innovation se modifient car la perte d’allocation se traduit en un coût d’opportunité additionnel qui affecte les décisions de production. Par conséquent, la firme ne maximisera pas son profit seulement en fonction du coût de production et du prix de marché de ses produits ; elle prendra également en compte la valeur d’allocation qu’elle perdra si elle arrête de produire. Une allocation qui dépend de la poursuite de l’opération agit comme une subvention à la production par la valeur de l’allocation. Si l’allocation s’arrête lors de la fermeture, les anciennes installations peuvent fonctionner plus longtemps et les nouveaux investissements plus propres peuvent être reportés puisque les coûts d’opportunité des sortants ne sont pas correctement valorisés.

Plusieurs auteurs s’accordent sur le fait que les allocations ne doivent pas être ajustées si l’installation est fermée dans le but d’assurer l’efficacité économique (Betz et al., 2004 ; Harrison et Radov, 2002 ; Ellerman, 2006 ; Ahman et al., 2007). Il est difficile cependant d’envisager que les gouvernements peuvent allouer des permis aux anciens propriétaires des centrales qui n’existent plus. Premièrement, l’allocation des ressources publiques sans aucun bénéfice tangible serait difficile à expliquer au public. Deuxièmement, les anciens propriétaires sont peu importants dans le processus de négociation, alors que les émetteurs restants peuvent menacer de fermetures et donc de pertes d’emploi, d’innovation potentielle et de croissance future.

Certains Etats membres (e.g. Allemagne, Italie, Autriche et Pologne) ont donc introduit des règles de transfert (transfer rules) qui permettent aux opérateurs, dans le cas de nouveaux investissements, de transférer les permis à la nouvelle installation. Les effets incitatifs d’une telle règle ressemblent à ceux qui permettent de garder les permis après la fermeture, mais cette règle augmente tout de même la complexité du système. Bode et al., (2005) montrent que la règle de transfert en Allemagne a établi une discrimination contre les nouveaux entrants et impliqué des profits significatifs pour les opérateurs historiques. Ainsi, les règles autrichiennes indiquent de façon explicite que la nouvelle installation doit avoir le même propriétaire que celui de l’ancienne installation. La règle réduit donc les chances d’entrer sur le marché des nouveaux investisseurs.

2.3.2 Les règles pour les entrants

Dans les systèmes de permis d’émissions, les nouveaux entrants peuvent acheter les permis sur le marché ou lors d’enchères spécifiques, ou ils peuvent les recevoir gratuitement d’une réserve spéciale. La logique du système tend plutôt vers l’achat des permis pour tout nouveau projet, au prix du marché puisque les décisions d’investissements peuvent être basées de cette façon sur les coûts sociaux complets (i.e. le coût privé plus le coût environnemental). L’achat des permis sur le marché ou aux enchères fournit également des incitations monétaires importantes pour adopter des technologies plus propres, dans la mesure où ces technologies diminuent l’achat des permis (Milliman et Prince, 1989). En revanche, l’allocation gratuite crée des subventions pour les investissements (et la

production polluante), ce qui augmente donc le coût total pour la société de la satisfaction des objectifs climatiques (Spulber, 1985). Pourtant, les PNAQ 1 et 2 Européens retiennent « la réserve

pour les nouveaux entrants »1 afin d’allouer gratuitement les permis aux nouveaux projets

d’investissement sur la base du principe « du premier arrivé, premier servi » (first-come-first-served)2.

Les différentes règles d’allocation influencent différemment les décisions d’investissement. Néanmoins, l’aspect qui les lie est que l’allocation attribuée seulement aux centrales émettrices en CO2, que se soit à partir du charbon ou du gaz naturel, réduira les coûts d’investissement de ces dernières par rapport aux choix des technologies zéro-carbone, comme les renouvelables ou le nucléaire. Ceci peut conduire à une capacité de production émettrice de CO2 plus importante par rapport à ce qui aurait été le cas autrement (Ellerman, 2006).

Néanmoins, la valeur des permis alloués en relation avec les autres coûts devrait être appréhendée afin de déterminer son importance pour les décisions d’investissements. « Si l’allocation représente une source importante de revenus pour une installation et si la valeur d’allocation dépend des décisions d’investissements, l’allocation influencera probablement les décisions prises par les investisseurs » (Ahman et Holmgren, 2006). Selon plusieurs calculs effectués, l’allocation pour le nouvel entrant constitue en effet une source importante de revenu pour l’opérateur d’installation (voir Ahman et Homgren, 2006 ; Ellerman, 2006). L’exemple suivant permet de donner un ordre de grandeur. Le PNAQ Danois indique explicitement l’allocation perçue par un nouvel entrant : 1,170 EUA/MW de capacité installée. Ce chiffre est basé sur une turbine à gaz à cycle combiné (TGCC) qui fonctionne 5 000 heures par an avec 60 % d’efficacité. Avec le prix du CO2 à 20 €, la valeur annuelle d’allocation est de 34 200 €. L’estimation raisonnable du coût du capital se situe alors aux alentours de 600 €/kW. Avec un taux annuel de dépréciation du capital et d’intérêt de 15 %, la récupération annuelle de capital nécessaire est de 75 000€. Ainsi, presque la moitie de ce montant est compensée par l’allocation au nouvel entrant. Il est donc très probable que l’allocation influence les décisions d’investissement, ainsi que la compétitivité des firmes et des technologies. Ahman et Holmgren (2006) font cependant remarquer que pour disposer d’une évaluation complète de l’influence des allocations sur les décisions d’investissements, les facteurs comme l’horizon

1

Bouttes et Trochet (2004) substituent le « terme ambigu et impropre des nouveaux entrants par celui de nouveaux projets ». Il s’avère que ces réserves sont disponibles pour toutes les nouvelles installations émettrices, mais devraient en principe être probablement utilisées par les opérateurs historiques plutôt que par les nouveaux entrants.

2

Neuhoff (2008) justifie l’allocation gratuite aux nouveaux entrants sur la base de trois motifs. Premièrement, afin d’assurer le traitement équitable de tous les agents pollueurs, les nouveaux entrants doivent également obtenir des allocations gratuites. En l’absence d’allocations aux nouveaux entrants, il serait difficile de justifier les allocations importantes aux installations existantes. Deuxièmement, afin d’éviter les risques que les nouveaux entrants ne puissent pas acquérir un montant suffisant de permis sur le marché, il faut allouer aux nouveaux entrants (et afin de repousser la nécessité pour les enchères). Si le système des enchères n’est pas opérationnel, les nouveaux entrants doivent acheter leurs permis aux autres agents pollueurs. Cependant, il est probable que ces agents exercent un pouvoir de marché ou ne s’engagent pas dans les échanges, ce qui limiterait donc l’entrée. Troisièmement, pour compenser certaines des distorsions entraînées par les règles de fermeture. Etant donné que les provisions de fermeture créent des incitations à conserver les vieilles centrales en opération, les nouveaux émetteurs doivent également être subventionnés afin de s’assurer que les firmes remplacent les vieilles centrales.

d’allocation court (3-5 ans), les coûts variables et les autres facteurs du marché doivent être pris en compte également.

En conclusion, les règles sur les fermetures et les nouveaux entrants interagissent et influencent les décisions de fermeture et d’investissement. La décision de retirer l’allocation de l’installation en fermeture ou de l’allouer à la nouvelle installation seulement si l’installation est opérationnelle crée un avantage pour cette installation. De telles politiques créent des subventions à la production, avantagent les entrées et ne facilitent pas les sorties des technologies polluantes.