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Chapitre II : Le SCEQE – nouvelle contrainte pour les investissements

1.2 L’adoption du SCEQE

Dans le passé, les gouvernements des pays membres de l’UE ont eu tendance à refuser les systèmes de permis d’émission en raison principalement d’une opinion publique qui les assimilait à « une autorisation de polluer » (Egenhofer, 2007). L’expérience des systèmes de permis d’émissions s’est donc essentiellement limitée aux Etats-Unis où ils fonctionnent depuis les années 19802. Parmi les

programmes américains considérés comme « réussis » citons celui des pluies acides (SO2) qui est

devenu une référence en matière de systèmes de permis échangeables globalement (Klaassen, 1996).

C’est la conférence de Kyoto qui a finalement amené les pays européens à envisager d’autres instruments et qui a conduit au lancement de plusieurs programmes et projets pilotes de systèmes de permis d’émissions. Depuis Kyoto, les Etats membres, dont le Danemark et le Royaume-Uni, des compagnies telles que BP et Shell, le secteur électrique européen et les associations industrielles comme « Entreprises pour l’environnement », ont montré un intérêt croissant pour les systèmes de permis échangeables d’émission de GES (Philibert et Reinaud, 2004).

Suite au retrait américain du protocole de Kyoto en 2001, les incertitudes pesant sur les dispositifs internationaux ont ainsi renforcé la volonté européenne d’aboutir à une ratification et à une mise en vigueur de Protocole. Ces incertitudes majeures sont bien illustrées dans Criqui (2002) : traduites en termes de marché de permis, sans l’apport essentiel de la demande de permis des Etats-Unis, le risque était grand que l’offre, dominée par «l’air chaud»,3 excède la demande résiduelle et donc que le prix d’équilibre baisse, voire tombe à zéro. La question s’est donc posée de savoir si le Protocole sans les États-Unis conservait son sens. Ces incertitudes ont par ailleurs renforcé l’intérêt qui doit être porté à la mise en œuvre de programmes nationaux et européens de lutte contre le changement climatique.

A la présentation du programme européen sur le changement climatique en octobre 2001, la commissaire de l’environnement Margot Wallstrom a insisté sur le fait que le système de permis échangeables devienne « la pierre angulaire des stratégies à bas coût pour atteindre les objectives de

1

Les gouvernements considèrent souvent les programmes ciblés au niveau national ou international (e.g. European Strategic Energy Technology Plan (European Commission, 2007) ou Asia-Pacific Partnership (cf.

http://www.asiapacificpartnership.org [consulté le 24/09/09]). 2

Pour une description approfondie des différents systèmes, se référer à Reinaud et Philibert (2007). 3

Le surplus des permis qui a résulté de l’effondrement économique ou de la réduction de la production pour des raisons qui ne sont pas directement liées aux efforts intentionnels de réduction des émissions.

Kyoto » dans l’Union (Andersen, 2005). Deux ans plus tard, la Commission a introduit la Directive du SCEQE et a exposé les règles du jeu pour la phase pilote 2005-2007 (Directive 2003/87/EC). En attendant la conclusion d’un accord international global sur la période post-Kyoto, l’UE s’est également engagée à réduire ses émissions d’au moins 20 % d’ici 2020 par rapport à 1990. Selon la Commission Européenne, le SCEQE constituera ainsi un instrument-clé pour atteindre ces objectifs (Delbeke, 2008).

Le premier intérêt du système du SCEQE a résidé dans son acceptabilité par les gros émetteurs : « un système de permis est bien plus facile à instaurer qu’une taxe, car il est plus aisé de

distribuer des rentes1 que d’élargir les prélèvements obligatoires » (De Perthuis, 2009). L’adoption du

SCEQE a été également favorisée par certains aspects institutionnels : contrairement à la proposition d’une taxe d’énergie-carbone, l’unanimité au sein du Conseil n’était pas nécessaire (Andersen, 2005). En effet, le traité de Maastricht exige l’accord unanime des Etats membres pour toutes les décisions concernant la fiscalité, ce qui donne un droit de veto à chaque pays (Grubb et Newbery, 2007). Les Etats membres craignent que le vote à la majorité sur la fiscalité environnementale puisse constituer un début de perte de leur autonomie pour d'autres formes de fiscalité (Fujiwara et al., 2006). Dans ces circonstances, aucune proposition pour l'introduction d'une taxe environnementale n'a jamais fait consensus. Plus particulièrement, la proposition d’une taxe énergie-carbone en 1992 par la Commission n’a jamais été adoptée et a même été abandonnée quelques années plus tard. De la même manière, les accords volontaires, qui sont les instruments préférés des industriels, ont eu peu

d’impact au niveau de la gouvernance européenne, principalement pour des raisons institutionnelles2.

La complexité des accords volontaires est davantage mise en avant par le manque d’interlocuteurs appropriés au niveau industriel européen. Il est donc peu probable que les associations européennes d’industriels s’engagent effectivement dans des accords volontaires, à cause de l’hétérogénéité de leurs adhésions et de leurs divisions internes (Storey, 1996).

Les avantages théoriques du système de permis d’émissions par rapport à une régulation de type Command and Control (CAC) ont également contribué au choix du SCEQE (Egenhofer, 2007). Premièrement, et comme nous l’avons constaté dans la section 1.1.1, le système de permis échangeables, en théorie, permet d’atteindre l’objectif environnemental à un moindre coût en assurant

que le prix du marché est égal au coût marginal de réduction le plus bas parmi les entités régulées3.

Par conséquent, les pollueurs dans le cadre du SCEQE peuvent identifier les moyens les plus

coût-efficaces pour réduire leurs émissions4. Le prix du marché reflète également les incitations monétaires

1

La rente carbone est une nouvelle valeur économique qui découle de la rareté imposée sur les droits d’émission des industriels soumis aux quotas.

2

Un opposant particulièrement influent au SCEQE a été l’Association Allemande de l’Industrie (BDI) qui a favorisé les accords volontaires et les approches domestiques (Andersen, 2005).

3

Carlson et al., (2000) indiquent que les économies de coût estimées dans le programme américain des pluies acides (SO2) peuvent atteindre 50 % par rapport à une régulation de type CAC.

4

Le rapport coût-efficacité est un aspect important car il permet de mener des actions vigoureuses pour une dépense donnée, de permettre d’allouer des ressources rares à d’autres objectifs importants (santé, éducation) et d’accroître la compatibilité des politiques d’atténuation avec un développement et une croissance économique continus et élevés (Stern, 2006).

à adopter des technologies nouvelles, plus efficaces. Ces investissements permettent d’acheter moins ou de vendre plus de permis au prix du marché. Ces économies de type coût-revenus conduisent à la diffusion de technologies plus efficaces (Tietenberg 1985). Deuxièmement, le prix du carbone à terme améliore la prévision à moyen terme, ce qui représente un facteur important pour prendre des décisions d’investissement et pour stimuler l’innovation. Troisièmement, un système de cap-and-trade tel que le SCEQE assure une certitude de résultat environnemental, ou l’intégrité environnementale, en imposant un quota sur les émissions globales des secteurs régulés. Enfin, Philibert et Reinaud (2004) affirment que le SCEQE peut s’avérer la pièce maîtresse des efforts internationaux pour construire un régime global et complet de la réduction des émissions de GES.

Conclusion

En conclusion de cette section nous rappelons que la défaillance du marché que constituent les atteintes au climat par les émissions de carbone crée une externalité négative et un coût (ou une perte de bien-être) auquel il est nécessaire de remédier. Les marchés ne réussissent pas à résoudre le problème des biens environnementaux car leur caractère non-rival et non-exclusif ne permet généralement pas de définir des droits de propriété. Pour ramener les émissions à un niveau permettant d’atteindre un optimum social, l’Etat, seul garant de l’intérêt collectif, doit faire supporter le coût à ceux qui polluent en créant un prix pour les émissions ou en limitant les droits d’accès à l’environnement. Les systèmes de permis échangeables ont en effet la propriété de créer un prix pour l’accès au bien environnemental. Ce système permet d’obtenir des économies de coût sans la nécessité pour le régulateur d’avoir une information sur les coûts de réduction. Au contraire, le mécanisme du marché fournit l’information nécessaire et conduit aux décisions coût-efficaces sur les mesures de réduction. En plus de son attribut de « coût-efficacité », le système de permis d’émissions est souvent encouragé en raison de sa capacité à stimuler l’innovation. Les aspects institutionnels autant que les atouts théoriques ont contribué à introduire le SCEQE au niveau européen comme moyen permettant d’atteindre les objectifs de Kyoto et de l’après-Kyoto, à un moment où les premiers promoteurs des systèmes de quotas, les Etats-Unis, s’étaient retirés du jeu.

2 La phase d’essai du SCEQE-1 et ses effets sur les

investissements du secteur électrique

Le but des premières années du SCEQE était de développer une infrastructure et de bénéficier d’une expérience qui permettrait la réduction efficace des émissions pendant la période de Kyoto 2008-2012. Compte tenu de la vitesse à laquelle le programme s’est développé, du nombre élevé de pays souverains impliqués et du manque d’expérience concernant les systèmes de permis échangeables en Europe, de nombreux auteurs s’accordent à dire que le SCEQE a correctement fonctionné (Ellerman et Joskow, 2008 ; Convery et Redmond, 2007). Le montant des transactions n’a cessé de

croître, ainsi que le nombre de participants au marché actifs. Couplée à l’existence de bourses

d’échange organisées, cette croissance a amélioré la fluidité et la liquidité des transactions1. On peut

aussi relever la performance environnementale du système qui constitue l’objectif principal du SCEQE : des réductions réelles d'émissions ont été réalisées principalement à cause des

modifications dans la production d’électricité (Ellerman et Buschner, 2006)2. Cela a donné l’impression

que le marché réagit assez rapidement au signal-prix. Enfin, le marché européen a aidé au développement des projets de développement propre (MDP) en étant une source importante de demande.

Le développement et l’expérience de la phase « d’apprentissage » fournissent des leçons utiles pour la construction des systèmes cap and trade dans d’autres pays. Dans ce contexte, et après avoir présenté le SCEQE et ses impacts généraux sur les marchés électriques, nous examinons l’environnement des investisseurs durant les premières années du SCEQE en introduisant les risques principaux dus à la volatilité importante de prix, aux répercussions sur le prix de l’électricité, à l’incertitude liée à la régulation post-Kyoto ainsi qu‘aux controverses suscitées par le processus d’allocation des permis d’émissions. Enfin, nous analyserons l’impact du SCEQE sur les choix technologiques dans les premières années de fonctionnement et discuterons de ses orientations potentielles sur les choix d’investissements à court et moyen terme. En particulier, nous montrons que, d’une part, les premières années du SCEQE ont été caractérisées par une volatilité importante du prix du carbone liée à la faible visibilité de la politique climatique après Kyoto, ce qui a tendance à retarder les investissements. D’autre part, certains détails de la mise en place du SCEQE, comme l’allocation qui est disponible seulement pour les centrales émettrices en CO2, créent des incitations perverses et, avec la hausse du prix du gaz, peuvent contribuer à des constructions et à des planifications d’installations au charbon fortement émettrices de GES.