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Le contexte de libéralisation et les investissements

Chapitre I : Les investissements dans le secteur electrique et leurs impacts sur

2.2 Le contexte de libéralisation et les investissements

Le progrès technique a cependant remis en question l’existence systématique de rendements d’échelle aux divers stades de la chaîne qui va du producteur au consommateur. Il a également mis en évidence que la séparation des activités de transport et de production était possible à condition de pouvoir surmonter les difficultés institutionnelles à un coût de transaction raisonnable (Joskow et Schmalensee, 1983). Les activités de transport restent cependant dans une position comparable à

est faible (e.g. les heures creuses), il payera un prix réduit. La tarification au coût marginal déplace en partie la demande de pointe vers la base, permet d’élever le taux d’utilisation de l’ensemble des capacités installées et se traduit par une économie sur les investissements et la production de pointe.

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Ainsi, l’application de cette tarification conduit à des « subventions croisées », le consommateur captif payant pour le consommateur qui peut s’échapper. De fait, les subventions croisées sont largement mises en œuvre par les monopoles de réseau intégrés verticalement afin de refermer quelque peu l’éventail de prix qui résulterait d’un strict respect des coûts marginaux. La pratique veut que le service final soit vendu au-dessus de son coût alors que le prix d’utilisation de l’infrastructure (transport et distribution) est fixé en deçà ; ou encore, les consommateurs en heures creuses payent en partie pour les consommateurs en heures pleines ; les usagers des zones denses payent en partie pour ceux des zones dispersées : les clients professionnels payent en partie pour les clients domestiques. Ces distorsions sont considérées comme nécessaires à l’équilibre financier d’un service public efficient et comme des mécanismes de péréquation des services publics (Angelier, 2007).

celle de monopoles naturels et, par conséquent, devraient être régulées1. En revanche, la production et la fourniture de l’électricité pourraient être progressivement ouvertes à la concurrence.

Les critiques adressées aux anciens monopoles privés ou publics intégrés, qui ont été accusés

de dérive bureaucratique, de subventions croisées injustifiées ou de « capture », au sens de Stigler2,

des autorités de tutelle chargées de les contrôler, ont également favorisé le processus d’ouverture à la concurrence (Percebois, 2003, 2004a). Dans les pays en développement, la critique bureaucratique est le plus souvent mise en avant pour justifier l’ouverture à la concurrence et la privatisation de l’industrie du gaz et de l’électricité. En Europe, c’est davantage le souci de construire un « marché unique » qui prédomine.

Le marché commun européen, inscrit dans le traité de Rome de 1957, se concrétise progressivement et appelle une autre organisation des industries électriques nationales des Etats membres. Les directives européennes de décembre 1996 et de juin 2003 demandent à chaque pays membre de mettre en place un marché intérieur de l’électricité, là où fonctionnaient des quasi-monopoles publics, et d’établir des règles communes de fonctionnement en vue de la constitution à venir d’un marché électrique européen intégré (Directives 96/92/EC et 2003/54/EC). En général, la libéralisation nécessite une ou plusieurs étapes consécutives : la restructuration du secteur (en séparant les activités intégrées verticalement et en diminuant leur concentration horizontale), l’introduction de la concurrence dans la production et la fourniture, la réglementation incitative des réseaux de transport, l’établissement d’un régulateur indépendant et la privatisation, ou l’ouverture du capital3 (Newberry, 2002).

Dans l'ensemble de l'Union européenne, un marché intérieur concurrentiel de l'électricité se met progressivement en place depuis 1999-2000, et ce en quatre étapes (Percebois, 2004a) :

1) l’accès au consommateur : c’est d'abord l'éligibilité progressive des consommateurs, c'est-à-dire la possibilité pour chaque consommateur de choisir son fournisseur ; au 1er juillet 2004

c’était le cas pour tous les professionnels et au 1er juillet 2007 pour tous les consommateurs

finaux ;

2) l’accès aux « infrastructures essentielles : c'est simultanément la possibilité pour chaque fournisseur et chaque consommateur d'accéder aux "infrastructures essentielles" que

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Une industrie de réseau est une activité organisée sur une infrastructure lourde, c'est-à-dire une activité pour laquelle le montant des coûts fixes est relativement élevé par rapport à celui des coûts variables. Ce réseau aura souvent le caractère d'un "monopole naturel" car sa duplication aurait un coût exorbitant. L'existence de rendements d'échelle croissants (voire d'économies d'envergure) justifie la présence d'une seule entreprise (Percebois, 1997).

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Les monopoles concessionnaires de service public bénéficient d'asymétries d'information qui leur permettent de "capturer" le régulateur chargé de les contrôler (Stigler, 1971). Le régulateur ne dispose pas d'informations suffisantes pour contrôler valablement le monopole ; non seulement le contrôlé réagira au contrôle, mais il cherchera aussi à influencer les règlements et le comportement des contrôleurs. L'objectif pour le concessionnaire est de créer une situation protégée sous couvert de l'intérêt général. La "théorie de l'agence" insiste sur la difficulté à avoir des relations équilibrées entre le principal et l'agent et sur le fait que le régulateur finit souvent par prendre la défense des intérêts des agents qu'il est chargé de contrôler.

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Cependant, l’ouverture du capital (partielle ou totale) ne constitue pas une exigence de Bruxelles. Elle relève de décisions nationales et s’explique largement par le souci d’accentuer la compétition à travers la privatisation.

constituent les réseaux de transport et de distribution d'électricité, moyennant des péages régulés fixes selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires. Ces réseaux constituent des monopoles naturels et doivent être gérés par des opérateurs « indépendants » de l’opérateur historique ;

3) l’accès à la ressource physique : c'est ensuite, parfois, au niveau de certaines législations nationales, ou au coup par coup à la demande de la Commission européenne, l'obligation pour les opérateurs historiques de procéder à des "rétrocessions de capacité", ce qui revient à limiter la part de marché. L'accès des entrants à la ressource "puissance installée" peut se faire soit en installant des capacités nouvelles soit en rachetant aux enchères des capacités

cédées par les opérateurs historiques, connu sous le nom de VPP (virtual power plants)1 ;

4) l’accès à la flexibilité : l’ouverture à la concurrence, en multipliant le nombre d’opérateurs présents sur le marché, introduit une incertitude sur la part de marché de chacun et se traduit par une volatilité plus grande de l’électricité. Il faut donc du même coup faire appel à des mécanismes d’ajustement de l’offre et de la demande, ce qui revient à créer des marchés spot dans lesquels chacun pourra intervenir. Le développement de ces marchés spot s’accompagne alors inéluctablement de la mise en place de mécanismes de couverture des risques via les marchés financiers de produits dérivés (forwards, futures et options).

Le but recherché avec l’adoption de cette nouvelle organisation est d’abaisser les coûts, d’accélérer les changements techniques, de transférer les baisses de coûts et les améliorations techniques aux consommateurs. Ces derniers devraient ainsi connaître une réduction des prix et une meilleure qualité du service rendu (Angelier, 2007). Compte tenu de l’importance d’une nouvelle vague d’investissement dans un futur proche et des trajectoires d’émissions consécutives, la section suivante analyse l’encadrement des investissements de production dans un marché électrique concurrentiel du type de celui recherché par les autorités européens.

2.2.1 Les décisions d’investissement dans un modèle du marché

En théorie, sur un marché de l’électricité en concurrence, le prix spot, qui équilibre l’offre et la demande d’électricité pour une période donnée (heure, demi-heure, etc.), envoie des signaux et donne des incitations qui permettent un investissement optimal sur le court et le long terme (Caramanis, 1982). Si le dispatching est optimal, alors les coûts marginaux sont supérieurs aux coûts variables moyens d’exploitation. Les prix doivent permettre aux producteurs de gagner des revenus nets qui soient supérieurs aux charges d’exploitation et la différence doit leur permettre de récupérer leurs charges de capital. Les investissements sont faits jusqu’à ce que le dernier MW investi perçoive un revenu net dont la valeur actualisée est égale au coût incrémental du nouvel investissement. Un

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Les centrales virtuelles (VPP) correspondant à des droits de tirage pour la quantité de puissance acquise lors des enchères. Le prix atteint par l'enchère est celui d'une prime fixe mensuelle (par MW) pendant habituellement 2 à 36 mois. Il donne droit d'appeler la centrale lorsque l'acquéreur le souhaite afin de vendre les kWh produits à ses clients ou sur le marché spot.

système électrique optimal doit permettre aux producteurs de dégager des revenus nets égaux aux charges de capital et d’exploitation (Schweppe et al., 1988)

Le processus de décision d’investissement commence par une comparaison des coûts des différents moyens de production à travers la détermination du mix optimal. Les courbes de « screening » sont une méthode simplifiée qui permet de comprendre les variations du coût total d’une centrale en fonction de sa durée de fonctionnement annuelle. Elles permettent de déterminer la durée optimale de fonctionnement pour les différents moyens de production en fonction de leurs coûts fixes et variables. L’ordonnée à l’origine de la courbe de coût correspond aux coûts fixes de l’unité de production et la pente sur les coûts variables.

Graphique 6 : Les courbes de « screening »

a. b.

Source : d’après Hunt, 2002

Le Graphique 6a illustre les périodes optimales de fonctionnement pour deux technologies. Une

technologie à coûts fixes faibles, Fa, et à coûts variables élevés, Va, et une technologie à coûts fixes

élevés, Fb, et à coûts variables faibles, Vb. La durée de fonctionnement de « coupure » est située à l’intersection entre les deux courbes de coût total. Il apparaît en effet plus économique de faire fonctionner les unités avec des coûts (Fa,Va) jusqu’au point X et les unités avec des coûts (Fb,Vb) au-delà de ce point. Si une technologie ne doit jamais fonctionner, elle doit être éliminée des courbes de « screening ». On dit que cette technologie est dominée (elle a des coûts fixes et variables supérieurs à une autre technologie). Le Graphique 6b montre un exemple de technologie dominée. La technologie avec des coûts (Fb,Vb) est dominée sur toutes les durées d’utilisation, il n’y a pas d’intersection entre les deux courbes de coûts.

Dans une approche « pure » par le marché, la demande est suffisamment élastique aux prix pour que les consommateurs réduisent leur consommation quand les prix augmentent. L’offre et la demande sont toujours en équilibre. Si le marché permet d’éviter les défaillances en rationnant les consommateurs par le jeu des prix, le système ne connaît aucun problème de fiabilité. La capacité optimale est déterminée par la valeur que les consommateurs accordent au service fourni durant les heures de pointe où les prix sont très élevés, les investissements nécessaires étant alors réalisés en conséquence.

2.2.1.1 La décision d’investissement

Le Graphique 7 décrit le processus de décision d’investissement relatif à différents types de centrales, en utilisant des monotones de puissances et de prix employées fréquemment dans l’industrie électrique. Une monotone des puissances (load duration curve) et une monotone des prix (price duration curve) peuvent être construites pour une région donnée en triant les 8760 demandes horaires d’une année de la plus haute à la plus basse. Elles indiquent la durée et le prix pendant laquelle la demande dépasse un certain niveau (X heures ou bien X % du temps total soit 8760 heures).

Graphique 7 : La décision d’investissement sur un marché en concurrence

La décision d’investissement dans une centrale de pointe (e.g. centrale de gaz)

Une centrale à coûts fixes F et coûts variables V sera économique tant que la rente de rareté1 collectée est suffisante pour couvrir ses coûts fixes et ses coûts variables.

Une centrale de pointe avec des coûts fixes Fa et des coûts variables Va, sera économique si la rente

de rareté collectée durant les heures d’extrême pointe (« super-peak », W) est suffisante pour couvrir les coûts fixes Fa et les coûts variables Va. C'est-à-dire quand :

Rente de rareté = (P –Va) * (W) = Fa.

avec P le prix durant ces heures de pointe2 qui indique la quantité de centrales de pointe : P * (W) = Fa

+ Va * (W)

La décision d’investissement dans une centrale de semi base (e.g. centrale de

charbon)

Des unités additionnelles de pointe vont être construites jusqu’au niveau (X heures) où les centrales de semi base sont attirées dans le marché (leur rente de rareté est suffisante pour couvrir leurs coûts fixes Fb). Comme Va devient le prix durant la période de temps où la centrale de pointe devient la centrale marginale, la rente de rareté est :

Rente de rareté = Fa + (Va–Vb) * X = Fb.

Donc le point d’entrée pour une centrale de semi base est : Fa + Va * X = Fb + Vb * X.

La décision d’investissement dans une centrale de base (e.g. centrale nucléaire)

Les centrales de semi base seront construites jusqu’au niveau (Y heures) où les centrales de base deviennent viables. Les investisseurs en base procéderont à une analyse de la profitabilité pour évaluer si la rente de rareté collectée sur la période où les centrales de pointe et les centrales de semi base sont les centrales à la marge peut couvrir leurs coûts fixes.

Rente de rareté = Fb + (Vb – Vc) * Y = Fc,

et le point d’entrée pour une centrale de base est : Fb + Vb * Y = Fc + Vc * Y

Quand le parc de production inclut la bonne quantité de chaque type d’unité (base, semi base et pointe), ces dernières récupèrent exactement la somme de leurs coûts fixes et de leurs coûts variables. S’il y a trop de capacités de pointe relativement aux capacités de base, les prix seront élevés pour une fraction prolongée de temps dans l’année. Ceci crée et augmente les gains pour les capacités de base au-dessus de leurs coûts, en envoyant le signal que plus de capacité de base sont

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La rente de rareté ou infra marginale est le profit à court terme calculé comme une différence entre les revenus et les coûts opérationnels. Pour une discussion plus élaborée sur la définition de ces termes dans le contexte des marchés électriques, voir Stoft (2002).

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Le modèle théorique suppose que la demande est suffisamment élastique au prix pour que toute défaillance soit évitée.

nécessaires (cf. Green, 2008). Les prix spot doivent refléter les déséquilibres du mix pour envoyer un signal aux investisseurs comme nous le montrons dans la section suivante.

2.2.1.2 Le signal prix

Le prix spot fournit une information sur le futur par rapport au coût marginal de long terme. Quand la capacité de production est insuffisante, les prix spot vont avoir tendance à être fréquemment élevés et, selon Schweppe et al., (1988) vont donner un signal aux consommateurs. Une variation de la demande ou des prix des combustibles se reflétera dans les prix spot pour signaler aux investisseurs le besoin pour des investissements additionnels en capacité de production. Par exemple, en partant

d’une situation d’optimalité du mix, une augmentation des prix du gaz ou des prix du CO2 va créer une

rente en faveur des centrales nucléaires (dont la capacité reste inchangée).

Un marché concurrentiel envoie donc un signal sur le court terme qui doit refléter les déséquilibres du mix de production. Ce signal prend la forme d’une rente ou d’une perte et doit indiquer aux investisseurs les besoins (ou les surplus) d’investissement. Sur le plus long terme, les investisseurs doivent avoir des incitations à corriger les déséquilibres du mix afin d’obtenir un équilibre de long terme où le coût marginal de court terme (CMCT) est égal au coût marginal de long terme (CMLT). Le CMCT se réfère au coût de la production incrémentale (coûts proportionnels), alors que le CMLT se réfère au coût incrémental de production sur une longue période, c'est-à-dire incluant les coûts fixes, mais actualisé. Schweppe et al., (1988) ont montré que les conditions pour obtenir un investissement optimal, du point de vue de la société, sont caractérisées par la règle suivante : les investissements sont faits jusqu'à ce que le dernier MW de capacité d’investissement récupère un revenu espéré dont la valeur actuelle est égale au coût d’investissement. Selon les auteurs, s’il n’y a pas d’économies ou de déséconomies d’échelle – le coût d’investissement par MW de capacité ne varie pas avec la capacité totale installée – la condition d’investissement optimal garantit que chaque unité de capital génère suffisamment de revenus pour couvrir ses coûts d’investissement. Sur le long terme, le coût marginal de court terme est égal au coût marginal de long terme actualisé.

2.2.2 L’allocation des risques

Dans le cadre idéal du marché électrique décentralisé (cf. Joskow et Schmalensee, 1983 ; Schweppe et al., 1988) l’articulation court et long terme est supposée assurée par les prix sur les différents marchés (énergie, services annexes). Les prix de marché de l’électricité, comme ceux des marchés annexes (capacités de réserves, ajustement), sont supposés envoyer les bons signaux pour des investissements assurant un développement ajusté des capacités. Dans un modèle référentiel, le producteur indépendant (merchant producer) caractérisé par une aversion limitée au risque possède un portefeuille de technologies et vend son électricité sur le marché de court terme. Dans ce contexte, Chao et al., (2005) soulignent trois aspects liés à l’efficience de la gestion du risque le long de la chaîne des activités :

- Premièrement, l’intégration antérieure verticale des entreprises qui assurait un mécanisme d’assurance le long des activités peut être remplacée par les contrats bilatéraux entre les producteurs et les fournisseurs (ou les grands consommateurs), ces contrats étant facilités par les marchés organisés pour l’échange spot. Les décisions d’investissements et le choix technologique ont lieu sur la base du prix de l’électricité sans interférences réglementaires ; - Deuxièmement, les producteurs peuvent acquérir du capital en des termes comparables

directement sur les marchés financiers sans assurance sur la récupération de coût ;

- Troisièmement, en plus des contrats physiques à terme, le développement rapide et adéquat

des marchés pour les instruments financiers fournit tous les moyens de couverture des risques pour les producteurs, les fournisseurs et les consommateurs. De plus, les marchés à terme présentent une fonction informationnelle importante sur les fondamentaux du marché et les avantages de revenu pour investir dans le futur. Nous verrons par la suite que ceci est loin d’être vérifiée sur les marchés électriques actuels.

Nous discutons ensuite les limites du modèle théorique en termes d’envoi du bon signal aux investisseurs et des imperfections concernant la couverture des risques, ce qui contribue au développement inadapté du mix technologique dans les marchés électriques.

2.3 Les limites de modèle du marché pour développer un mix technologique