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L’abrasion des galets au cours du transport fluvial : première étude systématique [Kuenen, 1956]

Chapitre I : étude expérimentale

1. Historique, problématique actuelle

1.1. Les apports des études expérimentales portant sur l’abrasion des galets au cours du transport fluvial

1.1.4. Les expériences en canal circulaire

1.1.4.2. L’abrasion des galets au cours du transport fluvial : première étude systématique [Kuenen, 1956]

Ces expériences ont été conduites plusieurs années durant, fournissant une quantité de résultats importante. Le but de l’étude était de définir la dépendance de l’abrasion vis-à-vis des facteurs la contrôlant. Plusieurs séries d’expériences ont été réalisées dans un canal inédit (fig. 2) avec pour objectif d’isoler les différents facteurs et de pouvoir ainsi déterminer leur influence réelle sur l’abrasion. Les paramètres qui ont été testés sont les suivants :

- nature du substratum : le fond du canal était en ciment ou recouvert de galets arrondis de 4 cm de diamètre collés sur le fond. La concentration en fines était variable : pas de fines, présence d’argiles ou présence de sable grossier.

- vitesse des galets : 0,5 à 2,3 m.s-1.

- lithologie : des expériences « mono-lithologiques » et « multi-lithologiques » ont été réalisées avec les matériaux suivants : flint, radiolarite, obsidienne, agate, quartz, quartzite, porphyre, gneiss, rhyolite, dolérite, granite, gabbro, grauwacke, calcaire et verre.

- indice d’émoussé : au début de chaque expérience, des galets anguleux ou déjà arrondis étaient introduits dans le canal.

- quantité de galets : une douzaine de galets maximum étaient utilisés pour chaque expérience, Kuenen, s’intéressant principalement aux interactions entre les galets et le substrat.

Les principaux résultats obtenus sont présentés ci-dessous :

1.1.4.2.1. Dépendance de l’abrasion vis-à-vis des variables testées.

a) Influence de la nature du substratum.

Cette dernière induit des variations de taux d’abrasion notables. Les taux sont bien plus importants sur le fond à galets que sur le fond en ciment. Notons que dans cette dernière configuration, certaines observations sont surprenantes, comme par exemple des taux d’abrasion indépendants du poids et de la vitesse des galets et ce dans une large gamme de vitesses et de poids (ce phénomène a été constaté exclusivement avec le fond en ciment). La plupart des expériences ont été réalisées sur le fond à galets : les résultats présentés ci-après correspondent à cette configuration.

b) Influence de la concentration en fines.

La présence d’argile, même en quantité importante, ne modifie pas les taux d’abrasion. Ce résultat semble lié au fait que les argiles sont mises en suspension. En revanche, la présence de sable provoque une diminution des taux d’abrasion de l’ordre de 10 à 15%. Ce phénomène serait dû au fait que le sable constitue un troisième corps qui amortit ou encaisse une partie des chocs entre les galets et le substrat.

c) Influence du poids, de la vitesse et de la forme des galets.

Kuenen constate que plus les galets sont petits, plus ils vont vite ; plus ils sont émoussés, plus ils vont vite. Kuenen constate également que le taux d’abrasion est proportionnel à la vitesse au carré et donc à l’énergie cinétique de la particule. Ainsi, plus un galet va vite, plus il s’érode. De même, dans des conditions de transport similaires, un petit galet s’érode moins vite qu’un gros galet puisque son énergie cinétique est moins importante. La taille de la particule est donc un paramètre contrôlant majeur, ce qui va à l’encontre de ce

Selon Kuenen, cette erreur serait due au fait que le paramètre « taille » n’avait pas été isolé des autres paramètres (lithologie, indice d’émoussé,…) pendant les expériences. La loi de Sternberg [1875] qui donne un taux d’abrasion indépendant de la taille des galets est donc critiquable.

Kuenen constate également que plus le galet s’émousse, moins l’abrasion est importante. Lorsque la forme de départ est très anguleuse, le galet s’émousse très vite et les taux d’abrasion sont alors très importants. Au bout de quelques kilomètres, le processus ralentit.

Pendant le transport, le poids du galet diminue et son indice d’émoussé augmente : le taux d’abrasion diminue donc au cours du transport.

d) Influence de la forme de départ.

La forme de départ a une influence négligeable vis-à-vis de l’abrasion mais elle conditionne la forme finale.

e) Influence de la lithologie.

Il s’agit de l’un des paramètres majeurs. La nature du matériau, sa cohésion, sa dureté, sa fragilité, l’existence de débits (en particulier pour les roches métamorphiques) vont contrôler les taux d’abrasion. Kuenen a défini la résistance à l’abrasion relative des différents matériaux utilisés mais il n’a pas abouti à une quantification des « coefficients d’abrasion ». L’ordre de résistance défini est logique et compatible avec ce qui a déjà été proposé par les précédents auteurs ; du plus au moins résistant : flint, radiolarite, agate, roches quartzeuses, rhyolite, granite, gabbro, dolérite, grauwacke, calcaire, lave et obsidienne (les taux d’abrasion, très variables selon les conditions expérimentales, sont globalement compris entre 0,007 et 1,10 % du poids initial par km).

L’ensemble des dépendances décrites ci-dessus est synthétisé dans le tableau suivant [Kuenen, 1956] :

FACTEURS Influence

Poids Majeure sur fond à galets, mineure sur fond sableux

Vitesse Mineure sur les galets de taille moyenne à large, plus importante sur les petits galets Lithologie Majeure :

Silex très résistant

Quartz, quartzite, porphyre quartzique résistants

Grauwacke, roches plutoniques, roches volcaniques denses, calcaires moins résistants D’autres calcaires, grès, laves, gneiss, schiste et verre peu résistants

Emoussé Le matériel anguleux subit une très forte abrasion sur fond à galets ; l’augmentation de l’indice d’émoussé inhibe tous les processus d’abrasion

Lit sableux Faible abrasion

Lit à galets Abrasion importante, l’ajout de sable la réduit de 10 à 15%

1.1.4.2.2. Caractérisation des processus d’abrasion.

Kuenen a défini dans son étude les différents processus qui affectent les galets pendant leur transport mais également pendant leur stockage dans la plaine d’inondation. Ces processus sont les suivants, (entre parenthèses, le terme anglais correspondant) :

- Eclatement du galet en 2 ou 3 pièces de taille plus ou moins équivalente (splitting) , - Broyage du galet en particules fines (crushing),

- Détachement d’éclats du galet, généralement au niveau de ses angles (chipping),

- Microfracturation : des cônes de percussion et des fractures apparaissent en surface du galet sous l’effet des chocs, les éléments individualisés restent en contact (cracking),

- Usure par friction du galet, les particules fines jouant le rôle d’abrasif (grinding), - Abrasion par les particules en suspension (sandblasting) [Kuenen, 1955], - Altération chimique, principalement lorsque le galet est hors de l’eau.

L’importance relative de ces processus dépend des conditions dans lesquelles se déroulent les expériences. Elle est synthétisée dans le tableau suivant [Kuenen, 1956] :

PROCESSUS Fond Sableux Fond à galets Plaine d’inondation

Eclatement (1) Très rare Occasionnel (gel, chimique)

Broyage Petits grains entre grains

plus gros Détachement d’éclats Mineur pendant les

1er km puis rare

Dominant pendant la 1ère dizaine de km puis rare

Insignifiant

Microfracturation Majeur

Usure par friction Majeur Mineur

Abrasion par les

particules en suspension

Insignifiant Mineur et seulement à grande vitesse

Action chimique

(dissolution et altération)

Faible (calcaire) Faible (calcaire) Important

(1) Kuenen ne pense pas que l’éclatement soit un processus d’abrasion prépondérant en rivière. De nombreux arguments le confortent dans cette position [Kuenen, 1956], ainsi qu’un petit test simple qui consiste à lâcher un galet 7 mètres au dessus d’un seau rempli de galets recouverts de 5 cm d’eau. L’éclatement ne se produit jamais malgré le fait que le galet touche l’eau à 12 m.s-1 avec une énergie cinétique 10 fois supérieure à celle de galets s’impactant à 4 m.s-1, une vitesse d’impact qu’il considère comme maximum dans une rivière.

Bien que l’étude de Kuenen [1956] paraisse circonvenir une bonne partie des phénomènes et facteurs intervenant dans l’abrasion des galets, elle pêche par un manque de quantification. Aucune loi de dépendance en poids et en vitesse n’est proposée de manière systématique. D’autre part, les trajectoires des galets et les conditions hydrodynamiques dans le canal ne sont pas détaillées et ne permettent pas une véritable transposition des résultats obtenus au cas d’une rivière naturelle. Enfin, il faut signaler qu’à fort régime hydraulique, le transport des galets se fait en masse et que nombre de collisions entre galets qui participent à l’abrasion ne sont pas prises en compte lorsque l’on ne fait tourner que quelques galets.