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Chapitre I : étude expérimentale

4. Simulation de l’abrasion

4.4. Synthèse sur l’étude expérimentale

4.4.1. Les principaux résultats

Une relation très nette apparaît entre les taux d’abrasion E et la vitesse des particules Ug. Elle est liée à la croissance de l’énergie des impacts associée à une augmentation de Ug. Ce résultat va dans le sens des travaux de Kuenen [1956] ; ces derniers montrent une relation linéaire entre E et (Ug)² que nos résultats semblent corroborer. Cependant, la précision de nos résultats ne permet pas d’écarter définitivement une relation affine entre E et Ug. Dans ce deuxième cas, les courbes obtenues indiqueraient qu’il existe une vitesse minimale en deçà de laquelle l’abrasion est négligeable. Ce seuil correspondrait à une énergie cinétique minimale pour la propagation des micro-fractures. L’existence de ce seuil conforterait d’une certaine manière les lois théoriques relatives à l’érosion du substrat rocheux de Foley [1980] et de Sklar et Dietrich [1998] ; celles-ci font en effet intervenir une énergie seuil pour que le détachement de matière soit effectif.

Lorsque l’on s’intéresse aux produits de l’érosion, on constate que l’augmentation du taux d’abrasion consécutif à une augmentation de la vitesse des particules concerne toutes les fractions, même si dans l’ensemble les éléments deviennent plus grossier. Ces arguments montrent que les processus d’abrasion et d’érosion changent d’échelle. Ainsi, contrairement a ce que suggérait Kuenen [1956] mais comme l’avaient démontré expérimentalement d’autres auteurs [Bradley, 1970 ; Kodama, 1994b] l’éclatement de galets peut devenir un processus de réduction de taille efficace. Ce processus, favorisé par l’existence de débits matérialisant des zones de faiblesses (schistosité, foliation, stratification, diaclases), s’est produit au cours de nos expériences à partir de valeurs de Ug inférieures à 2 m/s.

En ce qui concerne la quantité de sédiments introduite dans le canal, on constate que pour des faibles quantités, notre dispositif reproduit le « tool effect » défini par Sklar et Dietrich pour l’abrasion du substrat rocheux [2001] : lorsque l’on augmente la quantité de galets, on augmente la probabilité d’occurrence et donc le nombre d’impacts abrasifs, par

conséquent le taux d’abrasion croît également. Le taux d’abrasion maximum est atteint globalement pour la quantité de sédiments nécessaire pour couvrir le fond du canal. Pour des quantités supérieures, la probabilité d’occurrence d’impacts abrasifs ne varie plus significativement, le taux d’abrasion à donc tendance à se maintenir. On note même une légère tendance à la régression qui serait liée à un effet de masque se produisant lorsque la quantité de sédiments devient trop importante, les galets se protégeant les uns des autres. Néanmoins, il est nécessaire d’augmenter le débit d’injection, c'est-à-dire l’énergie transmise à la charge, pour maintenir la vitesse des galets lorsque leur quantité augmente. Si l’on raisonne à force motrice constante, la décroissance du taux d’abrasion apparaît plus clairement.

Ces phénomènes sont liés à la configuration particulière de notre dispositif, avec un fond non-abrasif. Avec un fond rocheux, la probabilité d’impact abrasif et donc les taux d’abrasion des galets seraient à priori indépendants de la quantité de sédiments introduite. Sur ces considérations, on peut supposer que les taux d’abrasion maximums obtenus au cours de la présente étude sont assimilables à des taux d’abrasion sur fond rocheux.

La dépendance de l’abrasion vis-à-vis de la taille des particules est complexe à mettre en évidence. Lorsque l’on augmente la taille moyenne des sédiments, on constate que les taux d’abrasion croissent globalement, ce qui peut s’expliquer par une augmentation de l’énergie impliquée dans l’impact du fait de l’augmentation de la masse des particules. Cependant, la comparaison des résultats des expériences réalisées avec les galets des fractions 4-6 et 6-8 cm montre un clair changement de tendance. Le faible nombre d’expériences réalisées pour ces fractions ne permet pas d’apporter pour l’instant d’explication à ce phénomène. Cependant, nous proposons l’hypothèse suivante : soit l’érosion dP associée à un impact. Si l’on considère que l’abrasion est proportionnelle à la contrainte appliquée au contact au moment de l’impact, on peut écrire dPµ s -C0 ou C0 est une constante relative au seuil d’énergie nécessaire au détachement de matériel. Or, la contrainte s est proportionnelle à D5/3 (voir § 1.1.2.2.3.). Par conséquent, on peut écrire dPµD5/3-C0. Si l’on considère maintenant le taux d’abrasion, on a : 4/3 03 3 D C D D dP P dP -µ µ - .

Une telle fonction est caractérisée, pour des valeurs de D croissantes, par une augmentation puis une diminution du taux d’abrasion dP/P, la valeur seuil étant contrôlée par le paramètre C0. Des expériences et une réflexion complémentaires sont donc nécessaires sur ce point.

Toujours en considérant la taille des particules, on constate une tendance inverse lorsque l’on s’intéresse aux galets individuellement : les galets les plus petits s’érodent plus vite que les plus gros, du fait probablement d’un effet géométrique se produisant au sein d’un matériel hétérogène granulométriquement. Ce comportement aurait donc tendance à préserver les plus grosses tailles, ce qui ne permettrait pas à priori de faire décroître le diamètre médian rapidement, les distributions se resserrant vers les fractions les plus grossières. Cependant, si ce phénomène permet d’accroître significativement l’abrasion des sédiments au cours du transport fluvial, il nécessite de plus amples études.

Les taux d’abrasion que nous avons obtenus expérimentalement pour les galets de calcaire sont compris entre 0,11 et 1,12 % par km. En maximisant les incertitudes, on obtient une gamme comprise entre 0,03 et 1,50 % par km.

Les valeurs obtenues par Kuenen [1956] sur des galets de calcaire en canal circulaire tombent dans cette gamme de valeur. Kuenen a utilisé des galets de tailles comparables à celles que nous avons utilisées mais à des vitesses moindres. Le fond de son canal était couvert de galets fixés.

Les valeurs obtenues par Krumbein [1941] sur des galets de calcaire en tambour à axe horizontal donnent des taux bien plus importants, de l’ordre de 3 % par km. Le diamètre des galets utilisés était compris entre 45 et 54 mm.

Si l’on considère les taux d’abrasion obtenus au cours des expériences multi-lithologies avec des galets de calcaire, marbre, quartzite, schiste, grès, granite et gneiss, on note :

- pour les lithologies massives, nos taux sont 1 à 3 fois supérieurs aux taux des études expérimentales précédentes [Schoklitsch, 1933 ; Krumbein, 1941 ; Kuenen, 1956],

- pour les lithologies foliées ou schistosées, nos taux deviennent 4 à 20 fois supérieurs aux taux de ces mêmes études. Cette importante différence est due au fait que les galets de ces lithologies ont tendance dans notre dispositif à être réduit par éclatement sous l’effet

zones de faiblesse. La non effectivité de ce processus dans les études expérimentales précédentes peut s’expliquer dans le cas des expériences à tambour par l’inaptitude du dispositif à reproduire de manière réaliste les interactions entre les galets ; dans le cas de l’étude en canal de Kuenen [1956] peuvent être invoquées des vitesses de galets réduites par rapport aux nôtres mais surtout un manque « d’outils » d’abrasion, le nombre de galets introduits dans le canal ne dépassant pas une quinzaine.

Notons cependant que les taux d’abrasion que nous obtenons sont bien en deçà de ceux obtenus par Kodama [1994b] à partir des expériences « vigoureuses » qu’il a réalisées en tambour à axe horizontal. Toutefois, ces dernières expériences surestiment probablement les taux pour les raisons suivantes : les chocs frontaux entre galets sont plus nombreux dans le dispositif de Kodama que dans le nôtre, toutes les particules étant en mouvement au cours de nos expériences (d’où une vitesse relative plus faible) ; dans le dispositif de Kodama, l’eau ne joue pas son rôle d’amortisseur visqueux lorsqu’elle est chassée latéralement de la zone de contact juste avant l’impact ; enfin, une grande partie des critiques adressées aux tambours à axe horizontal peuvent être maintenues pour le dispositif de Kodama (voir § 1.1.3.2.).

Les taux d’abrasion que nous avons obtenus sont probablement sous-estimés, le fond de notre dispositif étant non-abrasif. Cependant, à forte concentration de galets, la fréquence des chocs ne serait que peu augmentée par la présence d’un fond abrasif. Par ailleurs, les angles d’impact plus faibles que dans les interactions entre galets pourraient s’opposer à une plus forte abrasion liée à des vitesses relatives plus élevées avec le fond. Par conséquent, il est peu probable que cette sous-estimation puisse être de 1 ou 2 ordres de grandeur comme requis par les différences entre taux d’abrasion expérimentaux et taux de réduction de taille vers l’aval en rivière. Cette constatation aurait donc tendance à reposer la question à laquelle nombre d’expérimentateurs ont tenté de répondre depuis des décennies : « pourquoi les taux d’abrasion expérimentaux sont bien inférieurs aux taux de réduction de taille mesurés en rivière ? ». A partir de l’étude que nous avons menée sur le terrain (Chapitre 2), nous tâchons d’apporter des éléments de réponse…