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Chapitre I : étude expérimentale

1. Historique, problématique actuelle

1.1. Les apports des études expérimentales portant sur l’abrasion des galets au cours du transport fluvial

1.2.2. Caractérisation des interactions sédiments – substrat rocheux

1.2.2.1. Etudes de terrain.

De nombreuses études de terrain ont été réalisées dans le but de quantifier l’abrasion du lit rocheux à court terme et/ou de préciser les interactions entre les sédiments transportés par la rivière et le substrat rocheux de celle-ci [e.g. Howard et Kirby, 1983 ; Dollenmayer et Whipple, 1997 ; Dick et al., 1997 ; Tinkler et Wohl, 1998 ; Hancock et al., 1998 ; Howard, 1998 ; Whipple et al., 2000a, 2000b ; Hartshorn et al., 2002]. Nombre de ces études menées à travers le monde sur des rivières à lit rocheux de tailles différentes, coulant à travers des lithologies différentes dans des contextes géodynamiques et climatiques variés, soulignent le rôle important joué par les sédiments lorsque l’on s’intéresse à l’érosion du lit rocheux des rivières. Les principales observations réalisées concernant ce point sont décrites ci-dessous.

En période de basses eaux, la charge de fond protège effectivement le substrat rocheux de la rivière. Pendant cette période, l’érosion concerne principalement les éléments proéminents situés dans le lit de la rivière, les « marches d’escalier » qui peuvent apparaître sur le fond de la rivière et les parois du chenal, d’autant plus que celui-ci est étroit [Hancock et al., 1998 ; Howard, 1998 ; Whipple et al., 2000b ; Hartshorn et al., 2002]. Ce sont les particules en suspension qui agissent dans ce cas-là, produisant des figures d’abrasion telles que les « flûtes » et les « potholes ». L’érosion par les particules en suspension est grandement favorisée par la présence d’aspérités qui vont provoquer des inflexions des lignes de courant (turbulences, tourbillons) ; c’est dans cette configuration que les particules transportées peuvent impacter le substrat [Anderson, 1986 ; Hancock et al., 1998 ; Whipple et al., 2000a]. Comme l’avait suggéré Kuenen à partir de ses résultats expérimentaux [1955], l’abrasion par les particules en suspension est surtout notable pour les éléments statiques situés dans le courant.

Au moment des crues, la charge de fond est mobilisée (excepté les éléments qui sont trop gros pour être transportés) et le lit rocheux n’est plus protégé. C’est à ce moment là que l’érosion du substrat se produit et que la rivière s’incise. Hartshorn et al. [2002] ont montré que les crues modérées au cours desquelles le substrat est découvert sont les plus efficaces en terme d’incision du lit rocheux en réponse au soulèvement. Les crues majeures produisent une érosion plus importante mais, du fait de leur faible fréquence, elles ne parviennent pas à contrebalancer le soulèvement au niveau du thalweg. Les marques d’impact laissées sur les substrats rocheux et sur les blocs immobiles indiquent que les chocs avec la charge de fond peuvent se faire avec une énergie importante et ainsi produire une érosion notable [Kodama, 1994b ; Hartshorn et al., 2002]. Les modalités de cette érosion sont encore mal définies, si ce n’est par les études expérimentales. Il se pourrait également que le détachement de blocs soit un processus efficace [Tinkler et Wohl, 1998 ; Hancock et al., 1998 ; Whipple et al., 2000a ; Hartshorn et al., 2002] : les débits présents dans la roche constituent des zones de faiblesse qui se propagent et « s’ouvrent » sous l’effet des chocs répétés des galets sur le fond ; si la capacité de transport de la rivière est suffisante, les blocs ainsi individualisés peuvent être transportés. La taille des blocs est conditionnée par le « degré de débitage » de la roche. Si les débits sont trop espacés, les blocs ne peuvent être transportés et l’abrasion par les galets constituerait alors le processus d’érosion prépondérant. Cependant, ces hypothèses ne sont basées que sur quelques observations de terrain ; elles nécessitent d’être étayées ou infirmées par des données supplémentaires, ces données pouvant être fournies expérimentalement.

1.2.2.2. Etude expérimentale [Sklar et Dietrich, 2001].

A ma connaissance, cette étude constitue l’unique tentative de relier expérimentalement les taux d’abrasion du substrat rocheux aux caractéristiques de la charge sédimentaire. Sklar et Dietrich [2001] ont étudié expérimentalement le rôle de la quantité de sédiments, de leur granulométrie et de la résistance mécanique des roches sur l’incision, afin de mieux comprendre ce qui se cache derrière la boîte conceptuelle « érodibilité des roches » et ainsi de pouvoir améliorer les modèles d’incision. Le but de cette étude expérimentale était également de vérifier l’hypothèse de Gilbert [1877], à savoir qu’il existe une relation non-linéaire entre le taux d’incision et la quantité de sédiments.

Dans le cadre de cette étude portant sur l’abrasion du substrat rocheux, Sklar et Dietrich ont conçu et utilisé des petits cylindres fermés dans lesquels l’eau, mise en

mouvement par une hélice en rotation rapide, entraîne le déplacement des sédiments (fig. 4). Le mouvement des petits galets et leurs collisions avec un disque rocheux disposé au fond du cylindre provoque l’abrasion de ce dernier. L’érosion des disques rocheux est quantifiée par la variation de leur poids entre le début et la fin d’une expérience.

Figure 5 : représentation schématique des cylindres d’abrasion utilisés par Sklar et Dietrich [2001].

Dans la première série d’expériences, des disques rocheux de 22 lithologies différentes (naturelles et artificielles) ont été testés alors que la quantité, la taille et la lithologie des sédiments ont été maintenus constants. Les résultats montrent une relation en puissance (dispersée néanmoins pour les lithologies naturelles) entre le taux d’érosion E et la résistance à la rupture en traction s du matériau soumis à l’érosion. La relation est du type

0 , 2

.

-= Xs

E . Si l’on change la lithologie des sédiments, les taux d’érosion sont légèrement affectés : le facteur X varie mais l’exposant –2,0 reste constant.

Dans la deuxième série d’expériences, la taille des sédiments et la lithologie des matériaux utilisés ont été maintenus constants et c’est la masse totale des sédiments qui variait. Sklar et Dietrich constatent qu’en augmentant la quantité de sédiments, le taux d’érosion du substrat E commence par croître, ce qui peut s’expliquer par une augmentation du nombre d’outils d’abrasion (« tool effect »), puis il atteint un maximum. A partir de ce point, E diminue lorsque la quantité de sédiments augmente, ces derniers recouvrant le fond et le protégeant de l’érosion (« coverage effect »).

Dans la troisième série d’expériences, l’effet de la taille des sédiments est testé alors que la masse totale des sédiments et la lithologie des matériaux ne varient pas. La taille minimum des particules testées est de 0,7 mm. Lorsque l’on augmente cette taille, E augmente

avec un saut autour de 2 mm qui correspondrait au changement du mode de transport, de « transport en suspension » à « transport en charge de fond ». Au dessus de 35 mm, les galets sont immobiles.

Enfin, dans une dernière série d’expériences [présentation orale, Penrose Conference, 2003], les mêmes auteurs observent en augmentant la vitesse de rotation de l’hélice une forte dépendance de l’abrasion vis-à-vis du facteur vitesse des particules.

Les principales conclusions et interprétations de l’étude sont les suivantes [Sklar et Dietrich, 2001] :

- l’importance et la fréquence des apports de sédiments dans le système fluvial contrôle le « degré d’exposition » du lit rocheux [Howard et Kirby, 1983], avec la pente locale de la rivière [Montgomery et al, 1996]. En effet, en contexte orogénique actif, le lit rocheux des rivières de montagne est fréquemment tapis d’une couche d’alluvions, d’où un effet de couverture important. Ainsi, l’érosion n’y est effective qu’au moment des grandes crues, lorsque la majeure partie de cette couverture est mobilisée sous forme de charge de fond.

- la taille des sédiments joue également un rôle très important. La majeure partie des produits de l’érosion d’une chaîne de montagne est transportée sous la forme de charge dissoute ou de charge en suspension. La charge dissoute n’intervient pas dans l’érosion du lit rocheux et l’étude expérimentale tend à montrer que l’érosion par la charge en suspension est très faible et peut être négligée, excepté pour les éléments proéminents situés dans le lit de la rivière [Kuenen, 1955 ; Whipple et al., 2000a] et pour les berges des chenaux étroits [Whipple et al., 2000b]. Cette faible érosion est due à la faible fréquence d’impact entre les particules et le substrat et à la faible énergie de ces impacts. La charge de fond constitue l’outil d’abrasion du lit rocheux efficace. Cependant, certains éléments trop gros ne peuvent être transportés ; ils ne contribuent donc pas à l’érosion et agissent même en sens inverse en protégeant le lit rocheux.

- les résultats expérimentaux montrent une relation entre le taux d’érosion du substrat rocheux et la résistance à la traction du matériau qui y est soumis. Cette relation peut servir à contraindre les études de terrain, la résistance à la traction pouvant être mesurée à partir d’échantillons prélevés in situ. Elle peut également servir à calibrer les études expérimentales puisqu’elle peut permettre de prédire les variations de taux d’érosion suite à un changement de la lithologie du matériel utilisé.

Les critiques qui peuvent être adressées à cette étude concernent tout d’abord l’hydrodynamique du dispositif. La géométrie cylindrique favorise le développement d’un gradient radial de vitesse des fluides caractérisé par une vitesse nulle au centre du dispositif. Au cours des expériences, les auteurs constatent que les sédiments ont tendance à se regrouper au centre du disque rocheux : la concentration de galets diminue vers la paroi externe du dispositif. Par conséquent, il existe probablement une grande variabilité radiale du taux d’abrasion des disques. De plus, Sklar et Dietrich considèrent que la vitesse des fluides est constante d’une expérience à l’autre, la vitesse de rotation de l’hélice ne variant pas. Cette considération est valable au voisinage immédiat de l’hélice mais pas sur l’ensemble de la colonne d’eau. En effet, une augmentation de la taille et/ou de la quantité de sédiment induit une augmentation de la rugosité du fond du cylindre et par conséquent une perte de charge plus importante : la vitesse moyenne des fluides aura donc tendance à décroître. Cependant, le fait que cette variation de vitesse n’ait pas été prise en compte par les auteurs ne modifie pas leurs interprétations, ceux-ci n’ayant pas cherché à quantifier la vitesse des galets et des fluides ou encore à transposer les conditions hydrodynamiques expérimentales à des conditions naturelles.

Enfin, l’étude expérimentale conçue par Sklar et Dietrich ne permet pas de prendre en compte l’érosion par débitage et détachement de blocs [Tinkler et Wohl, 1998 ; Hancock et al. 1998 ; Whipple et al., 2000a ; Hartshorn et al., 2002].